De la dépossession à l’imitation des corps : distances et confusions dans les rapports maîtres-serviteurs de l’Angleterre du XVIIIe siècle

  • From Dispossession to Imitation of Bodies: Distance and Confusion in Master-Servant Relationships in Eighteenth-Century England

Résumés

Cet article s’intéresse à la façon dont le corps représente et cristallise les différentes facettes des rapports maîtres-serviteurs de l’Angleterre du XVIIIe siècle, et les problèmes liés à la notion d’intimité dans ces rapports protéiformes. Les livres de conduite de l’époque en façonnent une image normative fondée sur la subordination et la distance verticale, ce qui pourrait suggérer une ségrégation de deux sphères intimes bien séparées. Cependant l’interdépendance est telle qu’elle entraîne des contraintes sur le corps du serviteur, lequel se doit d’être maîtrisé et vertueux au point de sembler parfois ne plus lui appartenir. A l’encontre de cette distance verticale, la relation maîtres-serviteurs, en particulier dans les écrits de fiction, se manifeste également sur le mode mimétique ; la spécularité des corps, dans leur apparence, leur tenue et leur conduite, entraîne une confusion des sphères intimes du maître et du serviteur qui peut aller jusqu’à une usurpation carnavalesque des plus subversives.

This paper focuses on the way the body represents and clusters the various facets of the master / servant relationships in eighteenth-century England as well as the problems linked with their ambiguous intimacy. Eighteenth-century conduct-books created a rigid normative frame based on subordination and vertical distance, the aim of which was to delineate two distinct intimate spheres. And yet the master / servant interdependence plays such a major role that the servant’s body is fettered and subject to constraints, as it must be controlled and virtuous, so much so that in the end the servant gives the impression of being dispossessed of his / her body. Contrary to this vertical distance, the master / servant relationship often becomes mimetic, especially in fiction; the bodies’ specularity (as regards appearance, dress and behaviour) brings about a confusion of intimate spheres and quite a subversive carnivalesque usurpation.

Plan

Texte

Au XVIIIe siècle, alors qu’un nouveau modèle économique se met en place dans la société, le rôle du serviteur se redéfinit : ce dernier peut être davantage tenté que par le passé de monnayer ses compétences et d’aller au plus offrant, quitte à changer sans cesse de maître, renonçant ainsi à la fidélité à une même famille avec laquelle il tisserait des liens petit à petit. La relation avec son employeur bascule du côté de l’argent plus que de la loyauté. C’est ce que résume Kristina Staub (2009 : 6): « Ce qui devint ‘le problème des serviteurs’ du dix-neuvième siècle était, au dix-huitième, un ensemble d’espoirs et de peurs qui se concentraient sur une personne de la maisonnée dont le statut hybride, à la fois contractuel et affectif, était à la source de plusieurs des contradictions qui marquaient la famille au début du capitalisme. »1 Ainsi le domestique est à la fois lié par, d’un côté, un rapport affectif avec son maître et au-delà avec la famille au service de laquelle il entre et, de l’autre, un contrat, comportant des règles bien précises, édictées en détail dans les multiples livres de conduite de l’époque. Il a donc un statut hybride qui expose toute l’ambiguïté d’une possible intimité entre maître et serviteur. Le rôle joué par le corps vient complexifier encore cette intimité car ce dernier symbolise et affiche à la fois ce qui lie le maître et son serviteur (livrée, vertu des corps, ou au contraire promiscuité sexuelle entre différentes classes) et ce qui marque leur écart (dans la parure, le langage, la ségrégation spatiale). Le corps est-il donc davantage le témoin d’une intimité ou un obstacle à celle-ci ? L’intime, c’est d’une part la qualité d’un lien, allant de la confiance à l’amitié, ou à l’amour, et d’autre part une caractéristique de ce qui est privé, personnel, voire secret. La notion d’intime sera abordée sous ces deux aspects : celui de la relation qui peut lier maître et serviteur et celui de la sphère intime, de l’intimité du maître que le serviteur pénètre, respecte, mais aussi parfois s’approprie, par le langage, l’apparence et la maîtrise du corps. Nous nous intéresserons tout d’abord à l’image des rapports entre maîtres et serviteurs telle qu’elle est façonnée dans les livres de conduite de l’époque et au rôle du corps, objet à la fois de spécularité et de possession, dans la création d’un lien entre eux. Dans quelle mesure la distance verticale prônée sans cesse dans ces ouvrages théoriques et normatifs afin de renforcer la subordination permet-elle la création d’un véritable lien qui dépasse les corporations? Puis nous étudierons comment à l’encontre de cette verticalité, certains ouvrages de fiction mettent en scène un schéma mimétique d’appropriation voire d’usurpation par les serviteurs de la sphère intime des maîtres, qui se traduit par la singerie du langage du corps et de ses satisfactions.

1. Distance verticale et subordination

S’il existe une proximité ou une affinité, elle est à première vue horizontale, à l’intérieur de la sphère des domestiques, au sein de corporations. Le monde des maîtres et celui des serviteurs se font face et se côtoient mais c’est clairement celui des domestiques qui semble être le plus soudé sans pour autant être homogène. Il est très souvent fait allusion à des relations de fraternité2 qui créent dès l’abord une sorte d’intimité paradoxale puisqu’elle lie des personnes ne se connaissant pas. Cette intimité est celle d’un lien ‘familial’. L’appartenance à un même corps de métier se marque physiquement sur le corps même des serviteurs par une métaphore sartoriale : ainsi Dodsley dédicace-t-il son ouvrage à ses frères de livrée3 tandis que l’auteur de The Footman’s Looking Glass signe son livre en s’identifiant, de façon presque anonyme comme « J. B., frère de livrée ».4 Mais il n’est pas que la parité qui unisse, de façon abstraite, les serviteurs : ceux-ci semblent avoir formé de véritables cercles ou corporations afin d’acquérir visibilité et pouvoir. ‘Comité’, ‘compagnie’, et même ‘coterie’, tels sont les termes choisis par Daniel Defoe pour déplorer cette union. Dans son pamphlet il dénonce tout d’abord, en les comparant à de la vermine, ceux qui se targuent d’appartenir à ‘l’honorable compagnie des cireurs de chaussures’ (Defoe 1725 : 24) qui influencent en mal les serviteurs. Il vilipende ensuite une véritable sororité néfaste à la société.5Selon lui, cette association de servantes est non seulement nuisible mais agit, en outre, de façon presque totalitaire puisque nulle nouvelle servante ne saurait leur résister. A peine ces dernières ont-elles pris leur service qu’elles sont corrompues le jour même de leur arrivée par leurs aînées6 qui les enjoignent de tenir tête à leur maître en demandant une augmentation ou en menaçant de quitter leur poste. La relation serviteur-serviteur qui se met en place s’établit au détriment d’une relation honnête qui pourrait exister et se créer au fil du temps entre la jeune servante et ses maîtres. Cette opposition devient explicite dans le manuel de conduite parodique rédigé par Jonathan Swift à l’attention des serviteurs: « Mettez-vous bien dans la tête que vous avez un ennemi commun, qui est votre maître et votre maîtresse. »7Quelles que soient les dissensions, les liens sembleraient ainsi se mettre en place horizontalement en opposition à et pour ainsi dire en raison de cette opposition à la sphère supérieure, laissant a priori peu de place à une intimité maître-serviteur.

Les préceptes religieux viennent renforcer cette configuration verticale en jouant un rôle déterminant dans le type de relation qui se noue entre maître et serviteur. Le domestique ne saurait remettre en cause la place de subordonné qui est la sienne puisque, même indirectement, c’est Dieu qui en a décidé ainsi.8 Nombreux sont les livres de conduite qui citent la Bible pour appuyer leurs recommandations ou même les sermons qui exhortent le serviteur à un respect de son maître mais aussi de l’écart qui les sépare, créant ainsi une ségrégation spatiale métaphorique.9 Ainsi le serviteur est enfermé dans un espace clairement délimité. Toutefois, la distance est ambiguë, puisqu’elle comporte l’idée d’attachement et d’interdépendance.10 Le serviteur se voit attribuer une place essentielle dans la société précisément parce qu’il n’est pas indépendant mais au contraire constitue le début d’une chaîne, le premier rouage d’un engrenage sur lequel repose le fonctionnement même de la société (Francklin 1765 : 76 ; 83) :

Dans cette grande machine compliquée qu’est l’univers, si les roues, petites ou auxiliaires, ne fonctionnent pas, cela doit, bien évidemment, retarder le mouvement et interrompre le mécanisme de l’ensemble de la structure. […] La confiance mutuelle et réciproque constitue les liens puissants de notre société, sans lesquels il n’est pas de survie possible. […] Nous sommes liés, par conséquent, par un contrat solennel […] nous avons donné notre accord, en échange des bénéfices et des avantages manifestes d’une protection et d’un soutien quotidiens, pour promouvoir l’intérêt et le bien-être de ceux qui pourvoient à nos besoins et nous protègent.11

A la métaphore de l’engrenage et des rouages solidaires s’ajoute dans cet extrait le lexique du contrat (« mutual », « bonds », « bound », « contract », « agreed »). La relation qui lie le domestique à son supérieur terrestre, image de son supérieur divin, se fait solennelle, et Dieu en est témoin. Ce contrat entre individus, qui semble presque un reflet microcosmique du contrat social décrit par Hobbes dans le Leviathan, n’est pas sans rappeler l’image du corps-état (« body politic ») que l’on pourrait ici transférer à la relation maître / serviteurs, les domestiques réunis constituant métaphoriquement un corps dont le maître serait la tête. La relation verticale est toujours présente mais le partage d’un même corps souligne la relation d’interdépendance qui les lie.

Comment se marque précisément cette distance respectueuse dans l’attitude attendue quotidiennement du domestique, comment est-elle circonscrite dans la littérature de conduite, et laisse-t-elle la place à la création d’un rapport autre entre le domestique et son supérieur? Le domestique doit une entière sujétion à son maître dans des domaines divers. Malgré les variantes, les principales recommandations se résument en deux points: il est absolument nécessaire que le serviteur soit vertueux et obéissant. Chacune de ces vertus exigées façonne alors la relation maître-serviteur au XVIIIe siècle et l’éventuel caractère intime de cette dernière.

Le serviteur se doit tout d’abord d’être vertueux afin de ne pas donner une mauvaise image du maître dont il est le reflet aux yeux d’autrui. Il est en effet en partie une projection de ce dernier et de son intimité dans la sphère domestique et dans l’espace public. Et c’est le corps qui est le centre des recommandations des livres de conduite à ce sujet. Apparence et maîtrise du corps et de ses désirs sont les maîtres mots. Il est ainsi recommandé d’être propre et soigné dans son apparence, sans coquetterie toutefois, de ne pas boire, jurer ou jouer aux cartes, de ne pas débaucher de jeunes servantes pour ces messieurs12 et d’éviter les amusements de la ville pour les jeunes femmes, d’avoir des lectures sérieuses, de faire ses prières quotidiennement et d’agir en toute chose en bon chrétien. Le lien avec le maître se joue donc même avant ou en dehors de toute interaction, de manière implicite : à l’image d’une future servante qui s’offusque en expliquant qu’être sale, c’est ne pas être juste envers son maître ou sa maîtresse,13 les serviteurs doivent s’approcher d’un parangon de vertu dans leur personnalité et leur attitude, en dehors même des heures de service. S’engager avec un maître, c’est participer à la construction de l’image de ce dernier, le lien d’intimité qui les unit se fait réfraction.

Mais paradoxalement c’est un autre lien d’intimité qui risque de mettre à mal cette vertu : les relations les plus intimes qui soient, les relations sexuelles entre maîtres et servantes ou maîtresses et valets. Si elles sont l’une des sources de rebondissements et d’intrigues inépuisables de la fiction du XVIIIe siècle, elles sont formellement interdites dans les livres de conduite car le rapprochement des corps induit un franchissement concret des distances pouvant donner lieu à une réelle abolition de celles-ci si un enfant vient à naître ou un mariage doit se préparer. Ces rapports restent en outre, pour les hautes sphères, associées non pas à une intimité fondée sur l’affinité de deux esprits amoureux, mais à une dégradation et ils ne sauraient être affichés. Parmi les exemples les plus connus, bien évidemment, Pamela et son frère Joseph Andrews. Les scènes de séduction de Pamela par Mr B. et de Joseph par Lady Booby suivent un schéma semblable, et dans les deux cas, les domestiques, pour défendre leur vertu, ont recours à la métaphore de la distance verticale pour se protéger et dissuader leurs supérieurs de littéralement s’abaisser à la franchir : « Je puis bien oublier que je suis votre domestique, lorsque vous oubliez ce qui convient à un maître. […] En vous abaissant jusques à prendre des libertés avec votre pauvre servante, vous avez diminué la distance que la fortune avait mise entre vous et moi. »14 reproche Pamela à Mr B., tandis que Joseph s’adresse en ces termes à Lady Booby : « Je penserais, Madame, que vous vous êtes par trop abaissée. »15

Deuxième vertu, fort naturellement : l’obéissance. Le serviteur doit accéder à toutes les requêtes de son maître.16 Et ce avec un zèle exemplaire : il a beau être l’intime de son maître, dans le sens où il le côtoie au jour le jour, il ne doit jamais remettre en cause les ordres, presque comme s’il était un simple double exécutif de ce dernier. Dans la littérature de conduite, l’intimité quotidienne alors n’est pas synonyme de partage, elle aide simplement le domestique à servir au mieux son maître voire à prévenir ses désirs. Quand bien même jugerait-il que son maître a tort, la prise de parole lui est interdite : « Exercez votre jugement en toute chose, et contrôlez votre langue »17 (Hanway 1770 : vol.3, 313). A l’instar de sa langue qu’il se doit ainsi de surveiller, la sujétion passe aussi métonymiquement par une image de dépossession du corps du serviteur, comme si, finalement c’était son intimité à lui qui était dérobée. Dodsley (1730 : 19) montre bien en quatre vers à quel point son corps lui est aliéné au profit du maître :

Achetés par nos gages annuels, nos habits, notre nourriture,
C’est à eux qu’appartiennent notre temps, nos mains, notre tête et nos pieds.
Nous pensons, concevons et agissons selon leurs ordres.
Et, selon leur bon plaisir, marchons ou restons immobiles.18

Alors que selon Dodsley donc, les mains, la tête et les pieds du serviteur ne lui appartiennent plus, ce sont les lèvres de la servante qu’Eliza Haywood (1771 : 4) recommande de clore parfois peut-être à contrecœur, afin de ne pas divulguer de secrets de ses maîtres qui sont en sa possession :

Les plus petites et les plus insignifiantes actions qui s’y déroulent ne devraient jamais s’échapper de vos lèvres, car vous ne pouvez pas juger de ce qu’il en est vraiment. Des choses qui peuvent vous sembler les problèmes les plus insignifiants qui soient peuvent se révéler d’une haute importance pour ceux qui sont concernés, et parfois il suffit d’un seul mot qu’on laisse échapper par inadvertance, pour qu’on puisse le relier aux dires d’autres personnes, et ainsi donner libre cours aux curieux qui se perdent en conjectures que vous ne soupçonnez pas.19

Ce qui ressort donc des livres de conduite, c’est l’insistance sur la maîtrise du corps des serviteurs, maîtrise de l’apparence et des sens pour ne pas donner une mauvaise image de la famille que l’on sert, et maîtrise des velléités d’autonomie du corps zélé qui métaphoriquement appartient au maître et ne saurait faire preuve d’indépendance, d’indiscrétion ou de rébellion. Dans les deux cas, le lien est une évidence mais il s’agit d’une relation verticale de domination et de possession qui empêche toute réelle intimité de se faire jour.

2. Du mimétisme à l’usurpation

A l’encontre de cette distance verticale prônée à différents niveaux dans les livres de conduite, la relation maîtres / serviteurs est également fondée sur le principe mimétique, posant cette fois la question de la confusion des sphères intimes de l’un et de l’autre et de la spécularité des corps, dans leur apparence, leur tenue et leur conduite.

Les maîtres, de par leur supériorité supposée, doivent en effet être considérés comme des modèles, si bien que l’aliénation du corps du serviteur notée plus haut se prolonge par une aliénation de l’identité même du domestique comme cela apparaît dans l’affirmation certes semi-ironique de l’auteur de The Footman’s Looking Glass: « Le grand avantage que vous avez a pour conséquence que notre vie n’est point nôtre et qu’elle est une imitation de la vôtre, pour autant que le permettent notre jugement et notre condition inférieurs. »20 D’où les nombreux avertissements, à destination des maîtres cette fois, afin que ceux-ci soient à la hauteur de leur rôle et se montrent exemplaires. A l’image des serviteurs, qui sont des rouages indispensables au bon fonctionnement de la société, fait écho celle des maîtres comme étant ceux qui la façonnent, initiant un mouvement descendant des hautes aux basses sphères qui fonctionne sur le mode de la copie : « Il est vain pour l’homme (en toute probabilité) d’essayer de réformer toute coutume ou pratique des basses classes tant que les hautes sphères de la société ne s’en seront pas détournées. Il est bien connu que les modes et les coutumes descendent du prince au mendiant, du maître au serviteur, de la maîtresse à la servante. »21 Une fois ce constat établi, certains livres de conduite se contentent de rappeler au maître ses obligations afin d’être un parangon de vertu, à commencer par son respect de la religion mais aussi par sa sobriété. D’autres ouvrages vont plus loin et accusent directement le maître des erreurs commises par ses domestiques. La relation qui les lie prend alors une autre tournure puisqu’elle permet d’imputer au maître les fautes commises par le serviteur : « Souvent le vice, la faute, les faiblesses qui sont critiqués chez le serviteur sont notoires et flagrants dans la conduite du maître »22 affirme Oliver Grey, avant d’ajouter, ironiquement, pour illustrer son propos : « L’on m’a eu dit avec force jurons que je me devais de parler décemment. »23 L’image de la bouche du maître qui ne saurait retenir les jurons qu’elle interdit à celle de son serviteur souligne les failles de la spécularité entre la maîtrise du corps du maître et celle du domestique. L’humour de cette accusation apparemment bon enfant ne doit donc pas pour autant cacher sa portée satirique. Oliver Grey s’emploie en effet ensuite à répertorier les défauts dont sont accusés des serviteurs de sa connaissance, en montrant à quel point ces faiblesses sont le reflet direct du métier de leur maître respectif, comme si le fait d’être proche de leur maître les avait contaminés et avait abouti à une confusion ontologique: le serviteur de l’avocat est accusé de ne cesser de présenter des notes à payer à son maître, le domestique blâmé parce qu’il est trop vaniteux et ne cesse de se regarder dans un miroir s’avère servir un comédien, tandis que celui à qui l’on reproche de toujours trouver un moyen de soustraire un peu d’argent n’est autre que le serviteur d’un comptable.24

Cependant, on peut remarquer que, dans ces cas de figures où le maître semble avoir déteint sur son valet, ce dernier est plutôt victime de cette intimité avec son maître ayant donné lieu à un ‘décalquage’ qui le conduit à l’imiter inconsciemment, il ne copie pas volontairement son maître.25 En revanche, il en est tout autrement lorsqu’on évoque l’imitation consciente des manières et des modes des sphères supérieures. Là la satire n’est plus dirigée à l’encontre des maîtres mais à l’encontre de leurs singeurs.

Les livres de conduite décrient principalement deux vices : l’attrait des domestiques pour le thé et la mode vestimentaire. Le thé est une “drogue chinoise” appréciée des maîtres pour lequel ces derniers sont prêts à dépenser beaucoup trop d’argent.26 Mais surtout, c’est un point qui revient très souvent, c’est l’habillement qui est critiqué, tant et si bien qu’Eliza Haywood y consacre un chapitre entier, intitulé “Apeing the Fashion” dans lequel elle dénonce une véritable “épidémie”27 de ce type particulier de “folie” qui consiste à vouloir ressembler à ses supérieurs en se parant de rubans, ruches, colliers, éventails ou jupons à paniers.28Daniel Defoe, qui rajoute à cette liste de l’attirail de la servante coquette, dentelles, mouches, maquillage, soie et satin, se fait le satiriste le plus acerbe à ce sujet, en dénonçant même dans un discours conservateur les conséquences économiques sur l’industrie anglaise de la laine :

C’est un exercice difficile que de savoir distinguer à leur toilette la maîtresse de la servante ; que dis-je, très souvent, la servante est assurément la mieux habillée des deux. Notre manufacture de laine en est la première victime, car nos filles de cuisine ne veulent rien mettre d’autre que de la soie et du satin. Pour financer cet orgueil intolérable elles ont exigé des gages si élevés que cela ne s’était jamais vu dans une nation ou une époque autre que celle-ci.29

Comme le souligne Defoe, la servante imite si bien sa maîtresse qu’elle semble son égale, voire sa supérieure. L’habillement et la parure du corps permettent d’abolir la distance séparant maîtres et serviteurs et induisent une véritable confusion sociale voire inversion des rôles. Le plus grand plaisir de ces servantes parées comme leurs maîtresses est d’être appelées “Madame” par ceux qui ne les connaissent point.30 Les domestiques hommes n’échappent pas à cette tentation de confusion des rôles. Jonathan Swift, dans son livre de conduite parodique, dispense nombre de conseils hilarants aux serviteurs afin de paraître l’égal de leur maître. Ils doivent marcher dans la rue autant que possible au même niveau que leur maître afin de semer le doute dans l’esprit des passants,31 mais surtout ils doivent choisir avec soin leur place … en fonction de la couleur de la livrée afin que celle-ci trahisse le moins possible leur statut social :

Choisissez un service, si vous en avez la possibilité, où les couleurs de votre livrée sont les moins voyantes et ostensibles: du vert et du jaune trahissent d’emblée votre métier […] en empruntant une épée et une allure, des vêtements de votre maître, et avec une confiance en soi naturelle et étudiée, [tout] cela vous donnera le titre qui vous plaît parmi ceux qui ne vous connaissent pas.32

Le fait que le domestique doive emprunter une épée et une allure souligne la tentative de franchissement des limites et d’appropriation des symboles de la supériorité. Mais c’est le syntagme « des vêtements de votre maître » qui aggrave encore le délit puisque le serviteur en vient à s’approprier une partie de l’intimité de son maître. Il ne s’agit plus là d’une simple copie mais d’usurpation.

Le valet trouve de multiples moyens d’usurper la place de son maître, ce à divers égards et notamment en ce qui concerne les affaires de galanterie et les relations intimes de ce dernier. En effet, dans les œuvres de fiction du XVIIIe siècle, le serviteur devient le confident de son maître au point de se voir parfois confier la tâche d’entremetteur pour ses affaires de cœur. Comme l’explique le héros de The Adventures of a Valet: Written by Himself, un roman autobiographique, il remplace son maître dans un premier temps pour l’écrit et la parole puisque, tel un Cyrano de Bergerac, il rédige les lettres d’amour de ce dernier et qu’il est délégué pour plaider en sa faveur auprès des belles convoitées.33 Mais la délégation langagière cède très vite la place à la substitution corporelle. Etant bel homme, les jeunes femmes qu’il vient courtiser au nom de son maître tombent sous son charme, et tel un Janus Bifrons, il finit par véritablement se substituer à son maître et lui voler ses belles : « Bien que j’aie été éloquent en vain en parlant au nom de mon maître, je réussis si brillamment pour mon propre compte que je devrais m’estimer heureux »34 avoue-t-il après l’une de ses conquêtes, tandis qu’il note fièrement à propos d’un autre de ses exploits, à l’instar de l’archétype comique du miles gloriosus :

Je fus employé pour négocier ce traité […] et l’on me donna tout pouvoir pour présenter sous le jour le plus favorable qui soit la passion de mon maître. […] Elle commença le traité par le sacrifice de sa personne en ma faveur. […] Je possédais le cœur de la dame, et obtenais d’elle par inclination ce dont les autres ne pouvaient acheter que l’apparence.35

On pourrait penser que l’intimité sexuelle entre le valet et la jeune femme vient dans ces exemples saper l’intimité amicale qui aurait pu le lier à son maître mais tel n’est pas le cas car le maître qui emploie ainsi son valet feint l’honnêteté de ses attachements tant à son valet qu’à la belle. Ce n’est donc que justice poétique : les maîtres successifs du valet, qui n’y voient que du feu, sont par conséquent ridiculisés, et cette substitution physique et sentimentale, ce vol des relations intimes, devient le moyen pour l’auteur de satiriser une société qui voue un culte excessif à la fortune et à la hiérarchie sociale.

Plus généralement, s’il est au XVIIIe siècle une pièce de théâtre qui illustre parfaitement cette usurpation des rôles, c’est High Life Below Stairs de James Townley, mise en scène en 1759 par Garrick, le célèbre dramaturge. Le jeu de mots du titre évoque la métaphore spatiale de la distance verticale, mais cette fois-ci inversée. Ce sont en effet les serviteurs qui, lorsqu’ils se réunissent entre eux, se subrogent à leurs maîtres. Cela commence par l’appropriation du nom de ces derniers qui apparaît clairement dans la liste des personnages, significative à cet égard. Les serviteurs de Duke, Sir Harry, Lady Bab, Lady Charlotte se font appeler par les noms de leurs maîtres et empruntent leur titre nobiliaire : Duke est appelé “Your Grace” et Sir Harry “Baronet.” Ils en adoptent les manières et le langage. Certains se mettent ainsi à parler français, et imitent les salamalecs de leurs supérieurs : « Je crains fort d’avoir dépassé l’heure. »36 dit par exemple de manière périphrastique et ampoulée Lady Bab pour excuser son retard, en véritable précieuse ridicule. Les hommes se rendent à Newmarket pour les courses hippiques et les femmes comparent les mérites de Vauxhall et Ranelagh en donnant leur préférence à ce dernier car à Vauxhall on trouve trop de populace à leur goût : « Ma foi, il n’y a ici que de sales individus » affirme Lady Bab. « Nous étions en droit d’espérer que l’augmentation du prix les eût gardés à l’écart, ha, ha, ha. » réplique Lady Charlotte.37Ces servantes rejettent avec mépris l’extrême saleté du corps du vulgum pecus auquel elles appartiennent pourtant. Ce rejet du corps caricaturé des pauvres est révélateur de la manière dont elles aspirent à se distinguer et à s’élever au-dessus de leurs pairs qui incarnent les basses classes. Toutefois elles restent entre elles et ne sauraient se mêler véritablement à leurs supérieurs car l’imitation est loin d’être parfaite, comme le trahit parfois la prononciation incorrecte de certains mots : Runelow pour Ranelagh et Shikspur pour Shakespeare (1759 : 38). La satire est donc à double tranchant. D’un côté les politesses cérémonieuses et les goûts dispendieux de la haute société, sous couvert d’une farce, se voient mis à jour et raillés. Néanmoins, de l’autre, l’imperfection de l’imitation et le burlesque des situations mettent à mal la vanité de ces serviteurs. D’autant que, comme souvent dans ces comédies, la fin de l’intrigue met un terme au carnaval et fait tout rentrer dans l’ordre établi, chacun retrouvant sa place. En effet l’inversion des rôles est complète dans cette farce puisque l’un des maîtres, Lovel, a été averti de l’hypocrisie de ses domestiques à son égard, et a décidé de se mêler à eux, déguisé en serviteur, afin de découvrir à quel point la relation de confiance et d’intimité qu’il pensait établie avec eux n’est qu’apparence. C’est donc cette fois-ci le maître qui pénètre leur sphère intime. En leur compagnie, comble de l’ironie, il boit bourgognes, bordeaux et champagnes de sa propre cave, puisque les domestiques se retrouvent pour festoyer sans vergogne aux dépens de leur maître.38 Il se voit donner en outre une parodie de livre de conduite pour domestiques39prenant le contrepied de chacun des conseils traditionnels et prônant ouvertement une inversion des rôles :

Conseils au valet de pied:
Que votre but soit toujours
D’être le maître, non le serviteur
Et de faire … aussi peu que possible.40

Et ce sont de véritables saturnales qui se jouent là puisqu’il en vient même à entonner en chœur avec eux une chanson en vers se moquant de la supériorité des maîtres :

La nature nous a tous faits semblables, elle ne désire faire aucune distinction
Aussi nous rions-nous de la bonne société, de ses idiots et de ses fripons
Car nous sommes tous des serviteurs mais eux sont tous des esclaves.41

Mais à la fin le maître Lovel revient par surprise sans son déguisement, et ses domestiques affolés, en cherchant à cacher leurs amis serviteurs qu’ils avaient invités, les remettent littéralement à leur place dans des lieux peu glorieux :

Kitty : Non, mettez ces dames dans la dépense et je vais amener votre Grâce dans la soute à charbon.
Visiteurs : N’importe où, n’importe où, dans la cheminée s’il le faut.42

La juxtaposition entre les titres de noblesse et les lieux toujours plus étroits (la dépense, la soute à charbon et la cheminée) où leurs corps seront salis et noircis, punition métaphorique, constitue l’un des ressorts du comique qui par un retour de bâton, ridiculise à son tour ces serviteurs mais également rétablit l’ordre initial et le consolide dans une sorte de catharsis comique.

Pour conclure, les écrits du XVIIIe siècle consacrés aux rapports entre maîtres et serviteurs proposent deux visions opposées et exagérées de part et d’autre puisque l’angélisme de la littérature de conduite façonne des parangons de domestiques à l’opposé des serviteurs ridicules des comédies. La représentation des rapports d’intimité qui lient maîtres et serviteurs est principalement déterminée par une problématique générique. Les écrits théoriques au contenu axiologique que sont les livres de conduite tendent à renforcer l’édifice social en proposant aux serviteurs de respecter l’intimité de leurs maîtres, concrètement par la discrétion et plus généralement par la distance, ne laissant que peu de place à des affinités qui transcendent les classes sociales. Dans cette vision, les serviteurs se retrouvent dépossédés de leur corps, qui, par sa vertu, est censé être le reflet de la famille qu’ils servent, et par sa maîtrise, la marque de la sujétion et de l’obéissance. A l’inverse, les écrits de fiction, romans et pièces de théâtres, offrent un espace de liberté sur le mode du carnavalesque où règne la confusion. Selon un schéma mimétique, les serviteurs non seulement singent leurs maîtres mais vont jusqu’à usurper leur place. Le corps du maître, ses parures, ses manières et son langage, sont copiés et contrefaits, et c’est l’imperfection de l’imitation qui est source de comique. C’est le même esprit de comédie qui prévaut au théâtre où a lieu un véritable échange des sphères intimes entre maîtres et valets. Cette inversion des rôles ne trompe pour autant personne car l’imitation se fait sur le mode de la caricature et de la contrefaçon mais, tout comme dans les saturnales antiques, elle ébranle l’espace d’un instant les fondations de la verticalité hiérarchique, se faisant sur le mode comique, l’écho d’une réalité sociale changeante.

Bibliographie

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Fielding, Henry (1742), The history of the adventures of Joseph Andrews, and his friend Mr. Abraham Adams. Written in Imitation of the Manner of Cervantes, Author of Don Quixote, London: Millar.

Hanway, Jonas (1770), Advice from a farmer to his daughter, in a series of discourses, calculated to promote the welfare and true interest of servants: with reflexions of no less importance to masters and mistresses, with regard to private happiness and public tranquility, London: Dodsley.

Hanway, Jonas (1774), Virtue in humble life: containing reflections on the reciprocal duties of the wealthy and indigent, the master and the servant: thoughts on the various situations, passions, prejudices, and virtues of mankind, drawn from the real characters: fables applicable to the subjects: anecdotes of the living and the dead: the result of long experience and observation. In a dialogue between a father and his daughter, in rural scenes. A manual of devotion, comprehending extracts from eminent poets, London : Dodsley.

Haywood, Eliza (1771), A new present for a servant-maid: containing rules for her moral conduct both with respect to herself and her superiors, London: Pearch.

J. B. a Brother of the Cloath (1747), The Footman's looking-glass: or, proposals to the livery servants of London and Westminster, &c. for bettering their situations in life, and securing their credit in the world. To which is added, an humble representation to masters and mistresses, London.

More, Hannah (1796), The history of Charles Jones, the footman. Written by himself, London.

Richardson, Samuel (1741). Pamela: or, virtue rewarded. In a series of familiar letters from a beautiful young damsel to her parents, London.

Seaton, Thomas (1720), The conduct of servants in great families. Consisting of dissertations upon several passages of the holy scriptures, relating to the office of a servant: With Ejaculations upon the Subject-Matter of Each Discourse. To these are annex'd, a persuasive to a constant attendance at the devotions of the family, and at the Holy Communion: And an Earnest Exhortation to refrain from Swearing, Cursing, and Drunkenness: Each of which Subjects are distinctly treated in several Chapters. To which are added, Some Directions to Regulate the Private Devotions of Servants; with Prayers and Hymns for that Purpose. The Whole is composed for the Especial Use of Noblemen and Gentlemen's Servants, London.

Staub, Kristina (2009), Domestic Affairs, Baltimore: John Hopkins UP.

Swift, Jonathan (1745), Directions to servants in general; and in particular to the butler, cook, footman, coachman, groom, house-steward, and land-steward, porter, dairy-maid, chamber-maid, nurse, laundress, house-keeper, tutoress, or governess, London.

Townley, James (1759), High life Below Stairs, London.

Townley, James (1760), An Apology for the Servants. By Oliver Grey. Occasioned by the Representation of the Farce called High Life below Stairs, and by what has been said to their Disadvantage in the Public Papers, London.

Notes

1 “What became ‘the servant problem’ of the nineteenth century was, in the eighteenth, a collection of hopes and fears that clustered around a member of the household whose mixed contractual and affective status formed the basis for many of the contradictions embodied in the family under early capitalism.” Toutes les traductions, sauf mention contraire, sont de notre fait. Retour au texte

2 L’utilisation du mot “fraternity” est récurrente, comme dans le texte d’Oliver Grey (Townley 1760 : 14) qui parle au nom de ses frères: « Je regrette […] qu’ils ne soient pas plus nombreux, dans notre confrérie, à préférer la laine et les chaussures cloutées aux escarpins et aux bas blancs. » (“I wish […] that more of our fraternity preferred yarn and hob-nails to pumps and white-stockings”). Retour au texte

3 “To his Brethern of the Livery” (Dodsley 1730). Retour au texte

4 “J. B. a Brother of the Cloath.” Il explique en précaution oratoire dans sa préface qu’il se permet d’adresser quelques conseils à ses confrères précisément en raison de leur similarité (“I beg the Liberty to entertain you a few minutes upon various Branches of our Business, as we are all Brethern of the same Cloath. ” (J. B. a Brother of the Cloath 1747 : 1)). Retour au texte

5 « Nos servantes, qui, en formant une coterie, ont constitué un groupe si important que tout le monde se récrie contre elles. » (“Our servant wenches, who, by their caballing together, have made their Party so considerable, that Everybody’ cries out against them.” (Defoe 1725 : 4)). Retour au texte

6 « C’est à peine si cela fait une semaine, que dis-je, un jour, que la jeune fille est à son service, qu’un comité de servantes est désigné pour l’interroger et lui conseiller de demander une augmentation de ses gages ou de donner son congé. » (“The girl has been scarce a week, nay a day in her service, but a committee of servant wenches are appointed to examine her, who advise her to raise her wages or give warning.” (Defoe 1725 : 5)). Retour au texte

7 “Only bear in mind that you have a common enemy, which is your master and lady.” (Swift 1745 : 10). Retour au texte

8 « Car le rôle que chaque homme doit jouer ne lui est pas attribué de manière fortuite, il s’agit d’un choix bien précis du Grand Ordonnateur de toutes choses. » (“Because that part that every man is to act, is not fortuitously appointed him, but by the especial designation of the great disposer of all things.” (Seaton 1720 : 2)). Retour au texte

9 « Quel que soit, donc, le choix du ciel, il vous appartient de garder un œil sur les devoirs particuliers qui nous incombent dans la sphère à laquelle nous appartenons ; et de tracer plusieurs lignes, que les Écritures ont dessinées pour délimiter notre statut. » (“Whatever then be the choice which heaven has made, it is your part to have an eye to the particular duties incumbent upon us in the sphere we move; and trace out several lines, which the scriptures have chalk’d out as peculiar to our station.” (Seaton 1720 : 5)). Retour au texte

10 Selon le révérend Francklin, ce lien, d’homme à homme, a été ordonné par Dieu pour le bien de tous : « Les liens, néanmoins, avec lesquels Dieu dans sa sagesse a relié l’homme à l’homme, et qui contribuent à nous rendre précieux et utiles l’un à l’autre. » (“The ties, notwithstanding, by which the wisdom of God hath bound man to man, and which contribute to make us profitable and useful to each other.” (Francklin 1765 : 76)). Retour au texte

11 “In this large and complicated machine of the universe, if the smaller, or subordinate wheels, are out of order, it must of course, retard the motion, and interrupt the operations of the whole. […] Mutual trust and confidence are the great bonds of society, without which it cannot possibly subsist […] we have bound ourselves, therefore, by solemn contract […] we have agreed, in return for the manifest benefits and advantages of daily support and protection, to promote the interest and welfare of those who support and protect us.” Retour au texte

12 « Évitez une trop grande familiarité avec les servantes que vous côtoyez : une relation illicite de ce genre vous mènera à votre perte, corps et âme. » (“Be cautious of too great a familiarity with your female fellow-servants: an unlawful intercourse of this kind will ruin you, body and soul.” (More 1796 : 8)). Retour au texte

13 « La saleté, me semble-t-il, est un poison pour soi-même, ainsi qu’une injustice envers le maître et la maîtresse, qui nous paient pour que nous gardions toujours une apparence propre et convenable, et que nous fassions de même proprement le travail qu’ils nous donnent. » (“I think filthiness is a poison to one’s-self, as well as injustice to a master and mistress, who pay for a suitable cleanly appearance, as well as for doing their work in a cleanly manner.” (Hanway 1774 : vol 1, 400)). Retour au texte

14 “Well may I forget that I am your servant, when you forget what belongs to a master […] [you] have lessened the distance that fortune has made between us, by demeaning yourself, to be so free to a poor servant” (Richardson 1741: vol. 1, 19). La traduction proposée dans le corps du texte est celle de l’abbé Prévost. Retour au texte

15 “I should think your ladyship condescended a great deal below yourself.” (Fielding 1742 : vol.1. 42). Notons à ce propos que l’abbé Desfontaines, dans sa traduction contemporaine de ce passage, fait davantage ressortir le concept d’honneur si prisé de l’aristocratie française que celui de distance, de verticalité : « Je penserais, Madame, répondit modestement Joseph, que vous auriez en ce moment-là oublié qui vous êtes. » Retour au texte

16 « Leur plaisir devrait être votre loi » (“Their pleasure should be thy law”) recommande Jonas Hanway (1770 : vol. 3, 314). Retour au texte

17 “Exercise thy understanding in all things ; and command thy tongue.” (Hanway 1770 : vol.3. 313). Retour au texte

18 “Purchas’d by annual Wages, Cloaths, and Meat, / Theirs is our Time, our Hands, our Head, our Feet: / We think, design, and act at their Command, / And, as their Pleasure varies, walk or stand.” Retour au texte

19 “The smallest and most trivial action there should never escape your lips, because you cannot be a judge what are really such, and what are the contrary. Things that may seem to you matters of perfect indifference, may happen to prove of great importance to those concerned in them, and sometimes a single word, inadvertently let fall, may so coincide with what has been said by others as to give room to prying people for conjectures which you are not aware of.” Retour au texte

20 “The superior advantage which you have, occasions our Life not to be our own, but an Imitation of yours, as far as our inferior Judgement and Circumstances can attain to.” (J. B. a Brother of the Cloath 1747 : 19).  Retour au texte

21 “It is vain (in all human Probability) to attempt the Reformation of any Custom or Practice among the lower Classes, until it be discouraged by those in higher Sphere of Life. It is well-known that Fashions and Custom descend from the Prince to the Beggar, from the Master to the Servant, from the Mistress to the Handmaid.” (J. B. a Brother of the Cloath 1747 : 20).  Retour au texte

22 “[…] often that vice, fault, folly and foible, which is censured in the servant, is notorious and glaring in the conduct of the master” (Townley 1760 : 7). Retour au texte

23 “I have been told with half a dozen oaths, that I ought to speak decently.” Retour au texte

24 (Townley 1760 : 9-11). Retour au texte

25 Oliver Grey en tire cette conclusion logique: « Et le porteur de chaise conclut sur le sujet en faisant remarquer à quel point les hommes étaient aveugles quand il s’agissait de leurs propres faiblesses et prompts à les critiquer chez les autres. ‘Je suis convaincu, dit-il, que notre habit ne serait pas si sali si tout homme, avant de condamner un serviteur, pour quelque faute que ce soit, se demandait si ce qu’il reprochait n’était pas un des traits principaux de son propre caractère.’ » (“And the chairman concluded the subject by observing, how blind men were to their own failings, and how ready to censure them in others. ‘I am convinced, says he, that our cloth would not be half so bespattered, if a man before he condemns a servant for any fault, would enquire if it was not a principal ingredient in his own character.’” (Townley 1760 : 11)). Retour au texte

26 « Vous avez entendu parler d’une certain drogue chinoise appelée ‘thé’ […] les domestiques eux aussi en sont fous; ils dépensent une grande partie de leurs gages à en acheter, et gaspillent une trop grande partie de leur temps. » (“Thou hast heard of a certain Chinese drug called tea […] servants also run mad about tea; they spend a large portion of their wages in it, and squander too great a part of their time” (Hanway 1770 : vol.3, 344)). Retour au texte

27 “This folly is indeed so epidemic among you.” (Haywood 1771 : 24). Retour au texte

28 « L’ambition que vous avez d’imiter vos supérieurs en ce qui concerne la parure, et de penser que même si vous ne pouvez avoir d’aussi riches atours, cela vous sied de vous habiller de façon semblable […] Les rubans, les ruches, les colliers, les éventails, les jupons à baleine et toutes ces fanfreluches dans votre habillement ne font que vous donner un air vulgaire. » (“The ambition of imitating your betters in point of Dress, and fancying that tho’ you cannot have such rich Cloaths, it becomes you to put them on in the same manner. […]Ribbands, ruffled, Necklaces, Fans, Hoop-Petticoats, and all those Superfluities in Dress, give you but a tawdry air.” (Haywood 1771 : 24)). Retour au texte

29 “It is hard Matter to know the mistress from the maid by their dress; nay, very often, the Maid shall be much the finer of the two. Our woollen Manufacture suffers much by this, for nothing but Silks and Sattins will go down with our Wenches: to support which intolerable pride, they have infinitely raised their wages to such a height, as was never known in any age or nation but this.” (Defoe 1725 : 4). Retour au texte

30 “The greatest pleasure you take is in being called Madam by such as do not know you” (Haywood 1771 : 24). Retour au texte

31 « Si votre maître ou votre maîtresse marche dans la rue, écartez-vous, et autant que possible placez-vous au même niveau qu’eux. En observant cela, les gens penseront soit que vous n’êtes pas leur serviteur, soit que vous êtes un de leurs amis. » (“If your master or mistress happens to walk the streets, keep on one side, and as much on the level with them as you can, which people observing, will either think you do not belong to them, or that you are one of their companions. ” (Swift 1745 : 59)). Retour au texte

32 “Chuse a service, if you can, where your livery colours are least tawdry and distinguishing: green and yellow, immediately betray your office […] with a borrowed sword, a borrowed air, your master’s linen, and a natural and improved confidence, will give you what title you please, where you are not known.” (Swift 1745 : 58). Retour au texte

33 « Il aimait m’avoir à ses côtés, et me confiait tous ses messages galants, qui n’étaient pas peu nombreux. […] Je fus désigné comme Valet Extraordinaire. » (“he loved to have me about his person, and commissioned me with all his messages of gallantry, of which the number was not inconsiderable… I was settled as a Valet Extraordinary.” (The Adventures of a Valet 1752 : 220)). Retour au texte

34 “tho’ I was eloquent in vain on my Master’s Part, I succeeded so perfectly on my own, that I ought to have accounted myself happy” (The Adventures of a Valet 1752 : 199).  Retour au texte

35 “I was employed in the negotiating this Treaty […] and full power was given me to set the Passion of my Master in the best Light I could. […] She began the Treaty by making a Sacrifice of her Person to me. […] [I] possessed the Lady’s Heart, and had from her Inclination, what they could only purchase the Pretences of with Money.” (The Adventures of a Valet 1752 : 202; 204).  Retour au texte

36 “I am afraid I have trespassed in Point of Time” (1759 : 37). Retour au texte

37 “Why, there is no body there but filthy citizens […] we were in hopes the raising the price would have kept them out, ha, ha, ha” (1759 : 15). Retour au texte

38 « Palsembleu, je m’en vais mettre en perce cette cave, j’ai une bouteille de bourgogne digne d’un empereur – mon maître se serait fait couper la main pour en avoir un peu l’autre jour afin d’agréer Monseigneur Je-ne-sais-qui. Mais je lui ai dit qu’il n’y en avait plus. Hein! Charité bien ordonnée commence par soi-même, hein? » (“Egad the Cellar shall bleed: I have some Burgundy that is fit for an Emperor – My master would have given his ears for some of it t’other day, to treat my lord what d’ye-call-him with; but I told him it was all gone; ha? Charity begins at home, ha?” (1759 : 19)). Retour au texte

39 Il s’agit d’un livre à lire tous les soirs et tous les matins avant les prières, intitulé The Servant’s Guide to Wealth, by Timothy Shoulderknot  (1759 : 29). Retour au texte

40 “Advice to the Footman : let it forever be you Plan / To be the Master, not the Man, / And do – as little as you can.” (1759 : 29). Retour au texte

41 “Nature made all alike, no Distinction she craves, / So we laugh at the great World, its Fools and its Knaves, / For we are all Servants, but they are all Slaves.” Il s’agit là du troisième couplet. (Townley 1759 : 44). Retour au texte

42 “Kitty: No, no; do you put their Ladyships in the pantry, and I’ll take his Grace into the Coal-hole. / Visiters : Any where, any where -- Up the chimney if you will.” (1759 : 47). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Valérie Maffre, « De la dépossession à l’imitation des corps : distances et confusions dans les rapports maîtres-serviteurs de l’Angleterre du XVIIIe siècle », Textes et contextes [En ligne], 12-2 | 2017, publié le 07 décembre 2017 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1652

Auteur

Valérie Maffre

Maître de conférences, IRCL, Université Paul-Valéry (Montpellier III), Route de Mende, 34 199 Montpellier Cedex 5 – valerie.maffre [at] univ-montp3.fr

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