Dans les bras de la nourrice : black mammies, enfants blancs, un « corps-à-corps » ambigu

  • In the Arms of the Nanny: Black Mammies, White Children, an Ambiguous ‘Corps-à-Corps’

Résumés

La formule de Kimberly Wallace-Sanders, « the ‘mammification’ of the nation », résume bien l’importance, dans la construction du mythe national américain, de cette icône qu’est la Mammy. Nous étudions dans cet article l’ambivalence de la relation nouée entre l’enfant blanc et la nourrice noire, dont le corps esclave, « étranger », est introduit dans l’intimité familiale jusqu’à faire d’elle un membre de la famille, une possible deuxième mère. Mais l’image idéalisée de cette relation ne doit pas masquer la violence qui est faite à la mammy, dépossédée de sa propre maternité, et victime d’une instrumentalisation pro-esclavagiste : elle a en effet été érigée, à son corps défendant, en symbole de l’harmonie interraciale dans la société sudiste, d’où le rejet violent que cette figure a suscité par la suite. Malgré les efforts pour la faire disparaître, elle n’en reste pas moins omniprésente dans l’imaginaire américain, entre nostalgie du temps heureux des origines et mauvaise conscience : la mauvaise conscience d’une nation ayant renié celle que l’on peut bel et bien regarder, en reprenant les analyses de l’anthropologue Rita Laura Segato, comme sa mère, une mère noire et esclave, une mère bafouée et violentée. Cette figure complexe et refoulée nous révèle donc de terribles secrets de famille, à l’échelle intime et nationale.

Kimberly Wallace-Sanders’ phrase « the mammification of the nation » sums up well the importance of the « Mammy » figure in the process of American nation-building. This article addresses the ambiguous relationship between the white child and the black mammy : her body, which is the body of a slave, enters the domestic sphere so deeply that she seems to become a member of the family, even a second mother. Yet this idealized image is but the mask of a real violence: the mammy is deprived of her own maternity, and made the victim of the antiabolitionnist manoeuvres. She is indeed used as a symbol of interracial harmony in the society of the South, hence her further rejection. Despite all efforts made to annihilate her, she remains omnipresent in the American psyche, a mixed figure of nostalgia and guilt. The story of this complex and repressed figure seems to reveal how the whole nation has disowned a woman who is indeed, if one refers to the analyses of anthropologist Rita Laura Segato, its mother: a black and enslaved mother, subjected to scorn and aggression.

Plan

Texte

La « black mammy »1, ou la nourrice noire des plantations sudistes, dans les Etats-Unis ante-bellum, exerçait sa charge de « house slave » dans la maison du maître (la « Big House »), et non à l’extérieur, comme le faisaient les « field slaves », dont certains, dans les plus grandes plantations, pouvaient ne jamais entrer en contact directement avec le maître. Cette proximité, si elle était perçue comme menaçante par le maître, poussait ce dernier à développer certaines stratégies afin de rétablir une distance, comme l’usage d’une langue étrangère, incomprise des domestiques, qui recréait une frontière invisible, linguistique, entre la sphère publique (quoiqu’au sein de l’espace domestique) et la sphère privée. Mais force lui était de reconnaître sa dépendance envers le domestique assurant un service jugé indispensable – d’où l’ambiguïté fondamentale de cette relation.

La question que nous poserons dans cet article, et ce en travaillant sur les mythologies raciales perceptibles dans la culture américaine, a trait à l’émergence possible d’une intimité entre le maître blanc et la domestique noire qu’est la mammy. Dans la littérature américaine, a été généralisé depuis le XIXe siècle ce personnage de la mammy, ainsi que l’a montré Kimberly Wallace-Sanders dans son livre : Mammy : a Century of Race, Gender, and Southern Memory. Nous fonderons ici nos analyses sur l’examen d’un corpus littéraire varié, incluant des récits d’esclaves du XIXe siècle (de Douglass ou Jacobs) ainsi que des œuvres de fiction des XIXe et XXe siècles (de Beecher Stowe, Twain, Chesnutt, London, Faulkner, Mitchell).

Dans le cas de la mammy, l’intimité avec le maître est à la fois exacerbée et paradoxale, jusqu’à la monstruosité, puisque, comme nous le verrons, elle implique, par la violence, un rejet de la maternité noire et impose l’adoption d’un « masque blanc ». Elle est exacerbée puisque la mammy se voit introduite au cœur même du processus de reproduction de la famille, à la source même de la généalogie, qu’elle contribue, par son corps, à nourrir et à faire prospérer, littéralement et métaphoriquement. La « wet nurse », ou nourrice allaitante, en est l’allégorie et c’est d’elle que partent nos analyses dans la mesure où en elle se cristallisent les enjeux identitaires de la façon la plus criante. Mais il convient de ne pas limiter notre étude à cette seule figure, étant donné que les personnages de mammies, dans un sens élargi, reconduisent cette fonction nourricière et protectrice. Cette intimité est traversée par des paradoxes du fait de l’inégalité sociale des acteurs en présence, inégalité qui jette le doute sur la possibilité d’une authentique relation interpersonnelle entre maître et serviteur, et, encore plus nettement, entre maître et esclave avant l’abolition de l’esclavage en 18652. Pour l’esclave, la relation qui le lie au maître est d’autant plus ambiguë qu’elle se situe sur le plan de la survie. Le statut d’esclave de la nourrice fait en outre que cette intimité avec le nourrisson lui est imposée et la place dans une position particulièrement aliénante. Elle exerce en effet un pouvoir (ou un semblant de pouvoir) qui fait d’elle une esclave difficilement remplaçable, au sommet de la hiérarchie des esclaves, une mère de substitution (« surrogate mother »). Elle devient à ce titre quasiment un membre de la famille, même si elle en est un membre provisoire, « honteux », voué à l’effacement, notamment parce que son corps vient concurrencer celui de la mère. Elle se voit donc dans le même temps exposée à une extrême violence : son châtiment, en cas d’insatisfaction des maîtres, est proportionnel à la valeur inestimable des « white charges », les enfants dont elle a la garde3. Cette charge est en outre susceptible de troubler très profondément son rapport à sa propre maternité, puisque d’une part elle peut s’attacher d’un amour maternel à un enfant qui risque de lui être arraché un jour, et qui, étant son maître, aura le droit de la vendre, la tuer, la séparer de sa propre « famille » en vendant ses enfants, et que, d’autre part, cette maternité de substitution (« surrogate mothering ») lui est imposée et entre en compétition avec sa maternité biologique, qui lui est en grande partie déniée, l’intérêt de l’enfant blanc annulant celui de l’enfant noir. La figure de la mammy met donc en lumière le caractère contre-nature des relations humaines produites par l’esclavage, puisque sa maternité, entravée de toutes parts, prend des formes monstrueuses, soumise qu’elle est à des risques de matricide ou d’infanticide, réel ou symbolique.

Après avoir exposé plus en détails l’ambiguïté de la relation entre la mammy et ses maîtres, nous nous interrogerons sur la façon dont cette intimité à la fois autorisée et redoutée met en lumière les nœuds et contradictions de la construction identitaire américaine, en particulier par rapport à la question fondatrice de l’esclavage. L’évocation des corps esclaves, partie prenante du grand corps national, se fait sur un mode refoulé, interstitiel, dans les marges du texte : on verra que la mammy, Mère Courage et Mère Douleur par excellence, en révèle avec force les ambiguïtés.

1. Le corps étranger de l’esclave au cœur de l’intimité domestique : idylle ou menace ?

La mammy, et tout particulièrement la nourrice allaitante, entretient une relation d’intimité tout à fait privilégiée avec le petit maître, et ce à plusieurs titres. La capacité à allaiter, notamment quand elle vient pallier un « manque » vital (absence de lait de la mère, voire absence de la mère morte en couche) est propre à conférer à la mammy un pouvoir de vie et de mort, et à entraîner chez l’enfant une dépendance immédiate et presque totale. Cette relation implique un contact intime, qui se fait littéralement « peau à peau », supposant un accès, une exploration du corps de l’autre dans ses parties a priori les plus cachées et inaccessibles, que ce soit par l’allaitement ou par les soins dispensés au nourrisson dénudé et vulnérable. De ce fait peuvent se tisser des deux côtés des liens durables d’affection qui, dans le meilleur des cas, durent tout une vie – en atteste par exemple l’amour témoigné par William Faulkner ou Jack London envers leur black mammy, respectivement Caroline Barr et Virginia Prentiss4. La fiction compte de nombreux exemples de nourrices devenues presque des membres à part entière du corps familial : les plus célèbres, héritières de toute une tradition datant du xixe siècle, sont sans doute la fameuse Mammy de Gone with the wind de Margaret Mitchell (Autant en emporte le vent, 1936), ou encore Dilsey, dans The Sound and the Fury de William Faulkner (Le bruit et la fureur, 1929), roman entrelaçant sur trois générations les destins des Compson et de la famille de Dilsey. Il se développe même, lorsque la mammy est une nourrice allaitante et qu’elle a elle aussi des enfants, une « milk line », avec des frères et sœurs de lait, parallèle à la « bloodline » officielle, pour reprendre les termes de Kimberly Wallace-Sanders (2008 : chapitre 2). L’intimité de la mammy avec l’enfant s’étend à toute la famille, a fortiori lorsque les mêmes soins sont répétés à la génération suivante – ainsi Dilsey, installant dans sa chambre le berceau de la petite Quentin, fille de Caddy, se déclare prête à l’élever : « Et où donc qu’on la mettrait ? (And whar else do she belong ?) dit Dilsey. Qui va l’élever, si c’est pas moi ? Est-ce que c’est pas moi qui vous ai tous élevés ? » (Faulkner 1977 : 523)5. Le choix du verbe « belong » traduit ici la prise de possession de l’enfant par la mammy, qui par là revendique le droit à un lien affectif avec l’enfant et renverse le rapport historique entre maîtres possesseurs et esclaves possédés. La mammy de Gone with the Wind a elle aussi le sentiment « que les O’Hara lui appart[iennent] corps et âme, que leurs secrets sont les siens » (Mitchell 2003 : 36)6.

Présent de temps immémorial, le personnage de la mammy est de fait la gardienne de la mémoire familiale, dont elle conserve et transmet les histoires, ou qu’elle cache, au contraire, étant initiée à l’intimité des maîtres, c'est-à-dire ce qui est dérobé à la vue et à la connaissance, car tabou. Ainsi dans le roman de Mitchell, le récit rétrospectif de la mort d’Ellen O’Hara par une esclave indiscrète, Dilcey, donne lieu au dévoilement d’un secret bien gardé, la mourante ayant appelé au moment ultime Philippe, son amour de jeunesse, dont le nom est inconnu de sa fille. Mammy a vainement tenté de faire taire Dilcey : elle voulait cacher ce secret à Scarlett, ce que l’on peut interpréter comme la marque du lien intime unissant Mammy aussi bien à sa maîtresse Ellen, dont elle était la confidente, qu’à Scarlett, dont elle veut préserver l’image idéalisée qu’elle a de sa mère, comparée à une Madone. L’esclave garde donc jalousement l’honneur de sa maîtresse.

Les lieux de cette intimité, dont il faudrait étudier de manière plus approfondie les représentations littéraires, sont la nursery et la cuisine. La nursery est un lieu ambigu car partagé par maîtres et serviteurs : c’est un lieu consacré à l’enfance, mais dans lequel s’exercent les soins dispensés au maître. C’est donc à double titre un espace du « mineur » (à la fois au sens d’une domination sociale et d’une minorité juridique), où peut se dessiner, en coulisse, un rapprochement des corps (voire un dévoilement des corps, comme précisé ci-dessus) déjouant (peut-être) la hiérarchie établie. La cuisine, royaume de la mammy, est également un lieu crucial, où rayonnent la chaleur bienfaisante du poêle et l’affection prodiguée aux enfants du maître venus chercher, et trouver, auprès de leur deuxième mère, la nourriture terrestre et spirituelle, voire le refuge et la protection – cela apparaît clairement pour Ben dans le roman de Faulkner.

La fonction nourricière de la plantureuse cuisinière avec son fichu sur la tête a été durablement mise en place à travers le personnage de Aunt Chloe dans Uncle Tom’s Cabin de Harriet Beecher Stowe (La Case de l’oncle Tom, 1852). Ainsi, dans le chapitre IV « Une soirée dans la case de l’oncle Tom » (« An Evening in Uncle Tom’s Cabin »), le jeune Georges Shelby, fils des maîtres, préfère dîner dans la case de Tom et Chloe que dans la maison de ses parents. Ce partage de l’espace pourrait bien favoriser le caractère subversif de cette intimité, encouragée en outre par la moindre emprise des préjugés, notamment raciaux, sur l’enfance (on peut en effet lui prêter une nature plus spontanée et indomptée, même si elle n’échappe pas à l’idéologie dominante). Ainsi Georges Shelby vient certes dans la case pour goûter la cuisine de Chloe, mais aussi pour alphabétiser Tom, entreprise jugée répréhensible et dangereuse par les esclavagistes, car propre à sortir l’esclave de sa minoration7. Une continuité se dessine d’ailleurs dans le roman entre cet acte qui est, à son échelle, déjà militant, et l’abolition de l’esclavage, puisque le roman se termine sur l’affranchissement de tous ses esclaves par Georges Shelby, devenu un jeune adulte. On voit que la proximité des corps cultivée dès l’enfance est apte à faire naître une conscience politique parce qu’elle dessine les contours d’un espace commun. Celui-ci est subversif par ses capacités à produire un brouillage des frontières identitaires, susceptible de renverser la prééminence de la « race » blanche, en soumettant l’homogénéité raciale des enfants blancs au contre-pouvoir du métissage. La question est là aussi politique, dans la mesure où cette division raciale se traduit par une domination sociale. Or l’identité blanche se trouve déstabilisée par cette proximité sensorielle. Les enfants blancs, s’immisçant dans l’intimité noire, s’approcheraient du point de franchissement des délimitations raciales, le « race passing ». Jack London, qui avait de fait passé beaucoup de temps dans le foyer rassurant de sa nourrice, s’appelait lui-même le « white pickaninny » (« négrillon blanc ») de Virginia Prentiss. Une telle formule prend acte de ce métissage invisible, cauchemar récurrent des racisants, qui fait de ces espaces où l’intimité est partagée le lieu où le « pire », selon eux, est envisageable. Le scénario est illustré par Mark Twain dans son roman Pudd’nhead Wilson (Wilson Tête-de-mou, 1893), où la nourrice, une mère esclave rebelle, tel le loup dans la bergerie, en vient à échanger son enfant, métis à la peau très claire, avec le fils du maître.

Cependant, les deux versants de l’intimité que nous venons de présenter (idyllique, ou subversive, voire dangereuse), appellent des nuances, dans la mesure où ils semblent illustrer un certain pouvoir de la nourrice qui se heurte vite aux limites de la réalité esclavagiste. Il faut noter tout d’abord que la fonction de nourrice allaitante n’en est bien souvent qu’une parmi d’autres et ne protège pas l’esclave de la précarité de sa position, ce qu’illustre le récit autobiographique d’Harriett Jacobs (1861) expliquant comment sa famille fut condamnée à la dispersion par la vente, alors même que sa grand-mère avait allaité les enfants du maître – ce qui est présenté comme une circonstance aggravante de la faute, la preuve d’une ingratitude contre-nature de la part du maître : « Mais, hélas ! Nous savons tous que la mémoire d’une esclave dévouée ne vaut pas grand-chose quand il s’agit de sauver ses enfants des enchères. » (Jacobs 1992 : 21)8. L’idée d’une appartenance de la mammy à la famille du maître, qui serait une famille commune, s’avère la plus cruelle des illusions. De fait la prétendue supériorité raciale blanche est un présupposé omniprésent qui s’exerce aux détriments de l’enfant noir : idéalement, certes, les deux nourrissons grandissent au même sein et dépendent donc d’un même corps, mais les faits sont souvent beaucoup plus douloureux, quand l’enfant blanc se substitue à un enfant noir décédé (car les histoires de nourrices sont traversées par les disparus, les fantômes de ces enfants noirs morts nés ou de ces mères blanches mortes en couche9), ou qu’il prend la place d’un enfant noir bien vivant, mais dépouillé du lait de sa mère. On imagine le ressentiment que la mère esclave peut développer à l’égard du nourrisson blanc dont elle a la charge.

C’est donc bien pour la mammy que cette proximité imposée avec la famille du maître peut s’avérer dangereuse (sans même parler du fait qu’elle peut être liée à cette famille parce qu’elle porte l’enfant du maître, conséquence d’un viol). Elle est placée dans une situation à bien des égards insupportable, source d’aliénation, voire de folie : car, si les soins qu’on lui ordonne de fournir au nourrisson peuvent être prodigués mécaniquement et sans sentiments, voire avec rage, ils peuvent inversement conduire à l’amour sincère précédemment évoqué, qui élève la mammy au rang de deuxième mère. N’est-il pas dès lors envisageable que la fluctuation des frontières, qui peut faire glisser l’enfant d’un « territoire racial » à un autre, opère également en sens contraire ? A savoir que ce lien spécial entraînerait un « blanchissement » de la nourrice, mais forcément partiel, s’apparentant peut-être davantage à un « masque blanc », pour reprendre la formule de Frantz Fanon10 ? La mammy serait par excellence une figure de l’aliénation, coupée de sa propre culture, voire jugée traître aux siens. Au croisement de ces interprétations tout à fait divergentes, le mythe de la mammy, glorifiée ou honnie, s’avère donc particulièrement ambigu.

2. Le corps aliéné de la mammy : un mythe américain ambigu

Le culte de la mammy, dont l’évolution est retracée et analysée de façon très riche par Kimberly Wallace-Sanders, dont nous résumons dans cette partie les conclusions, atteint son apogée au début du XXe siècle (notamment dans la multiplication des romans de plantation). Elle devient par la suite de plus en plus polémique, puisque ses opposants, et tout spécialement les militants de la cause africaine-américaine, vont jusqu’à faire de la nourrice un symbole à abattre, parce que des plus tenaces et pernicieux, indissociable de la nostalgie du Vieux Sud et de la Cause perdue.

C’est au XIXe siècle que s’est généralisé dans la littérature ce personnage, créé par l’imagination des Blancs, un des sèmes constitutifs de la mythologie romantique du Vieux Sud hospitalier, symbole idéalisé de la pseudo harmonie raciale de la société esclavagiste. Ce symbole trouve sa représentation la plus aboutie dans l’iconographie de la nourrice allaitant et berçant les enfants blancs, figure de la maternité nourricière, protectrice et désintéressée, qui n’est pas sans rappeler les images religieuses de la Vierge à l’Enfant ou les allégories de la Charité. Une telle lecture repose bien évidemment sur le déni violent de la relation de pouvoir dont émane cette imagerie idéale si apte à servir la propagande. De fait, l’interprétation de cette figure est au cœur des discours pro et anti-esclavagistes et constitue la preuve, selon les sudistes, que les abolitionnistes méconnaissent totalement la société du Sud et sa spécificité. Instrumentalisant la mammy et l’amour apparemment sublime qu’elle porte à ses « white charges », les sudistes en font un « exemple d’intimité domestique propre aux ‘familles’ des plantations »11, que les nordistes sont incapables de comprendre. Par la suite, dans la société d’après-guerre, elle nourrit rétrospectivement la nostalgie de la Cause perdue12, que l’on peut mettre en parallèle avec la nostalgie d’une enfance idéalisée, voire de l’enfance de la nation elle-même, présentée comme l’âge de l’innocence et de la fraternité interraciale – selon le schéma freudien du roman familial qui consiste à reconfigurer les données en dépit de la réalité et de la bonne foi. On trouve une confirmation supplémentaire de la cristallisation des enjeux nationaux autour de ce culte de la mammy13 dans le fait que c’est aussi à travers elle, grâce à son double publicitaire, que se noue la réconciliation nationale : son culte est en effet étendu à l’ensemble du territoire avec le succès, à partir des années 1890, du personnage d’Aunt Gemima, qui prodigue ses pancakes à tous les « bons Américains », immigrés compris. Ce personnage, « Reconstructionist alter ego » (« alter ego reconstructionniste ») de la nourrice esclave (Wallace-Sanders 2008 : 4), offre aux nordistes l’expérience d’avoir une mammy sans avoir participé à l’entreprise esclavagiste. Le mythe est donc plus vivace que jamais en ce début de XXe siècle, renforcé même par la nostalgie dont il est porteur.

Arrêtons-nous sur les caractéristiques prêtées à la mammy, qui expliquent pourquoi elle est en même temps, et de plus en plus par la suite, décriée. Ce n’est en fait pas tant son apparence physique, certes stéréotypée14, que son comportement, et notamment son rapport problématique à sa propre maternité, qui la détermine. Elle apparaît comme totalement dévouée à la famille de ses maîtres, garante de la noblesse de leur lignée et de leur sens de l’honneur, typiquement sudistes. Cela apparaît clairement dans Gone with the Wind : Mammy est, plus que sa propre mère, celle qui éduque Scarlett dans le respect des convenances propres à une parfaite « Southern belle ». Sa présence indéfectible est synonyme de la perpétuation et de l’immortalité de la société sudiste et de ses valeurs, et ce n’est pas un hasard si le roman se termine sur l’évocation du refuge indestructible auquel son corps généreux, ayant survécu à toutes les catastrophes, est assimilé :

[Scarlett] resta un moment immobile à se rappeler de petits détails, l’avenue de cèdres qui menait à Tara, les buissons de jasmins contre la maison dont la blancheur rehaussait leur couleur verte, les rideaux blancs qui flottaient au vent. Et Mama serait là ! Soudain, Scarlett souhaita éperdument de revoir Mama. Elle avait besoin d’elle comme au temps de son enfance, elle avait besoin de la grosse poitrine pour y poser sa tête, de la main noueuse et noire sur ses cheveux. Mama, son dernier lien avec le bon vieux temps !15 (Mitchell 2003 : 1171)

Ces caractéristiques la rapprochent certes du stéréotype du fidèle serviteur, nullement cantonné à la littérature américaine. Mais le plus déterminant, dans le cas de la mammy, tient au fait que son comportement est censé révéler son adhésion inconditionnelle aux intérêts des Blancs : elle ne se contente pas d’aimer autant ses protégés blancs que ses propres enfants mais, bien plus, elle les préfère et les favorise. On rencontre en effet sans cesse des scènes de « nurturing » (dont on a déjà mentionné la dimension symbolique) où les enfants noirs sont nourris seulement après les blancs, et moins bien traités que ces derniers. Ce schéma se situe dans la continuité de la concurrence des nourrissons pour le lait de la mère/nourrice. La signification de ce type de comportement, qu’il soit explicite ou non, est censée être claire : il prouve la conscience et la reconnaissance, par les Africains-Américains, de la supériorité blanche. Ces codes comportementaux sont si profondément ancrés dans l’inconscient américain qu’ils permettent d’identifier des mammies même lorsqu’elles ne sont pas ouvertement désignées comme telles. On peut ainsi supposer que Chloe est la mammy du jeune Georges Shelby : elle l’accueille et lui sert les meilleurs morceaux pendant que ses enfants, qualifiés de « woolly-headed boys » (« à la tête laineuse », mais l’expression signifie aussi « garçons aux idées peu claires »), se voient énergiquement rabroués et contraints d’attendre dans un coin que Georges soit rassasié et leur distribue les restes comme à des chiens : « ‘Tenez, Mose et Pete’, dit-il en leur coupant de généreux morceaux pour les leur lancer ; ‘vous en voulez, pas vrai ? Allez, tante Chloe, préparez-leur donc des gâteaux !’ »16

Mark Twain, dans Pudd’nhead Wilson, en donne une version tragiquement ironique, avec le personnage de mère esclave choyant le fils du maître (qui est en fait le sien) et laissant l’autre (à savoir le vrai petit maître) être brutalisé et privé de douceurs : son comportement, qui pourrait sembler contre nature (eu égard à sa propre maternité dont elle est privée), est en fait, dans ce système esclavagiste monstrueux, conforme à ce qui est attendu de la mammy, et s’avère donc le meilleur camouflage pour l’échange d’identités qui a eu lieu, fournissant en outre à l’esclave outragée une secrète revanche.

On comprend mieux la réticence, voire le rejet, suscitée par ce personnage, créature docile et servile, répondant aux vœux et aux intérêts des Blancs et ayant intériorisé sa propre infériorité raciale et sociale. Le terme même de mammy, présenté pourtant comme très doux aux oreilles de milliers d’Américains, véhicule tout un discours et un imaginaire dont il est presque impossible de l’arracher, et qui en rend l’usage suspect : « ‘Mammy’ appartient à ce lexique de la mythologie d’avant-guerre qui continue à exercer de façon tenace une emprise provocante sur la psyché américaine »17. D’où le « mammy trap » (Wallace-Sanders 2008 : 44), le piège constitué par cette figure, auquel succombent nombre d’auteurs. Faulkner par exemple ne prête-t-il pas à Dilsey le comportement caractéristique de la mammy, en la montrant plus protectrice envers les Compson qu’envers les membres de sa propre famille, auxquels elle s’adresse avec une certaine rudesse ? Il est vrai que cela illustre surtout le caractère tragique, aliénant, du sort de la mammy, à laquelle Faulkner restitue par ailleurs son individualité en lui accordant une intimité, spatiale et mentale. Il montre en outre sa fragilité physique (tranchant nettement avec les plantureuses cuisinières d’antan), sa mort prochaine, symbole du déclin irréversible du Vieux Sud renvoyé au monde d’avant. On peut ainsi penser que le recours au stéréotype est dans ce cas précisément un des moyens les plus efficaces d’asseoir la démonstration de la non-viabilité de cette société, et de sonner le glas en même temps de ce monde et des différents sèmes constitutifs de sa mythologie. D’où la conclusion de Kimberly Wallace-Sanders, selon laquelle « le rappel de la condition mortelle de Dilsey est l’hommage ambigu rendu par Faulkner au type de la mammy »18.

La mammy serait donc un personnage irrémédiablement marqué, aliéné, instrumentalisé : il n’y aurait d’autre solution, pour soulager la conscience nationale coupable des Américains blancs ou apaiser la mémoire traumatisée des Américains descendants d’esclaves, que d’en prendre congé, voire de la mettre littéralement à mort (comme le font certains écrivains africains-américains comme Chesnutt dans The Marrow of tradition en 1901). Mais l’oubli auquel elle serait alors condamnée, même au nom d’un respect de son martyre, ne risque-t-il pas de reconduire autrement l’injustice qui lui est faite ? Il n’est en outre pas si sûr que les efforts pour la faire disparaître réussissent pleinement...

3. Un corps refoulé ? Secret, honte et « retour de la nourrice »

La représentation de la mammy dans la culture américaine obéit à un balancement contradictoire, soit qu’elle se voie surexposée, en tant qu’objet d’un culte à bien des égards pervers, soit qu’elle se trouve renvoyée au silence, par pudeur pour la douleur incommunicable dont elle témoigne, ou par une sorte d’oubli, de négligence. C’est cette « négligence » que nous voudrions examiner ici, en nous arrêtant sur la part de secret et/ou de honte qui s’y joue. Nous verrons ainsi qu’entre surexposition et effacement, la nourrice, et l’intimité complexe qui la lie (ou l’a liée dans le passé) à l’enfant blanc, trouvent des traductions littéraires prouvant la continuité de sa présence.

L’effacement de la nourrice passe en premier lieu par l’effacement de son nom, qui peut être partiel ou total, ainsi lorsque son prénom n’est pas donné mais qu’elle est réduite à son seul statut : c’est le cas du personnage créé par Margaret Mitchell, appelé exclusivement « Mammy ». Il peut se traduire également par le reniement de sa propre identité de mère auquel certaines esclaves sont contraintes pour permettre à leurs enfants d’échapper au sort réservé à leur « race ». Nous avons déjà cité le cas de Mark Twain, on peut ajouter la nouvelle de Chesnutt, « Her Virginia Mammy », dans laquelle, par un geste de renoncement maternel sublime, une mère esclave, retrouvant sa fille (métisse très claire de peau) qu’elle avait perdue lors d’un naufrage, lui fait croire qu’elle n’était que sa nourrice et que sa mère est une Blanche issue des meilleures lignées sudistes. La portée subversive de cet acte a beau être indéniable, elle n’en repose pas moins sur un reniement terrible, consistant à taire son identité de mère, et à endosser la place assignée par l’ordre social, à savoir la place de l’ombre, de l’illégitimité, dans la dévotion à la supériorité blanche.

L’effacement ne se produit pas uniquement dans la diégèse, mais également dans les marges de l’écriture, notamment dans l’intimité autobiographique des artistes. Les pistes d’exploration sont multiples, et demandent à être poursuivies : d’une part les écrits ou documents autobiographiques ou personnels de l’auteur lui-même (interviews, correspondance), d’autre part les biographies. Il est par exemple riche d’enseignement, dans le cas d’un auteur aussi populaire que Jack London, qui a suscité diverses entreprises biographiques, de comparer, d’un ouvrage à l’autre, la place discursive et iconographique faite à sa nourrice. On est frappé de noter combien certains commentaires réactivent le stéréotype, sur le plan physique : « Mammy Jenny (c’est ainsi qu’on l’appelait) lui apportait bien plus que le seul lait maternel. Cette femme, avec son visage noir comme le charbon, et sa chaude et généreuse poitrine, lui donnait l’amour que sa propre mère ne pouvait pas lui apporter »19 ; et également le stéréotype relatif au comportement de la mammy, qui est censée vouer un culte farouche à la famille blanche et à son honneur : « Joan London[fille de l’écrivain]raconte que Mammy Prentiss (…) était peut-être plus jalouse du nom des London qu’eux-mêmes ne l’étaient, et qu’elle montrait en tout cas plus d’empressement qu’eux à le défendre »20.

Ce type de discours (émanant ici des biographes mais traduisant peut-être des sentiments ambigus chez l’auteur, qu’il faudrait étudier plus avant) conduit plutôt à masquer la réelle Virginia Prentiss derrière le mythe bien connu, qu’à dévoiler sa vie et sa personnalité. Progressivement une plus juste place lui a été redonnée, non sans peine parfois, dans les lieux de mémoires dédiés à l’écrivain, qu’ils soient textuels, comme les biographies, ou muséologiques : ainsi Clarice Stasz explique qu’Eugene Lasartemay, auteur d’un livre sur London et Virginia Prentiss21, a dû se battre pour que le Jack London State Historic Park inclue dans le musée un portrait ou une photo de Jennie Prentiss. Au-delà de la stricte dimension biographique, qui pourrait n’avoir qu’une portée anecdotique, certains critiques interrogent la relation entre cette double filiation (à une mère noire et une mère blanche) et certaines constantes des romans de London, par exemple sa fascination pour les « vies secrètes » (2001 : 20), ou encore les zones d’ombre de l’écrivain, notamment son appréhension des questions raciales (nous renvoyons à la biographie critique de Jeanne Campbell Reesman). Le cas de London est donc assez propre à illustrer ce rapport complexe à la mammy.

Ainsi il y a oscillation entre, d’un côté, la condamnation au silence et à l’invisibilité, et, de l’autre, la revendication d’une filiation (comme le faisait fréquemment Jack London dans ses interviews) et la multiplication d’hommages très visibles, comme la dédicace faite par Faulkner dans Go Down Moses :

A MAMMY
CAROLINE BARR
Mississipi
(1840-1940)
Qui, née dans l’esclavage,
fit preuve envers ma famille
d’une fidélité totale et désintéressée
et entoura mon enfance d’un dévouement
et d’une affection sans bornes (Faulkner 2000 : 647)22

On pourrait décrire le culte généralisé de la mammy comme la forme « nationale » de cet hommage. Mais une telle oscillation entre présence et absence, hommage et silence, nous paraît très trouble : ne pourrait-elle traduire une gêne, une sorte de malaise entre la honte éprouvée envers cette figure maternelle de nourrice, et la honte d’avoir (eu) honte ? Pour apporter des éléments de réponse, il convient de définir les fondements de cette honte, qui a à voir avec la conception de la maternité accordée, ou non, à la mammy. En effet, la honte résiderait dans le reniement, ou du moins dans la difficulté à admettre (d’où le processus de refoulement) l’existence de cette mère jugée indigne, en raison de sa « race ». Ce serait une honte de la mammy en tant que mère noire, à comprendre au sens plein du terme, et non comme deuxième mère ou « surrogate mother ». La mammy pourrait être une vraie mère, tout d’abord parce que la réalité du métissage brouille les frontières raciales dans la mesure où le stigmate qu’est censé constituer la couleur de peau n’est pas ce critère fiable dont rêvent les racisants, ainsi que le révèle la hantise du « race passing », omniprésent dans la littérature américaine, et dont nous avons rencontré quelques exemples. Enfin, elle serait également une vraie mère, au sens où on pourrait la définir comme la mère du « care ». Les analyses développées par l’anthropologue argentine Rita Laura Segato dans son essai L’Oedipe Noir. Des nourrices et des mères apportent sur ce point des éclairages tout à fait décisifs : elle affirme que la mère des premiers soins n’a pas moins droit au titre de mère que la mère biologique ou juridique – quand bien même elle se verrait évincée, une fois son temps terminé, et condamnée à l’oubli, à la « forclusion », le refoulement de son identité noire étant considéré comme nécessaire à la construction de la « blanchité ». Ainsi, dans le cas de ce mythe américain qu’est la mammy, cette « mère archaïque », présence absence nostalgique hantant les imaginaires, ne cesserait de faire retour malgré les efforts pour la faire disparaître.

Là résiderait donc le plus trouble secret de la mammy : il s’avèrerait qu’elle peut être bel et bien regardée comme la mère de la nation américaine, et une mère noire. En cela finalement, dans un renversement extrêmement ironique, source possible d’« empowerment », elle ne dérogerait pas à sa longue mission (imposée par l’idéologie « blanche ») de figure réconciliatrice de la nation, mais en échappant cette fois à l’instrumentalisation d’une maternité simplement métaphorique. On pourrait y lire l’aboutissement du combat visant à restituer sa maternité à la femme noire (combat mené par les militants des droits civils célébrant la « black mother »), mais, dans ce cas, en l’élargissant à la nation par la reconnaissance de la part noire inhérente à la blanchité supposément dominante.

Un deuxième pan du secret serait par ailleurs soulevé, autre conséquence monstrueuse de cette intimité ambiguë : la mère de l’Amérique serait une esclave, dominée, bafouée, reniée, mauvaise conscience de la société blanche patriarcale, prête, dans ses pires extrémités, à se livrer au meurtre de la mère.

C’est ainsi au dévoilement de terribles secrets de famille (individuels et nationaux), plus ou moins bien gardés, que nous appelle cette figure complexe, évincée, refoulée, mais dont l’inoubliable trace ne cesse d’affleurer à la surface des textes et des consciences.

Bibliographie

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Notes

1 Ce terme est utilisé pour différencier la « Black mammy » de la « mammy », esclave âgée qui était chargée sur les plantations de garder les enfants pendant que leurs mères, esclaves, devaient aller travailler. En l’absence d’ambiguïté dans la suite de notre propos, nous nous contenterons d’évoquer la « mammy ». Retour au texte

2 Et ce malgré une continuité dans les représentations de la mammy entre la période de l’esclavagisme et celle de la ségrégation. Retour au texte

3 L’esclave affranchi Frederick Douglass, dans son autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, an American Slave. Written by Himself, 1845), relate le meurtre dont a été victime une jeune esclave de quinze ou seize ans, cousine de sa femme. Epuisée par le manque de sommeil (dont on sait qu’il peut être utilisé comme modalité de torture), elle s’était endormie alors qu’elle était en charge d’un nourrisson. La mère, présente dans la chambre, se saisit d’un bâton de chêne, lui brisa le nez et le sternum à coups de bâton, et la tua. Malgré le mandat d’arrêt lancé contre elle, elle ne fut finalement pas poursuivie. Retour au texte

4 Cette dernière a joué le rôle de « wet nurse » auprès de l’écrivain : elle l’a allaité, et, quand il est devenu père à son tour, elle s’est occupée de ses filles. Retour au texte

5 « And whar else do she belong ? » Dilsey says. « Who else gwine raise her cep me ? Aint I raised ev’y one of y’all ? » (Faulkner 1994a : 125). Traduction révisée par nos soins. Pour les autres textes nous mentionnons la traduction existante en bibliographie, ou nous traduisons nous-même si nécessaire. Retour au texte

6 « Mammy felt that she owned the O’Haras, body and soul, and their secrets were her secrets. » (Mitchell 1975 : 21). Retour au texte

7 Cette peur, et le refus subséquent d’instruire les esclaves, sont évoqués par Frederick Douglass dans le chapitre 6 de son récit autobiographique. Retour au texte

8 « But, alas ! We all know that the memory of a faithful slave does not avail much to save her children from the auction block. » (Jacobs 1987 : 7). Retour au texte

9 Qui peut dire à cet égard, dans la relation entre Virginia Prentiss et Jack London, la place jouée par l’absent, à savoir l’enfant mort né de Virginia Prentiss, et la part prise par le deuil de cet enfant chez sa mère ? Retour au texte

10 Il n’est à cet égard sans doute pas anodin que Caroline Barr (Mammy Callie) ait toujours tenu à réaffirmer son identité noire, comme le remarquait la mère de Faulkner : « Dilsey, dans cette histoire, c’est Mammy Callie. Nous l’adorions tous. Mais je vais vous dire une chose, elle tenait fermement à vous faire savoir qu’elle était ‘noire’ (« nigrah »)  ». « Dilsey in that story is Mammy Callie. We all loved her. But I’ll tell you one thing, she always wanted you to know she was a ‘nigrah’ » (Blotner 1991 : 219). Retour au texte

11 « an example of a domestic intimacy unique to plantation ‘families’ » (Wallace-Sanders 2008 : 19). Retour au texte

12 Kimberly Wallace-Sanders rappelle dans son introduction que, selon bon nombre d’historiens, la « mammy », avec les traits stéréotypiques qui la caractérisent, a été « inventée » après la guerre par les partisans de la Cause perdue. Elle appartient à la mythologie de ce monde disparu. Retour au texte

13 Ce culte est très vif au début du XXe siècle et se manifeste par exemple à travers l’érection, dans le Sud, d’un certain nombre de statues et de monuments rappelant, non sans révisionnisme, le rôle historique de la mammy (voir le chapitre V du livre de Kimberly Wallace-Sanders). L’imaginaire de la femme africaine-américaine nourricière est en outre étendu à l’ensemble du territoire, et décliné de façon commerciale, comme le montre l’exemple d’Aunt Gemima. Retour au texte

14 Kimberly Wallace-Sanders explique dans l’introduction que le figement stéréotypique de la mammy (notamment son embonpoint) date du roman de Stowe, mais que, dans la première moitié du xixe siècle, il donne lieu à des réalisations très diverses. Retour au texte

15 “She stood for a moment remembering small things, the avenue of dark cedars leading to Tara, the banks of cape jessamine bushes, vivid green against the white walls, the fluttering white curtains. And Mammy would be there. Suddenly she wanted Mammy desperately, as she wanted her when she was a little girl, wanted the broad bosom on which to lay her head, the gnarled black hand on her hair. Mammy, the last link with the old days.” (Mitchell 1975 : 947). Retour au texte

16 « Here, you Mose, Pete, » he said, breaking off liberal bits, and throwing it at them ; « you want some, don’t you ? Come, Aunt Chloe, bake them some cakes. » (Stowe 2007 : 32). Retour au texte

17 « ‘Mammy’ is part of the lexicon of antebellum mythology that continues to have a provocative and tenacious hold on the American psyche. » (Wallace-Sanders 2008 : 2). Retour au texte

18 « Dilsey’s mortality is Faulkner’s ambiguous tribute to the mammy type » (Wallace-Sander 2008: 125). Retour au texte

19 « Mammy Jenny, as she was called, provided him with more than mother’s milk. A large coal-black woman, with a warm and generous heart, she gave him the love his own mother could not supply » (O’Connor 1964 : 31, notre traduction). Retour au texte

20 « Joan London recalls that Mammy Prentiss (…) was perhaps more jealous of the Londons’ good name than they were themselves, and certainly was more zealous in preserving it » (O’Connor 1964 : 108, notre traduction). Retour au texte

21 Eugene Lasartemay est le cofondateur et président de la East Bay Negro Historical Society. Retour au texte

22 « To Mammy Caroline Barr Mississippi [1840-1940] Who was born in slavery and who gave to my family a fidelity without stint or calculation of recompense and to my childhood an immeasurable devotion and love. » (Faulkner 1994b : 2) Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Cécile Gauthier, « Dans les bras de la nourrice : black mammies, enfants blancs, un « corps-à-corps » ambigu », Textes et contextes [En ligne], 12-2 | 2017, publié le 07 décembre 2017 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=1614

Auteur

Cécile Gauthier

Maître de conférences en littérature comparée, CRIMEL (EA3311), Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), UFR Lettres et Sciences humaines, 57 rue Pierre Taittinger BP 30, 51 571 Reims cedex – cecile-gauthier [at] univ-reims.fr

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