Les paradoxes politiques du No Child Left Behind

  • The Political Paradoxes of No Child Left Behind

Résumés

L’article porte sur la réforme de l’éducation menée par l’administration Bush. La loi dite « No Child Left Behind » (NCLB) de janvier 2002 semble paradoxale : elle instaure des critères nationaux pour évaluer la politique scolaire qui est pourtant, historiquement, une compétence des États fédérés. Après avoir replacé cette loi dans son contexte, l’article en tire un bilan sur la nature de l’engagement « néofédéral » des conservateurs. Il conclut sur la volonté républicaine de constituer les États fédérés en acteurs politiques autonomes en les plaçant face à leurs responsabilités fiscales.

The paper deals with the “No Child Left Behind” legislation signed into law by President Bush in January 2002. Its paradoxical status lies in the national standards it creates in a field which is traditionally a part of States’ powers. The paper highlights the peculiarities of the law and then moves on to a broader assessment of the Republican “neofederal” commitment. The conclusion emphasizes the Republican will to turn States into key policy-makers by placing them in a position to face up to their fiscal decisions.

Plan

Texte

Introduction

L’Europe est le lieu de débats institutionnels qui évoquent immédiatement le précédent américain. Les interrogations autour de la « fédéralisation » de l’Union Européenne ou la mise en œuvre d’une « dévolution » du pouvoir en Grande-Bretagne sont étonnement proches des modalités du développement politique des États-Unis. En tant que première nation constitutionnellement fédérale, c’est-à-dire reposant sur un partage des compétences entre deux niveaux de gouvernement, chacun étant suprême dans sa sphère d’action, l’Amérique s’est constamment débattue avec le dilemme de l’équilibre souhaitable entre les États fédérés (states) et l’État fédéral (government). Le « chemin de dépendance » (path of dependency) que les États-Unis ont suivi dès la fin du xviiie siècle menait vers la décentralisation du pouvoir, à l’inverse des pays européens les plus puissants, notamment la France et la Grande-Bretagne, dont le rayonnement fut le résultat d’une concentration du pouvoir politique (que ce soit au profit de l’État, comme en France, ou du Parlement, comme en Grande-Bretagne).

Cette configuration est non seulement au fondement des institutions politiques, mais aussi de l’ensemble des politiques publiques. Les Européens sont souvent surpris de ce qu’ils pensent être « l’incapacité » des Américains à se doter de règlements uniformes ou de procédures centralisées, sans réaliser le poids de l’héritage politique et institutionnel qui pèse sur la vie politique contemporaine d’outre-Atlantique. L’État central n’est jamais légitime dans ses interventions, ou à tout le moins toujours potentiellement suspect – en Europe, il semble que ce soit le marché qui subisse cette défiance spontanée. C’est pourquoi, un grand nombre de politiques publiques reposent sur l’activisme des autorités locales, voire sur l’investissement de la société civile ou des communautés. Dans bien des domaines, l’État fédéral donne une impulsion générale, laissant aux échelons fédérés et locaux des marges de manœuvre extrêmement larges.

Cet article porte sur la politique éducative. Son fonctionnement aux États-Unis est particulièrement étranger à la pratique française. Elle est ancrée dans une culture de la communauté qui attribue l’essentiel des responsabilités au niveau local. Or, l’évolution récente va au contraire dans le sens d’une relative centralisation. Le paradoxe est particulièrement surprenant : au moment même où les pays européens semblent décider une plus grande décentralisation de la politique éducative, les États-Unis s’engagent sur la voie d’une « consolidation » de leurs pratiques scolaires : c’est tout l’objet du No Child Left Behind (2002), signé par le Président Bush avec le soutien des Démocrates du Congrès. Cette configuration nous révèle non seulement les spécificités du débat éducatif aux États-Unis, mais aussi la nature du projet « néofédéral » des conservateurs au pouvoir. L’exemple du NCLB illustre en effet la volonté républicaine de redonner un rôle politique réel aux États.

1. L’évolution des politiques éducatives : l’intervention fédérale et ses limites

Aux États-Unis, le département de l’éducation est une création récente (1980), il a été souvent menacé par la droite (notamment sous Reagan), et demeure une institution aux compétences extrêmement limitées. L’essentiel des responsabilités éducatives relève en effet des États fédérés et des « districts scolaires » (School Boards), ces instances locales décidant du contenu du programme (dans les limites fixées par la loi fédérale) ou du recrutement des enseignants. Il en existe un peu plus de 15000 sur l’ensemble du pays et ce sont eux qui détiennent le pouvoir en matière d’organisation, même si dans certains cas ils doivent partager leur pouvoir avec l’État fédéré. Les districts eux-mêmes délèguent une grande part de leurs responsabilités aux établissements pour créer de petites unités, le pari étant qu’elles seront plus faciles à gérer. Les conseils des établissements ont donc des responsabilités étendues, le pouvoir étant partagé entre administrateurs, enseignants, et parents d’élèves. Dans ce contexte, l’État fédéral, par le biais du Department of Education, joue essentiellement un rôle de coordinateur : il gère les crédits et supervise de loin le fonctionnement régulier des districts et du cursus dit « K-12 »1.

Un Ministère de l’Education Nationale sur le mode de ce qui existe en France est donc impensable. Néanmoins, les autorités fédérales savent se montrer actives. Comme l’explique Malie Montagutelli, l’engagement envers l’émancipation des Noirs a fait de l’État fédéral un partenaire décisif dans le suivi des politiques éducatives. Depuis les années soixante, politique scolaire et mouvement des droits civiques sont en symbiose étroite. Cette évolution s’inscrit de plain-pied dans la décision de la Cour Suprême, Brown v. Board of Education (1954), qui déclara la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans le domaine scolaire. Depuis lors, égalité raciale et réforme éducative vont de pair. Les confrontations entre partisans et adversaires de la ségrégation se firent sur l’accès aux écoles et aux universités, et ce jusqu’aux années soixante-dix. C’est en effet après l’épisode du « busing » - l’utilisation du transport scolaire pour éliminer la ségrégation scolaire – qu’un consensus émergea, permettant ainsi à la querelle scolaire de s’apaiser. Au cours des années soixante, la question scolaire gagna donc une visibilité particulièrement forte : en tant qu’agent de démocratisation et d’égalité, elle fut prise dans le tourbillon du débat politique. Les réformes scolaires furent envisagées et discutées dans leurs implications politiques. La lutte pour une scolarité égale fut liée au combat pour l’égalité raciale et à la guerre contre la pauvreté, deux points essentiels du programme du Président démocrate de l’époque, Lyndon B. Johnson. Ce n’est ainsi qu’à partir du milieu des années soixante que le processus de financement fédéral direct des écoles fut finalement enclenché, dans le cadre de la lutte contre la ségrégation raciale. L’Amérique ne reviendra jamais plus à une attitude de laissez-faire absolue en matière d’éducation. L’objectif était de mettre un terme à cette « culture de la pauvreté » telle que des sociologues comme Oscar Lewis et Michael Harrington l’avaient décrite2. Mais pour parvenir à cet objectif, il n’a jamais été envisagé de mettre un terme au caractère décentralisé de la gestion scolaire. L’idée d’un soutien général aux États fédérés fut abandonnée. L’État fédéral s’orienta vers des aides ciblées au profit des populations scolaires les plus pauvres afin de remédier à l’inégalité des chances à l’école. Au Congrès, L. Johnson trouva ainsi un large consensus en faveur de son projet de loi sur l’éducation élémentaire et secondaire. La loi, Elementary and Secondary Education Act (ESEA) fut promulguée sans difficulté le 9 avril 1965. Il s’agissait d’améliorer les conditions scolaires des quartiers pauvres : délabrements des locaux, sous-équipement en matériel, rotation accélérée des enseignants, violence, absence de discipline, absentéisme des élèves, niveau très bas de connaissances, et interruption précoce des études. L’ESEA introduisit également le concept « d’éducation compensatrice » (compensatory education) : la loi se présentait en effet comme un ensemble de mesures permettant une aide financière aux établissements scolaires, proportionnelle au nombre d’enfants scolarisés vivant sous le seuil de la pauvreté. Partout, la loi génèra un regain d’activité et presque tous les districts soumirent des projets de toutes sortes à l’approbation de l’État fédéral. C’est ainsi que naquit le programme Head Start, aujourd’hui extrêmement populaire, et permettant aux enfants âgés de 3 à 5 ans de bénéficier d’un encadrement en termes de santé, de nourriture, et d’éveil scolaire. Une coopération active se met rapidement en place entre l’État fédéral, les États fédérés, et les unités locales pour gérer une palette toujours plus large de programmes.

Au cours des années soixante-dix, l’alourdissement constant du coût de l’éducation amène certains districts scolaires, parmi les plus pauvres, à repenser le financement de l’instruction primaire et secondaire du système public. La plus grande part du financement provient de l’impôt foncier, pratique qui est de plus en plus génératrice d’inégalité quant à la qualité de l’éducation. En Californie, une telle pratique avait été déclarée problématique car la qualité de l’éducation ne saurait dépendre de la richesse du district, ce qui est la conséquence directe d’un financement basé sur l’impôt foncier. Depuis lors, les États fédérés ont tenté de remédier à ce problème. Plus de la moitié ont modifié les bases fiscales de leur politique éducative. Mais les changements ne se font pas forcément dans le sens d’une amélioration. Loin s’en faut. L’exemple de la Californie est ici exemplaire. Dans le sillage de la Proposition 13 de 1978 qui plafonne l’augmentation de l’impôt foncier, la Californie en est venue à créer une loterie dont 35% des bénéfices sont alloués aux établissements scolaires.

L’alourdissement des coûts allait de pair avec une extension des obligations imposées aux établissements scolaires dans le cadre de la lutte contre la ségrégation raciale. En février 1967 paraît le rapport Racial Isolation in the Public Schools, préparé par la Commission américaine sur les Droits Civiques, à la demande du président L. Johnson deux ans plus tôt. Il expliquait que l’isolement des minorités raciales était réel et s’aggravait : les villes appauvries et les banlieues plus aisées étaient de plus en plus séparées, cloisonnées par des barrières raciales, sociales et économiques. Le texte se prononçait en faveur d’un plan d’intégration « forcée » par le « busing » dans le but de reproduire rapidement dans les écoles un rapport proportionnel entre les races et les ethnies semblable à celui qui existe dans la population. La mise en place et l’opération des systèmes de busing se révélèrent difficiles. Le principe fut en général mal accepté, beaucoup de parents considérant que l’intégration s’effectuait au détriment des meilleurs intérêts de leurs enfants. Vu comme un moyen artificiel, imposé par les autorités fédérales, pour instaurer l’équilibre racial dans les écoles, le busing fit l’objet de fortes contestations dès le début3. En effet, si l’intégration raciale à l’école est l’objectif principal du projet, il implique indirectement la réunion des écoles du centre des villes à celles des banlieues en un territoire scolaire homogène pour en effacer réellement les différences. Cette façon d’envisager l’intégration inquiète des parents qui craignent un éventuel redécoupage des districts scolaires. Le Congrès tenta alors de réformer la pratique du busing, mais en vain. Ce fut en fait le président Nixon qui réussit, en 1974, à mettre un terme au débat : en introduisant avec succès un amendement au Emergency School Aid Act (ESAA) de 1972 il réussit à faire en sorte que les fonds distribués aux États au titre de l’ESAA ne puissent plus servir à la mise en place d’un quelconque système d’intégration raciale, si celui-ci comprend un déplacement d’enfants.

À partir de là, l’intégration raciale en milieu scolaire prit un tour nouveau. Le Congrès vota en effet le Equal Educational Opportunities Act (1974) à l’initiative de Richard Nixon. Avec ce texte, l’école est à nouveau replacée dans son environnement local : la coercition par le « haut » pour imposer la déségrégation est abandonnée. Le texte dispose que l’inscription des élèves doit s’effectuer sans tenir compte de leur race, couleur, sexe ou nationalité, mais aussi de façon « naturelle ». Ainsi, déségréguer l’école ne signifie plus inscrire les élèves dans tel ou tel établissement dans le but de remédier au déséquilibre racial. Dans le texte de la loi est dressée une liste suggérant par ordre de préférence des moyens permettant d’atteindre ces objectifs de déségrégation « spontanée » : essentiellement, révision de la carte scolaire et création d’un nouveau style d’écoles-pilotes (dites « magnet school »). La loi ne fait pas mention du busing, mais elle interdit néanmoins aux Cours fédérales d’ordonner le transport d’élèves, sauf lorsqu’aucun autre moyen n’aura pu être trouvé. La grande innovation de cette loi est celle des magnet schools. Elle trouve son origine dans une expérience initiée au Massachusetts dans les années soixante. Il s’agit d’établissements primaires et secondaires installés le plus souvent dans les centres urbains4. Ils ont comme premier objectif de recevoir une population scolaire dont la composition ethnique est définie à l’avance, en général de 60 à 70% pour les minorités et de 30 à 40% pour les élèves blancs. Dans les magnet schools, pas d’inscriptions imposées ; celles-ci doivent attirer les élèves (et leurs parents !) de façon « spontanée », quelque soit leur lieu de résidence. Leur capacité d’attraction réside, suivant les cas, dans la qualité de certains enseignements très spécialisés, en sciences ou dans les domaines artistiques notamment, ou encore par un enseignement de base très renforcé, des équipements modernes ou une pédagogie novatrice. Le pari est de faire en sorte que les magnet schools de qualité puissent remplacer un busing forcé.

Rapidement résumées, ce sont là les caractéristiques principales des réformes éducatives menées à partir des années soixante : centralisation relative, lien étroit avec la question raciale et multiplication des programmes pour encadrer des groupes ciblés en difficulté. Mais la pratique scolaire qui s’est développée depuis les années soixante a été de plus en plus fortement critiquée. Nous avons déjà cité l’alourdissement financier pour les gouvernements locaux. Cette évolution s’est faite rapidement et a été immédiatement contestée dans bien des cas. En revanche, la lente désorganisation et l’effritement des programmes n’est apparu que sur la durée. On a alors utilisé la métaphore du « shopping-mall high school », qui évoque l’école comme un centre commercial, où l’on peut tout trouver. L’expression fait allusion à l’extrême fragmentation des programmes d’étude, que les élèves organisent eux-mêmes, sans aucune ligne directrice, ni cohérence. Les matières offertes, dans tous les établissements, sont de plus en plus ouvertes, et diversifiées, et les programmes, dans leur ensemble, de moins en moins académiques. La tendance est même renforcée lorsque les écoles sont tenues de prendre en charge des problèmes sociaux plus larges : des cours sont créés pour traiter une variété de matières nouvelles, comme l’hygiène, l’éducation sexuelle (risques du SIDA), le mariage et la vie de famille (les grossesses précoces demeurent un vrai problème). Au total, l’éducation souffre d’une multitude de maux qui tranchent avec la réputation du supérieur. Autant les grandes universités américaines sont connues et admirées dans le monde entier, autant l’enseignement scolaire (primaire et secondaire) s’enfonce dans une crise profonde.

En avril 1983, le pays prit connaissance d’un rapport préparé par la Commission nationale sur l’excellence dans l’éducation, que dirigeait David Gardner, président de l’Université de l’Utah. La Commission avait été formée en août 1981 à la demande du Secrétaire à l’Education, Terrel Bell, pour étudier la qualité de l’éducation américaine. Son rapport, intitulé A Nation At Risk, fut un vrai cri d’alarme. Il démontrait la baisse vertigineuse du niveau des élèves, le faible niveau des enseignants (et la misère de leur salaire), et concluait sur les conséquences à long terme d’un manque d’investissement sur l’avenir. Depuis lors, l’éducation est un enjeu sur lequel les responsables politiques se sentent obligés de se positionner. Ainsi, en 1989, le Président Bush Sr. proposa un programme dit Education 2000 reposant sur une intervention plus forte de l’État fédéral, demandant par exemple la mise en place d’un nouveau système national d’évaluation des élèves dans les matières principales. Mais ce projet de loi n’aboutit pas. Il n’obtint pas la majorité au Congrès, principalement parce que le Président y avait incorporé un plan de « bons scolaires » (school-choice vouchers), qui visait à accorder des abattements fiscaux aux parents souhaitant envoyer leurs enfants dans des établissements scolaires privés5. La réforme la plus récente fut celle de 1994 : Bill Clinton signa au printemps de cette année-là Goals 2000 : Educate America Act. Ce texte conserve les grands objectifs définis par son prédécesseur. Goals 2000 est la première loi dans l’histoire de l’éducation américaine définissant explicitement une politique nationale et évoquant des critères de qualité. Néanmoins, la loi fut rédigée dans un esprit d’ouverture par rapport aux États fédérés. L’article III leur permet de recevoir des subventions pour établir leurs propres programmes et les procédures nouvelles correspondant aux critères généraux définis au niveau national. Goals 2000 faisait donc de l’État fédéral l’interlocuteur principal des États fédérés, des districts scolaires, des localités et des établissements dans le cadre de leurs initiatives pour réformer le système scolaire. Cette approche a donné lieu à de très nombreuses expériences locales. Et c’est à partir de ces dernières – notamment celle menée au Texas – que G.W. Bush se lança à son tour dans une réforme globale des systèmes éducatifs du pays. Le No Child Left Behind de janvier 2002 est une des grandes réalisations de l’administration Bush. Ce texte, qui est sans doute la plus grande réforme éducative menée aux États-Unis depuis quarante ans, donne un pouvoir beaucoup plus grand aux autorités fédérales dans la supervision de l’éducation scolaire. Autrement dit, il est en pleine contradiction avec la pratique éducative aux États-Unis, suscitant ainsi une opposition farouche des États fédérés.

La loi s’inscrit dans un débat récurrent, celui de la mise en place de critères nationaux. Depuis 1947, tous les élèves en dernière année de lycée (high school) passent le SAT (Standard Assessment Test), qui remplaçait l’ancien examen d’entrée aux universités remontant à 19016. Réformé en 1994, le SAT est dorénavant, et malgré les critiques répétées, un examen permettant d’identifier les meilleurs élèves avant leur entrée à l’université. Depuis lors, le débat dans les milieux éducatifs portait sur l’établissement de critères nationaux plus substantiels. La loi Goals 2000 favorisait le processus de concertation à propos d’objectifs nationaux, de programmes unifiés et d’évaluations nationales, mais ne prévoyait pas leur mise en place. Dans un système éducatif aussi décentralisé que le système américain, établir des normes communes est extrêmement délicat. La fragmentation propre à un système fédéral constitue un défi de première ampleur pour mettre en œuvre des critères nationaux. Mais les besoins de réforme sont tellement criants que les propositions de réforme entre 1983 et 2002 étaient en général bien accueillies. Jusqu’alors, et dans le respect de l’équilibre traditionnel des forces aux différents niveaux, les réformateurs avaient systématiquement tenté de déterminer des normes nationales, en coopération avec les États, sans jamais imposer quoi que ce soit. Les normes nationales, qui portaient sur le niveau des élèves, mais aussi sur le recrutement des enseignants, se voulaient des guides, des repères, et surtout pas des impératifs. Il est vrai qu’en même temps la plupart des réformateurs tentaient aussi de renforcer l’autorité et l’autonomie de la base, c’est-à-dire des enseignants et des établissements. Autrement dit, les tentatives de réforme étaient très largement des essais à la marge du système. Les principes de base de fonctionnement – décentralisation et flexibilité – n’étaient pas remis en cause. Or c’est très précisément ce qu’entreprend de faire le NCLB, suscitant ainsi des réactions extrêmement vives. Cette opposition, et c’est là notre argument, ne se limite pas à une simple opposition à la centralisation. Les clivages suscités par la réforme éducative de 2002 sont transversaux. Ils ne reproduisent pas les débats traditionnels.

2. Les réactions : les failles du consensus sur l’éducation

Depuis la signature présidentielle de la loi, l’opposition gagne en force et en visibilité. En quatre ans, la tendance est toujours la même : plus l’opinion découvre les contraintes propres au NCLB, plus les avis sont négatifs. L’objectif principal de la loi est d’assurer une maîtrise de l’écriture, de la lecture et des rudiments mathématiques d’ici 2014. Le résultat doit déterminer le passage de l’élève dans la classe supérieure7. Pour atteindre cet objectif, la loi fixe des conditions supplémentaires à l’obtention de l’aide financière fédérale aux institutions éducatives : au collège (junior high school), les élèves doivent être évalués chaque année par une série de tests élaborés au niveau de l’État ; au lycée (high school), l’évaluation doit se faire une seule fois. Les résultats doivent être rendus publics. Enfin, les écoles dont les élèves ne réussissent pas à atteindre le niveau requis en écriture, lecture et mathématiques verront les financements fédéraux diminuer. En clair, la loi impose aux États de rendre les écoles responsables de la réussite de leurs élèves. Elle permet aussi d’identifier les écoles les plus en difficulté dans les quartiers urbains où se concentrent certaines minorités. Et c’est sans doute pour cela que la loi fut présentée comme un grand progrès en termes d’égalité des races : elle fut d’ailleurs soutenue au Congrès par une coalition d’élus républicains et démocrates, par exemple le sénateur Ted Kennedy, car il s’agissait d’un objectif national et consensuel. La loi combine des objectifs relativement conservateurs – des tests, une obligation de responsabilité et de résultats, et des incitations/pénalités financières – avec des moyens interventionnistes (un programme national) et un objectif principal d’égalité et de remise à niveau.

Très rapidement, les autorités locales ont dénoncé le NCLB comme étant une obligation nationale supplémentaire mais insuffisamment financée (on parle aux États-Unis d’un « unfunded mandate »)8. Si ceux qui ont voté pour la loi provenaient des deux principaux partis, il en fut de même de ceux qui s'y sont opposé : républicains ou démocrates, tous les responsables fédérés et locaux ont dénoncé la contrainte supplémentaire que représentait le nouveau texte. La critique est d’ordre financier. L’État fédéral impose des résultats mais ne donne pas suffisamment d’argent pour atteindre ces objectifs, forçant ainsi les autorités locales à augmenter leurs ressources. Ce sont donc les élus locaux qui sont amenés à assurer les coûts électoraux associés à une mesure sur laquelle ils ne se sont pas prononcés. Dans la droite ligne de la pratique républicaine, l’administration Bush cherche à promouvoir des valeurs conservatrices sans pour autant assumer le coût financier que cela peut signifier. Les responsabilités sont transférées aux États, à charge pour ces derniers de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs. C’est ainsi que des procédures légales ont été engagées par certains États : le Connecticut, par exemple, a initié un procès contre le Ministère fédéral de l’éducation afin d’obtenir une meilleure compensation financière pour couvrir l’évaluation des élèves. L’Utah s’est lancé lui aussi dans une procédure judiciaire sur la base d’objections plus fondamentales. La loi serait ni plus ni moins qu’une remise en cause de la liberté des États dans un domaine essentiel de la souveraineté fédérée, celui de l’éducation. L’argument est particulièrement surprenant en ceci que c’est un État profondément conservateur qui s’en prend à une administration républicaine au motif d’une remise en cause de la liberté des États, c’est-à-dire un argument qui est au cœur de l’idéologie de la droite américaine….Le paradoxe politique est complet. Il illustre à quel point les clivages suscités par le NCLB ne sont pas uniquement partisans, mais ressortent aussi d’une logique institutionnelle. Dans cette perspective, le problème n’est pas non plus simplement budgétaire, il est politique, voire constitutionnel. Seule une réduction de la portée de la loi permettrait de satisfaire la critique de l’Utah. Pour l’instant, cet État s’est contenté de demander à ses comtés de ne pas appliquer les portions du texte qui ne sont pas correctement financées ou qui sont en contradiction flagrante avec la loi fédérée.

Pourtant, tous les États ne répondent pas de la même façon aux exigences de la loi. Leur parcours historique propre les pousse à réagir dans un sens ou dans l’autre. Le clivage est particulièrement sensible entre les États du Nord-Est et ceux du Sud. C’est en Nouvelle-Angleterre que les réactions ont été les plus fraîches. Historiquement, cette région s’est dotée depuis longtemps d’un réseau d’enseignement secondaire qui, plus tard, a servi de référence au reste du pays. Les écoles sont partie prenante de la vie de la communauté, de sorte que l’adhésion à un système de contrôle local est profondément ancrée dans les mentalités. À l’inverse, le Sud s’est doté plus tardivement d’un réseau scolaire, et dans le même temps, le Sud s’est construit sur une culture politique relativement conservatrice qui donne peu de pouvoirs aux autorités publiques. Il n’existe qu’une seule exception à cette règle, le domaine éducatif. En règle générale, la gestion des écoles est relativement plus centralisée que dans d’autres parties du pays – ce dont témoigne l’expérience du Texas qui a servi de référence à Bush. Dans le Sud, l’Etat fédéré a les moyens nécessaires pour agir sur les questions éducatives, ce qui n’est pas le cas dans le Nord-Est. Dans le Sud, les décisions fédérées priment sur la réglementation locale de l’éducation. Ainsi, les dispositions du NCLB s’insèrent plus facilement dans les habitudes de gestion du Sud que de la Nouvelle-Angleterre. C’est en effet aux États que la loi confie un certain nombre de responsabilités : créer et mettre en œuvre les tests, définir les critères de succès des étudiants, s’assurer de la qualité des enseignants recrutés. Mais ces exigences fédérales rendent plus vives des tensions qui existent au niveau fédéré entre les autorités de l’État fédéré et les unités locales. Il existe donc au sein des États un clivage autour de la centralisation qui reproduit celui existant au niveau national. La loi fédérale concentre donc les responsabilités au niveau de l’État fédéré, dans un domaine où les unités locales ont pourtant un rôle à jouer. La loi du NCLB polarise donc la vie politique au niveau des États, tout particulièrement dans le Nord-Est.

D’autres facteurs sont à prendre en compte pour expliquer les différences de réception entre les États. Globalement, les variations de comportement semblent déterminées par quatre facteurs différents : la culture politique – l’évolution démographique – la qualité des étudiants – et les ressources financières disponibles9. Sur le premier point, il y a relativement peu de surprise : les États Démocrates sont plus à même de s’opposer à la loi que les États dominés par les Républicains. Pour ces derniers, en effet, des programmes similaires à NCLB ont déjà été mis en œuvre. La pratique locale rejoint donc ici les nouvelles attentes nationales. Le profil démographique de l’État rentre également en ligne de compte, et notamment la situation des groupes minoritaires. Dans les États où les groupes minoritaires sont concentrés, les écoles qui les accueillent sont dans une situation difficile : la situation sociale de ces groupes étant souvent particulièrement délicate, les performances des écoles s’en ressentent. Dans ces conditions, punir financièrement les écoles qui, par définition, ne peuvent pas atteindre les objectifs nationaux, est quasiment une attaque frontale contre les minorités. Plus généralement, le niveau moyen des élèves dans un État est un facteur déterminant. En effet, les États dont les élèves ont déjà atteint un niveau suffisant pour remplir les critères de la loi nationale sont certainement favorables aux objectifs généraux. À l’inverse, les États où les élèves sont déjà en-dessous de la moyenne nationale en termes de résultat ressentent toutes les contraintes de ce cadre législatif. Enfin, la question des ressources est bien entendu essentielle. Les États qui dépendent le plus fortement des financements nationaux ont relativement peu de marge d’action. Ce sont les interactions entre ces différents facteurs qui conditionnent la réception globale du NCLB par les États. Néanmoins, le facteur institutionnel prime : tous les États sont sensibles à ce nouvel exemple de « commandeering » fédéral10. Une fois de plus, l’État central dicte leur comportement aux États.

Les reproches des autorités locales se retrouvent au niveau de l’opinion publique, qui, elle aussi, devient de plus en plus critique. Différents sondages nationaux ont rendu compte de ce basculement. En particulier, Gallup, en association avec Phi Delta Kappan, et le Educational Testing Service, ont mis en œuvre un suivi de la perception des effets de la loi depuis l’hiver 2002. La conclusion est sans appel : plus les gens connaissent la loi, moins ils la soutiennent11. Même si une majorité d’Américains continue de soutenir l’initiative présidentielle, le camp des opposants se renforce constamment. Comment s’opère le clivage ? Quelles sont les catégories qui soutiennent et qui rejettent la loi ? La dimension partisane est certes présente : les électeurs inscrits comme Républicains tendent à être favorables au texte, alors que les Démocrates sont en général opposés. Les Indépendants se partagent entre 45% d’opinions favorables et 34% d’opinions négatives. Mais d’autres clivages conduisent à temporiser une lecture exclusivement partisane. Les habitants des campagnes sont plus favorables à la loi que ceux des banlieues (proches, les « suburbs », ou éloignées, les « exurbs ») ou des villes. Les Noirs et les Hispaniques sont globalement plus favorables que les Blancs12. Les gens qui gagnent plus 75000 dollars par an ont plus de chances d’être opposés au texte que ceux disposant d’un revenu annuel plus faible. On le voit, la dimension partisane n’est pas forcément prédominante : les Noirs et les Hispaniques, pourtant généralement proches du Parti démocrate, soutiennent en l’occurrence une initiative républicaine. À l’inverse, les gens avec des revenus annuels supérieurs à 75000 dollars, pourtant généralement favorables aux Républicains, sont plutôt sceptiques. Quels sont les aspects de la loi qui rebutent l’opinion ? Les sondages rendent compte d’une évolution claire : sur le principe de responsabilisation des élèves et des institutions scolaires, telle que mesurée par des examens, tout le monde se retrouve ; en revanche, la mise en œuvre de ce principe est problématique. La dimension punitive de cette loi, notamment sur la baisse des financements en cas d’échecs aux tests n’est pas soutenue. La loi crée en effet, par définition, des perdants et des gagnants, ce qui constitue un vrai obstacle pour une part de l’opinion publique. La loi suscite des effets pervers dont les statistiques commencent à rendre compte. Les punitions financières ont des conséquences tellement dramatiques pour les écoles qui échouent à satisfaire aux critères qu’elles ont une tendance nette à renvoyer les élèves les plus faibles avant les examens.

3. Quel engagement néofédéral chez les conservateurs ?

Les paradoxes contenus dans les dispositions de la loi et les clivages qu’elle suscite sont surprenants à plus d’un titre. Voilà un texte qui vise à renforcer la supervision fédérale des établissements scolaires et qui a été élaboré par une équipe présidentielle dont l’engagement conservateur ne fait guère de doute. Comment expliquer qu’une équipe républicaine se lance dans une telle entreprise ?

Historiquement, le Parti républicain était le parti de la modernisation : il se définit en 1854 comme rejetant l’archaïsme que représentait l’esclavage. À partir des années 1920, il prend une orientation plus conservatrice et encore plus favorable au monde des affaires. C’est à ce moment-là que la critique de l’interventionnisme fédéral se fait jour. Le tournant est définitivement pris avec le New Deal. Par opposition à l’activisme de l’administration de Franklin Roosevelt, le GOP (Grand Old Party) adopte une position de dénonciation du « Big Government ». À partir des années 1960, cette rhétorique est au cœur de la perspective républicaine. Néanmoins, la position du Parti républicain ne correspond pas forcément à sa pratique politique. Une série de travaux portant sur les réformes des politiques sociales a largement démontré, dans les années quatre-vingt-dix, que les conservateurs au pouvoir pratiquaient un « néofédéralisme » sélectif. Depuis la présidence Reagan, les Républicains ont utilisé la rhétorique du « droit des États » (States’ Rights) pour mener une politique « libérale » (au sens européen) de baisse des impôts. La tactique consiste à renvoyer un nombre toujours croissant de responsabilités aux États fédérés (obligeant ainsi ces derniers à augmenter leurs propres ressources fiscales) afin de limiter le poids fiscal de l’État fédéral. Les Républicains diminuent ainsi les risques politiques en renvoyant les responsabilités au niveau fédéré. L’exemple le plus clair de cette conduite fut la loi de réforme de l’aide sociale (welfare) votée en 1996. En renvoyant l’essentiel des responsabilités et des charges fiscales du programme AFDC (Aid To Families With Dependent Children), l’État fédéral se déchargeait d’un poids budgétaire immense. Il instituait, à l’inverse, une série de contraintes en termes moraux auxquelles les États se devaient de répondre à leurs propres frais. Ainsi, les bénéficiaires de l’ex-AFDC (rebaptisé pour l’occasion TANF, Temporary Aid to Needy Families), devaient par exemple s’engager à participer à des programmes de remise au travail, dits de « workfare »13. Ce schéma est paradigmatique : les Républicains savent – et veulent – se servir du pouvoir fédéral pour imposer, au niveau national, les valeurs auxquelles ils croient (en l’occurrence le travail) ; la décentralisation, elle, est simplement un moyen de débudgétiser un certain nombre de programmes de l’État fédéral.

Ce schéma se retrouve-t-il pour la grande réforme de l’éducation que constitue la loi NCLB ?

La réponse est positive. La loi du NCLB illustre à merveille la façon dont les Républicains conçoivent le rôle des États fédérés. La réforme éducative de 2002 s’inscrit de plain-pied dans la façon dont les Républicains conçoivent la pratique politique fédérale. Pour eux, les États doivent devenir des acteurs de premier plan en termes de politique publique. Au bout de plus de trente ans de réformes « néofédérales » les Républicains ont développé deux types d’approche pour réformer l’équilibre institutionnel.

La première orientation consiste à réduire les capacités d’action de l’État fédéral, afin que les États puissent, chacun à leur rythme et suivant leurs modalités propres, définir leur action. C’est cette logique qui explique très largement la politique budgétaire suivie par l’administration Bush. Une critique extrêmement fréquente adressée à l’administration depuis 2001 consiste à souligner l’incohérence entre l’explosion des dépenses militaires et la baisse des impôts fédéraux. Les observateurs soulignent aussi les contrastes entre l’excédent budgétaire laissé par Clinton et l’abyssale dette nationale créée par Bush. Mais ces bizarreries économiques ont une explication idéologique qui a sa logique propre. Tout comme Reagan dans les années quatre-vingt, Bush a cherché à recentrer les compétences fédérales sur les questions militaires, de sécurité et de lutte anti-terroriste. Pour ce faire, les ressources de l’État fédéral ont été volontairement limitées conduisant ainsi à une explosion de la dette et une nécessaire réduction de l’étendue d’autres programmes (notamment sociaux). La dette permet par ailleurs de s’assurer qu’une éventuelle administration démocrate serait dans l’impossibilité budgétaire de lancer de nouvelles initiatives. C’est très précisément ce que les administrations Reagan avaient laissé en héritage à Clinton en 1992. Dans les deux cas, il s’agit de « dégraisser le mammouth » (starve the beast) en plaçant l’État dans une situation telle que des réajustements drastiques deviennent nécessaires.

Mais il existe une seconde voie de réforme « néofédérale ». Elle consiste à renforcer les États fédérés dans leurs pouvoirs traditionnels. C’est ainsi que l’on peut lire certains aspects de la politique de lute anti-terroriste. Le renforcement de l’interventionnisme fédéral avec le Ministère pour la Sécurité du Territoire (Homeland Security Department) recentre l’État fédéral sur une mission régalienne traditionnelle, tout en laissant aux États un rôle déterminant dans le renforcement des « first responders » (policiers et secouristes par exemple). Les États sont ainsi en position essentielle pour mettre en œuvre un dispositif anti-terroriste global. De la même manière, la réforme éducative de 2002 peut être lue comme un appel direct aux capacités d’innovation des États en confiant à ces derniers des pouvoirs inédits. Mais elle se heurte aux habitudes politiques ancrées au niveau fédéré, en particulier la résistance des unités locales (comtés et districts scolaires) à une centralisation fédérée : la contestation anti-centralisation se retrouve donc au niveau de chacun des États. Elle se heurte également à la difficulté qu’éprouvent les élus locaux à se risquer dans des politiques comportant des risques électoraux importants sans bénéficier de la couverture politique fédérale. Le pouvoir central a au moins comme utilité de constituer un bouc-émissaire confortable en cas d’échec d’une politique quelconque. Or avec le NCLB, les États fédérés sont appelés à faire preuve de responsabilité sans pouvoir se défausser sur l’État fédéral. Responsables de la mise en œuvre de la loi NCLB et d’un financement adéquat les États fédérés ne peuvent que difficilement transférer le blâme électoral sur l’État fédéral. Il s’agit là peut-être d’un début d’explication de la forte réaction d’États comme le Connecticut ou l’Utah. Le pari de l’équipe présidentielle est donc risqué. Il est néanmoins en droite ligne avec les préoccupations des Républicains : leur attachement proclamé aux principes du fédéralisme ne se limite pas ici à une attaque contre l’État central, mais se double d’une volonté affichée de transformer les États en acteur majeur de la politique éducative.

Conclusion

Le NCLB est la plus grande loi de réforme de l’éducation depuis l’adoption du Elementary and Secondary Education Act de 1965. Il était prévu dans le texte de 2002 qu’un vote du Congrès serait à nouveau nécessaire en 2007 pour autoriser le texte. En mars de cette année, un groupe de 50 Sénateurs et Représentants républicains a introduit une série d’amendements afin de remédier au principal défaut de la première version de la loi, celle que dénoncent les États et les gouvernements locaux, à savoir le manque de flexibilité accordée aux États fédérés. Mais on peut y voir aussi une volonté de ne pas faire face aux critères nationaux définis par la loi de 2002. Quel que soit le vote final, il apparaît en tous les cas que derrière la question de l’éducation se pose un problème plus vaste autour du rôle des États fédérés comme acteurs de la mise en œuvre des politiques publiques. Les Républicains au niveau national poussent les autorités fédérées à assumer des risques électoraux en élargissant leur base fiscale. À court terme, la réaction des élus locaux est parfaitement logique : leur survie électorale est en jeu. À plus long terme, néanmoins, les modalités de la loi ouvrent aux États une possibilité nouvelle, celle de s’assurer un rôle substantiel dans la gestion de l’éducation. Le pari est risqué et peut mener à l’échec. Pourtant, il convient de noter qu’une administration républicaine critiquée pour sa centralisation du pouvoir dans bien des domaines extrêmement visibles (la sécurité du territoire tout particulièrement), a aussi posé les bases d’une affirmation des États fédérés.

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Notes

1 L’expression “K-12”, fréquente aux États-Unis, désigne simplement l’ensemble du système scolaire, de la maternelle (“kindergarten”) à la terminale (12th grade). Retour au texte

2 Oscar Lewis, The Children of Sanchez. Autobiography of a Mexican Family, New York, Random House, 1959 et Michael Harrington, The Other America, New York, McMillan, 1962. Retour au texte

3 Et ce tout particulièrement car la Cour Suprême soutient fortement l’idée. En 1971, dans la décision Swann v. Charlotte-Mecklenburg Board of Education, la Cour déclare l’intégration raciale forcée conforme à la Constitution. Le Judiciaire fédéral se place en porte-à-faux par rapport à une opinion publique de plus en plus hostile (jusqu’à 73% en 1972 selon l’institut Harris). La difficulté « contre-majoritaire » est donc ici particulièrement sensible : quelle est la légitimité d’une institution non-élue à imposer une pratique refusée par la population ? Retour au texte

4 À partir de 1976, devant l’intérêt qu’elles suscitent, les magnet schools bénéficient d’un financement fédéral. Retour au texte

5 L’idée est ancienne et extrêmement critiquée. Un système de « bons » ou de « crédits » vise à permettre aux élèves nécessiteux de recevoir une éducation de qualité dans l’établissement de leur choix, public ou privé. On doit l’idée à l’économiste Milton Friedman, qui écrivit un essai à ce sujet en 1955 puis un livre en 1962 (Capitalism and Freedom). Avec ce système, Friedman déclarait vouloir mettre fin aux disparités dans les dépenses scolaires entre les États et les districts scolaires tout en évitant l’administration directe du système éducatif par l’État fédéral. La distribution de bons aux familles dans le besoin leur donne ainsi la possibilité de choisir une bonne école en dehors de leur district scolaire s’ils le désirent. En 1983, Reagan avait tenté de lancer un plan national sur ces bases. Ce type de programme est en effet contesté en ceci qu’il ne vise pas directement à instaurer les réformes susceptibles d’améliorer le système public, l’argent allant pour une large part à des établissements privés. Retour au texte

6 Le SAT se présente comme un QCM (questions à choix multiples), qui vise à mesurer chez les candidats le niveau d’expression, essentiellement la richesse du vocabulaire, et les capacités à raisonner en mathématiques. Il ne porte pas précisément sur les programmes scolaires. Les tests sont mis au point et administrés par l’Educational Testing Services (ETS). Corrigés par un ordinateur, ils ont l’avantage de permettre d’évaluer très rapidement un très grand nombre d’élèves, plus d’un million chaque année, d’après un score allant de 200 à 800. Retour au texte

7 D’autres dispositions de la loi sont nettement moins innocentes. Elle oblige par exemple, sauf réserve expresse des parents à la transmission des coordonnées des élèves aux recruteurs de l’armée. Les organisations religieuses, financées par l’État fédéral sur ce point, sont aussi introduites dans le domaine éducatif dans la mesure où les aides aux devoirs qu’elles fournissent sont autorisées. Retour au texte

8 Même si légalement cette qualification est critiquable. Voir sur ce point Martin R. West (2005). No Child Left Behind: How to Give it a Passing Grade, Policy Brief n°149. Disponible sur le site de la Brookings Institution à : http://www.brookings.edu/comm/policybriefs/pb149.htm Retour au texte

9 Ces facteurs sont analysés par Tom Loveless (2006). The Peculiar Politics of No Child Left Behind, Washington DC : Brookings Institution. Le texte est disponible sur le site à: http://www.brookings.edu/views/papers/loveless/20060801.htm Retour au texte

10 Ce terme est issu de la jurisprudence de la Cour Suprême. Depuis 1991 en effet, la Cour a rendu une série de décisions dénonçant la confusion des responsabilités politiques entre les niveaux de gouvernement. Retour au texte

11 Voir en particulier le rapport Ready for the Real World ? Americans Speak on Highschool Reform (juin 2005). Et The 37th Annual Phi Delta Kappa/Gallup Poll of the Public’s Attitudes Toward thePublic School (septembre 2005). Les deux textes sont disponibles à: http://www.ndus.nodak.edu/uploads/document-library/786/5E--READY-FOR-THE-REAL-WORLD---ETS.PDF pour le premier, et http://www.pdkintl.org/kappan/kpollpdf.htm pour le second. Retour au texte

12 Il est vrai qu’au Texas les enfants hispaniques ont été les bénéficiaires les plus nets de la loi locale. Retour au texte

13 Sur cette loi on lira Béland, Daniel / Vergniolle de Chantal, François (2000). « Politiques sociales, stratégies électorales et fédéralisme sous la présidence Clinton », in : Revue Française de Science Politique, 50 / 6, 883-913. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

François Vergniolle de Chantal, « Les paradoxes politiques du No Child Left Behind », Textes et contextes [En ligne], 1 | 2008, publié le 01 janvier 2008 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=125

Auteur

François Vergniolle de Chantal

Centre de Recherche Interlangues « Texte Image Langage » (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et Communication, 2 bd Gabriel F-21000 Dijon

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