Les Libéraux écossais et la devolution

  • Scottish Liberals and Devolution

Résumés

Cet article est consacré à l’influence des Libéraux/Libéraux-démocrates sur la dévolution du pouvoir à l’Écosse, tant sur les projets de 1966 à 1999 que sur les institutions elles-mêmes après leur création en 1999. Ces pressions, quoique non dénuées d’opportunisme, permirent d’accroître l’étendue des pouvoirs dévolus et de réformer le mode de scrutin. Elles ont également eu un impact sur les décisions prises après 1999.

This paper focuses on the Liberals/ Lib Dems’ influence on devolution to Scotland, both on plans from 1966 to 1999 and on the institutions themselves after 1999. Even though these pressures were partly opportunistic, they resulted in increased devolved powers and a reformed electoral system. They also influenced decision-making after 1999.

Plan

Texte

Introduction

Les Libéraux sont associés à la devolution depuis la fin du xixe siècle. En 1886, leur leader William Gladstone, Premier ministre, proposa la création d’un Parlement irlandais décentralisé, chargé des affaires internes (devolution législative), en réaction aux demandes de la population locale. Entre 1889 et 1927, 14 propositions de loi et motions prévoyant une réforme de même nature pour l’Écosse furent déposées à la Chambre des Communes. Elles échouèrent, même sous les gouvernements libéraux de 1906 à 1916.

L’association des Libéraux écossais était en tête de ce mouvement, au sein du groupe de pression Scottish Home Rule Association, puis de l’organisation Young Scots à l’intérieur du parti. Elle domina la vie politique écossaise de 1832 à 1910, obtenant jusqu’à 59 des 70 sièges écossais (Hutchinson 2001 : 11). Cela permettait au Parti libéral d’obtenir des majorités à la Chambre des Communes. De plus, les principaux leaders anglais du parti, Gladstone ou Asquith, étaient députés de sièges écossais. Les Libéraux anglais étaient donc peu enclins à soutenir le home rule écossais (Hanham 1968 : 574), sauf lorsque leur majorité semblait menacée (Banks 1971 : 79).

Néanmoins, à défaut de devolution législative, les gouvernements libéraux instaurèrent la devolution administrative, c’est-à-dire la déconcentration du pouvoir au profit de l’Écosse. En 1884, Lord Rosebery conçut un Secrétaire à l’Écosse, mis en place l’année suivante par le gouvernement conservateur. En 1894, ils créèrent une commission écossaise à la Chambre des Communes (Scottish Grand Committee), qu’ils reformèrent en 1906.

Depuis la Première guerre mondiale, le Parti libéral n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir au plan britannique. Il tente de persuader les deux grands partis, Travaillistes et Conservateurs, d’introduire un mode de scrutin proportionnel qui lui permettrait de retrouver une représentation parlementaire substantielle. La branche écossaise, tout en partageant cette revendication, conserva comme objectif prioritaire la création d’un Parlement écossais.

En 1946, l’association libérale écossaise devint un parti à l’intérieur de la fédération libérale britannique, ce qui signifie qu’elle obtint une grande autonomie, quant au programme, aux adhésions et aux finances (Lynch 1998 : 16 ; Bennie et al. 1997 : 86). Ce statut ne fut pas remis en cause en 1988, lors de la fusion avec les Sociaux-démocrates qui engendra la formation du Parti libéral-démocrate. En dépit de sa petite taille (6000 adhérents au milieu des années quatre-vingt-dix), le Parti libéral-démocrate écossais a une importance particulière au sein de la fédération britannique. Plusieurs leaders en furent issus : Jo Grimond (1956-1967), David Steel (1976-1988), Charles Kennedy (1999-2006) et Menzies Campbell depuis 2006.

Ce petit parti eut une influence décisive dans les débats sur la dévolution des pouvoirs entre 1966 et 1997. Certes, celle-ci fut envisagée en réaction à la percée du Scottish National Party (SNP) qui emporta l’élection partielle de Hamilton en 1967, en tant que réforme évitant le démantèlement du Royaume-Uni préconisé par ce parti indépendantiste. Mais le contenu des propositions résulta des discussions menées par le Parti libéral / libéral-démocrate, avec le gouvernement travailliste entre 1974 et 1979, et avec le Parti travailliste dans l’opposition entre 1989 et 1995. Ces pressions débouchèrent sur deux textes soumis à référendum, une loi (Scotland Act de 1978) en 1979, et un Livre blanc (Scotland’s Parliament) en 1997.

1. Les Libéraux face à la percée nationaliste (1966-1974)

Au début des années soixante, les Libéraux écossais se présentaient comme les principaux partisans du home rule pour répondre aux aspirations de la population écossaise face à un gouvernement central qui n’avait pas le temps de s’en occuper (Hanham 1969 : 189). Mais ils constituaient un petit parti, dépourvu de moyens, confiné à quelques sièges de la périphérie rurale. Ils durent adapter leurs tactiques et leurs projets à la progression du SNP.

À partir des élections législatives de 1964-1966, le SNP commença à devenir un sérieux concurrent, tant par le nombre de candidats présentés que par les proportions de suffrages recueillis (tableau 1). En conséquence, certains Libéraux appelèrent au rassemblement de toutes les forces favorables au self-government (Bogdanor 1979 : 101). Des liens avaient existé entre les deux partis, en 1938, lorsque le projet du SNP était plus fédéraliste qu’indépendantiste, et en 1946-1947, lorsque John McCormick quitta le SNP pour former une Convention multipartite, avant d’adhérer au Parti libéral.

Lors des Congrès du Parti libéral écossais de 1966 et de 1967, Ludovic Kennedy proposa des motions invitant au rapprochement. Celle de 1966, bien qu’approuvée, ne fut pas suivie d’effet. La seconde fut abandonnée au profit du texte du député écossais James Davidson, qui encourageait le SNP à proposer une alliance, démarche improbable en raison de l’avance de ce parti dans les sondages. Davidson préférait mettre en évidence les différences entre les Libéraux, partisans d’un État fédéral, et le SNP, indépendantiste (Davidson 1968 : 12). Kennedy démissionna et participa à la campagne de Winnie Ewing, candidate SNP à l’élection partielle de Hamilton, d’autant plus facilement que son parti n’était pas représenté. Quant à Michael Starforth, trésorier des Libéraux écossais, il adhéra au SNP.

David Steel et Jo Grimond, députés libéraux écossais, firent une nouvelle tentative, avant l’élection de Hamilton, mais se heurtèrent à l’intransigeance du SNP et du Parti libéral britannique (Steel 1989 : 60). Le premier exigeait que le self-government soit une priorité pour le second. Winnie Ewing reprocha à Steel d’avoir utilisé son temps de parole pour déposer une proposition de loi sur l’homosexualité et pas sur le home rule (Ewing 1968 : 14). Jeremy Thorpe, leader du Parti libéral de 1967 à 1976, considérait un Parlement écossais comme un élément des réformes institutionnelles, la plus importante demeurant celle du mode de scrutin. Cette position sera entérinée par le parti écossais en 1968.

En ce qui concerne les projets, en novembre 1966, Russell Johnston, autre député libéral écossais, déposa une proposition de loi, renouant ainsi avec la pratique de son parti au début du siècle, afin de maintenir l’enjeu institutionnel dans le débat public. Johnston réagissait également au contexte immédiat. Opposé à tout rapprochement avec le SNP, il souhaitait démontrer la volonté d’action de son parti (Brand 1978 : 51).

Le texte de 1966 réaffirmait l’intention de créer un Parlement écossais chargé des affaires internes, dont la fiscalité (Scottish Liberal Party 1970). Celui-ci bénéficierait du produit de tous les impôts (à l’exception des droits de douane et des droits d’accises) et verserait une contribution au budget britannique pour financer les services communs. Le Royaume-Uni serait transformé en État fédéral composé de quatre nations. En conséquence, la Chambre Haute représenterait les États fédérés, les députés écossais à la Chambre des Communes n’auraient plus le droit de voter les affaires ne concernant pas l’Écosse, et une Cour trancherait les différends entre État fédéral et États fédérés.

En 1968, Jeremy Thorpe déposa une proposition de loi visant elle aussi à créer un État fédéral, mais dans lequel l’Angleterre serait subdivisée. Chaque « province » disposerait de ressources propres, produits de divers impôts, et l’État central effectuerait des redistributions en fonction des ressources de chacune d’entre elles (Banks 1971 : 184). Cette divergence entre parti écossais et parti anglais sur la nature de l’État fédéral à créer fut à l’origine de multiples tensions. Les Écossais estimaient que leur « nation » devait pouvoir gérer ses affaires plus rapidement que les « régions » anglaises (Kellas 1989 : 118 ; Steel 70 : 86).

En 1970, les Libéraux écossais furent sollicités par la Commission Kilbrandon, mise en place par le gouvernement travailliste de Wilson en réponse à la percée nationaliste. Ils présentèrent un projet comparable à celui de 1966. Cependant, la Commission rejeta le fédéralisme dans son rapport publié en 1973 (Royal Commission on the Constitution 1973, 478-524). Elle mit en avant le manque d’enthousiasme des Écossais, des Gallois, et, plus encore, des Anglais. Elle souligna les obstacles théoriques, car le fédéralisme reposait sur des principes étrangers à la pratique constitutionnelle britannique (constitution écrite, souveraineté partagée, ressources propres). S’ajoutaient des difficultés pratiques dues à la progression de l’intervention de l’État dans la vie économique et sociale et au déséquilibre entre les nations du Royaume-Uni.

Les Libéraux, conscients de ces critiques, se déclarèrent prêts à accepter, dans un premier temps, un Parlement écossais non pas fédéré mais décentralisé (devolution législative). Ce type de réforme, alors envisagé par certains membres des partis conservateur et travailliste, fut retenu par la Commission Kilbrandon dans son rapport majoritaire. Néanmoins, le compromis libéral était plus décentralisateur que celui des grands partis, car le Parlement écossais disposerait de compétences étendues (économie, pétrole), le Parlement britannique perdrait tout pouvoir dans les affaires écossaises internes, et les députés écossais au sein de ce dernier auraient un droit de vote limité.

En outre, en 1968, David Steel avait publié des propositions (Out of Control) consistant à améliorer la déconcentration du pouvoir existante (devolution administrative) en instaurant une commission de contrôle (select committee) du Scottish Office à la Chambre des Communes, et en adaptant le Scottish Grand Committee, qui serait limité aux députés écossais, pourrait siéger en Écosse et poser des questions aux ministres (Steel 1970 : 85). Elles étaient plus acceptables par les grands partis politiques. Ainsi, le gouvernement Wilson créa un select committee en 1968. Cependant, les Conservateurs le supprimèrent en 1972, car ils étaient minoritaires en son sein. Le gouvernement Heath reporta toute réforme, dans l’attente du rapport de la Commission Kilbrandon. Les Travaillistes se déclarèrent plus ouverts après avoir emporté les élections de février 1974 avec seulement 4 sièges d’avance.

2. Le soutien des Libéraux aux gouvernements travaillistes minoritaires (1974-1979)

En 1974, les Libéraux obtinrent leur meilleur résultat électoral au plan britannique depuis 1929 (tableau 1). Mais les Libéraux écossais ne bénéficièrent pas de la poussée de leur parti en Angleterre ; c’est le SNP qui recueillit le vote protestataire. Cependant, les députés libéraux se retrouvèrent dans une position stratégique face au gouvernement travailliste qui, après les élections d’octobre 1974, disposait d’une majorité faible, qu’il perdit rapidement.

De nombreux Libéraux refusaient toute alliance avec un grand parti, craignant d’être phagocytés comme l’avait été leur parti sous Lloyd George. Leur position évolua sous l’influence de David Steel, leader à partir de 1976. Celui-ci regrettait l’absence de consultation de son parti sur une question centrale de son programme (Steel 1989 : 124). Il appréciait la coopération multipartite, qu’il avait déjà utilisée pour d’autres enjeux (notamment la légalisation de l’avortement en 1967) (Bogdanor 1981 : 159).

En février 1977, le gouvernement travailliste déposa une « motion de guillotine » destinée à mettre un terme aux multiples amendements qui freinaient l’examen parlementaire de son Scotland and Wales bill. Or il n’avait pas apporté les modifications souhaitées par David Steel lors de la deuxième lecture (Bogdanor 1979 : 154). L’Assemblée écossaise aurait été élue au scrutin majoritaire, consacrant la domination d’un parti, et aurait été soumise à une tutelle étroite de Westminster, au moyen de directives financières. Steel souligna que les seuls soutiens du gouvernement étaient les Nationalistes, qui espéraient atteindre leur objectif indépendantiste grâce à l’échec inéluctable de la réforme. De plus, le Conservateur Francis Pym proposa, avec l’appui de son leader Margaret Thatcher, une solution de rechange au projet travailliste, consistant à organiser une conférence multipartite sur la question (Mitchell 1996 : 126). En conséquence, les députés libéraux (à l’exception des deux Gallois) décidèrent de se désolidariser du gouvernement qui fut mis en minorité.

En mars 1977, David Steel opta pour la formation d’une coalition avec les Travaillistes, afin de démontrer sa capacité à régler les problèmes. Ses 13 députés ne feraient pas partie du gouvernement mais discuteraient avec les Travaillistes des projets des deux partis, dans le cadre de négociations, voire d’une commission formelle le cas échéant (Marsh 1990 : 292). Ce « Lib-Lab pact » dura jusqu’en juillet 1978. La devolution fut abordée lors de 18 réunions. Les Libéraux soutinrent la « motion de guillotine » sur le nouveau texte, déposée par le gouvernement en novembre 1977. N’ayant pas les moyens de concevoir un projet détaillé, ils utilisèrent les propositions d’un groupe de réflexion, l’outer circle policy unit, face à un gouvernement qui disposait de fonctionnaires compétents. Johnston, qui faisait partie des négociateurs aux côtés de George McKie, député écossais et Geraint Howells, député gallois, se laissa ainsi persuader du coût excessif de la collecte d’impôts en Écosse et de l’impossibilité de transférer des domaines entiers de compétences.

En dépit de cette disproportion, les Libéraux parvinrent à maintenir la devolution à l’ordre du jour (Drucker / Brown 1980 : 114) et à satisfaire 50% de leurs requêtes (Naughtie 1978 : 17). Le Livre blanc publié en juillet 1977 (Bogdanor 1979 : 158) comportait deux projets distincts pour l’Écosse et le pays de Galles, comme le souhaitaient les Libéraux écossais, contrairement à leurs homologues anglais et gallois qui, en se trouvant à l’écart de la dynamique en faveur de la devolution écossaise, craignaient d’être privés de toute réforme. Le texte écossais prévoyait le transfert d’un nombre accru de compétences (notamment au plan économique) et envisageait un financement garanti pour l’Assemblée écossaise ; le gouvernement travailliste ne pouvant accepter l’existence de revenus assignés à l’Écosse (en particulier les royalties du pétrole de la mer du Nord), il proposa la création d’une formule stable de calcul (qui deviendra la formule Barnett), évitant les négociations annuelles. Enfin, le texte réduisait les pouvoirs d’intervention du Secrétaire d’État à l’Écosse, membre du gouvernement britannique, sur les décisions de l’Assemblée écossaise, et confiait le règlement des différends à une instance judiciaire.

Les Libéraux renoncèrent à proposer une réforme de la représentation de l’Écosse à Londres (que l’on appelait désormais question de West Lothian), en raison de l’hostilité de nombreux Travaillistes qui perdraient un des fondements de leur puissance. Ils ne purent obtenir de réforme du mode de scrutin pour la nouvelle Assemblée. Ils préconisaient la représentation proportionnelle intégrale, qui avait également les faveurs de la Commission Kilbrandon. Selon ce Single Transferable Vote (STV), l’électeur désigne plusieurs députés (système plurinominal), et émet pour cela des préférences entre différents candidats (système préférentiel). Les sièges sont attribués à ces derniers en proportion des suffrages recueillis. Les Libéraux écossais tentèrent de mobiliser les députés qui, au sein de chaque parti, militaient en faveur de l’abandon du système uninominal majoritaire (first-past-the-post) (Proctor 1977 : 186).

Toutefois, le gouvernement promit seulement de ne pas donner de consigne de vote à ses députés, qui étaient, pour la plupart, hostiles à toute réforme d’un système leur permettant d’obtenir une majorité absolue de sièges avec une majorité relative de suffrages. Ils maintinrent donc le scrutin majoritaire pour l’Assemblée écossaise, mais approuvèrent des aménagements comme l’élection de 2 ou 3 députés dans les sièges existants et la scission en deux du siège des îles Orcades et Shetland. Jo Grimond, qui le représentait à la Chambre de Communes, fit accepter en janvier 1978 un amendement engageant le gouvernement à ne pas appliquer la devolution à ces îles si leurs habitants rejetaient le texte. Le gouvernement ne put le refuser au risque de s’aliéner ces derniers (Naughtie 1978 : 30). Néanmoins, en juin 1978, il obtint son remplacement par un amendement proposant un renforcement du droit de regard du Secrétaire d’État à l’Écosse sur les intérêts de ces îles après la devolution, ainsi qu’une Commission destinée à examiner leur statut (Perman 1979 : 62).

Le Scotland Act voté en juillet 1978 prévoyait l’organisation d’un référendum consultatif. Celui-ci avait été imposé au gouvernement dès le premier projet, en décembre 1976, par des députés gallois de sa majorité qui avaient trouvé un nouveau moyen de s’opposer à la réforme. En conséquence, les Libéraux ne furent pas consultés sur le fond. Ils purent seulement discuter de la date et de la tactique à adopter pour cette consultation.

3. Les Libéraux et le référendum de 1979

Pendant la campagne référendaire de 1979, l’exécutif du parti écossais laissa ses membres déterminer leur mode de soutien au projet (Macartney 1981 : 19). Les trois députés libéraux firent des choix différents. Russell Johnston faisait partie de la campagne multipartite Yes for Scotland, mais la quitta lorsqu’elle sembla dominée par le SNP, pour former Alliance for an Assembly avec d’autres députés favorables au texte, travaillistes (notamment Donald Dewar), voire conservateurs (Alick Buchanan-Smith). Néanmoins, l’élu local Donald Gorrie et des associations locales du parti (Argyll, Edimbourg, Dumfriesshire) demeurèrent au sein de Yes for Scotland. Jo Grimond se tint en retrait en raison de l’hostilité de ses administrés à l’égard du projet. David Steel, le plus favorable à la coopération multipartite, publia une déclaration avec le député travailliste de la circonscription voisine de la sienne. Le sous-comité du parti pour la devolution comportait également Malcolm Bruce, Ray Michie et James Wallace, futurs députés à la Chambre des Communes.

Les associations locales se montrèrent moins actives que leurs concurrentes nationalistes, mais furent plus impliquées que les travaillistes (Bochel / Denver 1981 : 45-50). Deux sur trois déclarèrent mener campagne (les autres s’abstinrent) et, parmi celles-ci, deux sur trois participèrent à des manifestations multipartites. Leurs moyens étaient nettement plus modestes que ceux des autres partis. Seul un militant sur deux se définissait comme enthousiaste (8% se déclarant très enthousiaste).

Cette attitude correspondait à celle des électeurs du parti. En 1974, 75% des électeurs libéraux préconisaient la création d’un Parlement ou d’une Assemblée en Écosse, pour gérer la plupart des domaines ou certains d’entre eux. Dès 1975, à la suite de la publication du premier projet du gouvernement travailliste, cette proportion chuta en deçà de 50%, et elle se maintint à ce niveau jusqu’en 1979 (Balsom / McAllister 1979 : 407).

Le 1er mars 1979, 51,6% des électeurs écossais approuvèrent le Scotland Act de 1978. Parmi les seuls électeurs libéraux, 34% firent de même, tandis que 39% le rejetèrent (Surridge / McCrone 1999 : 43). Or à l’époque, ces électeurs étaient plutôt issus des classes moyennes, plus proches du Parti conservateur que du Parti travailliste, se partageaient également entre ceux qui prônaient la devolution et ceux qui refusaient toute réforme (Brand et al. 1994, 219-224) ; seuls un peu plus de la moitié revendiquaient une identité écossaise (Paterson et al. 2001 : 110). Ces facteurs ne pouvaient suciter un réel engouement pour la loi. De plus, les régions qui votèrent majoritairement « non » (Borders et Dumfries & Galloway au sud, Orcades et Shetland au nord) constituaient des bastions libéraux ; leurs habitants craignaient la domination des régions centrales en l’absence de réforme du mode de scrutin.

Le Scotland Act de 1978 ne fut pas appliqué, car il n’avait pas recueilli une majorité de 40% d’électeurs inscrits. Confrontés aux tergiversations persistantes des Travaillistes, les Libéraux s’associèrent aux autres députés d’opposition pour renverser le gouvernement Callaghan (Naughtie 1979 : 47), ce qui entraîna des élections législatives emportées par les Conservateurs de Thatcher. Steel, toujours soucieux de compromis, sembla séduit par l’invitation de ces derniers à réunir le Scottish Grand Committee à Edimbourg (Kellas 1981 : 148). Mais ils refusèrent d’aller au-delà de la devolution administrative qu’il proposait en 1968. Quant au leader des Libéraux, il dut gérer des bouleversements au sein de son parti.

4. La devolution et le rapprochement des Libéraux et des Sociaux-démocrates (1981-1988)

À partir de 1981, les Libéraux formèrent une alliance électorale avec les Sociaux-démocrates issus d’une scission du Parti travailliste, qui déboucha en 1988 sur une fusion. Ces derniers évoquèrent la devolution parmi les raisons de leur rupture, suscitant la méfiance des premiers (McLean 2005 : 55-60). Puis ils tentèrent de démontrer que leur opposition se limitait aux modalités retenues par le gouvernement travailliste (restriction à l’Écosse et au pays de Galles). Ils se déclarèrent favorables à la création de 13 assemblées régionales élues à la représentation proportionnelle. Les Libéraux soulignèrent le caractère utopique d’un tel objectif, qui ne tenait pas compte de la diversité des situations en fonction des régions. Les Sociaux-démocrates préféraient la déconcentration en faveur des collectivités locales.

En 1982, lors de la campagne précédant l’élection partielle de Glasgow Hillhead, le Parti libéral de David Steel, nettement mieux implanté en Écosse que ses partenaires (qui ne disposaient en 1981 que d’un seul député, Robert McLennan), accepta de ne pas présenter de candidat à condition que le programme du SDP comporte une forme avancée de devolution (Edinburgh University Politics Group 1982 : 252). Ce dernier, représenté par Roy Jenkins, anglais et ancien ministre travailliste, tint sa promesse. À la suite d’une campagne très active des militants libéraux, il emporta le dernier siège des Conservateurs à Glasgow (tableau 2).

Par la suite, l’alliance électorale entre les deux partis obligea nombre de Libéraux à s’effacer, tel James Wallace, initialement investi dans le sud de l’Écosse avant d’être sélectionné dans les îles Orcades (où il conserva le bastion de Grimond). Le SDP reconnut la volonté de devolution écossaise (McAllister / Rose 1984 : 128) et s’associa à la coopération multipartite. Néanmoins, la priorité de l’époque était de s’affirmer comme un grand parti au plan britannique (ce qui impliquait une réforme du mode de scrutin), alors que cet objectif n’était pas réalisable en Écosse en raison de la domination travailliste (Levy 1992 : 123).

Le Parti libéral-démocrate conserva l’objectif fédéraliste des Libéraux. Sous l’influence des règles internes au SDP, le parti écossais obtint une représentation formelle au sein des instances fédérales, malgré la réduction de ses compétences sur les questions non écossaises. Cette structure interne clarifiée le prépara à la devolution.

5. La participation des Libéraux-Démocrates à la Convention constitutionnelle (1989-1995)

En mars 1980, lors du premier anniversaire du référendum, une Campaign for a Scottish Assembly (CSA) fut formée par quelques responsables politiques écossais, dont Ray Michie, alors vice-présidente du Parti libéral écossais. Des membres du SDP se joignirent à cette organisation qui se voulait un groupe de pression en faveur d’une Assemblée écossaise. Toutefois, les deux partenaires de l’Alliance estimaient encore que la réforme du mode de scrutin devait être prioritaire (McLean 2005 : 97).

En 1987, à la suite de la troisième victoire des Conservateurs au plan britannique et de leur nouvel effondrement en Écosse (10 députés sur 72), la CSA décida de rassembler un consultative steering committee composé de personnalités éminentes dont Judy Steel, épouse de David, organisatrice de festivals culturels. En 1988, cette commission publia un Claim of Right qui appelait à la formation d’une Convention constitutionnelle pour élaborer un projet de réforme institutionnelle. Cet appel fut entendu par les Partis libéral-démocrate et travailliste, et par la société civile.

Tous les élus libéraux-démocrates (députés et élus des collectivités locales) participèrent sans difficulté à cette Convention dont ils partageaient les fondements (remise en cause de la légitimité des gouvernements conservateurs à gouverner l’Écosse avec une minorité de députés), l’objectif (home rule) et les moyens (coopération) (Marr 1992 : 200). Ils acceptèrent de ne pas considérer la réforme du mode de scrutin comme une condition préalable à leur adhésion. Malcolm Bruce, leur leader, proclama la fin de la période de devolution (terme alors associé aux projets limités des années soixante-dix), au profit de l’ère du home rule (qui semblait pouvoir répondre aux aspirations de la population) (Wright 1997 : 117). David Steel devint co-président de la Convention, aux côtés de Harry Ewing, ministre travailliste chargé de la devolution au Scottish Office de 1974 à 1979. En outre, Moira Craig, vice-présidente du parti écossais, présida le CSA de 1993 à 1999, date de sa disparition.

Toutefois, cette stratégie engendra différentes difficultés pratiques. Au plan électoral, en novembre 1991, le Parti libéral sembla en tirer profit, car il emporta le bastion conservateur de Kincardine & Deeside devenu vacant à la suite du décès d’Alick Buchanan-Smith. Mais lors des élections législatives d’avril 1992, il dut le rétrocéder aux Conservateurs, tandis que ses autres députés furent reconduits avec des majorités réduites ; celle de Bruce passa de 9519 à 274 voix. Celui-ci en attribua la responsabilité à sa coopération avec les Travaillistes. Sous la pression de Steel, il avait maintenu sa participation et obtenu des concessions de ces derniers mais, à l’issue de ces longues réunions, il souhaitait prendre de la distance (Bruce 1994), d’autant qu’ il entretenait des relations difficiles avec Donald Dewar, leader des Travaillistes écossais. James Wallace, son successeur, se montra réservé en 1992-1993, estimant que la Convention avait atteint ses limites (Mitchell 1996 : 88). Il préférait un mouvement de masse, offrant aux Ecossais différents types de réformes (Lynch 1996 : 6). Il ne reprit sérieusement les négociations qu’en 1994, jusqu’au rapport final de 1995.

Les Libéraux-Démocrates écossais eux-mêmes n’étaient pas unanimes sur tous les sujets, notamment sur la finalité du projet. Bob McCreadie était à cet égard proche des Nationalistes. Ils ne réalisèrent que tardivement que le mouvement travailliste, loin d’être monolithique, était composé de multiples organisations avec lesquelles ils pouvaient s’accorder sur des points précis (Lynch 1998 : 25). Ainsi, ils entretenaient de bonnes relations avec la confédération syndicale STUC, qui applaudit Malcolm Bruce venu défendre la représentation proportionnelle en 1989. Le Scottish Labour Action, groupe de pression à l’intérieur du Parti travailliste, était favorable à un Parlement disposant de réels pouvoirs.

Les Libéraux-Démocrates écossais étaient autonomes par rapport à leur fédération britannique. Néanmoins, leur participation à une Convention dominée par les Travaillistes et fondée sur le rejet des politiques néo-libérales des Conservateurs les rapprochait des premiers, alors que le leader du parti britannique, Paddy Ashdown, préconisait l’équidistance entre les deux grands partis. De plus, Ashdown continuait à accorder plus d’importance à la réforme du mode de scrutin qu’à la création d’un Parlement écossais, priorité de son parti écossais.

S’agissant du contenu des discussions, à l’automne 1991, le député Menzies Campbell déposa une proposition de loi de home rule, destinée à faire valoir la position du parti (Scottish Liberal Democrats 1991). Or si l’on compare ce texte et le débat à la Chambre des Communes qui suivit son dépôt (House of Commons 1992) au premier rapport de la Convention constitutionnelle publié en 1990 (Scottish Constitutional Convention 1990), l’on constate que les Libéraux-Démocrates étaient parvenus à convaincre leurs partenaires sur de nombreux points. Bruce décrivit même la Convention comme « un forum pour nos idées » (Scottish Liberal Democrats 1992). Ils avaient obtenu des pouvoirs étendus pour le Parlement écossais (administration de la Sécurité sociale, compétences économiques), et des revenus assignés, correspondant au produit de l’impôt sur le revenu et de la TVA collectés en Écosse (que viendrait compléter une péréquation au plan britannique selon les besoins). Les îles pourraient bénéficier de structures particulières (les Libéraux-Démocrates précisaient qu’il s’agissait des îles septentrionales et des îles Hébrides à l’ouest, qui pourraient se voir déléguer des compétences). Ils avaient également obtenu une représentation écossaise de droit lors des négociations européennes et des garanties quant à la pérennité des institutions écossaises dans la loi britannique. Cependant, leurs partenaires avaient refusé certaines compétences (politique énergétique et mode de scrutin) et toute évocation de la question de West Lothian, en particulier la suppression du Secrétaire d’État à l’Écosse et la réduction du nombre de députés écossais à la Chambre des Communes.

Comme l’indique le rapport final de la Convention constitutionnelle publié en 1995, les Travaillistes revinrent sur certaines concessions, officiellement pour faciliter l’application du projet (Scottish Constitutional Convention 1995). Selon ce texte, le Parlement écossais disposerait de pouvoirs moins étendus (il serait consulté par le gouvernement britannique sur l’administration de la Sécurité sociale et sur les fusions d’entreprises). Il serait représenté à l’étranger par le gouvernement britannique (sauf dans certains cas) et financé par le budget britannique. Il n’était plus question de transfert aux îles, mais les îles Orcades et Shetland bénéficieraient chacune de leur siège au Parlement écossais. Néanmoins, les Libéraux-Démocrates firent préciser les ressources fiscales (pouvoir de variation de l’impôt sur le revenu britannique, dans la limite de 3%) et la pérennité des institutions (garantie par une déclaration solennelle). Ils s’assurèrent du règlement judiciaire et non politique des différends entre l’Assemblée écossaise et le Parlement de Westminster. Ils firent consacrer le principe de subsidiarité pour les domaines partagés.

Les Libéraux-Démocrates continuaient à préconiser le STV, pour assurer une représentation équitable de leurs bastions périphériques ruraux, dont les habitants s’étaient montés plutôt réticents en 1979 (Kennedy 1989 : 86). Dès le mois d’avril 1989, Bruce indiqua qu’il chercherait à éviter la création d’une Assemblée écossaise garantissant la domination du Parti travailliste et de ses principes socialistes (Taylor 1999 : 54). D’emblée, il souligna qu’aucun accord ne serait conclu en l’absence de réforme du mode de scrutin.

Cependant, conscients du rejet du STV par le Parti travailliste, les Libéraux-Démocrates élaborèrent en mars 1991 un système mêlant celui-ci et l’additional member system (AMS) (Waddell / Gorrie 1991 : 6-7), plus acceptable pour leur partenaire. Sur les 200 députés au Parlement écossais, 168 seraient élus au STV dans 44 circonscriptions de 2 à 5 députés, et 32 par AMS sur des listes régionales à la proportionnelle, afin de rééquilibrer les distorsions régionales entre voix et sièges (seules des circonscriptions de 8 à 12 députés garantiraient une réelle proportionnalité du STV mais elles affaibliraient le lien entre l’électeur et l’élu). Au sein de la Convention, les Libéraux-Démocrates firent de nouvelles concessions, approuvant le mécanisme prôné par les Travaillistes, selon lequel des élus supplémentaires s’ajouteraient à des élus directs, non pas selon le STV mais selon le scrutin uninominal majoritaire afin de pallier la sous-représentation des partis minoritaires. Or d’après des simulations effectuées à partir des résultats des élections législatives de 1992, les Libéraux-Démocrates auraient obtenu davantage de sièges avec l’AMS qu’avec le STV, car le premier aurait compensé leur déficit de représentation dans les régions centrales (Dunleavy et al. 1992 : 5-12).

Toutefois, les Libéraux-Démocrates rencontrèrent rapidement une autre difficulté, car les Travaillistes poursuivaient d’autres objectifs à travers l’AMS, notamment la parité complète hommes-femmes, qui pouvait être atteinte grâce au mode de scrutin majoritaire en vigueur, avec deux députés par circonscription. Les Libéraux-Démocrates soupçonnaient même leur partenaire d’utiliser ce stratagème pour éviter toute introduction de la représentation proportionnelle (Brown 1998 : 103). Or la proportionnalité de l’AMS dépend du nombre de députés supplémentaires par rapport au nombre d’élus au scrutin majoritaire. Au sein de la Convention, les Libéraux-Démocrates proposaient un Parlement écossais de 145 députés, comptant autant d’élus directs que d’élus régionaux, et refusaient toute contrainte dans le choix des candidats, alors que les Travaillistes cherchaient à réduire le nombre d’élus régionaux et à imposer une obligation de parité.

Ces positions divergentes provoquèrent de vives tensions, les Libéraux-Démocrates menaçant de quitter la Convention qui créa des groupes de travail de 1990 à 1992 puis une Commission constitutionnelle, dont les conclusions demeurèrent insatisfaisantes. En conséquence, alors que la Convention avait pour habitude de travailler par consensus entre tous ses membres, cette question ne put être réglée que par des discussions entre les organisations féministes des deux partis, et surtout par une rencontre entre leurs leaders, James Wallace et George Robertson, en septembre 1995. Ils s’accordèrent sur un Parlement de 129 députés (73 élus directs et 56 élus proportionnels) et sur un objectif de parité de candidatures (et non de députés), fondé sur le volontariat des partis.

La Convention constitutionnelle prévoyait l’application du rapport par ses signataires lorsqu’ils arriveraient au pouvoir.

6. Les doutes sur l’application du projet (1995-1997)

Dès 1995, le Parti libéral-démocrate émit des doutes sur l’application du rapport de la Convention constitutionnelle par des partis britanniques qui semblaient peu enthousiastes. Ces craintes se renforcèrent en juin 1996, lorsque Tony Blair, devenu leader du Parti travailliste, annonça que son prochain gouvernement organiserait un référendum, comportant deux questions, l’une sur la création d’un Parlement écossais, l’autre sur l’attribution de pouvoirs fiscaux limités définis par la Convention.

Son annonce suscita un tollé. James Wallace refusa un référendum qui allait à l’encontre de la légitimité que conférait l’élection ; il préférait une mention spéciale dans la loi pour garantir la pérennité de la réforme. Il critiqua la scission d’un projet global, craignant l’acceptation de la première question et le refus de la seconde qui, en privant le Parlement de toutes ressources propres, le rendrait irresponsable de ses décisions. Il affirma que dans ce cas, son parti voterait contre le projet à la Chambre des Communes (Wright 1997 : 247). Wallace et Steel s’indignèrent de l’absence de consultation de la Convention constitutionnelle, mais ils constatèrent rapidement que cette décision était également imposée aux Travaillistes écossais. C’est en effet Wallace qui apprit la nouvelle à John McAllion, député travailliste écossais chargé de ces thèmes (Jones 1997 : 14). Passé le premier mouvement d’humeur, Wallace renonça à demander des clarifications sur la deuxième question, comme l’y invitait son parti, pour éviter d’attiser les tensions (Wright 1997 : 247). Il s’engagea à ne pas retarder le vote de la loi organisant ce référendum (Dinwoodie 1997).

Les Libéraux-Démocrates menèrent une campagne distincte de celle des Travaillistes pour les élections législatives de mai 1997. Ils accordèrent la priorité à la réforme institutionnelle en traitant la question de West Lothian (abolition du Secrétaire d’État à l’Écosse, réduction du nombre de députés écossais à la Chambre des Communes et limitation de leur droit de vote). Ils surent concentrer leurs moyens sur un petit nombre de cibles et profitèrent de l’effondrement des Conservateurs qui perdirent toute représentation en Écosse. Ainsi, malgré la retraite de David Steel et Russell Johnston qui bénéficiaient de votes personnels, ils obtinrent 10 sièges (dont Kincardine & Deeside, devenu West Aberdeenshire & Kincardine), devenant le deuxième parti en Écosse (tableau 1).

Le Parti travailliste emporta ces élections. Conformément à son engagement, Tony Blair mit en place, au sein du Cabinet, une commission de réflexion sur les institutions, et annonça un référendum en Écosse pour le 11 septembre.

7. Les Libéraux-Démocrates et le référendum de 1997

En juillet, le gouvernement publia un Livre blanc (Scottish Office 1997). Celui-ci reprenait le dernier projet de la Convention constitutionnelle. Certes, il défendait la souveraineté britannique (notamment sur la représentation auprès des instances européennes), mais il consacrait l’AMS et ouvrait une possibilité de réduction de la représentation écossaise à Londres. Wallace affirma qu’il apportait des améliorations aux lacunes du texte de 1995 (Webster 1997). En conséquence, les Libéraux-Démocrates acceptèrent de le défendre.

Pendant la campagne référendaire, les Libéraux-Démocrates se joignirent à la campagne multipartite Scotland Forward, qui comprenait leurs partenaires au sein de la Convention constitutionnelle, ainsi que le SNP favorable à cette réforme qui pourrait constituer une première étape vers l’indépendance. Les associations locales du parti se montrèrent plus actives qu’en 1979 (Denver et al. 2000 : 104). 82% d’entre elles prirent part à la campagne en faveur du projet (les autres s’abstinrent, mais sans le dénigrer). Seules 25% se tinrent à l’écart des autres partis. Leurs moyens demeuraient plus modestes que ceux de leurs adversaires, même si les Libéraux bénéficiaient de structures organisées dans les 10 sièges qu’ils détenaient. 68% des militants se décrivaient comme enthousiastes.

Cette attitude se retrouva chez les électeurs du parti. 45% votèrent en faveur du projet, tandis que 32% le rejetèrent (Surridge / McCrone 1999 : 43). La classe moyenne, prédominante parmi eux, était devenue favorable à la réforme. De plus, ces électeurs se sentaient désormais plus proches du Parti travailliste que du Parti conservateur, et seule une faible minorité refusait toute réforme institutionnelle (Brand et al. 1994 : 220-221). La plupart d’entre eux revendiquaient leur identité écossaise (Paterson et al. 2001 : 100).

Le projet reçut l’approbation de 74,3% (première question) et 63,5% (deuxième question) des Ecossais. Toutes les régions votèrent « oui », même si la périphérie (Dumfries & Galloway, Orcades) fut plus réticente, notamment à l’égard des pouvoirs fiscaux. Ceci explique la corrélation négative (-0,59) entre les suffrages exprimés en faveur des Libéraux-Démocrates en mai 1997 et le vote pour le projet (Denver et al. 2000 : 137). Cette approbation ouvrit la voie vers la réforme.

8. Les Libéraux-Démocrates et les nouvelles institutions (1997-2007)

À la suite du référendum, le gouvernement Blair déposa un projet de loi, discuté au Parlement avec le soutien des Libéraux-Démocrates. James Wallace veilla particulièrement à la réforme du mode de scrutin et au nombre de députés au Parlement écossais (Taylor 1999 : 87). Ce nombre étant lié à celui des élus écossais à Westminster, la diminution de ces derniers, qui n’était pas exclue, était lourde de menaces.

Pendant la campagne électorale de 1999, pour les premières élections au Parlement écossais, les Libéraux-Démocrates se préparèrent à entamer des discussions avec le parti qui obtiendrait le plus grand nombre de sièges (l’AMS rendant impossible toute majorité absolue). Néanmoins, James Wallace estima qu’il était impossible de discuter avec un parti promettant un référendum sur l’indépendance. Restaient donc les Travaillistes, qui avaient aussi les préférences de Paddy Ashdown, mais celui-ci n’avait pas de pouvoir sur le parti écossais (Taylor 1999 : 196).

À l’issue de la victoire des Travaillistes (tableau 3), les négociations se tinrent en Écosse, du 13 au 17 mai 1999, sous la direction de Donald Dewar et James Wallace, deux juristes de formation qui entretenaient de bonnes relations personnelles. Wallace, assisté de Ross Finnie, Nicol Stephen et Ian Smith, les avait préparées en commandant une étude préalable. Il dut rendre des comptes à son groupe parlementaire et à l’exécutif de son parti à chaque étape (Finnie / McLeish 1999 : 51), jusqu’à l’accord final (Dewar / Wallace 1999).

Les Libéraux-démorates constituaient près de 20% du premier exécutif formé en 1999 ; James Wallace devint vice Premier ministre. Ils estiment que cela leur a permis de faire appliquer la moitié de leurs engagements, dont les plus emblématiques, l’abolition des droits d’inscription universitaires (2001) et des frais de soins personnels aux personnes âgées (2002). Ils firent des premiers une condition préalable à leur participation à la coalition. Les Travaillistes acceptèrent de confier la question à une commission indépendante qui proposa un compromis, consistant à reporter à l’entrée dans la vie active le paiement d’une somme forfaitaire et encadrée. Les Travaillistes durent céder sur ces deux réformes pour se maintenir au pouvoir car elles étaient également approuvées par les deux autres partis, le SNP (principal parti d’opposition) mais aussi les Conservateurs. Cependant, les Libéraux-Démocrates ne purent obtenir l’utilisation du pouvoir fiscal du Parlement pour financer ces politiques, qui dépendaient donc intégralement des fonds provenant du budget britannique.

En outre, James Wallace a piloté, en accord avec Dewar, une réforme visant à réduire l’influence des grands propriétaires fonciers écossais, en facilitant les possibilités d’achats collectifs de domaines ruraux par les communautés locales, sur fonds publics. Elle fut votée en 2003 en dépit des pressions des propriétaires et de leurs alliés conservateurs.

Wallace reconduisit la coalition à l’issue des élections de 2003 (McConnell / Wallace 2003), malgré les réserves manifestées au sein de son parti. Ce dernier s’inquiétait de l’absence de progrès sur l’introduction de la représentation proportionnelle intégrale (STV) aux élections aux collectivités locales, qui suscitait des réticences chez les Travaillistes car elle mettrait un terme à leur domination. La réforme fut finalement votée en 2004.

De 1999 à 2007, malgré leur position de quatrième parti écossais (tableau 3), les Libéraux-Démocrates ont pu influer sur les politiques publiques, en se distinguant d’un simple groupe de pression comme ils le souhaitaient (Roddin 2004 : 43). Ils n’ont pas subi de conséquences électorales de leur association avec les Travaillistes ; ils ont même accru leur représentation parlementaire aux élections à la Chambre des Communes de 2005 (tableau 1). Ils ont su mettre en avant leur bilan sur des réformes populaires, tout en prenant leur distance sur d’autres questions. Ils ont démontré leur capacité à gouverner et à promouvoir l’Écosse rurale aux côtés d’un Parti travailliste dominé par les régions centrales urbaines (Lynch 2002 : 88). Ils n’ont pas négligé les réformes institutionnelles, mais ne paraissaient plus obnubilés par elles. Quelques députés ont ignoré les consignes de votes, mais sans perturber le fonctionnement de la coalition. James Wallace est parvenu à composer avec trois Premiers ministres travaillistes, Dewar, Henry McLeish (2000-2001) et Jack McConnell (2001-2007).

Forts de ses résultats, lors des troisièmes élections au Parlement écossais, en 2007, les Libéraux-Démocrates semblaient vouloir rester en retrait du gouvernement. Nicol Stephen, leur leader, écarta toute discussion avec le SNP arrivé en tête. Il avança le même motif que Wallace en 1999, le refus d’un parti prônant un référendum sur l’indépendance. Il rejeta autant la méthode (référendum) que la finalité (démantèlement du Royaume-Uni).

En outre, les Libéraux-Démocrates écossais poursuivirent leur réflexion sur la décentralisation. David Steel, après avoir quitté la présidence du Parlement écossais en 2003, prit la tête d’une commission à l’intérieur de son parti, aux côtés d’autres adhérents de premier plan, responsables politiques ou économiques. Elle rendit ses conclusions en 2006 (Steel Commission 2006 : chapitre 5). Elle se fondait sur les évolutions institutionnelles depuis 1999, telles que la réforme du mode de scrutin pour les élections locales ou le transfert de compétences sur les chemins de fer de Westminster à l’exécutif écossais (2005), pour proposer la décentralisation d’autres domaines, la politique énergétique et surtout les impôts (notamment l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés), car aucun Parlement ne peut être financé que par des revenus de transfert. La péréquation des revenus au plan britannique serait maintenue, sous l’égide d’une Commission des nations et des régions. Le Parlement écossais devrait pouvoir gérer le mode de scrutin permettant son élection, et ses modalités de fonctionnement. On pourrait éventuellement envisager le transfert d’autres compétences (audiovisuel, politique d’asile et d’immigration), l’abolition du Secrétaire d’État à l’Écosse, et une Constitution écrite qui accorderait des garanties quant à la pérennité des institutions et conférerait un statut précis à chaque institution.

Ainsi, les Libéraux-Démocrates reprenaient les objectifs qui n’avaient pas été retenus au sein de la Convention constitutionnelle et appelaient, pour les atteindre, à la formation d’une seconde Convention en 2009. Ces souhaits pourraient être entendus par le Premier ministre écossais Alex Salmond, car ils sont plus susceptibles de recueillir l’approbation de la population que l’accession à l’indépendance, politique officielle de son parti.

Conclusion

Au cours des débats sur la dévolution du pouvoir à l’Écosse, les Libéraux / Libéraux-Démocrates écossais se comportèrent comme un petit parti, désireux d’obtenir les concessions maximales à leur avantage, afin de jouer le rôle de pivot. Cela les conduisit à agir par opportunisme, saisissant toutes les occasions qui se présentaient. Néanmoins, ils parvinrent ainsi à faire appliquer des éléments essentiels de leur programme et surent effectuer les concessions nécessaires pour atteindre leur objectif, la création d’un Parlement écossais.

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Annexe

Annexes : résultats électoraux

Tableau 1 : Les résultats des Libéraux-Démocrates et du SNP aux élections législatives britanniques

  Libéraux-Démocrates (Royaume-Uni) Libéraux-Démocrates (Écosse) SNP (Écosse)
  Proportion des suffrages Députés libéraux-démocrates (Total de députés) Proportion des suffrages (Nombre de candidats) Députés libéraux-démocrates (Total de députés) Proportion des suffrages (Nombre de candidats) Députés SNP (Total de députés)
1945 9 12 (640) 5 (22) 0 (71) 1,2 (8) 0 (71)
1950 9,1 9 (625) 6,6 (41) 2 (71) 0,4 (3) 0 (71)
1951 2,6 6 (625) 2,7 (9) 1 (71) 0,3 (2) 0 (71)
1955 2,7 6 (630) 1,9 (5) 1(71) 0,5 (2) 0 (71)
1959 5,9 6 (630) 4,1 (16) 1 (71) 0,8 (5) 0 (71)
1964 11,2 9 (630) 7,6 (26) 4 (71) 2,4 (15) 0 (71)
1966 8,5 12 (630) 6,8 (24) 5 (71) 5 (23) 0 (71)
1970 7,5 6 (630) 5,5 (27) 3 (71) 11,4 (65) 1 (71)
F 74 23,6 14 (635) 7,9 (34) 3 (71) 21,9 (70) 7 (71)
O 74 18,3 13 (635) 8,3 (34) 3 (71) 30,4 11 (71)
1979 13,8 11 (635) 9 (43) 3 (71) 17,3 2 (71)
1983 25,4 23 (650) 24,5 8 (72) 11,8 2 (72)
1987 22,6 22 (650) 19,2 9 (72) 14 3 (72)
1992 17,9 20 (651) 13,1 9 (72) 21,5 3 (72)
1997 16,8 46 (659) 13 10 (72) 22,1 6 (72)
2001 18,3 52 (659) 16,4 (71) 10 (72) 20,1 5 (72)
2005 22 62 (646) 22,6 (58) 11 (59) 17,7 6 (59)

Tableau 2 : Les résultats des élections législatives partielles gagnées par les Libéraux (précédés de ceux de l’élection générale précédente, et suivis de ceux de l’élection générale suivante)

Glasgow Hillhead Participation Conservateurs Travaillistes Alliance SNP
1979 75,7 41,1 34,4 14,4 10,1
25/03/82 76,4 26,6 25,9 33,4 11,3
1983 71,9 23,6 33,3 36,2 5,4
Kincardine & Deesside Participation Conservateurs Travaillistes Libéraux-Démocrates SNP
1987 75,3 40,6 15,9 36,3 6,4
7/11/91 67 30,6 7,7 49 11,1
1992 78,8 43,7 9,1 35,1 11,3

Tableau 3 : Les résultats des Libéraux-Démocrates aux élections au Parlement écossais

  Scrutin majoritaire Scrutin de liste Ensemble
  Proportion des suffrages Députés libéraux-démocrates (Total de députés : 73) Proportion des suffrages Députés libéraux-démocrates (Total de députés : 56) Députés libéraux-démocrates (Total de députés : 129)
1999 14,2 12 12,4 5 17
2003 15,4 13 11,8 4 17
2007 16,2 11 11,3 5 16

Citer cet article

Référence électronique

Edwige Camp, « Les Libéraux écossais et la devolution », Textes et contextes [En ligne], 1 | 2008, publié le 01 janvier 2008 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=117

Auteur

Edwige Camp

Université de Valenciennes, Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences humaines, Le Mont Houy, 59313 Valenciennes Cedex 9

Droits d'auteur

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