John Bale, Sports Geography

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John Bale, Sports Geography, Londres, Spon, 1989, 268 p.

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John Bale est décédé en octobre 2023 à l’âge de 83 ans. Cette disparition est intervenue après celle d’un autre grand géographe du sport, Jean-Pierre Augustin, et a marqué la fin d’une époque. Celle d’une période où écrire sur la géographie du football et du sport en général relevait du parcours du combattant tant la justification devait être permanente. Une justification du sujet (en quoi est-ce géographique ?), une justification scientifique (pourquoi s’intéresser au football ?). On était bien loin de l’évidence qui s’est imposée par la suite et l’on mesure très mal le vide intellectuel qui surprenait le jeune étudiant du début des années 90 et ses premières interrogations sur la géographie du football : elles le plongeaient dans un abîme de perplexité bibliographique. En cartographiant manuellement des clubs de football, les lieux de naissance des joueurs ou la localisation des stades, on pouvait pourtant percevoir une montagne de questions et un potentiel évident de géographies. Il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent, hormis l’Atlas des Sports de Daniel Mathieu et Jean Praicheux paru en 1989 et les premiers écrits de Jean-Pierre Augustin, bien plus consacrés au rugby ou au surf qu’au football. Mais un autre nom sortait des fiches cartonnées : John Bale.

Un géographe pragmatique

Depuis la fin des années 70, le géographe anglais s’était intéressé au sport dans un but très pragmatique comme Bale l’explique dans l’introduction de l’ouvrage :

When I started studying sport I tented to use it to teach geography. I found that allusion to sport, a pervasive feature of modern society, helped motivate my students and make my geography classes more interesting.

Enseignant dans un cursus de sciences de l’éducation, il pratiquait ce que nombre d’entre nous avons utilisé dans nos propres enseignements pour augmenter la palette des applications et, il est vrai, se faire aussi plaisir. Passionné de sport et de course à pied, John Bale se rendait compte du formidable potentiel qu’était une culture sportive partagée par bon nombre d’étudiants afin de transmettre les fondamentaux de la discipline. Ou comment une culture populaire raillée par un certain élitisme méprisant, pouvait aider dans la compréhension des enjeux contemporains, vaste programme auquel toutes les disciplines des sciences humaines étaient à l’époque confrontées. Cette utilisation pédagogique n’était certainement pas étrangère au fait que John Bale enseigna dans un département de sciences de l’éducation, de l’université de Greenwich (1972-1978) puis de Keele (1979-2005) après avoir professé dans le secondaire.

Ces expériences l’ont poussé à la rédaction d’un premier ouvrage en 1982 (Sport and place: a geography of sports in England, Scotland and Wales) dans lequel il utilisait la cartographie pour placer le sport, et le football en particulier, sur des cartes qui visualisaient des interrogations. Il montrait que la pratique sportive variait régionalement, que les clubs professionnels de football s’étaient diffusés progressivement à l’ensemble du pays à partir du nord-industriel, que toute une géographie transparaissait à partir de cartes et que les explications proposées ne restaient pour l’instant que des hypothèses à susciter des recherches. Mathieu et Praicheux reprirent en 1989 ce principe d’une manière systématique à l’échelle de la France, suscitant chez leurs lecteurs de multiples ouvertures et interrogations pour comprendre toutes ces cartes originales.

En 1989, John Bale synthétisa son travail de plus d’une décennie dans Sports Geography, ouvrage qui sera réédité et augmenté en 2003 suite au succès et à l’évolution significative du champ disciplinaire. Le football n’en est pas le principal objet mais il est toujours sous-jacent comme une matrice de la réflexion agrémentée de nombreux exemples. Bale montra qu’au-delà des différents sports, l’analyse géographique pouvait être globale car armée de concepts forts et originaux.

Légitimer l’analyse géographique

Sports Geography est une référence car l’ouvrage s’engage sur une terre bien méconnue. Outre que la géographie reste à l’époque en retard dans son appréhension du sport, la discipline est mal connue, source de mésentente et d’indifférence. John Bale entend démontrer que cette problématique fondée sur la localisation est légitime et, en retour, offre un nouveau terrain de jeu.

L’ouvrage est d’abord anglo-saxon car l’auteur est monolingue et, tout à son honneur, s’en excusera par la suite. Il s’inspire des travaux du géographe américain, John F. Rooney, qui avait initié un travail préalable sur les sports « US » mais qui restait bien trop descriptif. Bale synthétise cette première connaissance et l’européanise, introduisant le cricket, le rugby et bien entendu le football, soit par ses propres travaux, soit par le biais d’autres auteurs anglo-saxons, souvent isolés d’un point de vue académique. En revanche, pas d’auteurs non-anglophones ; ils seront ajoutés lors de la deuxième édition en 2003. Pour le lecteur francophone, dans une époque pré-internet, c’est l’occasion de découvrir ces recherches. John Bale intègre tout cela dans une conceptualisation géographique posant les références pour les études à venir.

L’ouvrage est composé de sept chapitres. Le premier définit les liens entre l’espace géographique et le sport à travers l’idée que tout événement, toute action sportive est localisée. Que cela soit par les limites d’un terrain de jeu, dans une zone climatique donnée, dans un espace symbolique, le lieu impose au sport des congruences qui en font l’identité. La localisation agit sur la performance comme le montre l’exemple de l’avantage à domicile, observé dans de bien nombreuses disciplines dont le football. Le chapitre II expose le concept géographique de diffusion. À travers celui-ci, le sport est appréhendé comme un élément culturel dont l’émergence en tant qu’innovation s’est diffusée au monde en utilisant la proximité, les routes migratoires, la domination politique, les hiérarchies urbaines, soit par différents modèles qui, combinés entre eux, ont plus ou moins facilité sa propagation.

Le chapitre 3 pose les principes de la régionalisation ou, du moins, propose une méthodologie multi-scalaire pour identifier les zones de forces ou de faiblesse des pratiques sportives. Bale introduit notamment l’idée de « production » de sportifs par un territoire et, à travers l’exemple des footballeurs professionnels en Angleterre, il montre comment leur géographie a changé depuis les années 50. D’une origine principalement localisée dans les régions industrielles et minières du pays, elle s’est progressivement homogénéisée au profit des métropoles et du sud du pays, illustrant les dynamiques de la population et des activités au Royaume-Uni. Perçu déjà dans les années 80, le phénomène allait s’amplifier par la suite.

Le chapitre 4 s’intéresse à la localisation des lieux sportifs dans une démarche très positiviste et, plus particulièrement, ceux des sports d’équipe. Bale s’inspire de la vieille théorie des lieux centraux (Walter Christaller) à savoir un modèle distribuant les services à la population sur un territoire selon une répartition hiérarchique illustrée par la taille des villes. Il envisage que les clubs sportifs suivent aussi une distribution spatiale hiérarchisée. Ainsi dans le cas du football, les clubs amateurs se localisent en fonction de la population, des villages aux villes. Mais à mesure que l’on monte dans la hiérarchie sportive, seules les plus grandes agglomérations ont la capacité d’accueillir les clubs les plus prestigieux. Cette idée est assez intuitive, s’observe facilement et Bale a le mérite d’en proposer un cadre théorique. Si les métropoles disposent des meilleurs et du plus grand nombre de clubs professionnels, c’est qu’elles disposent d’une zone de chalandise leur permettant de générer des revenus importants en disposant de stades de très grandes capacités. Bien entendu, cette proposition sera affinée par la suite, mais l’auteur valide cette idée visionnaire fortement inspirée par les sports professionnels nord-américains. D’ailleurs, il développe ensuite une analyse des processus de relocalisations à l’œuvre dans les franchises nord-américaines qui montrent l’idée d’une adaptation permanente aux évolutions du marché.

Les trois derniers chapitres s’intéressent à une géographie du sensible considérant les lieux au travers des acteurs qui les habitent et les imaginent. Que cela soit par la description des trajets effectués par les supporters de football avant et après une rencontre, à travers l’architecture des stades ou la configuration des lieux sportifs, la géographie utilise ici l’imaginaire et les cartes mentales. Bale montre brillamment comment cette symbolique des lieux est un élément majeur de la dimension sportive, comment elle participe à la création de ces haut-lieux dont l’exploitation deviendra un élément essentiel de nos sociétés contemporaines.

Un classique fondateur

Trente-cinq ans après sa publication, l’ouvrage est devenu sans aucun doute un classique. D’abord il a eu des dérivés. Une deuxième publication augmentée, notamment des nombreux travaux suscités par la première, est publiée en 2003. En 1993, il développe dans Sport, Space and the City, une application plus spécifique au football britannique où il décrit et explique les processus géographiques à l’échelle des villes en termes de localisation des stades ou de l’impact des supporters sur les espaces environnants. L’ouvrage inspirera aussi d’autres géographes comme Jean-Pierre Augustin qui, avec Sport, géographie et aménagement, Paris, Nathan, 1995 puis Géographie du sport. Spatialités contemporaines et mondialisation, Paris, Armand Colin, 2007 et mondialisation, en développera les principaux éléments dans un monde plus francophone.

Sports Geography reste le marqueur de son époque où tout était à inventer, un temps où la simple cartographie d’un évènement lié au football faisait surgir une interrogation, une question de recherche. L’ouvrage brasse tout un éventail de concepts géographiques unifiant la discipline autour d’un nouvel objet qu’il fallait analyser. Bien que la place du football n’y soit pas prépondérante, toutes les idées s’y appliquent parfaitement et ont permis par la suite d’utiliser l’ouvrage comme une boîte à outils pour le comprendre. Alors oui, John Bale examine beaucoup de choses et l’on peut regretter le manque d’approfondissement. Ce n’était pas le but de l’ouvrage, envisagé d’abord comme un manuel à l’usage des étudiants et chercheurs.

Mais, surtout, l’évolution majeure est la formidable acceptation des idées développées à l’époque dans une relative indifférence. Quand John Bale se justifiait quand il affirmait que le football avait sa propre géographie, la légitimité n’est plus aujourd’hui en débat. Tous les concepts présentés ont connu depuis la révolution du big-data et de l’accessibilité des données, un formidable développement. À l’époque, établir une simple carte des clubs de football nécessitait des semaines de travail pour trouver la localisation des équipes aperçues dans des classements sportifs. Déterminer les origines géographiques des joueurs obligeait à saisir manuellement les Football Handbooks et autres annuaires d’avant ou d’après saison. L’essor du big-data a permis la création de bases de données spatialisées et rendu possible la réalisation des analyses proposées par John Bale à des échelles inenvisageables à l’époque. Mais l’évolution la plus inattendue se trouve peut-être dans une vision de l’espace qu’il avait juste suggérée, celle du terrain comme surface d’analyse du jeu. Avec les capteurs GPS et la reconnaissance vidéo, les joueurs sont désormais positionnés en direct sur la pelouse et chaque évènement (tir, tacle, passe, …) est connu par ses coordonnées x, y (voir z). Avec cet afflux de données, les méthodes de l’analyse spatiale ont été convoquées permettant de nouvelles analyses tactiques et de performances. La géographie a trouvé un débouché original et lucratif qui a fait entrer le jeu dans une autre dimension. Et les notions de « distance parcourue », « positionnement moyen sur le terrain », « expected goals », « heat map » parlent aujourd’hui à tous les acteurs du jeu !

Illustrations

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Loïc Ravenel, « John Bale, Sports Geography », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 5 | 2024, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=846

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Loïc Ravenel

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