Un talent scout prend la plume pour nous livrer un long aperçu (plus de 500 pages) sur son métier. Dans Recruteur, Enzo Djebali synthétise l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour mieux connaître son métier et comprendre son importance dans le football professionnel. Le travail du recruteur consiste à prendre connaissance des caractéristiques de plusieurs centaines de joueurs par an, à les analyser et à les proposer au club qui l’emploie en fournissant des rapports préparant la prise de décision. Le rôle du recruteur est bien relativisé en détaillant son rôle de source d’information pour les dirigeants : président (en général dépourvu de compétences techniques) et/ou directeur sportif, si celui-ci dispose des connaissances nécessaires sur l’état des finances du club. L’absence de prise de décisions par le recruteur, qui joue un rôle comparable à celui d’un consultant externe en entreprise, explique le niveau assez bas de sa rémunération, ce que l’auteur regrette manifestement.
Il n’existe pas de formation spécifique à ce métier. Les recruteurs viennent donc le plus souvent d’une fonction technique : Enzo Djebali est un ancien joueur de niveau régional devenu collaborateur d’agent, puis recruteur. Les barrières à l’entrée de la profession de cadre technique obligent la majorité des postulants au DEPF1 à se reconvertir dans une autre voie liée au football de haut niveau. L’auteur souhaiterait clairement qu’il existe un diplôme ou un certificat de recruteur de club professionnel et s’efforce de définir les compétences et les savoir-faire qui pourraient être développés par une telle formation. Nous ne pouvons que nous féliciter qu’y figure une connaissance étendue de l’histoire du football. La place des biais cognitifs dans l’analyse est également évoquée de manière intéressante, le bon recruteur sachant les identifier et s’efforcer de les éviter sous le coup de la passion du match ou d’une action particulièrement spectaculaire.
De nombreux conseils pratiques intéressants, tirés de l’expérience de l’auteur sont également prodigués au fil des pages. Enzo Djebali affirme qu’un club doit privilégier la stabilité de l’effectif et le recrutement interne à l’externe. Pour lui, on ne doit pas en renouveler plus de 30 % des joueurs à l’intersaison, en s’appuyant sur les exemples récents de Brest (réussite) et de Chelsea (échec). La politique de recrutement évolue. Grâce à la multiplicité des sources d’information, les clubs peuvent surveiller des dizaines de championnats étrangers et recruter des joueurs de plus en plus jeunes, moins chers, aussi pour qu’ils n’aillent pas renforcer les effectifs des concurrents. Mais quand un joueur devient trop fort suite à une série de bonnes performances, le recruteur doit déterminer quand il devient financièrement inaccessible pour son club.
L’auteur insiste aussi sur l’adaptation du nouveau joueur au contexte représenté par le club qui s’attache ses services. Il insiste sur cinq facteurs de performance : physique, technique, tactique, mental et cognitif et sur la collecte des informations sur la personnalité des joueurs étudiés, notamment auprès de son réseau. L’adaptation de la famille d’un joueur à son nouvel environnement est un critère de succès souvent négligé par les clubs, surtout en Angleterre où Didier Drogba et Ángel Di María ont décrit leurs difficultés et celles de leur famille, poussant l’Argentin à quitter prématurément Manchester United. Les différents exemples de ce type sont des points forts de l’ouvrage. Très détaillées, elles permettent d’observer le recul pris par Enzo Djebali sur la pratique de son métier. La détection du potentiel est un autre atout du recruteur. Un excellent exemple est celui d’un joueur observé au cours d’un match de Youth League où il est médiocre, mais en s’appuyant sur ses qualités fondamentales, il progressera et deviendra international français, puisque c’est de Presnel Kimpembe dont il s’agit.
La création et le maintien d’un réseau sont justement évoqués comme des conditions nécessaires pour travailler efficacement. Le réseau est à la fois une source d’information et une manière de trier l’abondance de données à la disposition du recruteur. Outre les visionnages au stade ou en vidéo, le recruteur doit utiliser les statistiques de façon raisonnée. L’exemple du travail particulièrement original (et du succès) de Damien Comolli à Toulouse est remarquablement décrit et analysé, notamment le choix de joueurs méconnus venant de championnat de second plan. Un calendrier détaillé des activités successives du recruteur dans une saison complète un ensemble de qualité.
Quelques critiques peuvent toutefois être formulées. On peut ainsi regretter que, dans les multiples exemples évoqués, la réussite d’un joueur dans un club soit systématiquement évaluée en recherchant le delta entre son coût d’achat et la somme encaissée par le club quitté à son départ. Par exemple, le succès sportif d’un Thierry Henry statufié à Arsenal est bien plus important que le bénéfice brut de 8 millions d’euros tiré de ses transferts entrant et sortant. Les nombreux témoignages figurant dans l’ouvrage relèvent d’ailleurs de l’entourage de l’auteur, ce qui est à la fois un point positif en raison de leur qualité mais aussi un inconvénient car ils révèlent l’incapacité de l’auteur à s’extraire de son réseau. Le livre souffre également de défauts de forme qui auraient probablement pu être résolus avec l’aide d’un spécialiste de la relecture des manuscrits. Il renvoie régulièrement à un chapitre antérieur ou postérieur, sans doute car le plan de l’ouvrage est trop confus. On y trouve aussi des répétitions d’idées (comme la nécessité qu’un recruteur ait une expérience d’éducateur de jeunes) énoncées sans qu’une justification complète soit rassemblée comme il conviendrait plutôt.
Quoi qu’il en soit, encore jeune (33 ans), Enzo Djebali signe un premier livre bourré d’informations sur son métier et la politique de recrutement des clubs professionnels. Même s’il recèle des défauts dans l’écriture, il s’agit toutefois d’un travail intéressant et original dont la lecture doit être conseillée aux économistes du football, mais aussi à tous ceux et à toutes celles passionnées par l’envers du décor du premier sport de la globalisation.