Il est rare qu’un livre sur le football soit écrit par un ancien élève d’HEC, passé à la fois par McKinsey et la gestion d’un club de football professionnel. C’est pourtant le profil de Fabrice Bocquet, qui nous propose un ouvrage tiré de son expérience de directeur général du FC Lorient (FCL) entre 2009 et 2011, puis entre 2015 et 2020, périodes qui ont vu le club breton monter deux fois en Ligue 1. Tirant profit de son expérience de consultant et de sa connaissance du football, qu’il a pratiqué à un haut niveau en équipes jeunes, l’auteur nous raconte comment il a transposé au monde du football des méthodes ayant démontré leur efficacité en entreprise.
Un club de football est une PME productrice d’émotions, générant un impact médiatique mesuré par sa présence sur les réseaux sociaux. Si une entreprise de divertissement cède à leur pression, elle court à l’échec, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de l’aléa sportif dans une discipline où, en moyenne, moins de trois buts sont inscrits par match. À son arrivée au FCL, M. Bocquet réalise la difficulté de sa tâche quand il se rend compte que la taille de l’agglomération détermine largement celle du budget qu’il devra gérer, ce qui limite les ambitions. Il modifie la portée des objectifs et veut voir au-delà de l’horizon de la saison sportive. En 2017, le FCL descend en Ligue 2. Préparés à cette échéance inéluctable à moyen terme, les salariés du club ont mis en place des contrats en tenant compte de la baisse des recettes commerciales, des droits de retransmission télévisée et des indemnités de transfert. Mais la gestion de M. Bocquet avait auparavant généré deux années de bénéfices. Malgré cela, le FCL ne remontera en Ligue 1 qu’en 2020. Une saine gestion ne donne pas toujours des résultats immédiats.
La description de la mise en place d’indicateurs bien choisis est un des points forts du livre. Le but ultime d’un club de football est de maximiser sa performance sportive grâce aux recettes qu’il dégage. On recherchera donc des corrélations fortes entre les résultats et des indicateurs adéquats et relativement faciles à modifier dans un sens positif. La gestion des effectifs de la section sportive est également au cœur de l’ouvrage. Confronté à la problématique du sort d’un entraîneur connaissant des résultats insuffisants, l’auteur insiste sur l’importance du facteur chance en football par rapport à d’autres sports collectifs en s’appuyant sur le pourcentage de victoires enregistrées par l’équipe favorite d’un match selon les sites de paris sportifs, qui n’est que légèrement supérieur à 50 %. Fabrice Bocquet s’intéresse à la sabermétrie1 et démontre que le résultat d’un match n’est donc pas forcément corrélé à la performance d’une équipe. Il en déduit que le départ d’un entraîneur est souvent décidé suite à une série de défaites dans laquelle sa responsabilité n’est pas engagée. Pour parfaire sa démonstration, il utilise notamment les expected Goals (xG) en identifiant les défaites injustes liées à la maladresse ou à la malchance. L’analyse des gains marginaux (buts sur coups de pied arrêtés) est plus complexe car il est difficile de quantifier leur apport exact. L’important est toutefois que ces données soient utilisées par l’encadrement technique d’un club pour justifier leur collecte.
S’appuyant sur les travaux du Centre International d'Étude du Sport (CIES), l’auteur prône la stabilité des effectifs devant l’inefficacité de nombreux mouvements de joueurs. Il se trompe pourtant en demandant l’interdiction du mercato d’hiver qui est celui de l’intersaison dans tous les pays à championnat printemps-automne, notamment en Amérique du Sud. Le meilleur recrutement consiste bien à garder, autant que possible, ses meilleurs joueurs. La baisse de la performance après un changement d’employeur est constatée en football comme ailleurs, surtout quand l’intégration d’un joueur est contrariée par un manque d’accompagnement global sur des sujets essentiels tels que le logement, les cours de langue, les formalités administratives ou la scolarité de ses enfants.
Une intéressante analyse insiste sur la recherche d’un nombre optimum de joueurs dans un effectif, que M. Bocquet estime à 24, dont trois gardiens de but. En moyenne, un club professionnel utilise 28 joueurs par saison et son classement est fortement corrélé à la proximité de ce nombre. S’appuyant sur les données de la Premier League, on s’aperçoit que les clubs anglais utilisent environ 25 joueurs, ce qui démontre que la taille de l’effectif ne doit pas croître avec la participation aux compétitions européennes et à l’augmentation du nombre de matchs disputés qui en résulte. Le centre de formation est comparé à une structure de recherche et développement (R & D), disons dans l’industrie pharmaceutique, ce qui se justifie par l’investissement consenti par le FCL (10 % de son chiffre d’affaires) et le fait que seuls 20 % de ses joueurs signent in fine un contrat professionnel. Le football écrème donc sévèrement ses aspirants et apprentis, mais ce chiffre est tout de même largement supérieur au nombre de médicaments mis sur le marché par rapport à ceux développés en laboratoire (environ un sur mille). Mais la performance sportive est aussi corrélée à la masse salariale, idéalement fixée à environ 50 % du chiffre d’affaires du club, ou à la valeur de l’effectif (pouvant être mesurée sur un site Internet comme Transfermarkt). L’augmentation des recettes (billetterie, merchandising, marketing) permet la croissance vertueuse de cet indicateur, comme l’a démontré Paris St-Germain ces dernières années.
L’identité du club est aussi justement mise en avant comme facteur de succès. La culture locale est largement utilisée dans les vidéos du FCL pour créer une identification du club à la population locale, ainsi que le passé du club et les personnalités emblématiques, trop souvent mises en retrait en France. Les jeunes joueurs issus de la région permettent l’identification du public local. Enfin, le travail sur l’expérience client est mis en avant avec des initiatives tendant à fidéliser et à contenter les spectateurs. M. Bocquet insiste sur l’habillage du stade aux couleurs du club et explique son choix de préférer des traiteurs locaux aux grands acteurs du secteur, certes en réduisant le chiffre d’affaires qui en était tiré, mais surtout en obtenant des résultats très positifs aux enquêtes de satisfaction réalisées sur ce poste au stade du Moustoir.
Malgré un titre un peu racoleur et qui ne met pas son livre en valeur, Fabrice Bocquet tire un bilan intéressant de son expérience dans le football et nous propose une analyse facilement transposable dans de nombreuses structures similaires. Le message qu’on y retrouve en filigrane est un regret de ne pas voir des outils marketing plutôt basiques (mais efficaces) mis en œuvre dans les clubs de football professionnels français. La montée en gamme des qualifications des équipes chargées de ce secteur est une piste à suivre pour améliorer le potentiel décrit par Fabrice Bocquet.