Monseigneur Emmanuel Gobilliard

DOI : 10.58335/football-s.826

p. 145-157

Notes de l’auteur

L’entretien a été réalisé par François da Rocha Carneiro à Paris le 8 août 2024.

Après avoir été évêque auxiliaire de Lyon (2016-2022), Mgr Emmanuel Gobilliard est évêque de Digne, Riez et Sisteron depuis l’automne 2022. Délégué du pape pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, il est le premier prélat à rejoindre l’équipe du Variétés Club de France.

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Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Mgr Emmanuel Gobilliard : J’étais parti pour faire des études littéraires en vue d’être magistrat, à cause de la passion que j’ai pour la justice, puis j’ai bifurqué vers le Séminaire où j’ai décidé d’entrer quand j’étais lycéen à Paris. Ensuite, j’ai été au Puy-en-Velay comme prêtre, puis j’ai fait des études à Rome, où j’ai été en particulier aumônier de jeunes, ce qui ne sera pas sans lien d’ailleurs avec ma pratique du football. Ensuite, j’ai été prêtre en paroisse, à Yssingeaux, puis à la Cathédrale du Puy, où je recevais les pèlerins de Saint-Jacques pendant une dizaine d’années. J’ai vécu aussi une expérience forte en vivant un an à Madagascar, où je jouais aussi au football d’ailleurs. Rapidement après mon retour de Madagascar, j’ai été nommé évêque auxiliaire de Lyon, en plein pendant les « affaires ». C’est d’ailleurs pour cela que le Vatican a nommé un auxiliaire extérieur au diocèse. Ma passion pour la justice m’a aussi permis de faire le lien avec le parquet de Lyon et d’établir un protocole entre l’institution judiciaire et l’Église. Puis j’ai été nommé évêque de Digne en octobre 2022.

Vous êtes délégué auprès des Jeux Olympiques…

Mgr EG : Oui. C’est un peu compliqué. Lee dicastère pour la culture et l’éducation, qui s’appelait à l’époque Congrégation pour l’éducation catholique et le Conseil pontifical pour la Culture, a demandé aux évêques de France de nommer un délégué au sport en vue des Jeux Olympiques. La Conférence des évêques de France (CEF) m’a donc choisi pour être le délégué auprès des Jeux Olympiques et Paralympiques. La mission perdure au-delà des Jeux puisque la CEF vient de me nommer au tourisme, loisirs et sport

L’article 50 de la Charte olympique dispose pourtant qu’« aucune sorte de démonstration politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

Mgr EG : Il y a la Charte pour les athlètes, qui s’applique dans le cadre de leur manifestation sportive, extérieure, mais un des textes de références, pour le mouvement olympique, c’est aussi la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule le droit fondamental à la religion. Il a donc été proposé à tous les athlètes une aumônerie, puis, à partir de 1972, un centre multiconfessionnel, qui permet à chaque athlète de vivre sa foi.

Les sportifs ne peuvent pas l’exprimer publiquement dans le cadre des Jeux Olympiques mais peuvent la vivre puisqu’il y a ce centre, lieu de célébrations. Il faut d’ailleurs lire la prise de parole de Thomas Bach lors de la rencontre interreligieuse qui s’est tenue sur le parvis de Notre-Dame le 4 août, pendant les Jeux. Il est très explicite sur l’équilibre entre le respect de la Charte olympique d’une part, et le droit à la religion pour les athlètes d’autre part. Cela vaut dans le village olympique, puisque c’est un cadre fermé, à l’intérieur duquel il peut y avoir une proposition religieuse.

C’est la première fois qu’il y a un évêque délégué aux Jeux. Jusqu’alors, c’était porté par des prêtres, avec des évêques qui parfois accompagnaient leur propre délégation nationale. Il y a par exemple cette année un évêque dans la délégation polonaise.

On vous connaît un goût prononcé pour la moto et pour la musique, on découvre désormais votre goût pour le football en particulier et pour le sport en général. D’où vous vient-il ?

Mgr EG : J’ai pratiqué de nombreux sports. J’ai toujours été passionné de sport. Je pense que le fait que mon père était militaire m’a beaucoup aidé à avoir cette passion. À l’époque, le service militaire était encore en vigueur et les sportifs de très haut niveau étaient parfois envoyés dans certains régiments comme instructeurs sportifs. Ils faisaient alors faire du sport aux militaires et, quand les militaires étaient en opération, ils soutenaient les enfants de militaire pendant toute l’année. On avait donc des très grands champions qui nous donnaient des cours parfois particuliers. C’était un formidable cadeau. Ainsi, j’ai fait du judo, du karaté, beaucoup de tennis, avec de nombreux tournois quand j’étais jeune. Puis j’ai été un peu dégoûté par l’esprit du tennis, en particulier par les parents qui pensaient que leur fils allaient faire Roland-Garros deux ans après et qui insultaient l’arbitre, qui critiquaient les points. J’ai trouvé cela pénible donc j’ai arrêté de faire du sport individuel. On habitait à Tarbes, donc j’ai fait du rugby. Et puis à 15 ans et 9 mois, j’ai fait mon premier saut en parachute et le parachutisme ne m’a jamais quitté depuis. L’autre sport qui ne m’a jamais quitté, c’est le football. J’ai commencé à jouer à l’UGSEL (Union Générale Sportive de l’Enseignement Libre) quand j’étais au collège à Versailles. Je m’étais inscrit dans une équipe, où j’ai signé ma première licence de football. J’ai arrêté, puis j’ai repris quand j’étais prêtre au Puy-en-Velay. Là, j’ai fait pendant plusieurs saisons le championnat des Corporations avec l’équipe des éducateurs, puisque j’étais aumônier de jeunes dans des collèges et lycées de l’enseignement public et de l’enseignement privé, et j’ai beaucoup aimé. On jouait souvent d’ailleurs au Val-Vert, un stade qui porte le nom du prêtre, Claudius Fayard, qui a fondé le club local. On jouait contre les pompiers, contre les policiers, contre les ouvriers de telle industrie, les employés de tel groupement… On a d’ailleurs gagné une fois le championnat. Je me souviens de la première fois où je suis venu. J’étais invité par un ami qui m’a dit qu’il fallait que je vienne voir. Je n’ai d’abord pas joué car les autres ne comprenaient pas qu’un prêtre vienne jouer avec eux. Finalement, mon ami m’a dit que tout le monde était d’accord pour que je rejoigne l’équipe mais qu’ils ne savaient pas trop comment réagir avec moi, comment m’appeler… Il fallait que je me décide si je voulais participer au championnat. J’ai donc pris ma licence. Lors du premier match, je suis resté sur le banc. Au deuxième match, je suis entré en cours de match, je n’étais pas aligné dans l’équipe de départ, mais, et c’est un miracle, j’ai marqué le but de la victoire. Et là, c’est très drôle parce que c’était une libération beaucoup plus pour les autres que pour moi. Ils avaient besoin de faire le passage entre le prêtre et le footballeur et ils m’ont reconnu comme un footballeur quand j’ai marqué ce but. Ils m’ont fait une célébration gigantesque au moment du but puis dans les vestiaires, ils chantaient pour m’ovationner. En fait, je me suis rendu compte que c’était une pudeur qu’ils avaient à mon égard, ils ne savaient pas comment gérer ce lien avec moi. Avec le but, j’étais légitime comme footballeur et en plus, je les avais fait gagner. Je jouais aussi parfois un rôle de médiateur avec les arbitres, parce que le championnat corpo peut s’avérer très violent, même avec les policiers, les pompiers ou les professionnels de santé. Ils se mettent « sur la gueule » et comme tout le monde savait que j’étais prêtre, il arrivait que les arbitres me tendent la perche pour que j’intervienne quand il y avait un conflit même si cela venait de l’équipe adverse. Le fait que je m’approche, ça les calmait, ils savaient qui j’étais et se disaient que, si le prêtre intervenait, c’est que, vraiment, ils allaient trop loin, donc ils s’arrêtaient.

Vous faites maintenant partie du Variétés Club de France.

Mgr EG : C’est à la suite de la préparation du pèlerinage à Rome que Jacques Vendroux m’a intégré au Variété Club de France (VCF). Ces footballeurs sont de grands affectifs très ouverts, venus de différentes religions ou traditions religieuses, ou même agnostiques. Quand, avec Jacques Vendroux, nous avons fait ce pèlerinage à Rome, en mars 2023, nous avons organisé un match avec une équipe de séminaristes et de prêtres étrangers, formée pour l’occasion. Tout a été facile, car en Italie, il y a la tradition des Fiamme Gialle1. Ils nous ont obtenu le Stadio dei Marmi, et nous ont logés dans un grand hôtel, le Mama Shelter, dans lequel il y a des photos de footballeurs partout sur les murs. Certains de nos joueurs avaient leurs photos dans l’ascenseur de l’hôtel ! Tout était organisé pour qu’il y ait de belles visites, de belles rencontres spirituelles. C’était avant tout un pèlerinage pour les athlètes, accompagnés ou non de leurs femmes ou de leurs compagnes, de leurs enfants, parfois de leurs mamans. On a eu des moments spirituels très forts avec une audience avec le Pape. Jacques Vendroux a pu lui dire qu’il avait été gardien de but, comme le Pape François. Tout le monde y est allé de sa petite réflexion, de son petit cadeau, avec beaucoup d’humour. La bénédiction du Pape a été très émouvante. Le matin même, j’ai célébré la messe dans une basilique Saint-Pierre vide, ce qui n’arrive jamais. C’était juste avant l’audience et, d’habitude, on ne peut pas célébrer en groupe à cette heure-ci. On s’est retrouvé au fond de la basilique avec tous ces joueurs, on avait Saint-Pierre juste pour nous. Cela a été un moment d’émotion considérable, avec une qualité de silence mais aussi beaucoup de pleurs. Je dirais presque des conversions ou des retours à une spiritualité que certains avaient un peu abandonnée. Ça été un moment absolument incroyable, hors du temps, avec la participation de séminaristes qui étaient venus pour chanter et soutenir un peu la célébration. Je me souviens aussi de notre arrivée à Saint-Pierre : on est venu à pied depuis l’hôtel, on discutait en route, et en arrivant à Saint-Pierre, ce fut le grand silence, comme s’il y avait quelque chose qui se passait. Jacques Vendroux aime beaucoup dire que le football n’est pas un monde facile et que ces moments-là donnent l’impression qu’on vit le grand nettoyage, qu’on se fait pardonner toutes les bêtises qu’on a faites. Je trouve qu’on retrouve dans ces moments-là un peu de cet esprit d’enfance dont on parle dans l’Évangile. On retrouve la dimension de la personne. Les footballeurs, en particulier les jeunes retraités, qui, pendant toute leur vie, ont été uniquement considérés comme des footballeurs, ont besoin d’être considérés comme des personnes, et plus seulement comme des sportifs. Ils ont besoin qu’on les regarde comme des personnes, en intégrant bien sûr le fait qu’ils étaient footballeurs ou qu’ils le sont toujours, mais en les considérant au-delà de cette activité, comme pour n’importe quel autre métier. Le regard sur la personne a besoin d’être élargi, certains restent dans le milieu du football, mais il y a une transition à faire qui est très importante. Je pense que, pour certains, ce pèlerinage les a aidés à se dire : « En fait, on est beaucoup plus que des footballeurs, on est des personnes, avec des histoires, avec des souffrances, avec des joies, et le football fait partie de notre vie mais notre vie ne se réduit pas au football. » Je pense que tout le monde a besoin d’avoir ce regard globalisant sur lui-même. C’est ce qui définit en quelque sorte ma mission dans l’accompagnement des athlètes : leur donner ce regard sur eux-mêmes qui ne soit pas un regard uniquement sportif.

Monseigneur Gobilliard (debout à droite) au Stadio dei Marmi à Rome en mars 2023 avec l’équipe du Variétés Club de France.

Monseigneur Gobilliard (debout à droite) au Stadio dei Marmi à Rome en mars 2023 avec l’équipe du Variétés Club de France.

Crédit : Emmanuel Gobilliard.

Je suis à Digne-les-Bains, donc ce n’est pas évident pour faire des matchs avec le VCF sauf lorsqu’ils sont dans le coin. J’en ai fait un à La Ciotat, pour le jubilé de Jean Tigana. C’est assez drôle parce que j’ai joué, aux côtés de pas mal de grands noms du football, alors que Michel Platini pensait que j’étais là juste pour accompagner les joueurs. Il m’a salué, il était content que je sois là mais quand il m’a vu sur le terrain, il n’y croyait toujours pas, il m’a dit : « Mais tu joues vraiment ? ». Un autre moment assez drôle, c’est quand Renaud Muselier, le président de la Région, a salué les joueurs, il m’a dit bonjour comme si j’étais un joueur très connu et quand je lui ai dit que j’étais l’évêque de Digne, je ne suis pas sûr qu’il m’ait cru.

Essayons-nous, si vous le voulez bien, à une lecture catholique du football. Que dit à l’évêque que vous êtes l’impression de communion qui peut parfois transparaître d’une équipe ou qui peut unir une équipe et ses supporters ?

Mgr EG : J’ai vécu plusieurs fois cette impression de communion dans les vestiaires. Ce n’est pas d’abord une communion festive, même s’il y a beaucoup de fêtes, mais c’est ce qui se passe avant le match qui m’intéresse beaucoup. C’est la communion du silence, où l’on se concentre et où l’on va chercher un peu plus haut. Parfois, il peut y avoir des temps de prière, adapté à chacun. Ce n’est pas une prière chrétienne, mais une prière silencieuse, qui peut évoquer tel ou tel joueur qui a disparu ou qui a des difficultés. Là, c’est comme si on se recentrait tous sur quelque chose qui transcende l’équipe. Pour moi, c’est très important. Il y a des équipes avec les meilleurs joueurs du monde, dans lesquelles il n’y a pas d’unité, de communion. En fait, l’unité, cela dit quelque chose qui transcende l’équipe et j’aime dire que le grand exemple, pour moi, c’est Jésus. Douze, c’est quasiment une équipe ! Douze apôtres, un entraîneur qui choisit douze hommes qui sont en fait douze ennemis. Quand on lit bien l’Évangile, ce sont douze types qui n’ont rien à voir les uns avec les autres : Simon le Zélote, c’est un résistant armé à la puissance romaine, et il était apôtre avec Matthieu, un collaborateur ! Il y a des pêcheurs du lac aux côtés d’un intellectuel comme Barthélémy, ou des jeunes comme des plus âgés, certains mariés, d’autres non. Tout ça sans savoir trop où ils allaient ensemble. La finalité de leur équipe que Jésus a fait en sorte de leur fixer était qu’ils soient capables de tout donner. Quand je dis tout donner, c’est concret, ils sont tous morts en donnant leur vie pour les autres. Simon le Zélote a été jusqu’à donner sa vie pour Matthieu et Matthieu pour Simon, pas seulement pour Jésus mais aussi pour les autres. Jésus a réussi à former une équipe à ce point soudée pour qu’ils puissent tout donner. Pour moi, c’est un exemple énorme pour tous les entraîneurs et je dirais même pour les présidents de club. Lorsqu’on vire l’entraîneur au premier mauvais résultat ou qu’on a la prétention de former une équipe en trois mois, comme on l’a dit à un Laurent Blanc ou un Claude Puel, il faut se souvenir de Jésus qui a mis trois ans pour faire son équipe. C’est quand même le champion du monde de la communion et il lui a fallu trois ans ! Il faut du temps pour former cet esprit d’équipe, pour que, à un moment, on se connaisse tellement que le jeu devient fluide, naturel. La communion dit quelque chose qui transcende l’équipe mais qui lui permet de se trouver, de savoir qui on est, de savoir quelles sont les faiblesses et les forces, quelles sont les complémentarités. Pour moi, la dimension « communion » est donc première dans l’équipe, avant même la compétence. Si on a de grandes compétences sans la communion, on n’a pas les résultats, alors qu’on les aura si on a la communion malgré de moindres compétences. On peut se souvenir du parcours en Coupe de France d’équipes comme Calais. En fait, cela veut dire qu’il ne faut pas regarder dans la personne uniquement la dimension technique du football. Cela permet à l’autre d’être accueilli comme une personne au sein même de l’équipe avec ce qu’il est, avec ses différences, y compris avec sa religion, et on en fait une force. Si on refuse cette force, ces dimensions de la personne, si on dit que ça ne peut pas rentrer dans le vestiaire, on enlève quelque chose de la personne. On ne va donc pas jouer avec une personne, mais uniquement avec un joueur, avec un expert du football. Je trouve que le plus intéressant, c’est de jouer avec la personne. Si un joueur a perdu sa maman la veille, s’il a eu un enfant et que sa femme a des difficultés, tout doit être intégré et mis au cœur de l’équipe, ce partage devient une force. Quand on le cache, ça devient un handicap.

Spirituellement, que dit le football du destin de l’homme et de la volonté de Dieu pour un croyant ?

Mgr EG : J’aime bien faire ce qu’on appelle la théologie réaliste, pas de la théologie de la perfection. Que suis-je maintenant, qu’est-ce que j’ai maintenant qui me permet d’arriver à la sainteté ? J’ai pu avoir fait plein de conneries comme saint Augustin ou comme saint Pierre, qui a trahi Jésus, j’ai pu avoir de grandes souffrances physiques, de grandes joies, j’intègre toute ma vie à mon projet de sainteté, y compris ma passion pour le sport en ce qui me concerne. Si je le cache, ça ne va pas.Ce que le football dit du destin de l’homme et de la volonté de Dieu, c’est toute la personne en vue d’un projet et dans l’équipe de foot, il faut intégrer qu’on a tous des imperfections, des fragilités techniques, des faiblesses psychologiques, des existentielles. Je peux citer mon exemple : quand je joue au VCF, dans l’équipe, il peut y avoir parmi mes partenaires Eden Hazard, Christian Karembeu, Robert Pirès ou Alain Giresse, qui, à 70 ans, est toujours juste techniquement. Au milieu d’eux, comment puis-je trouver ma place alors que je n’ai pas leur technique. Je n’ai pas la technique de maîtrise du ballon ou de dribble, je suis vraiment très nul en dribble, mais j’ai le sens du jeu. Je suis capable par exemple d’envoyer des ballons un peu loin, dans la course de mes partenaires ou dans des espaces s’il y a de bons appels. Surtout, ce que je fais très bien, c’est d’être un peu un Zébulon, j’arrive à faire plein d’appels, plein de démarrages, ce qui aspire la défense. Pendant un match, Robert [Pirès] et Alain [Giresse] m’avaient ainsi dit de continuer de faire des appels. Ils ne me donnaient jamais le ballon mais cela permettait d’attirer la défense d’un côté et de leur libérer ainsi l’autre côté. Ils ont quand même été très sympas, en me disant les choses ainsi, je n’aurais jamais eu la technique d’un footballeur professionnel, qui plus est un champion du monde ! Ma place est celle qui tient compte de mes faiblesses mais aussi de mes forces, car, malgré mon âge, je fais toujours beaucoup de sport, beaucoup de cardio, beaucoup de footing, donc je suis capable de faire des accélérations, de partir dans un sens. J’aurais du mal à contrôler le ballon mais le jeu sans ballon, c’est aussi très important dans le foot. La complémentarité dans une équipe, c’est intégrer la faiblesse des uns et des autres. Il faut intégrer les événements de notre vie pour les mettre au cœur de l’équipe. Je trouve que la diversité des joueurs d’une équipe dit quelque chose de la complémentarité. C’est cela, le projet de sainteté : les saints sont tous différents comme les joueurs dans une équipe ; ce qu’il faut c’est faire l’unité, c’est se recentrer et trouver sa place, y compris dans la foule immense des saints.

À quand un saint footballeur ?

Mgr EG : Il y en a déjà en fait, mais le football tel qu’on le connaît est assez récent. J’espère qu’il y en aura, mais il y a des saints qui ont joué en quelque sorte au football. Quand on demande à saint Louis de Gonzague ce qu’il ferait s’il ne restait que deux minutes avant la fin du monde, il répond : « Je continue à jouer à la balle ». Le saint, ce n’est pas celui qui fait des choses extraordinaires ou qui se met à prier toute la journée, c’est celui qui met Dieu au cœur de son projet de vie et, avec cette réponse, saint Louis de Gonzague dit clairement que Dieu est présent dans sa partie de ballon. On pourrait aussi citer Dominique Savio ou Don Bosco, qui ont joué au football, du football de cours de récréation ou de patronage. Il y a aussi de grandes figures catholiques qui ont œuvré pour le football, par exemple en fondant des patronages qui sont devenus de grands clubs de football. On en connaît dans tous les diocèses de France. Ils n’ont pas été canonisés mais ce sont des figures de proximité avec la jeunesse, en prise avec la réalité de ce que vivent les gens, qui deviennent ensuite de grands sportifs. Il y a aussi saint Jean-Paul II, qui n’était pas footballeur, mais c’était un grand sportif, en natation en particulier. Il y a donc des saints qui ont été des sportifs, mais je peux dire que, de nos jours, parmi les joueurs et les joueuses, il y en a vraiment qui sont de beaux témoignages de foi, pas obligatoirement médiatiquement parce qu’ils et elles s’expriment sur le sujet mais discrètement, des gens qui, pendant le match, me demandent de prier pour un autre joueur qui ne va pas bien. À Lyon, il y a une chapelle qui accueille toutes les religions dans le Stade des Lumières. Elle a été voulue par Jean-Michel Aulas, je l’ai bénie et j’y suis allé prier. Les joueurs et les joueuses peuvent y prier quand ils veulent, ils aiment parfois rester là pour vivre un temps de spiritualité.

Certains sont héroïques. L’héroïcité, c’est de penser aux autres. On voit tout de suite le joueur qui est attentif aux autres. J’aime beaucoup parler de Wendy Renard parce que, au-delà de la dimension de foi et de sa grande pratique religieuse, il y a son attention aux autres dans le vestiaire. Surtout à celles qui sont blessées, qui vivent une situation difficile, qu’elle me confie parfois pour que je prie pour elles. On sort un peu de notre sujet, mais je souligne que l’Olympique Lyonnais est aussi un exemple de respect de la condition féminine dans l’entreprise, parce que les filles, si elles sont blessées, si elles sont enceintes…, peuvent utiliser toutes les installations de l’entreprise, elles peuvent faire garder leurs enfants. C’est aussi ainsi que se construit l’esprit de communion, l’esprit d’équipe. Au cœur de ce projet, il y a le rapport entre Jean-Michel Aulas et Wendy Renard, qui est capable de penser à celles qui sont blessées, à celles qui ont un bébé alors qu’elle-même n’est pas en couple et n’a pas d’enfant. Elle pense aux autres, elle prend la dimension de l’équipe avant tout. Sans parler des canonisés, la sainteté du quotidien, c’est de penser à Dieu et aux autres, et de se mettre à la place des autres aussi. Ceux qui savent faire cela sont les grands capitaines. Donc, oui, sans aucun doute, il y a de la sainteté et des saints dans le foot.

On entend souvent l’expression « les dieux du football » ou « le dieu du football ». De quel dieu s’agirait-il ?

Mgr EG : On est là sur une dimension un peu païenne, évidemment. Pour moi, ce n’est pas une référence religieuse, c’est du paganisme, c’est un petit peu de la superstition, mais c’est une superstition qui essaie de balbutier un rapport au religieux et moi je n’ai pas peur de cela. Ceci me fait penser à ceux qui venaient à la cathédrale du Puy pour faire le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et qui s’excusaient de ne pas être chrétiens en me disant : « Vous savez, on ne va pas trop participer, on va rester au fond de l’église pendant la messe ou pendant la bénédiction. » Puis, finalement, ils s’approchaient doucement, ils écoutaient vaguement et ils se mettaient à pleurer parce qu’une parole, le moment, le lieu les avaient touchés. Moi, j’aime bien cette pudeur d’un geste, d’un petit signe de croix. Pour moi, c’est ainsi que je comprends ces références religieuses permanentes dans le football. Le vocabulaire, « le dieu du football », le gardien de but qui est « crucifié », la fin du match lorsque « la messe est dite », le « miracle », cela dit cette hésitation, cette délicatesse et cette pudeur qu’on a à ne pas rentrer dans le domaine religieux parce que ça ferait bizarre. Je n’y vois pas du mépris, loin de là.

Lors de la rencontre interreligieuse organisée sur le parvis de Notre-Dame au cours des JOP, monseigneur Marsset, évêque auxiliaire de Paris, disait : « le sport ressemble à une religion laïque, mais ne fait que ressembler ». Qu’est-ce qui peut empêcher le sport en général, et le football en particulier, d’être considéré comme une « religion laïque » ?

Mgr EG : Le président du CIO, Thomas Bach, a donné la réponse. Dans son discours, il rappelle tous les points communs entre le sport et la religion, comme la notion de dépassement, mais il y précise aussi finalement qu’à la différence du sport, la religion permet de répondre aux grandes questions existentielles de notre humanité. Quand il dit que le sport n’est pas une religion, il fait comprendre le risque d’en faire une idole, de faire de ses propres performances une idole. On oublie alors de regarder les autres. On peut être le meilleur joueur du monde, si on est complètement centré sur soi, que sur soi et sur son ego, on fait perdre l’équipe. Faire du sport une idole, c’est voir uniquement la dimension sportive ou footballistique de la personne et ne développer que cela, sans intégrer les autres dimensions humaines, familiales, spirituelles, et même physiques. On risque alors de ne prendre en compte que certains éléments pour être plus performant, en oubliant de développer les autres éléments qui font partie de l’équilibre physique. Par exemple, un gardien de but doit connaître presque tous les postes du football, parce qu’à un moment, il est peut-être amené à faire un tir au but ou à aller dans la surface de réparation adverse pour faire une tête à la dernière minute d’un match, il doit savoir se servir de ses deux pieds pour ses dégagements. C’est vrai de n’importe quel poste, Olivier Giroud s’est ainsi retrouvé dans les caisses. Cela n’empêche pas qu’on ait un poste de prédilection.L’idole, c’est aussi bien sûr le fric dans le sport. Il faut intégrer l’argent dans le sport mais si l’on utilise le sport uniquement en vue de l’argent, on en fait une idole. On peut tout aussi bien le dire pour la géopolitique.

Le football est une pratique mondialisée amplement professionnalisée. Comment l’Église catholique, universelle, se situe-t-il face à cette double dimension ?

Mgr EG : L’Église catholique ne va pas analyser cela, elle reste à sa place. Elle n’a pas de connaissance particulière de ce qui se vit dans le football, elle n’est pas suffisamment au courant de tous les enjeux ou de toutes les situations pour livrer une analyse. Simplement, elle dit ce que je viens de dire : ne faisons pas du football, de l’argent dans le football, de la télévision ou de la dimension nationaliste, une idole. Ne détournons pas le sport ou n’importe quelle réalité humaine de sa finalité. L’un des buts du sport, même s’il ne suffit pas, est de réjouir les gens, qui regardent par exemple à la télévision. Une personne qui gagne des sommes faramineuses, comment fait-elle pour qu’elle ne devienne pas une idole, qu’elle ne soit pas au service de l’argent ou que l’argent ne soit pas à son seul service ? L’Église dit que les biens matériels ne nous appartiennent pas et que si on en possède, ils doivent servir une finalité qui dépasse infiniment le bien matériel. Il y a des exemples de très grands joueurs qui reçoivent de très grandes sommes et qui s’en servent pour aider la société d’une manière ou d’une autre, en créant des fondations, en développant des clubs, en s’impliquant dans des projets sportifs ou humanitaires. Il y en a d’autres qui ont moins cette conscience-là, mais ce n’est pas propre au football.

Le terrain de football est un lieu de multiples expressions de la foi de la part des joueurs, qu’ils soient catholiques, évangéliques ou musulmans. On pense à l’entrée des joueurs qui se signent ou prient, comme à la célébration de buts. Comment l’Église considère-t-elle ces démonstrations de foi ?

Mgr EG : L’Église en général, je ne sais pas, l’Église c’est aussi chacun des baptisés, pas seulement un Pape, des évêques et des prêtres. Je peux répondre à titre personnel. Pour moi, si j’en crois mon expérience de rencontre avec des joueurs qui avaient l’habitude de se signer, ce signe extérieur disait souvent quelque chose de beaucoup plus profond. Se signer en rentrant sur le terrain, pour eux, c’est une façon de dire : « Seigneur, je T’offre mon activité, ma vie ». Ils peuvent avoir envie de gagner, bien sûr, mais ce serait très réducteur et peu respectueux de la profondeur spirituelle de certains de ne voir dans ces gestes qu’une demande de victoire. Ce n’est pas : « Seigneur, fais-moi marquer un but ! » Ces joueurs veulent inscrire leur sport au cœur même de leur vie et donc au cœur même de leur foi. Ils le manifestent extérieurement parce que pour eux, c’est important. On ne peut pas réduire la religion à la seule sphère privée, sinon il faudrait supprimer les hôpitaux, car les premiers hôpitaux étaient des fondations religieuses, il y a beaucoup de choses dont il faudrait alors se passer. Surtout, pour les chrétiens, c’est la religion de l’Incarnation, ce qui pousse à aider les plus pauvres au nom de ma religion. Quand je fais le tour de toutes mes visites pastorales du diocèse de Digne, je vois des chrétiens partout, aux Restos du cœur, au Secours Populaire, dans toutes les associations de service des plus pauvres, et pas uniquement des associations catholiques. Leur foi a donc une dimension publique. Cela ne me dérange pas du tout que quelqu’un exprime sa foi, à condition qu’il respecte l’autre, la foi de l’autre et qu’il ne s’impose pas. Tant que c’est un témoignage humble, il n’y a pas de difficulté. Le problème, c’est quand ça devient arrogant et que c’est à qui aura la meilleure religion. C’est une question d’équilibre, mais j’ai quasiment toujours vu des joueurs qui le faisaient avec beaucoup de respect et beaucoup de profondeur.

Vous dites que les joueurs ne prient pas seulement pour la victoire de leur équipe. Emmanuel, cela veut dire « Dieu avec nous ». Dieu peut-il alors être du côté de l’équipe adverse ?

Mgr EG : Alors Dieu est dans les deux équipes, Il est dans chaque personne humaine, mais Il ne va pas marquer un but. En revanche, si je suis ajusté, si la finalité est juste et si tout mon corps, mon esprit, mon âme sont tendus vers un objectif qui est aussi respectueux de l’autre, je peux être très performant. Prenons un exemple hors football, en sport individuel : quand Roger Federer fait trente fois de suite un revers long sur la ligne, ce n’est pas que sa technique qui parle, sinon il en raterait quelques-uns, mais c’est son esprit ou son âme, et puis c’est aussi un adversaire qui l’oblige à aller jusque-là, les supporters qui lui permettent de transcender tout ce qu’il a, toute sa technique. On est presque dans le domaine de la grâce. La grâce en football, on la retrouve quand l’équipe est dans ce moment où on sent qu’il se passe quelque chose qui est juste dingue. Par exemple, l’équipe est menée 2-1, il ne reste qu’un quart d’heure de jeu, mais on sait qu’elle va gagner.

Cela veut-il dire qu’un moment d’une rencontre sportive peut être eucharistique ?

Mgr EG : L’eucharistie, c’est l’action de grâce qui nous transcende, donc ça peut être une parabole de l’Eucharistie. L’état de grâce, c’est ce que vit celui qui est parfaitement ajusté à Dieu, à lui et aux autres, qui a intégré aussi la dimension spirituelle de sa vie. D’ailleurs, pendant la messe, on rend grâce pour ces moments sportifs et, pendant l’offertoire, on apporte toute sa vie. C’est pour cela qu’en Afrique, il y a des fruits, des légumes, du riz, des poulets vivants… qui sont apportés pendant l’offertoire. J’ai célébré la messe lors de la finale de la Coupe du monde de rugby amateur et il y avait des ballons de rugby pendant la procession des offrandes pour montrer qu’on intègre le sport. Cela symbolise la vie des joueurs de rugby qui étaient là donc c’est leur vie qui est présentée au Seigneur. Finalement, on peut dire que c’est le football qui devient eucharistique parce qu’il est offert.

Vous avez évoqué les patronages. Le football français leur doit en partie son enracinement. Certains ont disparu et les mouvements d’action catholique sont en perte de vitesse. Quelle place joue encore le football dans les activités catholiques ?

Mgr EG : Le football tient une place périphérique. Moi, j’ai fait partie de l’UGSEL, donc ça, c’est par l’enseignement catholique beaucoup plus que par les patronages, qui relevaient de la Fédération Sportive et Culturelle de France. Les clubs sportifs, sous statut amateur comme professionnel, ont maintenant une existence propre. Pour l’action catholique, je pense que les différents mouvements étaient très importants mais ont détruit l’action des patronages puisque ces derniers rassemblaient, dans un même lieu, toutes les réalités de tous les milieux sociaux alors que les mouvements d’action catholique s’adressaient, les uns aux ouvriers, les autres aux milieux indépendants ou au monde agricole et ça a délité ce que faisaient les patronages et arrêté la dynamique de création de clubs. En revanche, en Italie, cela se perpétue, les patronages sont toujours très présents, de nombreux clubs appartiennent à des paroisses, dans lesquelles on trouve aussi des théâtres. Il y a cette dimension de liens avec la société dans l’Église italienne qu’on ne retrouve plus en France. Par ailleurs, la façon d’accompagner le milieu du sport est très différente. On est en lien avec des équipes de sport, en particulier de football, on intervient au cœur de leur vie, mais il faut reconnaître qu’il y a beaucoup moins cette dimension-là

Quelle est la place du football aujourd’hui dans la vie des prêtres et des religieux ?

Mgr EG : Elle est assez faible car les prêtres ont une vie bien remplie et parfois décousue donc c’est très compliqué de pouvoir se retrouver régulièrement pour pratiquer un sport collectif. De nombreux prêtres font du sport en individuel, mais c’est plus difficile d’être fidèle à une équipe et de trouver le temps pour un entraînement régulier. Il y a aussi la question du week-end : c’est compliqué quand les matchs ont lieu le week-end, ce qui est l’avantage des équipes en corpo, où là, on joue le mercredi soir.Depuis environ un demi-siècle, la messe dominicale peut être anticipée au samedi soir. N’est-ce pas une concurrence pour les soirées Ligue 1 ? Plus sérieusement, comment se lit cette superposition calendaire qui veut que, pour le football comme pour le catholicisme, le dimanche soit le jour central ?

Il y a quand même une grande souplesse. Les joueurs peuvent aller à la messe le samedi soir, le dimanche matin, le dimanche soir parfois, donc il n’y a plus aucune concurrence. C’est un problème pour les prêtres parce qu’ils célèbrent la messe du samedi soir, du dimanche matin et du dimanche soir, mais pas pour le reste de l’assemblée. Et pour celui qui veut regarder la Ligue 1 le samedi soir, il va à la messe le dimanche matin, ce qui, franchement, dans les villes, n’est pas difficile. J’aime bien aussi évoquer certains joueurs professionnels qui ne peuvent pas aller à la messe du dimanche parce qu’ils sont en compétition, en déplacement, en regroupement à l’autre bout du monde. Quelques-uns m’appellent parfois en me disant qu’ils ne peuvent pas aller à la messe et me demande de les bénir, en attendant qu’ils puissent aller à la messe dans la semaine. C’est quand même formidable de se dire qu’il y a des joueurs qui ont la conscience qu’ils vont rater leur messe du dimanche et qui demandent cette bénédiction aux prêtres parce qu’ils ont besoin de vivre leur spiritualité au cœur de leur sport, et que là ils ne pourront pas. Cela arrive dans d’autres métiers : les militaires qui partent en opération ou les gendarmes qui sont en opération Sentinelle ont aussi parfois du mal à vivre leur foi et le font comme ils peuvent.

Lorsqu’on feuillette la presse catholique, qu’il s’agisse de La Croix ou des magazines La Vie ou Le Pèlerin (sans parler de Prions en Église), le football y tient une place anecdotique. Pourquoi d’après vous ? Est-ce un rendez-vous manqué ?

Mgr EG : Je pense que, pendant un moment, il y a eu un mépris du sport et du corps. L’Église a pu connaître une période très intellectualiste. Et il y a pu aussi y avoir un mépris spécifique à l’égard du football à cause de l’argent. Ce n’est plus le cas et on est plutôt dans une phase de grande progression sur ce plan-là. Par exemple, dans La Croix maintenant, il y a des pages sport. Ce n’est pas leur spécialité mais ça s’est quand même un peu développé, en particulier grâce au programme Holy Games, à ce qui se fait de religieux à l’occasion des grands événements sportifs, ou de compétitions sportives liées à la religion comme la Pater Cup ou la coupe des séminaires, dont la presse catholique se fait l’écho. Finalement, on se dit : « Tiens, mais le sport ne serait-il pas un moyen de contact entre l’Église et la société ? »

Lors de la Coupe du monde 1998, un de vos confrères, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, alors curé de Pantin et arbitre officiel dans la Ligue d’Ile-de-France, avait tourné une publicité dans laquelle il disait : « Le soir de la finale, on ne dérange pas le prêtre ! » Selon vous, est-ce qu’on dérange le prêtre, le soir de la finale ?

Mgr EG : Ah bah non, non! Le prêtre a aussi le droit d’avoir une vie. La question, ce n’est pas qu’on soit le soir de la finale ou pas, qu’on la regarde ou non, qu’on aime ou non le football. Non, la question porte sur un moment de vie dans la journée d’un prêtre. Il a le droit d’avoir des moments que pour lui, qu’il regarde la finale de foot, qu’il aille lui-même faire du sport ou qu’il aille au cinéma ou au concert, ça le regarde ! Il est important qu’il puisse avoir des moments où il est tranquille. On ne le dérange pas, voilà ! Il peut toujours y avoir des urgences mais, honnêtement, les urgences dans la vie d’un prêtre, c’est assez rare. La seule urgence serait quelqu’un qui serait à l’article de la mort et demanderait une confession. Bien sûr que, dans ce cas, le prêtre sacrifierait sa soirée, mais cela arrive tellement peu souvent dans la vie d’un prêtre que je pense qu’il peut être tranquille. En plus, si le prêtre est tranquille, il y a des chances pour qu’il se retrouve avec des copains prêtres pour regarder le match de football. C’est bien !

Pour conclure cet entretien, deux petites questions : Qu’est-ce que le football apporte au catholicisme ? Qu’est-ce que le catholicisme apporte au football ?

Mgr EG : Ce que le football apporte au catholicisme, c’est la vie d’équipe. C’est sûr que, dans le football, il y a la conscience que chacun a sa propre place et que l’équipe transcende toute individualité. Il y a aussi le fait que le football a des règles qui encadrent quelque chose dont on n’a pas toujours conscience dans le catholicisme : on a un esprit de compétition en nous et le football permet de faire droit à cet esprit de compétition. Nier cet esprit de compétition, c’est transporter le problème ailleurs ou bien en faire un lieu de crispation ou de frustration de la personne. On a tous un esprit de compétition, on a tous envie de se transcender et le football nous permet de vivre cela dans un espace donné, avec des règles, avec un arbitre qui distribue les cartons jaunes et les cartons rouges quand on va trop loin, ce qui nous permet d’être frères tout le reste du temps. Moi, je trouve cela très intéressant parce que ça réglerait pas mal de problèmes dans la société si on avait conscience de cet esprit de compétition et si on l’exprimait dans un cadre donné avec des règles données, avec loyauté, avec un arbitre. Cela permettrait peut-être, le reste du temps, de vivre une véritable fraternité.Ce que le catholicisme peut apporter au football, c’est Jésus, dans ce sens où Jésus porte un regard spécifique sur la personne. Non, tu ne te réduis pas à n’être qu’un footballeur, tu es beaucoup plus, tu ne te réduis pas à n’être qu’une équipe de foot, tu es presque une équipe de vie. C’est aussi le regard que Jésus a sur les douze apôtres, comme je l’ai dit, sur cette notion de communion, Jésus qui voit toutes les dimensions de la personne en vue d’une unité. Le catholicisme peut éviter au football d’être une idole ou de tomber dans certains travers en lui rappelant ce qu’il est réellement et quelle est sa place dans la société et dans la vie de foi de n’importe qui. Par exemple, l’œuvre de Jésus auprès de ses apôtres doit aussi être rappelée aux présidents de club pour qu’ils laissent leurs entraîneurs en place pendant au moins trois ans. Laissez le temps à vos entraîneurs, ce ne sont pas des dieux !

Notes

1 Le Fiamme Gialle sont les groupes sportifs de la Guardia di Finanza, la police douanière et financière italienne. Retour au texte

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Référence papier

« Monseigneur Emmanuel Gobilliard », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 5 | 2024, 145-157.

Référence électronique

« Monseigneur Emmanuel Gobilliard », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 5 | 2024, publié le 21 novembre 2024 et consulté le 19 décembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/football-s.826. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=826

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