L’Union internationale amateur de football association ou les derniers feux d’une bourgeoisie sportive (1909-1912)

  • L’Union Internationale Amateur de Football Association, or the dying embers of the sporting bourgeoisie (1909-1912)

DOI : 10.58335/football-s.685

p. 169-178

Résumés

Créée en 1904, la Fédération internationale de football association (FIFA) a failli connaître un schisme quatre ans plus tard avec la fondation de l’Union internationale amateur de football association (UIAFA). Cet organisme concurrent est la conséquence de l’extension internationale de la querelle opposant en Angleterre la Football Association (FA) à l’Amateur Football Association (AFA). Même si la majorité des amateurs anglais restent fidèles à la FA, les dirigeants de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) décident de suivre les partisans anglais de l’amateurisme. Ce faisant, ils font sortir leur organisation de la FIFA et créent avec l’AFA l’UIAFA. Toutefois les fédérations européennes restent fidèles à la FIFA et l’UIAFA ne connait pas de véritable développement faute de membres représentatifs du football européen. Alors que l’USFSA rejoint les autres organismes français dans le Comité français interfédéral (CFI), l’UIAFA disparaît en 1912.

Created in 1904, the Fédération Internationale de Football Association (FIFA) came close to a schism four years later with the founding of the Union Internationale Amateur de Football Association (UIAFA). This rival body is the result of the international extension of the quarrel between the Football Association (FA) and the Amateur Football Association (AFA) in England. Although the majority of English amateur football players remained loyal to the FA, the leaders of the Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) decided to follow the English supporters of amateurism. In doing so, they took their organisation out of FIFA and created the UIAFA with the AFA. However, the European federations remained loyal to FIFA and the UIAFA did not really develop due to a lack of members really representing European football. While the USFSA joined the other French bodies in the Comité français interfédéral (CFI), the UIAFA disappeared in 1912.

Plan

Texte

La Football Association (FA), fondée en 1863, a codifié les règles du football, puis organisé à partir de 1871 la FA Challenge Cup ou Coupe d’Angleterre. Le ballon rond se répand peu à peu en Europe où différentes fédérations voient le jour. En France, l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques1 (USFSA) organise un premier championnat en 1894. En 1904, les dirigeants d’organismes sportifs de quelques pays européens se réunissent pour fonder la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), avec pour objectif de développer les rencontres internationales et de mettre en place un championnat international européen2. D’abord réticents à cette idée, les quatre fédérations britanniques adhèrent à la FIFA deux ans plus tard par l’intermédiaire des Anglais. Ces derniers n’apportent pas que leur expérience et leur patronage en matière de football au sein de l’organisation. La crise qui sévit outre-Manche entre les défenseurs de l’amateurisme réunis au sein de l’Amateur Football Association (AFA)3 et les dirigeants de la FA se répand sur le continent et débouche sur la création d’une deuxième fédération internationale en 1909, l’Union internationale amateur de football association (UIAFA). Cette histoire encore méconnue pose la question du monopole de la FIFA sur le football international. En effet, au cours des années qui suivent, le conflit opposant ces deux organisations sportives internationales divise le football européen, avec deux équipes nationales dans certains pays, l’une affiliée à la FIFA, l’autre à l’UIAFA4.

Du split5 anglais à la rupture internationale

Lorsque l’Angleterre rejoint la FIFA en 1906, elle est représentée par la Football Association au sein de l’instance internationale. La situation intérieure en Angleterre est cependant tendue, les tenants d’un amateurisme old school qui considéraient que les dirigeants de la FA, notamment le président Lord Kinnaird, avaient trahi leur classe en laissant le football se démocratiser tant qu’au niveau professionnel qu’amateur6. Lors de l’assemblée du 4 juin 1907, la rupture est actée et dans les jours qui suivent, l’Amateur Football Association (AFA) est fondée7.

La presse sportive française, qui parle du « split » du football anglais, se montre assez dubitative et pense que les clubs amateurs vont rapidement revenir dans le giron de la maison mère. La question des matchs internationaux se pose toutefois puisque, selon les statuts de la FIFA, seule la FA est habilitée à les organiser pour les équipes anglaises, ce qui exclut de fait l’AFA du football international. En dépit des efforts des dirigeants amateurs, la majeure partie des clubs restent fidèles à la FA qui décide en octobre 1907 de couper les ponts avec la fédération dissidente8.

La France est représentée par l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) à la FIFA. La première organisation omnisport française essaie et maintenir de bonnes relations avec la FA, bien qu’elle soit favorable aux idées défendues par les amateurs anglais. Pour s’attirer ses bonnes grâces, les dirigeants de l’AFA mettent dans la balance des offres de matchs avec les équipes françaises, une proposition qui a du poid à un moment où l’on regarde les footballeurs anglais comme les maîtres du jeu. La FA rappelle l’Union à l’ordre début avril 1908 en s’appuyant sur les règlements de la Fédération Internationale qui stipulent qu’« un des principes sur lesquels la FIFA est basée est qu’une association nationale doit être reconnue par chaque pays9 », ce qui n’est pas le cas de l’AFA. Une rencontre est pourtant organisée le 27 avril 1908 avec l’autorisation de l’USFSA à Tourcoing entre l’équipe du Nord et celle de l’AFA. Les Anglais s’imposent 13-0, ce qui prouve, aux yeux de la presse française, « la valeur de ce team britannique composé exclusivement d’amateurs de l’AFA. » Cette rencontre est aussi l’occasion pour André Billy, délégué du Nord au conseil de l’Union, et L.A.M. Fevez, président de l’AFA, de se rencontrer.

L’approche du congrès de la FIFA qui se tient en juin 1908 à Vienne fait monter la tension. L’USFSA se déclare favorable à l’AFA et se dit prête à appuyer sa demande d’adhésion au sein de la Fédération Internationale. Dans les jours précédant le congrès, Frédérick Wall, le secrétaire de la FA, explique que son organisme gère 250 000 joueurs amateurs pour seulement 7 000 professionnels et précise qu’elle a toujours soutenu les premiers contrairement à ce qu’avancent les responsables de l’AFA. Il rappelle également que depuis son entrée à la FIFA, l’Angleterre s’est rapprochée du continent en disputant une rencontre internationale en 1906, deux en 1907 alors que sept matchs sont joués ou planifiés en 1908.

Lors du congrès, les 7 et 8 juin 1908, seule l’USFSA se prononce en faveur de l’AFA, dont l’adhésion est refusée ce qui contraint la France à se retirer10. Aucune fédération membre de la FIFA ne l’a soutenue, ce qui est un échec cuisant pour André Billy, président de la commission de Football association de l’Union. D’autres décisions prises lors de cette assemblée ont leur importance. Partant du principe que seules les fédérations représentant un État internationalement reconnu peuvent être admises, l’Autriche obtient l’exclusion de la Bohême, et les demandes de l’Écosse et de l’Irlande sont refusées11. Pour l’USFSA, les conséquences de ce vote sont catastrophiques et la France se retrouve isolée. L’Allemagne est la première à la boycotter. Les dirigeants suisses regrettent le retrait français et espèrent qu’il ne sera que temporaire, tout en craignant que les exclus du congrès (AFA, USFSA ainsi que la Bohême, l’Écosse et l’Irlande) ne fondent une fédération dissidente.

Figure n° 1 : Caricature d’André Billy par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

Figure n° 1 : Caricature d’André Billy par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

Crédits : Football 29 janvier 1910. Coll. part.

Des voix s’élèvent en France pour protester contre la politique de l’Union qui isole les footballeurs du pays. Il est reproché aux dirigeants unionistes un manque d’ouverture d’esprit et surtout de ne pas donner aux footballeurs la place qui leur est due au sein de la puissante fédération omnisport. Les journaux se demandent aussi pourquoi l’Union s’est mêlée du conflit anglais et n’a pas anticipé les conséquences de ses décisions.

La situation se complique vite pour l’USFSA, puisque le Comité Français Interfédéral (CFI), fédération créée à l’initiative de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (FGSPF) en 1906, demande son adhésion à la FIFA en octobre 1908. La création de cette entité est une réponse à la politique d’ostracisme menée par l’Union vis-à-vis des Patronages12. En 1908, 600 clubs sur les 1 000 pratiquant le football en France sont affiliés au Comité13.

Pour autant, les dirigeants de l’Union ne restent pas inactifs. Fin septembre 1908, lors d’un déplacement de l’Olympique Lillois à Prague, l’idée d’une fédération amateure commence à apparaître. André Billy président du club nordiste mais aussi vice-président de l’Union, y rencontre les dirigeants de la Bohême ainsi que certains de l’AFA qui ont fait le déplacement. D’excellentes relations se nouent au cours de ces rencontres et le journal de Prague Sportovni Přehled indique que « l’iniquité commise au congrès de Vienne » devrait pousser l’USFSA, l’AFA et la Bohême à créer « une fédération internationale d’amateurs d’où seront bannies les basses intrigues politiques. » Cette idée est soumise au conseil de l’Union le 19 octobre 1908 qui accepte son principe14.

Le 13 décembre 1908, la FIFA organise un congrès extraordinaire à Bruxelles pour entériner les décisions prises à Vienne quelques mois plus tôt et étudier la demande d’admission du CFI. Son président, Charles Simon, défend le dossier français et obtient une adhésion à titre provisoire qui doit devenir définitive au plus tard lors du congrès de 1910. Le lendemain, le 14 décembre 1908, l’union internationale amateur de football association, qui se compose de l’USFSA, de l’AFA et de la fédération de Bohême est fondée. La Russie, la Bosnie-Herzégovine, la Turquie et surtout la Suisse sont pressenties pour rejoindre cette nouvelle fédération15.

Une tentative de concurrence pour la FIFA

En dépit de l’échec du congrès de Vienne, André Billy est persuadé que la Suisse va rejoindre l’UIAFA. Victor Schneider, ainsi vice-président de la FIFA, pourrait même devenir le président de l’Union Amateur. Le dirigeant suisse essaie de convaincre ses compatriotes d’adhérer à la nouvelle fédération. Il n’arrive cependant pas à convoquer une assemblée extraordinaire pour discuter de la question internationale et l’Association Suisse de Football (ASF) reporte les discussions au mois de mai, maintenant l’interdiction de rencontrer des équipes de l’USFSA d’ici là.

Le 19 mars 1909, l’UIAFA réunit son premier congrès à Paris avec ses trois membres, à savoir la France, représentée par l’USFSA, l’Angleterre par l’AFA, et la Bohême, par la Cesky Svaz FootballovÝ (CSF). La Suisse n’en fait pas officiellement partie, mais Victor Schneider, qui aurait les pleins pouvoirs pour parler au nom de son pays, d’après les informations remontées par le journal L’Auto, est présent. Après avoir quitté la FIFA, il devient président de l’UIAFA, l’Anglais Fevez est vice-président et le Français André Billy secrétaire16. L’événement est relaté dans la presse suisse qui affirme que l’ASF n’a envoyé aucun délégué à ce congrès. Le journal L’Impartial écrit même « C’est donc la guerre déclarée dans le monde du football européen ». La veille du congrès, une première rencontre internationale est organisée entre la France USFSA et l’Angleterre AFA pour un succès des Anglais 8-0. Dès lors, la presse doit faire dans ses comptes rendus la distinction entre les matchs opposant la France (USFSA) à l’Angleterre (AFA) organisées par l’UIAFA de ceux entre la France (CFI) et l’Angleterre (FA) disputés sous la tutelle de la FIFA. Si la géopolitique du football européen se complique, le suivi des rencontres pour les sportsmen passionnés de football devient ardu.

Cependant, cette nouvelle fédération permet à André Billy, de garder dans un premier temps la confiance de la commission de football association de l’USFSA. Il est néanmoins mis en minorité lors des élections de mai 1909 et contraint de démissionner, ce qui entraîne des changements dans la politique internationale de l’Union. La commission centrale semble vouloir réintégrer la FIFA, un rapprochement avec le CFI est même évoqué. Le journal La Presse prend cependant position en affirmant que l’exclusion définitive de l’USFSA « sera […] le plus grand service que la FIFA aura rendu au monde sportif, en éliminant à tout jamais de son sein les encombrants personnages, qui par des moyens indignes de sportsmen, voulaient à leur profit, accaparer le monopole du football en France. »

Au congrès de la FIFA de Budapest du 30 mai 1909, André Espir, membre de la commission de football de l’USFSA venu représenter l’Italie, n’arrive pas à obtenir l’autorisation pour les clubs suisses et italiens de jouer contre les clubs de l’Union. Seules l’Italie et la Suisse ont voté pour, la Belgique s’est abstenue. La situation est compliquée aussi pour les Belges, privés des rencontres contre les équipes du nord de la France. La Belgique ne se sent cependant pas suffisamment forte pour s’opposer à la FIFA. Un an plus tard, lors du congrès du 15 mai 1910, le CFI est admis à titre définitif au sein de l’organisation internationale.

Figure n° 2 : Caricature d’André Espir par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

Figure n° 2 : Caricature d’André Espir par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

Crédits : Football 27 novembre 1909. Coll. part.

L’activité de l’UIAFA reste pourtant limitée. Quelques matchs sont organisés, dont trois rencontres internationales (Angleterre-Bohême 10-1 en septembre 1909, Angleterre-Pays de Galles 4-3 en janvier 1910 et Angleterre-France 20-0 en mars 1910), mais leur organisation relève plus des associations nationales que de la Fédération Internationale Amateur. Sur la même période, l’Angleterre (FA) joue neuf matchs (six en 1909 et trois en 1910), la France (CFI) cinq (deux en 1909 et trois en 1910) et le Pays de Galles six (trois en 1909 et autant en 1910). L’UIAFA s’enrichit par ailleurs d’un nouveau membre le 15 octobre 1910 avec l’arrivée de la FECF (Federación Española de Clubs de Fútbol). L’USFSA approche le Luxembourg, mais, après mûre réflexion, la fédération du Grand-Duché préfère rejoindre la FIFA. Les membres de l’Union Amateur pour leur part ne se sont plus réunis depuis le congrès de mars 1909.

Le retour dans le giron international

La situation est tendue pour les clubs membres de l’UIAFA. En France, le nombre limité de rencontres internationales est préjudiciable économiquement et sportivement. Certains clubs omnisports parisiens songent à faire adhérer leur section football au CFI, de manière à pouvoir reprendre les oppositions contre des clubs étrangers, mais en laissant les autres disciplines sous l’égide de l’Union. L’USFSA refuse ce mode de fonctionnement et quelques équipes parisiennes décident de la quitter pour fonder la Ligue de Football Association (LFA)17. Deux objectifs sont mis en avant : permettre aux clubs de gérer leur sport car la Ligue ne s'occupe que du football, et surtout reprendre les rencontres internationales puisque la LFA adhère immédiatement au CFI. En Angleterre, l’AFA continue de se développer et de fédérer de nouveaux membres, mais un mouvement de protestation voit le jour sur l’île de Thanet. Les clubs de cette île, qu’ils soient amateurs ou fidèles de la FA, jouent toujours les uns contre les autres en dépit du veto. Les dirigeants locaux proposent que l’AFA adhère à la FA mais conserve son autonomie. Cette proposition est refusée par les instances des deux fédérations qui la jugent inacceptable. En France et en Angleterre, les clubs amateurs souffrent de plus en plus de leur isolement, mais l’intransigeance de leurs dirigeants bloque la situation.

À l’initiative de l’USFSA, l’UIAFA tient un nouveau congrès le 3 janvier 1911. Trois nouveaux membres sont accueillis : l’Autriche, la Belgique représentée par la Fédération Belge de Sports Athlétiques et la Suisse à travers la Ligue Sportive Suisse. Les fédérations représentant ces deux derniers pays jouent un rôle national secondaire dans l’ombre de l’Union Belge des Sociétés de Sports Athlétiques et l’Association Suisse de Football. L’arrivée prochaine des amateurs d’Afrique orientale britannique et d’Amérique du Sud est évoquée par le journal néerlandais Het Vaderland. Les Anglais jouent deux nouvelles rencontres internationales en ce début d’année (victoires contre les Gallois 4-0 en janvier, puis 3-1 face à la France en mars). L’année sportive se termine avec un grand tournoi européen disputé à Roubaix dans le cadre de l’Exposition internationale du nord de la France. La Bohême, vainqueur de la France 4-1 dans la première demi-finale, s’impose 2-1 en finale face aux Anglais, tombeurs de l’équipe du nord de la France 2-1 dans l’autre demi-finale. En marge du tournoi, l’UIAFA tient son congrès et accueille un nouveau membre : la Pologne. Un nouveau congrès est prévu à Prague en mai 1912. À la fin de la saison, Tous les Sports comptabilise 105 rencontres jouées (ou à jouer) sur la saison, soit 31 de plus que l’année précédente.

L’année 1912, qui débute par deux nouvelles victoires anglaises (7-1 face à la France et 10-0 contre le Pays de Galles), semble être celle de la réconciliation. Lors du match opposant l’équipe de France de l’USFSA à la Catalogne le 20 février (victoire française 7-0), les dirigeants de l’Union invitent leurs homologues du Comité à assister à la rencontre. De son côté l’AFA accepte d’entrer en discussion avec la FA, mais sans trouver de terrain d’entente. Le 20 mars, L’Auto titre « L’USFSA au CFI ». Cette entrée découlerait d’une décision prise lors du conseil de l’Union, contraint de céder face à la pression des clubs de football-association désireux de reprendre les rencontres internationales. L’Union s’assure toutefois que cette adhésion ne se fera que pour le football, point qu’elle avait refusé en 1910 et qui avait amené la scission de certaines équipes et la création de la LFA. Des matchs entre clubs de l’Union et du Comité sont annoncés, mais l’USFSA refuse la participation de joueurs étrangers pour ces rencontres. Aucun accord n’est trouvé et le CFI ajoute qu’aucune demande d’adhésion de l’Union ne lui est parvenue. En juin 1912, la constitution de l’équipe de France pour les Jeux olympiques de Stockholm fait surgir une nouvelle source de tensions. Contrairement à ce qui valait pour l’édition londonienne de 1908, une affiliation à la FIFA est nécessaire pour participer aux épreuves. La situation en France est complexe : le Comité Olympique Français (COF) reconnait l’Union, mais pas le CFI, qui lui est reconnu par la FIFA. Pour que la France soit représentée par une équipe de football aux Jeux, il faut que l’Union demande son affiliation au Comité. L’USFSA propose alors une liste de joueurs au CFI qui se dit prêt à l’accepter si l’Union rejoint le Comité. Cette liste est transmise au COF le 20 juin, mais les retraits de deux joueurs sur blessure (Paul Romano et Alfred Gindrat) annoncés le lendemain amènent le CFI à déclarer forfait, d’autant plus que l’Union ne fait aucune demande d’admission au Comité.

Ce n’est que le 4 janvier 1913 que l’Union demande officiellement à entrer au CFI18. La conséquence la plus importante est « l’union de tous les footballeurs français sous une même bannière ». L’AFA, abandonnée par son allié français et qui voit un certain nombre de ses clubs la quitter pour rejoindre la FA, joue un dernier match contre le Pays de Galles pour un nouveau succès 6-0 avant d’entamer des discussions avec la FA. Une première tentative se solde par un échec en avril 1913. L’AFA finit par accepter les conditions de paix de la FA le 30 janvier 1914. Elle peut conserver son titre et son organisation, mais elle accepte la juridiction de la FA19.

Les raisons de l’échec de l’UIAFA

Deux raisons principales expliquent l’échec de l’UIAFA : le manque de reconnaissance internationale et l’isolement dont souffrent les équipes des fédérations membres.

L’UIAFA se compose de trois types de fédérations, dont la reconnaissance aussi bien au niveau national qu’international est limitée. Il y a tout d’abord les fédérations dissidentes et de faible importance sur leur territoire national. C’est le cas de l’AFA bien entendu, mais aussi de la Ligue Sportive Suisse et de la Fédération Belge de Sports Athlétiques. Viennent ensuite les fédérations qui représentant des nations ou régions n’existant pas en tant qu’État indépendant. C’est le cas de la Bohême, de la Catalogne, de l’Autriche et de la Pologne. Il reste enfin le cas français, avec l’USFSA qui est la fédération la plus puissante du pays, mais omnisports et qui décide de défendre les valeurs de l’amateurisme. À ces trois types de fédérations peut s’ajouter le cas du Pays de Galles, qui a disputé au cours de ces années quatre rencontres face à l’Angleterre, mais qui n’est représenté par aucune fédération. Cette équipe est constituée de joueurs gallois évoluant dans les clubs des équipes membres de l’AFA. Lors de la fondation de l’UIAFA, l’adhésion de la Suisse ou de l’Italie, qui aurait été représentée par l’unique fédération de football de l’un de ces pays, était envisagée. La présence d’une telle fédération aurait peut-être donné plus de crédibilité à la Fédération Internationale Amateur.

Le second frein au développement de cet organisme découle du premier. Sans réelle reconnaissance internationale, et en conflit ouvert avec la FIFA qui interdit à ses membres de disputer des rencontres contre les amateurs, les équipes de l’UIAFA se sont retrouvées sans partenaires de jeu. C’est cette limitation des rencontres internationales qui a poussé les équipes membres à manifester leur mécontentement, et pour certaines à abandonner la Fédération Amateur, soit en quittant l’AFA ou l’USFSA pour rejoindre la FA ou le CFI et ses alliés, soit en fondant une nouvelle fédération dédiée au football comme la LFA en France, devenue dans la foulée membre du CFI.

Un malaise bien plus profond

L’échec de l’UIAFA cache aussi des raisons plus profondes. Alors que cette Fédération veut défendre un sport amateur, elle ne cache pas son attachement à l’aristocratie et donc indirectement à une certaine élite sociale20. Le président d’honneur de l’UIAFA est le prince Arthur de Connaught. Le président d’honneur de la Federación Española de Clubs de Fútbol qui rejoint l’UIAFA en 1910 est le Roi d’Espagne Alfonso XIII. En France, l’USFSA est dirigée par Georges de Saint Clair et Pierre de Coubertin qui se retrouvent dans des valeurs aristocratiques21. Les principaux clubs fondateurs de l’AFA (Corinthians, Casuals, Old Etonians, Old Carthusians, New-Crusaders) sont des équipes d’anciens étudiants issus de l’élite sociale. Alors que le football s’ouvre de plus en plus aux masses populaires en ce début de xxe siècle22, la direction de l’UIAFA reste entre les mains d’une élite sociale dont les valeurs sont un frein au développement de la fédération amateur.

La création de l’UIAFA est issue du conflit qui a opposé dans un premier temps les amateurs anglais à la FA et qui s’est par la suite répandu en Europe avec pour conséquence le départ de l’USFSA de la FIFA. Le Comité Français Interfédéral, créé à l’initiative des Patronages de France, a toujours prôné l’apaisement et tenté d’unir les différentes fédérations sportives françaises. Son président, Charles Simon déclare dès 1908 que le CFI « est ouvert à tous les groupements de notre pays, sans exceptions23 », ce qui inclut l’USFSA. À l’inverse, l’Union reste dans une logique de conflit avec le Comité qu’elle déclare « inexistant à ses yeux24 ». Si les tensions présentes en Angleterre et en France avec les Amateurs existent avant la création de l’UIAFA, la Fédération Amateur va poursuivre le travail de division initié par ses fondateurs. La Suisse, avec la Ligue Sportive Suisse, la Belgique, à travers la Fédération Belge de Sports Athlétiques, et l’Espagne, par l’intermédiaire de la Federación Española de Clubs de Fútbol, voient leur fédération nationale se diviser et subir les conséquences de ce conflit. L’USFSA est victime en 1910 de ce mode de fonctionnement, lorsque quelques clubs parisiens font scission pour fonder la LFA, à travers laquelle ils recherchent entre autres une plus grande reconnaissance de leur sport. Cependant, lorsque l’AFA et l’USFSA commencent à subir les conséquences de leur politique, ils mettent en avant les liens d’amitié tissés entre les membres de l’UIAFA pour refuser le dialogue avec la FA pour l’AFA, le CFI pour l’USFSA.

Vers l’unité du football européen et mondial, mais aussi du football français

L’organisation actuelle de la boxe présente une situation similaire avec celle du football international du début du xxe siècle. Quatre associations (WBA – World Boxing Association, WBC – World Boxing Council, IBF – International Boxing Federation et WBO – World Boxing Organization) coexistent et sacrent chacune leur propre champion du monde, débouchant sur une organisation de compétitions peu lisibles. La chute de l’UIAFA évite au football européen ce système complexe, mais lui permet surtout d’être unifié et d’avoir une organisation simplifiée.

L’échec des Amateurs et l’arrivée de l’Union, de ses clubs et joueurs au Comité marquent le début de l’unité du football français, même s’il ne s’agit encore que d’une union de façade. Chacune des fédérations constituant le CFI continue d’organiser ses propres épreuves dont les vainqueurs se retrouvent pour sacrer le champion national lors du Trophée de France joué en fin de saison. Cette unité toute relative bénéficie toutefois à l’équipe de France. Pour la première fois depuis le football s’est implanté dans le pays, tous les footballeurs français peuvent postuler une place en équipe nationale. Les conflits de fédérations et les affiliations changeantes à la FIFA excluaient systématiquement certains joueurs. À partir de la réconciliation de 1913, la désignation des sélectionnés est faite par le comité de sélection du CFI composé de trois représentants pour chacune des quatre principales fédérations composant le CFI (la Fédération Cycliste et Athlétique de France en plus de la LFA, la FGSPF et l’USFSA). Même si les membres de ce comité vantent l’excellent état d’esprit régnant lors des séances, chacun d’eux essaie de défendre sa fédération et de mettre en avant ses joueurs. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, lorsque l’USFSA disparait pour être remplacée par des fédérations unisports, que la Fédération Française de Football Association (FFFA) est créée permettant l’unification du football français. Il est symptomatique que les premiers dirigeants de la jeune FFFA, qu’il s’agisse du président Jules Rimet ou du secrétaire général Henri Delaunay, soient les anciens responsables du CFI, qui peuvent voir là l’aboutissement de leur œuvre. « Jamais depuis 1906 le CFI, fondé par notre pauvre Simon, Chailloux et moi-même, n’a dévié de sa route. Réclamant la liberté pour tous les clubs, nous avons toujours porté nos efforts vers la centralisation du CFI et souffert de nos luttes intestines. La grande paix est faite maintenant pour nous par l’unification et l’autonomie de notre FA et nous allons pouvoir consacrer tous nos efforts à l’installation de notre nouvel organisme national et de nos ligues régionales.25  »

Notes

1 L’USFSA est la principale fédération omnisport française de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Elle défend les valeurs de l’amateurisme. Les différentes disciplines sont gérées au sein de commissions dédiées. Retour au texte

2 Sur les débuts de la FIFA, voir Alfred Wahl, « La Fédération Internationale de Football Association (1903-1930) », in Pierre Arnaud et Alfred Wahl (dir.), Sports et relations internationales. Actes du Colloque de Metz-Verdun septembre 1993, Metz, 1994, p. 31-45. Retour au texte

3 Sur l’histoire de l’AFA et de la crise, voir notamment Dilwyn Porter, « Revenge of the Crouch End Vampires: The AFA, the FA and English Football’s “Great Split”, 1907-1914 », Sport in History, 2006, vol. 26, p. 406-428. Retour au texte

4 Matthieu Delahais, L’Union Internationale Amateur de Football Association, mémoire de Master 2, Université d’Artois, 2023 (sous la direction d’Olivier Chovaux et François da Rocha Carneiro). Retour au texte

5 « Division » en anglais Retour au texte

6 Matthew Taylor, The Association Game. A History of British Football, Londres, Pearson Longman, 2008, p. 85. Retour au texte

7 Ernest Weber, « Une Fédération Anglaise Amateur », L’Auto, 2 juin 1907. Retour au texte

8 « La guerre entre fédérations anglaises », L’Auto, 6 octobre 1907. Retour au texte

9 Article 1 des statuts de 1904 qui stipule que les « fédérations [fondatrices] se reconnaissant réciproquement comme les seules fédérations régissant le sport du football association dans leurs pays respectifs et comme les seules compétentes pour traiter des relations internationales ». Retour au texte

10 Robert Desmarets, « À Vienne, l’USFSA est mise en échec », L’Auto, 11 juin 1908. Retour au texte

11 Christiane Eisenberg, Pierre Lanfranchi, Tony Mason, Alfred Wahl, FIFA (1904-2004) Le Siècle du football, Paris, Le Cherche-Midi, 2004, p. 62. Retour au texte

12 Julien Sorez, Le football dans Paris et ses banlieues. Un sport devenu spectacle, Rennes, PUR, 2013, p. 62. Retour au texte

13 Abel Leveillé, « Un Comité Français Interfédéral », L’Auto, 24 octobre 1908. Retour au texte

14 USFSA, Conseil de l’Union, séance du 19 octobre 1908, Tous les sports, 23 octobre 1908. Retour au texte

15 Robert Desmarets, « Une nouvelle fédération internationale », L’Auto, 15 décembre 1908. Retour au texte

16 Robert Desmarets, « Football association », L’Auto, 20 mars 1909. Retour au texte

17 Robert Desmarets, « La Ligue Française », L’Auto, 1er septembre 1910. Retour au texte

18 Charles Joly, « La paix est faite », L’Auto, 5 janvier 1913. Retour au texte

19 Paul Champ, « La fin du Split », L’Auto, 1er février 1914. Retour au texte

20 Cf. Alice Bravard. « Le cercle aristocratique dans la France bourgeoise 1880-1939 », Histoire, économie & société, vol. 30, n° 1, 2011, p. 85-99. Retour au texte

21 Cf. Patrick Clastres. « Inventer une élite : Pierre de Coubertin et la « chevalerie sportive » », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, vol. 22, n° 2, 2005, p. 51-71. Retour au texte

22 Paul Dietschy, Histoire du football, Paris, Perrin, 2010. Retour au texte

23 Abel Leveillé, « Une rectification », L’Auto, 25 octobre 1908. Retour au texte

24 Charles Simon, « La question internationale. Après le congrès de Budapest », Les Jeunes, 19 juin 1909. Retour au texte

25 Henri Delaunay, « La Fédération Française de Football Association existe », L’Auto, 9 avril 1919. Retour au texte

Illustrations

  • Figure n° 1 : Caricature d’André Billy par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

    Figure n° 1 : Caricature d’André Billy par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

    Crédits : Football 29 janvier 1910. Coll. part.

  • Figure n° 2 : Caricature d’André Espir par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

    Figure n° 2 : Caricature d’André Espir par le peintre et dessinateur de presse Willem Van Hasselt par ailleurs membre du Racing Club de France.

    Crédits : Football 27 novembre 1909. Coll. part.

Citer cet article

Référence papier

Mathieu Delahais, « L’Union internationale amateur de football association ou les derniers feux d’une bourgeoisie sportive (1909-1912) », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 4 | 2024, 169-178.

Référence électronique

Mathieu Delahais, « L’Union internationale amateur de football association ou les derniers feux d’une bourgeoisie sportive (1909-1912) », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 4 | 2024, publié le 24 mai 2024 et consulté le 21 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/football-s.685. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=685

Auteur

Mathieu Delahais

Doctorant à l’université d’Artois

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0