Introduction : rascasse et muguet
Coincée entre mer et collines (Coudon, Faron), située entre la fantasque Marseille et l’azuréenne Nice, la ville de Toulon semble ne pas posséder l’envergure de ses voisines. Voici les termes utilisés par la politologue varoise Virginie Martin pour la décrire :
Ville à l’image complexe, plurielle, aux clichés peu reluisants, aux pratiques rappelant l’Italie, pour ne pas dire la Sicile. Toulon est une vraie cité méditerranéenne, une véritable ville du Sud. Pourtant, son charme est loin d’être immédiat. […] avec ses immigrés, ses Corses et ses pieds-noirs […] elle traîne sa réputation comme un fardeau : premier port militaire de France, la ville a son lot de marins, de rues chaudes et de prostituées. Toulon sordide1 ?
Par-delà la description quelque peu sombre du chef-lieu du Var (83), le constat a le mérite d’être posé : Toulon, un petit peu comme Sète (34), est une cité maritime qui a connu un glorieux passé portuaire et qui désormais jouit, sans prétention, d’une mauvaise réputation2. Usurpées ou non, ces représentations existent bel et bien et se retrouvent jusque dans celles qui nimbent le principal club de football d’une ville qui, posons l’hypothèse, priorise le rugby.
Pourtant, Toulon fait partie des trois bastions originels du football français3. Le Sporting Club de Toulon naît en 1945 et présente quelques similitudes avec les vert et blanc du Football Club (FC) de Sète cher à l’historien Pierre Lanfranchi4. Le logo de ces clubs portuaires érige tous deux en symbole une créature marine. Les joueurs sétois sont surnommés les dauphins, ceux de Toulon ont pour emblème la rascasse. Cette dernière est assez effrayante d’aspect. Douée d’un mimétisme adaptatif remarquable et dotée d’épines redoutables, elle a inspiré la devise affichée dans le musée du club : « Qui s’y frotte s’y pique ». Appréciés dans la bouillabaisse, les scorpénidés restent de communs poissons de roche, et le Sporting peine à s’extirper des bas-fonds du National 2, division où règne l’amateurisme marron. Il faut dire que la rade toulonnaise – théâtre de l’un des premiers coups d’éclat du jeune Napoléon en 1793 – a pour empereur un club de rugby.
Dans la géographie de l’ovalie professionnelle, le Rugby Club Toulonnais (RCT) s’affirme en exception est-méridionale d’un sport essentiellement concentré dans le Sud-Ouest et la région parisienne. L’anthropologue Christian Bromberger5 a montré l’importance de l’émigration italienne et maghrébine dans la ferveur footballistique autour de Marseille et ses alentours (dont Toulon qui n’est qu’à 60 km). Si l’on excepte la tombe mentonnaise6 de William Webb Ellis, la Côte d’Azur ne semble pas pouvoir être rangée parmi les hauts lieux rugbystiques. Cependant, dans leur article consacré à cette stèle patrimoniale, les historiens Yvan Gastaut et Paul Dietschy relèvent que le « Pilou-Pilou, cri de guerre des supporters du RCT, constitue aujourd’hui un élément du patrimoine immatériel de l’Ovalie7 ». Créé en 1908 sous le patronage du Stade Toulousain dont il emprunte les couleurs, le RCT et les Occitans oscilleront toujours entre respect et rivalité. Toulon ajoute au rouge et au noir un brin de muguet, hommage à son célèbre mécène, Félix Mayol. Venir au stade du même nom, posé à deux encablures des navires de guerre, est devenu un incontournable du pèlerinage rugbystique.
Le but de cette contribution à l’histoire du sport portuaire est de défendre l’idée que, dans la cité toulonnaise, le RCT domine sur bien des plans le Sporting. Ce constat fait figure d’exception dans cette partie du littoral méditerranéen et pousse à questionner l’histoire patibulaire d’un club de football qui reste toutefois au centre d’un culte nostalgique de la part de passionnés. Pour étayer cette démonstration, le propos s’adosse à un cadre théorique sociohistorique qui articule les méthodes de l’histoire du temps présent8 (archives et musée des clubs étudiés, presse) avec des entretiens semi-directifs menés auprès des acteurs majeurs de l’objet étudié (entraîneurs, joueurs, dirigeants, arbitres, présidents des clubs de supporteurs du Sporting et du RCT).
Toulon et ses pieds-noirs, le Sporting et sa caisse noire (1945-2000)
Paul Dietschy le rappelle9, le sort des villes et des clubs tel que Toulon et Sète est tributaire du devenir économique de leurs ports. Dans les années 1930, Le FC Sète gagne deux championnats de France et deux Coupes de France grâce à son président mécène, Georges Bayrou, négociant en vin à l’époque où le port languedocien vit en partie de l’importation des vignes de l’Algérie encore française. De son côté, Toulon correspond bien à la Méditerranée et ses cités à la « triple temporalité », définie au fil de l’œuvre de l’historien Fernand Braudel. Le « temps long de l’espace géographique » toulonnais renvoie à cette exceptionnelle et profonde rade abritant voiliers et galères dès l’Antiquité, et qui accueille encore aujourd’hui la plus grande base navale française. Le « temps moyen des cycles économiques » replace Toulon dans une contemporanéité peu industrielle mais dominée par le tourisme et le secteur tertiaire. Enfin, la « temporalité brève du politique » s’oriente bien souvent, en ces rivages varois, très à droite, avec notamment l’avènement du Front National (FN), élu à la tête de la municipalité en 1995. La saison 1994-1995 est d’ailleurs emblématique du quotidien du principal club de football de la ville, rythmée par les audits de la DNCG10 et les vaines tentatives de pérennisation :
Sur la dernière journée, on croit se maintenir grâce à un doublé de Zanotti en fin de match mais on apprend qu’on descend à cause du goal average particulier. Saison galère avec des embrouilles de salaires non payés, la DNCG qui nous cherche des poux… Et finalement c’est cette même DNCG qui nous sauve car d’autres clubs étaient pires que nous. Mais les finances du club n’étaient pas saines et en 1998 on est rétrogradés administrativement en CFA 2 [National 3]. Toulon, c’est particulier… Un mec qui est optimiste au sujet du Sporting, c’est un fou !11
Pourtant, la trajectoire historique du Sporting a longtemps été ascendante. Ce dernier est créé entre 1944 et 1945, dans la période de la Libération qui a vu la ville être le théâtre d’épisodes militaires décisifs. Cette période est celle du mythique entraîneur Gaby Robert. Le président de l’époque, le Docteur Coulomb, engage l’équipe fanion en championnat professionnel de deuxième division, sous des couleurs « Noir et Or » qui se transformeront définitivement en « Azur et Or » en 1955-1956. Cette saison marque aussi l’inauguration de Bon Rencontre. Construit sur une ancienne décharge à proximité de l’Arsenal de la Marine Française, ce stade est encore aujourd’hui l’antre des Toulonnais pour les matchs à domicile. Trois exercices plus tard, le club monte en première division et des barres d’immeubles vont peu à peu entourer Bon Rencontre.
En effet, les années 1960 voient la ville et le club vivre au rythme des arrivées des pieds-noirs d’Algérie. Entre 1962 et 1968, environ 20 000 rapatriés s’installent à Toulon, en particulier dans le quartier Saint-Jean. Le recensement de 1968 avance qu’ils représentent 10 % de la population (174 746)12. Au Sporting, les archives des deux musées du club laissent voir que les effectifs sont largement constitués par les vagues successives d’émigration, qu’elles viennent de Corse, d’Italie ou d’Algérie. La moustache d’Éric Vicent, rugueux défenseur pied-noir, est souvent mise en avant. Cette expansion urbaine se retrouve dans la multitude d’associations de rugby de quartiers13 qui émaillent ce qui s’appellera plus tard l’ère « Toulon Provence Méditerranée » (TPM). Outre le RCT réservé à une élite, citons, les clubs du Mourillon, de La Seyne, de Carqueiranne, le Rugby Club Corse, etc. L’Union Sportive de l’Arsenal Maritime (USAM, crée en 1937) a la particularité d’accueillir des sections rugby et football. Dans les deux sports, les matchs opposant les différents clochers sont nombreux et leur intensité contribue à forger une identité sportive toulonnaise basée sur l’agressivité. Et ce, jusque dans les représentations qui tiennent lieu de style de jeu des équipes fanions des clubs phares de la cité maritime.
Lors de la saison 1984-1985, le Sporting Toulon oscille entre la première et la seconde division, frôle la Coupe d’Europe et brille régulièrement en Coupe de France. Pour nourrir ses ambitions de la fin des années 1980, le Sporting attire des joueurs renommés comme Laurent Paganalli et Rolland Courbis, dit « Courbis », surnommé par la presse locale « Rolland le magnifique » pour son goût des costumes italiens et des casinos. Dans la foulée de sa retraite des terrains, Courbis devient entraîneur du Sporting au cœur du championnat 1986-1987. L’année suivante, le coach noctambule réussit la meilleure saison de l’histoire du club en finissant à la cinquième place de D1 avec une génération dorée comprenant des joueurs comme Bernard Casoni et David Ginola. Courbis troque ensuite son poste d’entraîneur pour celui de manager général, probablement pour donner libre cours à son activité d’agent de joueurs. Les deux musées du club enjolivent quelque peu cette fin des années 1980 ou l’affiche Marseille-Toulon était réellement un derby (le musée officiel et matériel situé sous la tribune Borelli de Bon Rencontre ; le non-officiel, très suivi car virtuel, est tenu par un ultra de longue date14). Il faut dire qu’à son apogée, le Sporting joue à Mayol et propose un jeu agressif qui plait aux Toulonnais, en écho aux ballons portés et au jeu d’avants du RCT, réputé pour ces secteurs de jeu dit de « la conquête »15.
Cependant, des transferts, nombreux et opaques, rythment alors l’axe Sporting-Olympique de Marseille (OM), Courbis, étant aussi conseiller du président de l’OM, Bernard Tapie. La période phocéenne du controversé homme d’affaires le voit étendre son influence jusqu’au Var, ce qui complique, selon Paul Dietschy, « les rapports consanguins (et bien français) liant clubs de football et collectivités locales16 ». Le club est alors parrainé par Maurice Arreckx, maire de Toulon jusqu’en 1985 et réputé proche du « milieu » varois de Jean-Louis Fargette. On retrouve aussi dans cet écosystème du Sporting la députée FN Yann Piat, Francis Vanverberghe, dit « le Belge » et son fils, joueur au club. Les quatre dernières personnes mentionnées finiront assassinées par balles. En 1990, un période de tempêtes judiciaires agite la rade. Des joueurs de l’OM sont arrêtés par la police pendant l’entraînement et placés en garde à vue tandis que Rolland Courbis et Éric Goiran (directeur administratif du club) sont incarcérés, inculpés pour recel, faux et usage de faux en écritures commerciales et abus de confiance. Jean-Pierre Zanoto, juge d’instruction marseillais, découvre irrégularités et déficits dans la gestion du Sporting. C’est l’affaire dite « de la caisse noire du Sporting17 » qui ébranle le football français de la fin des années 1980, tandis que le RCT continue d’écrire une légende sportive plus consensuelle (citons le Brennus de 1987 avec le bandeau rouge de l’entraîneur Daniel Herrero).
Pour terminer sur cette partie, mettons en avant les propos de « Jules », lui qui a endossé bien des rôles pour le Sporting (joueur, entraîneur de différentes équipes, directeur technique) :
Sur les années Courbis, il y avait une connexion très forte avec l’OM et Tapie qui a aidé financièrement le Sporting. Mais il y avait aussi une rivalité. En tout cas, le vrai derby, ce n’est pas la rivalité avec le PSG bricolée par Canal+. À l’époque, le vrai rival de l’OM c’était le Sporting Toulon. C’était excitant, il y avait des bagarres, le cirque dans la tribune ultra… Tous les anciens du club s’en souviennent et diront que le Sporting, c’est particulier. En bien ou en mal, mais c’est particulier. Il y a ici, dans la région, un tropisme particulier. Une identité toulonnaise forte, avec une ferveur curieuse car le club meurt la bouche ouverte depuis plus de vingt ans et que le rugby fait de l’ombre. Mais il y a une nostalgie forte de la part des anciens, une identité de club18.
Un Pilou-Pilou qui recouvre la rascasse ? (2000-2019)
Réfléchir à la place du sport dans la 13e ville de France ne peut faire l’économie d’évoquer la figure d’Hubert Falco. Maire de la ville entre 2001 et 2023, il est aussi connu pour l’influence de ses réseaux19 variés : franc-maçonnerie, communauté pied-noir, vielle garde chiraquienne. Le maire déchu aura suivi attentivement, au cours de ses mandats, le dossier du principal club de football de la ville. Toutefois, jouer au ballon rond à Toulon se fait dans l’ombre du rugby20 et Falco fut avant tout un soutien sans faille de l’ovalie21. Lors de la saison 2006-2007, le Sporting agonise et se constitue en Société Anonyme Sportive Professionnelle, ouvrant son capital au public ; plus de 250 supporters deviennent actionnaires du club sous l’appellation des « Socios », s’inspirant de certains clubs espagnols. Mais dans le microcosme du football varois, voici ce qu’il se dit de cette initiative :
Ce n’est qu’un affichage et il n’y a plus rien, excepté sur le site officiel du club. Par contre, à Toulon, il y a des ultras très actifs en tribune. Ils sont en opposition avec la direction […] Tu me demandes mon avis de supporteur sur la fusion avec le Las… C’était plutôt une absorption et là, pour le coup, Joye a bien manœuvré22.
En effet, l’édition du 26 février 2016 de Var Matin du relate la fusion entre deux écuries de quatrième division ; le Sporting Toulon et Toulon Le Las, officiellement pour donner un seul et « grand club à Toulon », dixit Hubert Falco dans le même numéro. Mais aussi pour des enjeux de subventions car la mairie ne cautionne pas deux clubs à ce niveau. Le Sporting Toulon sort clairement gagnant de cette manœuvre « d’absorption ». Néanmoins, ses effets se font attendre et le « grand club » n’a pas émergé.
À défaut de grandeur, les agissements de certains dirigeants frôlent parfois de près la criminalité organisée, reprenant des méthodes déjà éprouvées par les acteurs des saisons « glorieuses » du Sporting de Courbis : tentatives pour influencer les arbitres, intimidations inventives et/ou violentes dans les couloirs de Bon Rencontre envers les adversaires, mais aussi envers certains éducateurs du club qui s’insurgent contre ces méthodes. L’édition du 17 mai 2019 de Var Matin relate même un soupçon de match truqué impliquant le Sporting. Le fin mot de l’affaire ne sortira jamais ; le dossier du club n’en comporte pas qu’une. Le quotidien local a le mérite de poser la question : « tentative de déstabilisation d’un club au passé sulfureux ou graves accusations de tricherie ? ». En somme, la rascasse pâtit sérieusement de sa mauvaise réputation, et il est difficile de « désarêter » le vrai du faux dans l’enchevêtrement d’affaires qui ont au moins le mérite d’animer les discussions anisées. Celles-ci s’animent sérieusement au moment où Mourad Boudjellal tente de racheter le Sporting, après avoir hissé sur le toit de l’Europe le RCT (avec Jonny Wilkinson à l’ouverture) entre 2013 et 2015 :
Je travaillais à l’époque en tant que scientifique chargé de mesurer la composition corporelle des rugbymen. Comme les clubs anglais, le RCT avait eu l’intelligence de se tourner vers l’université […] Plus tard, le centre a financé une thèse, le staff pro a intégré un ancien arbitre [Romain Poite], bref on est sur une structure innovante. Niveau foot, on a eu un collègue qui a entraîné le Sporting [PRAG au STAPS Toulon] mais cela n’a pas duré et cela a été compliqué…23
Au début de l’été 2020, Mourad Boudjellal signe un accord « sous condition » avec Claude Joye, l’actionnaire majoritaire du Sporting. Le média en ligne RazCast TV, tenu par les ultras, publie le 16 juillet 2020 un entretien avec Boudjellal dont voici un extrait. Il y explique qu’il n’investira finalement pas dans le projet de relance :
Je suis venu au Sporting pour faire grandir ce club. Je ne sais pas si j’ai envie de bosser avec Claude Joye, on est deux oxymores. Si je bosse avec lui, je sais qu’il y a un conflit qui est latent […] Est-ce qu’on est fait pour bosser ensemble, je pense que non. Hubert Falco a essayé de nous forcer, c’est tout à son honneur, il a envie que le Sporting monte.
Cet épisode laisse un goût amer aux ultras qui cherchent encore l’armateur qui redressera la barre du club :
Mourad, entre 2013 et 2020, ce qu’il a fait avec le RCT, chapeau. Il aurait pu devenir l’empereur de la ville s’il avait vraiment voulu reprendre le Sporting. Mais il a essayé presque à contrecœur car ses deux clubs de cœurs, au fond, ce sont le RCT et l’OM. Sauf que ça, l’OM, il ne faut pas trop en parler ici et que lui l’a fait à Bon Rencontre. Il est ressorti escorté par les CRS…24
Chez les supporteurs du groupe ultra « Du passé je suis amoureux », la démarche de Boudjellal ne passe pas. Ils le font savoir par ce communiqué de presse :
En tenant une conférence de presse dans les locaux de notre Sporting [26 juin 2023] pour présenter un projet de reprise d’un autre club avec lequel nous avons un antagonisme historique [OM], celui qui disait vouloir s’appuyer sur le passé du Sporting crache à la figure de tous les amoureux du Sporting. C’est inacceptable ! Les promesses de Claude Joye comme de Mourad Boudjellal viennent s’ajouter à la longue liste de promesses dans le vide que tous les supporters du Sporting connaissent depuis bientôt 30 ans. Le Sporting n’est pas un jouet pour riches en mal de sensations ! Pour nous, la passion n’est pas à géométrie variable. Elle ne s’achète pas, elle ne se vend pas !
Présent et perspectives : le Sporting Toulon pris dans la nasse ?
Au cœur de la saison 2023-2024, l’actualité des deux historiques du football français que sont le FC Sète et le Sporting est morose. Suite à un énième dépôt de bilan, le club héraultais a perdu son nom et chuté du National 1 au Régional 3. Même si la ville de Brassens connaît un renouveau autour du tourisme et de la réalisation de séries pour la télévision, elle n’est plus le port majeur de jadis. Dans le Var, le centre-ville toulonnais a été redynamisé et le périphérique est en chantier, hypothétique promesse de fluidification d’un trafic routier erratique. La cité vit au rythme des circulations maritimes (militaire, ferry corso-sarde, pêche, plaisance, etc.), bénéficiant aussi de l’attractivité touristique d’un terroir « mer et arrière-pays » rayonnant. L’actualité sportive de Toulon a cependant été agitée par la destitution d’Hubert Falco en avril 2023, condamné suite à une nouvelle affaire de détournement de fonds publics. Il reste cependant très apprécié par une frange élevée de la population : marins, descendants pieds-noirs, supporteurs du RCT, mouvements ultras du Sporting Toulon.
Pour un club de N2, l’activisme de ses supporteurs est surprenant. Lors de la saison 2022-2023, les différents groupes ultras qui animent Bon Rencontre s’associent dans le collectif « Toulon mérite un grand Sporting », ouvertement soutenu par Falco25.
Les objectifs du mouvement sont clairs (et affichés partout sur les bâches de Bon Rencontre, dans la ville, sur les réseaux sociaux) : redonner à la ville un club de football professionnel et attirer de nouveaux investisseurs. Encore faut-il faire céder l’actuel président Claude Joye. Ce dernier cristallise une bonne part de la colère d’ultras dont la devise est claire : « défendre le maillot, changer de direction ! ».
Suite au long « feuilleton Boudjellal » (qui a aussi envisagé la possibilité d’un club fusionnant Toulon et le Hyères Football Club (HFC), l’ancien éditeur de bandes dessinées se rabat finalement en 2020 sur le voisin hyérois (même poule de National 2 que Toulon), dont il devient l’actionnaire majoritaire. Désormais, le Sporting lutte pour le maintien depuis plusieurs saisons, quand le HFC joue la montée en National 1 et ne cache pas son ambition de se professionnaliser, comme en atteste les propos d’un membre important du staff actuel du « club aux palmiers » :
Comme beaucoup de gens dans le coin, je suis passé par le Sporting [en tant qu’entraîneur adjoint], mais c’est un club vraiment trop compliqué, qui ne semble jamais pouvoir s’en sortir. Maintenant, à Hyères, même si on manque d’infrastructures, que nos spectateurs n’ont pas la ferveur des supporteurs du Sporting, on a quand même un beau projet, une belle attractivité et un fonctionnement qui commence à ressembler à quelque chose. Certains disent que le HFC n’a pas d’histoire, qu’il n’existe maintenant que par la médiocrité du Sporting… Ce n’est pas faux. Mais au moins, nous, on regarde de l’avant et pas toujours dans le passé.26
Pour sa part, « Pascal », autre homme à tout faire du Sporting (joueur, adjoint, entraîneur, responsable des jeunes), insiste sur les liens entre le club et son caractère insulaire :
C’est intéressant de comparer les deux Sporting, Toulon et Bastia. Ce sont deux ports, deux lieux d’Histoire avec l’influence des Anglais. Mais à Bastia, les dirigeants sont corses, ça travaille en famille et le club a réussi à renaître de ses cendres plusieurs fois. Toulon, ça fait 20 ans que ça stagne… Et ce qui est fou c’est que malgré ça, il y a encore des amoureux du club qui viennent chanter […] Mais s’il y a beaucoup de supporteurs qui disent ‘du passé je suis amoureux’, c’est parce qu’on n’arrive plus à avoir de l’espoir pour l’avenir du club27.
Ces propos résument bien le passé et le présent d’un club calqué sur sa ville : tantôt ensoleillé à l’image d’un samedi soir à Bon Rencontre et ses travées animées par un mouvement ultra passionné, tantôt interlope et passéiste, en prise avec les affres du clientélisme méditerranéen. Pourtant, des solutions pérennes existent : miser sur la formation à long terme pour alimenter l’équipe fanion avec des jeunes du cru, établir des partenariats avec des clubs satellites du Var, attirer des investisseurs locaux, fidéliser des éducateurs diplômés, diversifier les activités du club. En cela, un élan prometteur a récemment poussé l’équipe féminine, avec l’arrivée de nouveaux investisseurs et d’un entraîneur expérimenté. Mais ce dernier a été remercié au bout de quelques mois… Combien de temps le Sporting Toulon continuera-t-il encore à susciter une passion qui pourrait s’essouffler ? Si les plaques immatriculées dans les Bouches-du-Rhône affichent souvent un logo de l’OM sous le 13, la rascasse est quasi absente de celles du 83 qui abordent souvent le blason du RCT, club qui contribue à structurer une identité toulonnaise, à l’ombre des porte-avions et des grands cocotiers blancs28.
Conclusion : un Ulysse pour le Sporting ?
Pour terminer, il convient de souligner les limites29 d’un court article qui ne peut en aucun cas tendre vers l’histoire exhaustive d’un Sporting âgé de 80 ans. Le ton adopté est pessimiste car les données de terrain le sont. Il est pourtant possible de mesurer à quel point ce club est passionnant, pour ceux qui s’attachent aux souvenirs d’un football maritime riche de ses ruses (mètis) et de ses esquives canailles (malandro)30. Nul mieux que Fernand Braudel pour témoigner du rapport des méridionaux à leur passé, pour dire que « plus qu’aucun autre univers des hommes, la Méditerranée ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même. Par plaisir sans doute, non moins par nécessité. Avoir été, c’est une condition pour être31 ». Finalement, l’ambition était de démontrer que dans la rade, le RCT est bien le bateau amiral aux yeux d’une majorité de toulonnais qui semblent partagés entre résignation et nostalgie à propos d’un club au potentiel certain, mais qui peine à retrouver la voie du retour à une mythique gloire méditerranéenne.