Richard Astre

  • Richard Astre

p. 189-194

Notes de la rédaction

Entretien recueilli le 13 juin 2023 au stade Raoul Barrière de Béziers par Paul Dietschy qui remercie encore Richard Astre du temps qu’il lui a consacré et David Wozniak1 pour avoir établi le contact avec le maître à jouer de Béziers.

Texte

Né en 1948, Richard Astre a été l’un des plus grands demis de mêlée français et dirigé le jeu du grand Béziers. Il a remporté notamment six titres de champion de France (1971, 1972, 1974, 1975, 1977 et 1978) et trois challenges Yves-du-Manoir (1972, 1975 et 1977). Capitaine des équipes de France junior et militaire, également douze fois international, six fois capitaine de l’équipe de France, il a participé aux tournées des Bleus en Argentine et en Afrique du Sud (1974 et 1975). Il a été élu meilleur joueur français en 1975.

Paul Dietschy : Comment commence-t-on à pratiquer le rugby dans la première moitié des années 1950 ?

Richard Astre : Tout naturellement. J’allais souvent chez mes grands-parents qui habitaient dans la périphérie de Toulouse. Dès l’âge de 5-6 ans nous jouions avec des copains sur les prés à gratte poule, une forme de rugby informel qui ressemble beaucoup au treize. Très vite, j’ai acquis les bons gestes du rugby. Mais je suis aussi issu d’une famille de sportifs. Mon père, René Astre, qui était commerçant avec ma mère, jouait au poste de troisième ligne au Stade Toulousain. Tous les dimanches, nous allions voir les matchs de rugby à XV une semaine, de jeu à XIII l’autre semaine. Je suis donc allé tout naturellement à l’école de rugby du club où exerçait un grand éducateur, Monsieur Fauguières. Je n’avais pas un gros gabarit et je jouais contre des garçons plus âgés. On faisait partie de la première génération d’après-guerre avec une grande envie de vivre même si tout n’était pas accessible. Le rugby l’était. J’ai joué quatre ans au Stade Toulousain, où je faisais tous les entraînements de la journée, puis au TOEC2 où j’ai fait mes premiers pas en première division à 17 ans.

Paul Dietschy : Vous êtes ensuite passé à l’AS Béziers. Est-ce que le passage d’un club à un autre, d’une ville à une autre a été facile ?

Richard Astre : J’avais seulement 19 ans. C’était un peu un coup de tête dont j’étais un peu familier quand j’étais jeune. J’ai eu la chance d’être accueilli dans un club où il y avait à la fois un grand président, Georges Mas, et un grand entraîneur, Raoul Barrière. Ce dernier était un pédagogue doué d’une grande sensibilité. Il avait fait une grande carrière de joueur et avait participé à la tournée victorieuse des Bleus en Afrique du Sud avec comme leader Lucien Mias. Cette expérience a été fondamentale pour lui. En France, les joueurs étaient un peu laissés à eux-mêmes, notamment pour la préparation physique. En Afrique du Sud, il a découvert une tout autre approche et un autre jeu. C’était quelqu’un de très curieux. Il était aussi professeur d’éducation physique et sportive en lycée ce qui jouait dans son esprit d’ouverture. Pour revenir à mon adaptation, il me fallait aussi travailler en gérant un commerce de journaux débit de tabac : il m’a fallu me lever à 5 h 30 tous les matins.

Paul Dietschy : Demi de mêlée est un poste à responsabilité. Comment s’y prépare-t-on ?

Richard Astre : J’ai toujours eu un côté stakhanoviste. J’aimais m’entraîner pour parfaire les gestes techniques : la course avec le ballon à deux mains, botter des deux pieds, les passes. J’étais aussi très au fait des règles du jeu que beaucoup de joueurs ne connaissaient pas. Or, les posséder est fondamental pour organiser et lire le rugby. Mais tout cela n’était rien sans mes partenaires. Le rugby est aussi et d’abord un sport de combat collectif. Et l’entraînement permet de mettre en place les principes et combinaisons de jeu.

Figure n° 1 : Parc Lescure de Bordeaux, 16 mai 1971, finale du championnat de France de rugby, AS Béziers-RC Toulon 15-9, après prolongations.

Figure n° 1 : Parc Lescure de Bordeaux, 16 mai 1971, finale du championnat de France de rugby, AS Béziers-RC Toulon 15-9, après prolongations.

À seulement 22 ans, Richard Astre soulève son premier bouclier de Brennus.

Crédit : Archives Richard Astre.

Paul Dietschy : Et certaines innovations comme la touche jouée par le demi de mêlée ?

Richard Astre : Traditionnellement, c’était l’ailier qui lançait la balle en touche. Lorsque l’on cherche des innovations tactiques, on veut d’abord surprendre l’adversaire. Il faut alors trouver la combinaison idéale entre les puissants, les rapides et les agiles. Lancer le ballon en touche me permettait d’être en mouvement et d’éviter aussi d’être systématiquement la cible des avants adverses, ce qui m’arrivait souvent.

Paul Dietschy : Un demi de mêlée est aussi un joueur qui touche beaucoup le ballon et joue souvent au pied. Est-ce que vous aviez des préférences ?

Richard Astre : J’aimais bien les ballons un peu ronds qui étaient pratiques pour les drops ce qui était le cas des Adidas alors que les Gilbert étaient plus fins et plus légers et donc, à l’époque, moins faciles à utiliser. Ce qui compte aussi c’est la familiarité avec le stade où l’on a ses repères comme à Sauclières. Il faut s’y sentir à l’aise. Quand je jouais, certaines enceintes pouvaient poser problème comme le nouveau Parc des Princes inauguré en 1973. La structure très verticale des tribunes faisait résonance ce qui posait problème car sur le terrain l’on ne s’y entendait pas à 10 mètres. De ce fait, je m’étais inspiré du basket avec un commandement par les doigts, ce qui obligeait une attention particulière de l’ensemble de mes coéquipiers.

Paul Dietschy : Comment se jouait une saison quand la première division comptait jusqu’à 80 clubs ?

Richard Astre : La phase de poule qui précédait les phases finales par élimination directe n’était pas de tout repos. À cette époque, aller jouer dans des terroirs reculés où le rugby est intégré au mode de vie et où l’on combattait avec ferveur et fureur, c’était quelque chose. Ils auraient tué père et mère pour l’emporter. Le rugby n’était alors pas plus athlétique mais plus violent. Le rugby est un sport de combat, mais nous avions aussi l’avantage de la maîtrise du jeu. Ensuite, à partir des 16e de finale, il s’agissait de matchs couperets qu’il fallait gagner. La vérité du match c’est en définitive la victoire. Pour y parvenir nos entraînements étaient très intenses, quelques fois plus difficiles que les matchs. On s’entraînait trois fois par semaine, toujours avec opposition, avec une séance plus dure en milieu de semaine et une mise en place plus soft le vendredi. Déjà, Raoul Barrière utilisait des méthodes scientifiques pour évaluer l’état de forme des joueurs. Il avait aussi recours à la sophrologie pour la préparation mentale et la maîtrise des émotions.

Paul Dietschy : Quelle était la recette des succès du Grand Béziers ?

Richard Astre : Il y avait, comme je l’ai dit, un grand président Georges Mas qui a été injustement victime d’un règlement de compte politique. Et puis, un grand entraîneur pédagogue, psychologue et porté sur l’innovation. Raoul Barrière a été ainsi l’un des premiers à filmer les joueurs pendant les entraînements et à utiliser le magnétoscope pour corriger les gestes et positions. Lors des entraînements, on revenait toujours sur le précédent match et chacun était amené à faire son autocritique. En effet, au-delà des dirigeants, il y avait une grande concertation avec les joueurs et Béziers a été le premier club à sortir d’un rapport très hiérarchique pour pratiquer une véritable démocratie sportive par une participation active des joueurs (composition d’équipe, stratégie…).

Paul Dietschy : Le grand Béziers c’était aussi un style de jeu bien identifié.

Richard Astre : Contrairement à ce qui a pu être dit et écrit, le jeu de Béziers était un jeu de mouvement total où les avants pouvaient se retrouver en position de premiers attaquants. Le but était de conquérir et conserver le ballon, attaquer l’adversaire sur ses points faibles en utilisant la verticalité et l’horizontalité. Les avants entraient en mêlée très vite pour dominer l’adversaire. Ils étaient ensuite les premiers attaquants qui évoluaient en groupe de joueurs qui bénéficiaient en permanence d’un soutien et qui se passaient le ballon. Tous les joueurs se déplaçaient. Nos avants, comme Alain Estève ou Armand Vaquerin, étaient forts mais mobiles. Ils couraient en ne perdant jamais le ballon, avec pour objectif premier de le conserver. Les arrières, tels que Jack Cantoni, Henri Cabrol ou René Séguier, avaient pour mission de concrétiser la domination en marquant des essais et des drops. Ils avaient alors carte blanche même si l’impératif était toujours et encore de ne pas perdre le ballon.

Paul Dietschy : Le grand Béziers était à la fois craint, respecté et aussi critiqué par les médias. Comment viviez-vous cela ?

Richard Astre : Les articles de certains journalistes nous agaçaient car ils nous semblaient injustes et ne reconnaissaient pas les qualités du jeu de Béziers. Nous nous sommes souvent rebellés contre les dirigeants fédéraux, les arbitres, les journalistes. Mais l’hostilité que nous pouvions ressentir nous a aussi été utile pour nous unir et nous motiver. Ce rapport aux médias m’a été utile quand je suis devenu consultant pour France Info. J’y ai pris beaucoup de plaisir en essayant d’éviter de rentrer dans la critique inutile. Il faut vivre avec son temps et comprendre l’évolution, les changements du jeu.

Paul Dietschy : Béziers c’est aussi une ville, un terroir. Quelle place occupait le rugby dans une période de crise de la viticulture ?

Richard Astre : C’est vrai que la ville connaissait une période difficile et les succès de l’équipe symbolisaient aussi une forme de révolte contre cette situation. D’autant que Béziers c’est aussi un territoire qui jouxte celui de Narbonne, le grand rival, à seulement 25 km. Le stade de Sauclières que l’on pouvait rejoindre à pied depuis le centre-ville contribuait aussi à forger cette identité autour du rugby. Le stade de la Méditerranée, aujourd’hui Raoul Barrière, est plus éloigné et nécessite de s’y rendre en voiture. Évidemment, les retours des finales victorieuses du championnat de France constituaient des moments de communion répétés. Toute la ville était présente pour nous voir défiler avec le bouclier Brennus sur les Allées Paul Riquet dans ce qui est devenu un rituel jusqu’en 1984. Le rugby redonnait alors ses lettres de noblesse à la ville. La féria était aussi un moment de communion dans l’avant-saison et permettait de recevoir des équipes étrangères, notamment anglaises, pour des matchs de préparation. Mais pour revenir au territoire biterrois, il faut aussi souligner la proximité de la mer.

Paul Dietschy : En dehors de Béziers, vous avez été aussi international avec l’équipe de France.

Richard Astre : J’ai été sélectionné douze fois en équipe de France. L’ambiance était toute autre qu’à Béziers même si j’ai pu côtoyer de très bons joueurs. J’ai eu souvent l’impression que la fédération était plus focalisée sur la politique (sportive) que sur le résultat. Il y avait un défaut criant d’encadrement, pas d’objectif de performance, ni de modèle de jeu. Il suffisait de bien s’y comporter. Pourtant c’était une période où la réflexion sur le rugby avançait comme en témoignait le livre de Pierre Conquet et Jean Devaluez Les fondamentaux du rugby paru en 1978. De ce point de vue, les choses ont bien changé aujourd’hui avec le quinze de France dirigé par Fabien Galthié.

Figure n° 2 : Tournoi des Cinq Nations 1975, stade de Twickenham 1er février 1975, Angleterre-France.

Figure n° 2 : Tournoi des Cinq Nations 1975, stade de Twickenham 1er février 1975, Angleterre-France.

Richard Astre lance l’attaque des Bleus qui l’emportent en Angleterre 27-20.

Crédit : archives Richard Astre.

Paul Dietschy : Le rugby international c’est aussi la découverte d’autres rugbys et d’autres pays, pas seulement ceux du Tournoi des Cinq Nations ?

Richard Astre : En Europe, les relations étaient alors développées avec la Roumanie dont la sélection disposait de très bons joueurs. J’y avais été dès 1965 avec l’équipe du Comité des Pyrénées, avec le bataillon de Joinville, et aussi avec Béziers, nous avions affronté le Steaua, le Dinamo, l’université de Cluj et Costanza. La Roumanie disposait d’une équipe très difficile à battre surtout lorsque l’on jouait à Bucarest l’hiver par des températures polaires sur la neige. C’était un rugby rude de combat.
En dehors des pays du Tournoi, en 1975, j’ai été sélectionné pour la tournée en Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Ce qui m’a frappé c’est la place du rugby dans l’identité nationale. Dès 9 heures du matin, les terrains de rugby étaient occupés avant le grand match de l’après-midi que des familles entières allaient voir. Toutefois, la pratique était divisée et compartimentée par la couleur de peau. Mais l’équipe de France a été la première à jouer en Afrique du Sud contre des équipes représentant les différentes communautés : une sélection multiraciale, une sélection de rugbymen noirs, les Léopards, et une équipe de joueurs métis, les Quaggas (les zèbres). À ce titre Danie Craven, le président de l’Union sud-africaine de rugby, a joué un rôle important dans l’ouverture raciale du rugby de son pays. Pour ce qui est du jeu pratiqué, il était bien évidemment rugueux, puissant, ce qui n’excluait pas les arrières doués de créativité et de vitesse.

Paul Dietschy : Vous avez arrêté votre carrière à trente ans et vous avez enchaîné sur une carrière chez Adidas. Pouvez-vous nous parler un peu de cet équipementier qui s’imposait dans le sport français ?

Richard Astre : À partir de 1974, j’ai pu travailler comme représentant chez Adidas-France et les choses ont été plus faciles pour allier une carrière au haut niveau et un métier qui avait aussi l’avantage de préparer ma reconversion professionnelle. Elle s’est notamment faite dans le groupe Adidas. C’est la même année que j’ai fait la rencontre de Horst Dassler à Landersheim, un grand patron qui avait une longueur d’avance en matière d’innovation et qui a contribué à inventer le marketing sportif. Adidas a fait évoluer aussi l’équipement du rugbyman notamment les chaussures à crampon en utilisant de nouveau matériaux et en proposant une gamme pour les lignes d’avants (chaussures à tige haute) et d’arrières (chaussures pour les sprinters). Avec la concurrence de Nike, Adidas a aussi insisté sur le look, a multiplié les innovations et obtenu des contrats avec certains joueurs-ambassadeurs.

Figure n° 3 : Couverture du livre de Jean-Pierre Lacour, Astre le rugby de lumière, paru en 1977 aux Éditions ALTA

Figure n° 3 : Couverture du livre de Jean-Pierre Lacour, Astre le rugby de lumière, paru en 1977 aux Éditions ALTA

Crédits : ALTA

Paul Dietschy : Comment considérez-vous le professionnalisme adopté depuis 1995 ?

Richard Astre : Il faut être cartésien et j’aime quand les choses sont bien organisées. Les joueurs sont désormais pris à leur juste valeur. Ils bénéficient d’un suivi médical et sportif de grande qualité. Le jeu est intéressant. Ce qui a changé est le rapport espace/temps. Aujourd’hui, l’addition de la vitesse et de la masse donne plus de puissance au jeu pratiqué, intensifie les phases de contact et d’impact notamment les placages. Les clubs français ont su prendre le virage du professionnalisme au contraire de leurs homologues anglais qui sont aujourd’hui en crise. Toutefois, on constate une cassure entre les équipes du Top 14 et ceux de Pro D2. On le voit à Béziers où l’institution du club a été préservée mais où il manque, pour diverses raisons, des investisseurs solides pour pouvoir garder les meilleurs joueurs. Pourtant, il y aurait ici le potentiel, en cas de montée en Top 14, d’attirer 15 000 spectateurs à chaque match. La passion que suscitait le grand Béziers existe encore !

Notes

1 David Wozniak est l’auteur d’une très riche thèse de doctorat d’histoire sur le club de Béziers soutenue en 2022 devant l’université de Montpellier sous la direction de Christian Amalvi : Béziers : Ombres et lumières d’un club historique (1911-2022). Il a aussi publié un article indispensable pour qui veut comprendre les succès du grand Béziers : « Le “Grand Béziers“  (1961-1984) : une épopée sportive », Études héraultaises, 2019, n°53, p. 161-171. Retour au texte

2 Le Toulouse olympique employés club (TOEC). Retour au texte

Illustrations

  • Figure n° 1 : Parc Lescure de Bordeaux, 16 mai 1971, finale du championnat de France de rugby, AS Béziers-RC Toulon 15-9, après prolongations.

    Figure n° 1 : Parc Lescure de Bordeaux, 16 mai 1971, finale du championnat de France de rugby, AS Béziers-RC Toulon 15-9, après prolongations.

    À seulement 22 ans, Richard Astre soulève son premier bouclier de Brennus.

    Crédit : Archives Richard Astre.

  • Figure n° 2 : Tournoi des Cinq Nations 1975, stade de Twickenham 1er février 1975, Angleterre-France.

    Figure n° 2 : Tournoi des Cinq Nations 1975, stade de Twickenham 1er février 1975, Angleterre-France.

    Richard Astre lance l’attaque des Bleus qui l’emportent en Angleterre 27-20.

    Crédit : archives Richard Astre.

  • Figure n° 3 : Couverture du livre de Jean-Pierre Lacour, Astre le rugby de lumière, paru en 1977 aux Éditions ALTA

    Figure n° 3 : Couverture du livre de Jean-Pierre Lacour, Astre le rugby de lumière, paru en 1977 aux Éditions ALTA

    Crédits : ALTA

Citer cet article

Référence papier

« Richard Astre », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 3 | 2023, 189-194.

Référence électronique

« Richard Astre », Football(s). Histoire, culture, économie, société [En ligne], 3 | 2023, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=561

Éditeur scientifique

Paul Dietschy

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0