Le stade Centenario de Montevideo. La naissance du doyen des Coupes du monde

  • Montevideo’s Centenario Stadium. The birth of the oldest WC stadium

p. 160-167

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Author's notes

Cette contribution est tirée de la thèse de doctorat de l’auteur, notamment du sous-chapitre 8.2 "Le stade Centenario, un monument de volonté nationale”, Lorenzo Jalabert D’Amado, Aux origines de la Coupe du monde de football : Montevideo 1930. Culture de masse, usages politiques du sport et construction nationale, Paris, université Paris 3, 2021, p. 401-421.

Text

« Nous offrons à la patrie et à ses héros, initiant aujourd’hui ce qui demain sera, le Temple où se rendront les foules généreuses pour célébrer les rituels de la Raison et de la Beauté. […]. Temple laïc au sein duquel la force, l’agilité, la santé, l’esprit et le courage donneront vie et parfum à la fleur merveilleuse venue de Grèce. […] ; Ô Temple laïc ! Les âges futurs fleuriront en toi2. »
Discours du conseiller départemental César Batlle Pacheco durant la cérémonie de pose de la pierre fondamentale du stade Centenario. Montevideo, 18 juillet 19293.

Le 18 juillet 1930 à Montevideo, en prémices du deuxième match du groupe 3 entre le Pérou et l’Uruguay, fut organisée la cérémonie officielle marquant l’ouverture de la première Coupe du monde de football de l’histoire. En réalité, la compétition avait commencé quelques jours plus tôt, le 13 juillet, par les matchs France-Mexique et Belgique-États-Unis, mais d’un commun accord, la FIFA, le comité d’organisation et les autorités locales avaient décidé de différer la cérémonie pour la faire correspondre avec le jour précis des célébrations du centenaire de la nation uruguayenne4.

Ponctuant cette journée de grandes célébrations patriotiques, l’ouverture du Mondial marquait aussi l’entrée en lice dans la compétition de la sélection locale – la Celeste5 – grande favorite du tournoi, ainsi que l’inauguration du stade construit pour l’occasion : le stade Centenario. L’édition de Montevideo correspond donc non seulement à la naissance de la Coupe du monde de la FIFA, mais aussi – avec l’érection du Centenario – à l’apparition de ces monuments footballistiques ad hoc préfigurant par exemple les constructions du Maracanã à Rio de Janeiro ou encore du Stade de France à Saint-Denis. Doyen des Coupes du monde, le stade de Montevideo occupe une place spéciale dans le patrimoine mondial du ballon rond. C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu l’instance régente du ballon rond lorsqu’en 1983, sous la présidence de João Havelange, la FIFA déclara le stade Centenario comme le premier (et le seul à ce jour) Monument historique du Football Mondial.

Image n° 1 : Vue aérienne du stade Centenario au moment de la cérémonie d’ouverture.

Image n° 1 : Vue aérienne du stade Centenario au moment de la cérémonie d’ouverture.

Photographie, détail, Centro de Fotografía de Montevideo, s.d., 0168FMHE.

Montevideo, un centre de football à la recherche d’un stade

Arrivé durant le dernier tiers du xixe siècle avec les expatriés anglais, le football s’implanta rapidement sur les terres uruguayennes. L’intense activité portuaire de Montevideo ainsi que l’appartenance de l’Uruguay à « l’empire informel6 » anglais, firent du pays en général et de sa capitale en particulier, un des principaux foyers d’implantation du ballon rond sur le continent sud-américain. Ce trait, partagé avec la voisine Argentine, conduisit au tournant du xxe siècle à la naissance dans le bassin du Rio de la Plata, d’un espace de forte ébullition footballistique.

À l’apparition des premiers clubs de football du pays dans les années 1890, fit suite la création de l’Association Uruguayenne de Football (AUF) en 1900. La première décennie du xxe siècle, se traduisit par une explosion du nombre de clubs locaux, mais également par la mise en place de compétitions internationales entre l’Argentine et l’Uruguay, et ce, aussi bien à l’échelle des clubs que des sélections. Entre 1900 et 1912, sept compétitions internationales virent le jour entre l’Uruguay et l’Argentine : les Cup Tie Competition, Coupe Cusenier, Coupe Lipton, Coupe Newton, Coupe du ministère d’Instruction Publique argentin, Grand Prix d’Honneur et Coupe de l’Association Argentine. Cette intense activité footballistique était à la fois le marqueur et la résultante du fort engouement populaire que suscitait le ballon rond sur les rives de l’Atlantique Sud. Or la conquête des masses locales posa rapidement le problème de leur accueil autour de la pelouse et donc de la nécessité de disposer d’infrastructures sportives adaptées. Les terrains vagues en périphérie de la ville qu’utilisaient les marins anglais et les élèves des lycées britanniques à la fin du xixe siècle, avaient cédé le pas au début du siècle suivant, à de modestes stades bâtis comptant une unique tribune. Mais ces premiers stades se révélèrent bien en deçà des besoins engendrés par le succès populaire que connaissait le ballon rond.

En 1916, avec la fondation de la Confédération Sud-américaine de Football et la création de sa compétition phare, la Copa América, le football continental effectua un important saut d’échelle qui amplifia toujours plus le problème de l’accueil des foules. En 1917, la deuxième édition du tournoi fut organisée à Montevideo. Confrontées à l’absence de stade adapté dans la ville et à des délais particulièrement serrés, les autorités gouvernementales optèrent pour la construction d’une enceinte éphémère : le stade Parque Pereira. Bien que démonté dans les années qui suivirent, ce stade en bois permit d’offrir un cadre satisfaisant au deuxième sacre continental de la Celeste, mais surtout, il fit prendre conscience aux acteurs politiques et sportifs du pays que la passion locale pour le football de sélection pouvait aisément se traduire par la mobilisation d’au moins 40 000 personnes prêtes à noircir des tribunes pour assister à une rencontre sportive.

Cette réalité, combinée à l’accueil à Montevideo des finales des Copas América de 1923 et de 1924, fit de la carence d’un grand stade national une préoccupation centrale pour les instances sportives du pays. En son absence, les éditions en question durent se jouer dans le stade Parque Central – l’enceinte du Club Nacional de Football (CNdF) – dont les quelque 20 000 places se révélèrent insuffisantes. De plus, au milieu des années 1920, le championnat domestique commençait lui aussi à drainer des masses importantes. Les dizaines de milliers de supporters que mobilisaient les derbies de la capitale entre le Club Atlético Peñarol (CAP) et le CNdF ne tenaient pas dans leurs modestes stades respectifs. Cette inadéquation des infrastructures se traduisait dans les faits par la multiplication des débordements, les invasions de terrain et le forçage des accès aux stades. Pour tenter de trouver une solution à ce qui posait de sérieux problèmes de sécurité, l’AUF et la Commission Nationale d’Éducation Physique7 émirent plusieurs projets visant à doter la capitale d’un vaste stade national proportionnel à la popularité du football dans le pays.

Le Centenario, un stade à la hauteur de l’événement

Bien que ces diverses initiatives n’aboutissent pas, elles permirent cependant de jeter les prémices de la concrétisation d’un projet futur qui servirait de domicile à la sélection nationale. Ces travaux préliminaires de réflexion et de planification menés contribuent à comprendre comment en 1930, l’État uruguayen fut en mesure de se doter en un temps record de cet équipement primordial pour l’accueil de la première Coupe du monde. En effet, avant même que surgisse l’idée du Mondial à Montevideo, des ébauches pour le financement public d’un grand stade de football existait déjà dans les tiroirs du pouvoir législatif et surtout, la ville avait déjà identifié un espace en plein cœur de son maillage urbain pour recevoir une construction de cette nature : une parcelle du Parque Batlle y Ordoñez restée vide à la suite de l’aménagement en 1911 de ce « Central Park » montévidéen.

Malgré le gain de temps appréciable dégagé par ces antécédents, la construction d’un tel édifice n’en demeurait pas moins un défi de taille. En effet, entre la désignation de Montevideo par la FIFA en mai 1929 et le coup d’envoi prévu en juillet 1930, les autorités uruguayennes ne disposaient que de quatorze mois pour mener à bien le projet depuis sa conception sur le papier jusqu’à l’accueil des spectateurs dans les tribunes. Et, contrairement à ce qui avait été fait en 1917, elles n’avaient pas l’intention de se contenter d’une construction éphémère pour pallier l’urgence. Le stade qui sortirait de terre devait être la cristallisation bétonnée d’une volonté patriotique à la hauteur du centenaire de la nation. L’objectif était non seulement de flatter la population locale dans son sentiment d’appartenance nationale, mais également d’impressionner physiquement les invités étrangers devant la majesté de l’ouvrage accompli. Cet objectif apparaît assez explicitement mentionné dans le pré-projet de Coupe du monde :

Si nous désirons que les représentants de tous les peuples et de toutes les races viennent nous visiter, […] si nous voulons que tous les sportifs de l’Univers partagent notre fête, alors nous devons leur offrir, ou tout du moins essayer de leur offrir, le spectacle extraordinaire que présentait Paris lors de la réalisation du championnat de football de la VIIIe Olympiade, ou celui d’Amsterdam lors de la suivante8.

Étant donné les différences d’échelle entre l’Europe continentale et le Cône Sud, entre la France et l’Uruguay et enfin entre Paris et Montevideo, le choix de la capitale française – ou même de celle de Hollande – comme étalon de mesure à l’aune duquel planifier les festivités uruguayennes peut paraître pour le moins ambitieux. Le projet uruguayen alla cependant bien plus loin que la simple imitation. Alors que pour le tournoi de football à Paris (et ses cinq millions d’habitants) les autorités françaises s’étaient dotées d’un stade de 60 000 places, celles de Montevideo (avec ses 600 000 habitants seulement) optèrent quant à elles pour la construction d’une enceinte pouvant accueillir 100 000 spectateurs. Face à l’apparente disproportion du projet, de nombreuses voix se levèrent dans le pays pour en dénoncer la démesure et pour jouer les Cassandres en augurant l’impossibilité pour le public local de jamais réussir à remplir les tribunes d’un tel ouvrage. Malgré ces attaques, le choix d’une construction d’échelle pharaonique fut maintenu par les autorités en charge de l’organisation du mondial.

En mai 1929, quelques jours après la désignation de Montevideo, plusieurs architectes de renom proposèrent spontanément leurs services à l’AUF pour la construction du stade. Finalement, ce fut le directeur des parcs publics de la municipalité de Montevideo, l’architecte Juan Antonio Scasso qui, le 12 juillet 1929, fut officiellement nommé pour mener à bien le projet. Après avoir drainé la zone de construction et dessiné les plans de l’ouvrage durant l’hiver austral 1929, les travaux commencèrent au mois de septembre avec les mouvements de terre nécessaires. Dans une logique d’économie de temps et de moyens, l’architecte avait fait le choix d’orienter le terrain de jeu selon un axe nord-sud pour pouvoir ainsi tirer parti de la topographie du site. En forme de légère cuvette naturelle, celui-ci était bordé à l’Est par une butte. À la manière des constructions de théâtres de l’Antiquité grecque, cette caractéristique du terrain fut utilisée par Scasso pour y adosser la principale tribune du stade. Ce faisant, il limitait l’impact de la silhouette du stade sur le paysage de la ville, et surtout, il s’épargnait la construction de longues et coûteuses fondations bétonnées pour supporter la totalité du poids des tribunes. Si cette option signifiait d’importantes économies aussi bien en temps qu’en matériaux de construction, elle se traduisait cependant par la nécessité de délimiter l’emplacement de la surface de jeu à une profondeur entre 6 et 11 mètres en dessous du niveau naturel du sol et par conséquent le déplacement de 170 000 m3 de terre.

Pour des questions de visibilité et de confort, l’architecte décida de ne pas avoir recours à la forme oblongue qui était jusque-là la norme dans les stades sportifs de l’époque. Celle-ci était habituellement dictée par les contours des pistes d’athlétisme qui complétaient la plupart des complexes sportifs contemporains. Le Centenario pouvait s’affranchir de cette contrainte, car contrairement aux infrastructures équivalentes de l’époque, il fut « étudié avec pour seul objectif la pratique du football et ce [furent] donc les particularités du football qui en dictèrent le dessin9 ». Scasso privilégia un plan quasi-circulaire à quatre tribunes indépendantes dont les anneaux internes correspondaient à « quatre arcs de cercle centrés en quatre point proches du point d’engagement du terrain10 » . En s’affranchissant d’un plan elliptique, ce procédé – en plus de permettre la construction simultanée des tribunes – permettait surtout la fabrication en série de leurs gradins respectifs, dégageant ainsi un nouveau gain de temps considérable.

En dépit de ces stratagèmes visant à accélérer le rythme de la construction, les délais semblaient bien trop serrés. Confronté au risque que le stade ne soit pas prêt pour le Mondial, les autorités en charge du dossier se résolurent au mois d’avril 1930 à revoir leur projet à la baisse. Les anneaux supérieurs des tribunes situées derrière les lignes de but ne seraient pas construits, ni le deuxième anneau de la tribune d’honneur. Ainsi amputé, l’ouvrage passait d’une capacité de 100 000 à 70 000 places. Outre cette réduction d’échelle, les contraintes temporelles auxquelles furent confrontés les bâtisseurs du Centenario eurent également des conséquences d’ordre cosmétique sur l’aspect final du bâtiment. En effet, les plans initiaux de Scasso comptaient faire honneur à la fonction de « temple laïque » dédié à la gloire du sport et de la nation qui devait être la sienne. Sous la tribune principale, une « salle votive » devait être construite où serait conservée perpétuellement allumée la « flamme des grands triomphes11 », sorte de déclinaison moderne du foyer public romain et de son feu sacré. De même, les entrées des deux principales tribunes devaient également être agrémentées de portiques monumentaux décorés de bas-reliefs inspirés des lieux de culte de l’Antiquité. Enfin, la tour surplombant l’édifice – la Tour de l’Hommage – devait recevoir à sa base, une statue monumentale représentant la déesse Niké. Bien que sacrifiés sur l’autel des délais, ces traits architecturaux devaient donner au stade une apparence antiquisante et – d’après ses promoteurs locaux – glorifier le modèle politique uruguayen de république démocratique en laissant transparaître une filiation directe avec ces idéaux hérités des sociétés gréco-romaines. Ces références au passé – bien que similaires dans l’aspect – étaient diamétralement opposées à l’usage qu’en feraient quelques années plus tard les organisateurs de la Coupe du monde de 1934 en Italie et des Jeux Olympiques de 1936 à Berlin12.

Malgré ces renoncements qui touchèrent l’attirail cultuel de l’édifice, celui-ci conserva tout de même une appréciable dimension symbolique, à commencer par son nom même. En effet, le choix de « Centenario » marquait clairement l’inscription du bâtiment dans la dynamique des festivités patriotiques du centenaire uruguayen dont il devait en matérialiser l’essence. Le reste de l’onomastique est lui aussi évocateur. À l’heure de nommer les tribunes du stade, les dirigeants du football uruguayen décidèrent de glorifier les conquêtes olympiques de 1924 et 1928 qui avaient non seulement révélé la qualité du football rioplatense aux yeux du monde, mais surtout fait découvrir aux Uruguayens une nouvelle fierté nationale par le biais de l’excellence sportive. Ainsi, les tribunes jumelles Nord et Sud furent nommées Colombes et Amsterdam respectivement et la tribune principale, tribune Olympique. Mais en réalité, les références aux victoires uruguayennes des VIIIe et IX Olympiades vont bien au-delà des simples noms de baptême du stade, elles sont imprimées dans l’architecture même de l’édifice.

En effet, en 1924 à Paris, le stade de Colombes se caractérisait par la présence d’un grand mât sur lequel fut hissé le drapeau uruguayen à la suite de la victoire de la Celeste contre la Suisse en finale. L’instant solennel du lever triomphal du pavillon, ponctué par les accords de l’hymne de la jeune nation sud-américaine, constitua une image abondamment reprise dans la presse nationale. Dans l’imaginaire uruguayen, cet épisode se transforma en allégorie de la consécration planétaire de la jeune république. De même, quatre ans plus tard à Amsterdam, les exploits de la Celeste se firent à l’ombre de la singulière Tour Marathon qui surplombait l’Olympisch Stadion et au sommet de laquelle se trouvait la coupelle où brûla une flamme pendant la durée du tournoi. Au moment de dessiner les plans de l’écrin de la première Coupe du monde de football, Juan Antonio Scasso, fusionna ces deux éléments marquants des gestes olympiques uruguayennes en un seul et même trait architectural caractéristique du stade Centenario : la Tour de l’Hommage. Trônant du haut de ses 65 mètres sur la principale tribune de l’édifice, cette construction, aujourd’hui emblématique, avec ses lignes épurées et ses neuf balcons donnant sur le terrain de jeu, fut équipée d’un grand mât dont la fonction était de recevoir le drapeau de la nation vainqueur « pendant sept jours et sept nuits13 ». En ce sens, le stade Centenario fut tout autant façonné par le désir de grandeur lié au centenaire uruguayen que par la mémoire immédiate des succès olympiques nationaux.

Enfin, s’il fallait souligner un dernier trait remarquable du Centenario, il faudrait sans doute mentionner la fonctionnalité plus que réussie de l’édifice. En effet, au-delà du soin porté à la visibilité depuis les tribunes, les concepteurs du stade s’employèrent à livrer une enceinte d’une qualité telle qu’elle suscita des mots d’admiration des délégués du Comité exécutif de la FIFA présents lors du tournoi – Jules Rimet et Maurice Fischer – pourtant familiers des plus grands stades européens. La centralité du Parque Batlle y Ordoñez et sa situation de carrefour urbain permettait un accès aisé au stade depuis tous les points de la ville. L’ancrage de l’édifice dans un espace vert lui assurait des abords dégagés facilitant aussi bien le stationnement des automobiles qui avaient envahi les rues de Montevideo durant les années 1920, que la libre circulation des masses de spectateurs se concentrant devant les portes du stade avant les rencontres. De plus, le stade lui-même était doté d’amples escaliers d’accès et vomitoria qui permettaient de fluidifier le passage des dizaines de milliers de spectateurs accédant à leurs places respectives dans les tribunes ou les quittant au coup de sifflet final. Enfin, conscients des réalités avec lesquelles se conjuguaient déjà le football dans l’Amérique latine du premier tiers du xxe siècle, les bâtisseurs du Centenario ne négligèrent pas la question sécuritaire. Outre l’isolement de chaque tribune qui empêchait physiquement les passages intempestifs de l’une à l’autre, ce fut surtout le terrain de jeu qui fut sanctuarisé contre l’enthousiasme parfois débordant de la foule. Ainsi, le pourtour du terrain fut doté d’un grillage et d’un fossé rempli d’eau devant dissuader les plus exaltés d’exprimer leur passion directement sur la pelouse.

Le Centenario, un stade durable

Grâce à l’ensemble de ses atouts, le Centenario a admirablement résisté à l’épreuve du temps. Mis à part la construction des troisièmes anneaux des tribunes Amsterdam et Colombes dans les années 1950 et des deux plateformes supérieures de la tribune d’honneur, l’édifice est resté inchangé. Depuis les années 1930, il est le théâtre des affrontements périodiques entre les deux principaux clubs de la capitale. En 1942, il accueillit la 17e édition de la Copa América. Ce qu’il fit à nouveau en 1956, 1967 et 1995. En 1960, c’est en son sein que se disputa la première finale de l’histoire de la Copa Libertadores entre Peñarol et l’Olímpia d’Asunción. Cette compétition, dont la finale se disputait en un match aller et un retour entre les deux clubs finalistes, revint donc périodiquement sur la pelouse du Centenario au grès des succès continentaux de Peñarol (1960, 1961, 1966, 1982 et 1987) et Nacional (1971, 1980 et 1988), sans compter les finales perdues par le CAP (1962, 1965, 1970, 1983 et 2011) et par le CNdF (1964, 1967 et 1969). Qui plus est, avant la délocalisation au Japon de la Coupe Intercontinentale opposant le vainqueur de la Copa Libertadores à celui de la Ligue des champions européenne, le Centenario accueillit huit finales de ce tournoi, dont certaines furent des matchs d’anthologie, comme celle de 1966 avec la victoire 2-0 de Peñarol sur le Real Madrid, préfigurant la défaite quelques semaines plus tard sur le même score des merengues dans leur fief du Bernabeu. En 1980, en pleine dictature militaire, le Centenario accueillit un événement d’échelle mondiale : la Copa de Oro, créée par la FIFA pour commémorer les 50 ans de la naissance de la Coupe du monde et ouverte au club restreint des nations championnes du monde (l’Uruguay, l’Italie, le Brésil, l’Allemagne, l’Argentine et l’Angleterre, remplacée par la Hollande).

Image n° 2 : Vue de l'estrado Centenario en 2018.

Image n° 2 : Vue de l'estrado Centenario en 2018.

Collection particulière.

Parmi les arènes sportives les plus illustres de la planète, le Stade Centenario s’est affirmé depuis sa naissance à l’occasion de la première Coupe du monde de football comme un véritable lieu de mémoire et parfois même de pèlerinage pour les amoureux du football. Bien que ses entrailles accueillent le musée du football uruguayen, l’enceinte n’est pas seulement patrimonialisée : elle continue d’assurer ses fonctions originelles et accueille, depuis plus de 90 ans maintenant, des rencontres majeures du calendrier footballistique. Après l’adoption de la finale unique pour la Copa Libertadores en 2019, la Conmebol désigna le Centenario de Montevideo comme lieu de la finale de l’édition de 2021. Ce fut l’occasion pour le doyen des Coupes du monde de procéder à la réparation de ses gradins, l’amélioration de l’éclairage et la pose d’une nouvelle pelouse. Un lifting d’autant plus salutaire et bienvenu que l’Uruguay se prépare à l’éventualité d’un retour de la Coupe du monde sur son sol lors de l’édition de 2030, ce qui dans les faits d’ailleurs, reviendrait à fêter le centenaire du Centenario.

Notes

2 L’ensemble des traductions de cette contribution sont de l’auteur. Return to text

3 Caetano, Gerardo (1998). Lo privado desde lo público. Ciudadanía, nación y vida privada., dans José Pedro Barran, et al. ed. Historias de la vida privada en el Uruguay. Montevideo : Ediciones Santillana, p. 47, p. 17-61. Return to text

4 Le 18 juillet 1830, l’Assemblée constituante uruguayenne prêta serment devant la première constitution du pays. Cet événement marque la naissance politique de l’Uruguay. Return to text

5 Surnom donné à la sélection uruguayenne de football en référence à la couleur bleu ciel de son maillot. Return to text

6 John Gallagher et Ronald Robinson « The Imperialism of Free Trade », The Economic History Review, 1953, 6 (1), p. 1-15. Return to text

7 Créée en 1911, la Commission Nationale d’Éducation Physique avait pour mission de promouvoir la pratique des sports dans le pays, notamment en apportant un soutien matériel et économique. Return to text

8 Usera Bermúdez, José Gervasio et TRoberto Espil, Proyecto para un Campeonato del Mundo en Montevideo, Montevideo, 1929. Return to text

9 Juan Antonio Scasso, Espacios Verdes, Montevideo, Tipografia Atlántida, 1941, p. 34. Return to text

10 ibid., p. 138. Return to text

11 Comision Administradora del Field Oficial (CAFO), Estadio Centenario de Montevideo, Uruguay, Monumento Histórico del Fútbol. Montevideo, 1983, p. 3. Return to text

12 Daphné Bolz, Les arènes totalitaires : fascisme, nazisme et propagande sportive, Paris, Édition du CNRS, p. 225. Return to text

13 Lettre de la Direction Technique du Field Officiel, adressée au Président du Comité Exécutif du Championnat mondial de Football, datée du 26 juin 1930, Archivos de la Asociación Uruguaya de Fútbol. Return to text

Illustrations

  • Image n° 1 : Vue aérienne du stade Centenario au moment de la cérémonie d’ouverture.

    Image n° 1 : Vue aérienne du stade Centenario au moment de la cérémonie d’ouverture.

    Photographie, détail, Centro de Fotografía de Montevideo, s.d., 0168FMHE.

  • Image n° 2 : Vue de l'estrado Centenario en 2018.

    Image n° 2 : Vue de l'estrado Centenario en 2018.

    Collection particulière.

References

Bibliographical reference

Lorenzo Jalabert D’Amado, « Le stade Centenario de Montevideo. La naissance du doyen des Coupes du monde », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 1 | 2022, 160-167.

Electronic reference

Lorenzo Jalabert D’Amado, « Le stade Centenario de Montevideo. La naissance du doyen des Coupes du monde », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 1 | 2022, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=142

Author

Lorenzo Jalabert D’Amado

Docteur en histoire contemporaine-EHIC-université de Limoges

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Licence CC BY 4.0