Les archives de la Coupe du monde

  • The World Cup Archives

p. 151-155

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Pour les milliards de téléspectateurs qui regardent la Coupe du monde sur de petits ou grands écrans, celle-ci consiste d’abord et avant tout dans les actions de jeu sur le rectangle vert filmées par les caméras de télévision. L’image animée est à ce titre la première source de la Coupe du monde, longtemps alimentée avec parcimonie par les chaînes de télévision qui ont commencé à retransmettre l’événement à partir de l’édition suisse de 1954. Jusqu’à cette date, les prises de vue restent de qualité inégale même si, Coupe du monde 1938, le film officiel réalisé par René Lucot (32 minutes) offre un aperçu suggestif des grandes rencontres, des conditions de jeu et de l’environnement, notamment le public, de la troisième édition de la compétition mondiale. Les images télévisées désormais très largement accessibles grâce à Internet permettent de retrouver, au gré de la qualité de la réalisation et du progrès technique, les rencontres, surtout à partir de la Coupe du monde mexicaine de 1970, première édition retransmise en couleur et qui sacre définitivement le « roi » Pelé. L’internaute peut retrouver presque instantanément les matchs et les actions qui sont devenues des mythes1, tout en rendant compte plus que symboliquement d’un moment des relations internationales, comme le but de Geoff Hurst lors de la finale Angleterre-Allemagne (1966) ou de la mano de Dios de Diego Maradona, lors d’Angleterre-Argentine (1986). Il peut ainsi aborder de visu l’histoire du jeu dans ses dimensions matérielles (pelouse, équipement, ballon), corporelles, techniques et tactiques, arbitrales ou encore dans sa dimension de spectacle masse. L’image animée est donc une ressource incontournable pour mesurer, entre autres, le rythme et l’intensité du jeu et les différences entre présent et passé, les manifestations du public (introduction par exemple en 1986 de la ola, c’est-à-dire la vague créée par les spectateurs se levant les uns après les autres dans les travées des stades) ou encore la présence des grands de ce monde.

Les archives du sport et du football

Reste que le chercheur ou la chercheuse qui veut pouvoir aller au-delà de ces images certes essentielles – l’historien du fait militaire aimerait sans doute disposer de la retransmission complète des grandes batailles ou de leurs phases importantes, veut aussi aller au-delà de ces images souvent iconiques et retrouver les différents types de sources utilisées pour faire de l’histoire. Or, le sujet des archives n’est pas anodin dès qu’il est question de sport et de football. En France, en particulier, le monde sportif n’a pas toujours été soucieux de conserver les traces de ses activités en dehors des trophées, de quelques programmes ou bulletins plus ou moins incomplets2. Trop souvent, les sources se réduisent à l’imprimé – presse généraliste ou sportive – dont l’accès a été grandement facilité par la campagne de numérisation menée par la Bibliothèque Nationale de France sur son site Gallica. De son côté, la Fédération Française de Football (FFF) a ouvert une précieuse médiathèque numérique où l’on peut consulter, outre différents documents photographiques, les procès-verbaux des bureaux tenus par sa direction, ses différents organes dont Football Association et l’hebdomadaire Football dirigé par Marcel Rossini (années 1930). Des collectionneurs privés comme Louis Nicollin, le président du Montpellier Hérault Sport Club disparu en 2017, ont aussi recueilli et conservé des traces du passé, notamment maillots et affiches, à l’instar de certains musées comme celui de l’AS Saint-Etienne ou le Musée National du Sport à Nice.

Le football, la Coupe du monde et l’État producteur et collecteur d’archives

Le football étant placé en France comme les autres sports sous le régime de la délégation étatique, les archives publiques peuvent proposer dans leurs fonds des documents afférents au football3. Ainsi, le fonds versé par la famille de Jacques Georges, ancien président de la FFF et de l’Union des associations Européennes de Football (UEFA), aux Archives nationales du monde du travail de Roubaix propose des documents tout à fait suggestifs sur l’équipe de France, en particulier pendant la Coupe du monde 1966. De même, les archives diplomatiques installées à La Courneuve conservent quelques documents significatifs sur la manière dont les ambassadeurs de France se servent du football pour lire les relations internationales. Si, dès les années 1930 un Léon Noël à Prague ou un Jean Herbette à Madrid analysent les violences et polémiques footballistiques comme un révélateur des tensions nationales4, d’autres font preuve d’une certaine myopie. Ainsi, une seule lettre de l’ambassadeur de France en Uruguay évoque la première Coupe du monde. C’est le cabinet du ministre Aristide Briand qui a « recommandé » à Gaston Velten, le titulaire du poste, « l’équipe envoyée par la Fédération française de football ». Après avoir commenté les performances des Bleus, éliminés au premier tour, Velten estime que « leur participation aux épreuves du championnat a été excellente de tous points ». Et d’ajouter : « C’est là une propagande qui n’est pas à dédaigner dans un pays où l’enthousiasme sportif atteint, dans toutes les classes sociales, à une ampleur inconnue chez nous et dont il nous est difficile par conséquent de nous rendre compte5. » Pour finalement en résumer : « je crois devoir appeler l’attention du Département sur toute l’importance qu’il y a pour nous à pouvoir intervenir en bon style, chaque fois que la chose est possible, chez les peuples sportifs. À côté de notre expansion intellectuelle, il y a là toute un champ d’action qu’il serait regrettable de négliger. » Un jugement qui signale sans doute le rôle d’une telle compétition dans les relations internationales mais qu’aurait pu identifier auparavant Velten. Lui-même semble découvrir le potentiel d’une telle compétition et nourrit peut-être plus d’appétence pour les lecteurs de Jules Supervielle, le poète franco-uruguayen, que pour les supporters de la Celeste.

Les archives de la FIFA ou les archives de la Coupe du monde

Rigueur et paix helvétiques aidant, le secrétariat de la FIFA a conservé avec constance et précaution les archives de l’organisation depuis 1932 date de son implantation à Zurich. Auparavant, l’administration de la fédération était installée à Amsterdam au domicile du secrétaire général Carl Hirschman. Après avoir rendu à titre gracieux de grands services à l’organisation, ce dernier, agent de change de son état, fit faillite en spéculant sur la Livre Sterling et utilisa les fonds de la FIFA pour éviter la ruine et la déchéance sociale. Conscients qu’ils étaient aussi débiteurs à l’égard d’Hirschman, désireux d’éviter le scandale, les membres du Comité exécutif décidèrent de ne pas engager de poursuite contre lui, mais le Néerlandais dut évidemment céder le secrétariat général, sans, semble-t-il, avoir expédié la totalité des archives fédérales en Suisse. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il n’existe pas de dossier à proprement parler sur l’organisation de la première Coupe du monde à Zurich. Toutefois, les deux éditions suivantes, Italie (1934) et France (1938), n’en disposent pas non plus. La FFF a de son côté conservé quelques pièces d’archives sur la Coupe du monde 1938 (arbitrage, organisation du protocole, presse, prix des billets), mais qui demeurent lacunaires. Pour autant, les archives FIFA ne restent pas complètement muettes sur les trois premières Coupes du monde. Il suffit de se plonger dans d’autres séries conservées à Zurich, et parfois numérisées, (Congrès, Comités exécutif et d’urgence, Comité d’arbitrage, Correspondance avec les associations nationales, Correspondance avec les confédérations, Présidents) pour retrouver de multiples informations sur l’organisation et le déroulement des compétitions mondiales.

Quelques traces archivistiques de l’histoire de la Coupe du monde

Pour résumer, le chercheur ou la chercheuse désireux de travailler sur l’histoire de la Coupe du monde (et depuis 1991, celle des femmes, sans compter les compétitions de jeunes) doit mener ses investigations dans les dossiers de plus en plus imposants laissés par les comités d’organisation de la Coupe du monde et dans les archives des différentes instances de l’organisation. Il pourra y comprendre la manière dont la FIFA a conçu sa tradition sportive inventée à partir de 1927-1928, ses préoccupations précoces (reconnaissance du pouvoir politique et bénéfices financiers pour développer ses activités), les débats sur l’organisation des compétitions qualificatives et sur la phase finale et, bien sûr, le déroulement de la compétition elle-même. Une plongée dans ces archives révèle quelques pépites qui font la joie du chercheur et de la chercheuse, tout en prenant une résonance historique singulière. En voici quelques exemples jusqu’au début des années 1950. L’universalisme français de la Coupe du monde s’exprime tout d’abord dans le projet pensé par Henri Delaunay et qui s’oppose à la Coupe d’Europe proposée par l’Autrichien Hugo Meisl et de compétitions séparant strictement les amateurs des professionnels, autrement dit le bon grain de l’ivraie, promues par l’Allemand Felix Linnemann. Pour Delaunay, la FIFA doit organiser « tous les quatre ans une Coupe du Monde se disputant par éliminatoires. Elle sera ouverte aux équipes représentatives de toutes les Associations Nationales affiliées à la FIFA 6 ». Un argument plébiscité par le Congrès de la FIFA de 1928 mais qui ne convainc pas les Britanniques. Cinq ans plus tard, le (relatif) splendide isolement de l’Angleterre en matière de football s’exprime de manière laconique et sans prendre la peine de se justifier. En réponse à une lettre d’invitation à la deuxième Coupe du monde organisée en Italie en 1934, le secrétaire de la Football Association Sir Frederick Wall répond : « J’ai été chargé de vous écrire pour vous dire avec regret que nous ne pouvons accepter l’invitation7. » Un peu plus tard, dans les temps difficiles de la Seconde Guerre mondiale, la FIFA cherche à préserver l’essentiel et ce qui est précieux, à savoir le trophée de la Coupe du monde qui a été réalisé par l’artiste français Abel Lafleur. Le 26 juillet 1943, le lendemain de la déposition de Mussolini par le Grand Conseil du fascisme, Ottorino Barassi, secrétaire de la fédération italienne, informe la FIFA pour « sa tranquillité », que « la Coupe du Monde a été déposée dans le coffre-fort du Credito Italiano et que la clé est en sa possession8 ». Toutefois, pressentant les bouleversements qui vont frapper l’Italie, il ajoute : « Nous vous en faisons part afin que, en toute hypothèse, vous ayez une trace de ce dépôt. » Mais la Coupe du monde échappa au pillage allemand. En tout cas, le succès du football international dans les années 1930 avait aussi été celui du nationalisme sportif. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certaines fédérations voudraient expulser le chauvinisme des stades. Quatre ans avant que Jules Rimet ne signe un opuscule intitulé Le football et le rapprochement des peuples9, la fédération suédoise de football propose au Comité exécutif de la FIFA des mesures radicales : « Abolition des hymnes et drapeaux nationaux des pays concurrents de la “Coupe du monde” lors de la présentation sur le terrain de leurs équipes représentatives, restant autorisées, pourtant, l’exécution de marches et chansons caractéristiques de leurs peuples respectifs. » Pour quel motif ? Cette mesure « a pour but d’éviter que les foules confondent les sentiments de dignité de la patrie avec l’esprit qui préside aux luttes fraternelles du sport ». En effet, le « drapeau qui claque au vent du stade et l’exécution de l’hymne national officiel sont les éléments symboliques qui insufflent le plus dans l’âme populaire l’intolérance pour la défaite et la font considérer comme un affront à la dignité de patrie10 ». Un vœu non exaucé mais une réflexion malheureusement bien actuelle. Il est toujours bon de retrouver la sagesse de certains anciens dans les archives.

Notes

1 Voir par exemple le site officiel de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) : https://www.fifa.com/fifaplus/fr/tournaments/mens/worldcup/qatar2022/countdown-to-qatar-2022. Return to text

2 Pour un bilan réalisé collectivement il y a 16 ans, cf. Françoise Bosman, Patrick Clastres, Paul Dietschy (dir.), Le sport de l’archive à l’histoire, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006. Return to text

3 Voir, par exemple, le catalogue de l’exposition présentée aux Archives nationales lors de l’Euro 2016 : Laurent Veyssière (dir.), Le foot : une affaire d’État, Pierrefitte-sur-Seine, Archives Nationales, 2016. Return to text

4 Cf. Paul Dietschy, « Creating Football Diplomacy in the French Third Republic, 1914-1939 », in Heather L. Dichter (éd.), Soccer Diplomacy. International Relations and Football since 1914, Lexington, University Press of Kentucky, 2020, p. 30-47. Return to text

5 Archives du ministère des Affaires étrangères, Uruguay, 25 CPCOM 9, lettre de Gaston Velten à Aristide Briand, 31 juillet 1930. Return to text

6 Archives FIFA, Congrès, Procès-verbal de la séance du Comité nommé par le Comité Exécutif pour étudier la question d’un Championnat International tenue à Zürich, le 5 février 1927. Return to text

7 Ibid., Correspondance avec les associations nationales (CAN), Angleterre, lettre de F. Wall à la FIFA datée du 30 mai 1933. Return to text

8 Ibid., Italie, lettre d’Ottorino Barassi à la FIFA datée du 26 juillet 1943. Return to text

9 Jules Rimet, Le football et le rapprochement des peuples, Zurich, FIFA, 1954. Return to text

10 Archives FIFA, Comité exécutif (CE), Réunion tenue à Rio de Janeiro le 21 juin 1950 à l’hôtel Quitandinha. Return to text

References

Bibliographical reference

Paul Dietschy, « Les archives de la Coupe du monde », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 1 | 2022, 151-155.

Electronic reference

Paul Dietschy, « Les archives de la Coupe du monde », Football(s). Histoire, culture, économie, société [Online], 1 | 2022, . Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : https://preo.u-bourgogne.fr/football-s/index.php?id=141

Author

Paul Dietschy

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté

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