La hija de Celestina de Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo : à la confluence du roman picaresque et de la novella à l’italienne

DOI : 10.58335/filiations.101

Résumés

Cet article étudie la nouvelle d’Alonso Jerónimo Salas Barbadillo, La hija de la Celestina (1612) qui fait confluer dans le cadre « moderne » de la nouvelle à l’italienne des éléments hétérogènes empruntés à la fois à la tradition picaresque et à la célestinesque. Le résultat de ce croisement expérimental est un texte original qui revendique la filiation picaresque pour mieux la détourner.

This article is a study of Alonso Salas Barbadillo’s short story, La hija de la Celestina (1612), which uses the « modern » framework of Italian-style short stories to fuse together heterogeneous elements borrowed both from the picaresque and from the celestinesque traditions. The result of such experimental hybridation is an original text, which claims to belong to the picaresque tradition, the better to subvert it.

Texte

Parue à Saragosse en 1612, la nouvelle intitulée La fille de Célestine est le premier texte en prose publié par son auteur, Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo. En 1614 l’ouvrage fut substantiellement remanié puis réédité au sein d’une compilation, sous le titre de L’ingénieuse Hélène1. Seule la version de 1612 retiendra ici notre attention.

La fille de Célestine narre les aventures d’une séduisante gueuse, Hélène, qui parcourt l’Espagne, escortée de Montúfar, son souteneur, et de la vieille Méndez, sorte de chaperon a contrario. Le récit s’achève par la mort ignominieuse des trois protagonistes : le truand, Montúfar, est assassiné par le nouvel amant d’Hélène tandis que celle-ci et Méndez sont exécutées par la justice civile. Peu connu du grand public français, l’ouvrage mérite de retenir l’attention dans le cadre d’une réflexion à propos des filiations picaresques ; il est, en effet, l’un des quatre textes les plus fréquemment cités par ceux qui s’intéressent au versant féminin de la littérature picaresque. La fille de Célestine fut publiée peu après le premier roman picaresque dont l’héroïne est une femme, La narcoise Justine de Francisco López de Úbeda (1605)2. Comme la pícara de ce roman, Hélène est un personnage effronté, à l’ascendance infâme, qui rivalise de picardía avec ses homologues masculins3. La nouvelle de Salas Barbadillo influença Castillo Solórzano, qui fit paraître en 1632, puis en 1642, respectivement, deux récits, à forte coloration picaresque, dont les protagonistes sont des gueuses : Thérèse ou la Garce matoise et La Fouine de Séville ou l’Hameçon des bourses4. Les héroïnes des textes de Castillo Solórzano (Teresa et Rufina) et celle de Salas Barbadillo (Hélène) forment, avec la Justine du roman éponyme, un quartet de gueuses5, ou de courtisanes, suivant que l’on insiste sur l’ancrage picaresque ou nouvellistique de ces textes6. En effet, ce panel de pícaras nous éclaire, non seulement, sur les caractères spécifiques du picaresque au féminin7, mais encore, sur les évolutions littéraires qui marquent les années 1605 à 1642. Au cours des quarante années qui séparent La Narquoise Justine de La Fouine de Séville ou l’Hameçon des bourses, la gueuse, qui était l’héritière des pícaros, des prostituées et des entremetteuses, devient la courtisane qu’épingleront dans leurs diatribes les premiers auteurs costumbristas. Dans le même temps, la formule picaresque évolue considérablement : la nouvelle à l’italienne s’impose et ces deux formes littéraires s’entrecroisent pour donner lieu à des créations hybrides qu’il est difficile de classer8. Dans ce contexte, le livre de Salas Barbadillo est particulièrement intéressant puisque, non seulement il se situe au début du processus littéraire qui mène les récits picaresques féminins sur le terrain de la nouvellistique, mais encore, il offre un exemple parfait de la façon dont un auteur, soucieux d’originalité littéraire, procède par hybridation pour faire confluer trois veines littéraires : celle de la célestinesque9 – dont la présence est clairement établie dès le titre –, celle de la nouvelle à l’italienne – évoquée dans le prologue par le premier éditeur du texte –, et celle de la picaresque – prétexte à variations ludiques, nous allons le voir10.

Jerónimo de Salas Barbadillo  (1581-1635) est présenté par Antonio Rey Hazas comme le « meilleur auteur de nouvelles de son temps, le plus novateur, celui qui s’essaya avec le plus d’intelligence à une large palette de nouvelles formes littéraires »11. De nombreux critiques, en effet, ont attiré l’attention sur le caractère à la fois novateur et hybride de la production de l’auteur. Celle-ci peut être grossièrement divisée en trois ensembles. Une première série de textes se caractérise par le sérieux avec lequel l’auteur y fait l’éloge des vertus traditionnelles, chantant l’amour, l’honneur et la gloire de la monarchie espagnole12. Un deuxième groupe est formé notamment par deux poèmes hagiographiques, datant de 1609 et 1621– consacrés respectivement à Notre Dame d’Atocha, patronne de Madrid13, et à sœur Jeanne de La Croix14. Ces écrits proposent une exaltation de la vertu chrétienne et de la morale traditionnelle. Le dernier ensemble est composé de vingt et un écrits satiriques, burlesques ou légers, où abondent les jeux de mots et de concepts. Cette série, conformément au précepte baroque de « l’unité dans la variété »,  est composée d’éléments souvent très hétérogènes rassemblés dans un cadre unique. La Fille de Célestine est un exemple significatif de cette partie de la production de Salas Barbadillo où se mêlent fréquemment des éléments empruntés à la picaresque, à la célestinesque et à la novella italienne. Signalons, donc, pour conclure ces préliminaires, que de nombreux textes de Salas Barbadillo mêlent, à des degrés divers, des éléments issus de veines hétérogènes, à telle enseigne qu’Enrique García Santo-Tomás, dans l’introduction à son édition de La Fille de Célestine évoque les nombreuses « incursions dans des territoires hybrides » réalisées par l’auteur15. Il n’en reste pas moins que lorsque La Fille de Célestine paraît en 1612, le texte est fermement rattaché au genre de la nouvelle par son préfacier, Francisco de Segura, l’ami de Salas Barbadillo qui prend la publication à son compte :

Alors qu’il s’acheminait vers la Catalogne, Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo, vint à Saragosse où nous nous liâmes d’une étroite amitié en tant que compatriotes, car il était né à Tolède ; il me confia en gage de son affection certains des meilleurs travaux issus de son esprit et, parmi ceux-ci, cette subtile nouvelle de La fille de Célestine, dont l’invention est ingénieuse, la disposition admirable et l’élocution remaquable […]16.

Cette désignation rattache le récit à un genre relativement nouveau en Espagne.

Le terme novela a connu en Espagne une fortune bien particulière. Il fut introduit d’abord pour désigner un récit qui appartenait à la tradition du Novellino et du Décaméron (traduit pour la première fois en 1496), puis à la production nouvellistique du XVIIe siècle. Il fut ensuite employé pour désigner communément cet autre type de textes que l’on désigne en français par le terme de roman17. Afin de distinguer la novela (roman) de la novela (nouvelle) les critiques espagnols usent des termes novela cortesana et novela italiana que nous emploierons ici. Sous la plume de Francisco de Segura, le terme de novela renvoie sans équivoque à la tradition italienne. Il convient de signaler, à ce propos, que Salas Barbadillo a publié sa « proposition »18 de novella à l’espagnole un an avant la parution des Nouvelles exemplaires de Cervantès dont on sait qu’il se présentait lui-même comme l’initiateur du genre en Espagne19. Il est intéressant de constater que les deux auteurs ont acclimaté la nouvelle en la croisant avec des éléments empruntés aux genres en vogue en Espagne (roman de chevalerie, roman sentimental, pastorale, picaresque).

Pour ce qui est de Salas Barbadillo, sa volonté de rattacher La Fille de Célestine à la tradition littéraire hispanique apparaît dès le titre, qui se réfère explicitement à La Célestine de Fernando de Rojas. L’on se souvient que ce grand texte de la littérature espagnole, publié probablement pour la première fois en 1499, est une sorte de comédie humanistique qui se distingue de ses modèles latins par le choix du castillan et par la transformation des personnages types en de véritables caractères doués d’une épaisseur psychologique. Ce texte inclassable, initialement intitulé Comédie, puis, Tragicomédie de Calixte et Mélibée, devint célèbre sous le titre de La Célestine, en référence à l’entremetteuse du même nom qui y officie. La vigueur et la justesse du portrait de cette « vieille femme barbue, que l’on appelle Célestine, sorcière, astucieuse, rouée dans toutes les mauvaises actions possibles »20 est telle que très vite le terme « célestine », passa dans la langue commune pour désigner toute entremetteuse. Salas Barbadillo rendit hommage à ce texte fondateur de la littérature espagnole à trois reprises : dans El sagaz Estacio, marido examinado (rédigé en 1614)21, qui se réclame expressément de La Célestine, dans La Comedie de l’école de Célestine (1620)22, qui s’attarde sur la situation paradoxale de trois courtisanes s’initiant à la bonne conduite, et dans La fille de Célestine. Il convient de signaler que, ce faisant, il prolonge une pratique littéraire ancienne. En effet, le texte de Rojas donna lieu en Espagne, de 1534 à 1554, à toute une série de continuations et d’imitations qui forment un ensemble que la critique, après Menéndez Pelayo et Pierre Heugas, désigne du nom de célestinesque23. L’intertextualité qui lie ces écrits entre eux est soulignée par la réapparition de personnages, passant d’un texte à l’autre, et par la constitution de rapports quasiment endogamiques, liant les œuvres et leurs auteurs entre eux. Suites de La Célestine, les imitations sont, à partir de la Troisième Célestine, des suites aux suites : dans la Seconde Célestine de Feliciano de Silva un personnage épisodique de l’original sert de point de départ à une amplification lors de l’exposé de la généalogie qui mène de Mollejas, le maraîcher du modèle, jusqu’au Pandulfo de cette suite ; de même les personnages de la Seconde Célestine de Feliciano de Silva passent, dans la troisième puis dans la quatrième. On les retrouve également dans la Tragicomédie de Lisandre et Roselie de Sancho de Muñón. La Policiana, La Florinea, La Selvagia empruntent à leur tour à Feliciano de Silva et à Sancho de Muñón. En plus du réseau tissé entre La Célestine et ses imitations, on peut apercevoir tout aussi clairement le réseau tissé entre les imitations elles-mêmes. Tout se passe, d’ailleurs, comme si les auteurs de la célestinesque se sentaient une parenté littéraire entre eux et que ce lien autorisait des querelles de famille24. Consolación Barrada et Ana María Vián soulignent cette pratique de l’imitation par la filiation établie entre personnages et indiquent que l’arbre généalogique qui en découle est « analogue à celui des Amadís mais lui est opposé par son caractère négatif et anti-héroïque (prostitués et souteneurs) »25.

Or la veine célestinesque entretient, à son tour, des liens de parenté avec le roman picaresque. La célèbre page de titre de l’édition princeps de La Narquoise Justine témoigne de cette parenté biologique et littéraire26. La gravure représente, en effet, la nef de la vie picaresque voguant sur la rivière de l’Oubli et se dirigeant vers le havre de Désillusion, où le spectre de la mort se tient à l’affût. À bord du vaisseau, piloté par une allégorie du Temps, voyagent Justine (habillée à la mode classique, elle se tient debout au pied du mât) et Guzman d’Alfarache (assis à l’arrière) tandis que sur l’esquif qui navigue bord à bord avec la nef, sont installés Lazare et le taureau de pierre de Salamanque (en référence au célèbre épisode qui marque le début de la vie picaresque pour l’enfant). Lazare ne se trouve pas sur le même navire que ses comparses ; mais il partage leur destin, comme l’indique sa rame, où l’on peut lire : « Je les suis » (« Sígoles »). La mère maquerelle, Célestine, en revanche, figure en bonne place, au pied du mât, juste devant la narquoise Justine, de façon à bien signifier que l’héroïne de la Tragicomédie est la devancière de la pícara. Elle porte une sorte de chapeau de cardinal qui rappelle que les clercs et ecclésiastiques étaient ses principaux clients ; elle brandit une bouteille où l’on peut lire : « ¡Andad hijos! ». Cette adresse réservée d’ordinaire aux paresseux et aux oisifs fait ici office d’encouragement paradoxal à la vie de libertinage. Sur le mât se dresse, d’ailleurs, Bacchus tandis que flotte, à ses côtés, un étendard qui porte l’inscription : « Mon plaisir me guide » (« El gusto me lleva »). Si l’apostrophe, « hijos », s’explique par le grand âge de l’entremetteuse, elle permet surtout d’établir un lien de filiation entre Célestine et Justine, entre la matière célestinesque et la matière picaresque27. Jannine Montauban a souligné à quel point cette gravure était un « indicateur » des « filiations complexes qu’implique un genre [picaresque] en apparence destiné à périr dans le fleuve de l’oubli »28. La phrase « ¡Andad hijos! » souligne le caractère « biologique qui définit la filiation textuelle de la famille picaresque […] ». La métaphore parentale était, d’ailleurs, fréquemment utilisée au siècle d’or pour définir le rapport entre l’auteur et son œuvre ; de plus, nous l’avons dit, les suites et imitations tendaient à former, à l’instar de ce qui existait pour les romans de chevalerie, de véritables sagas avec, parfois, des alliances entre familles distinctes. Ainsi, Justine, la première pícara, se situe délibérément à la confluence de deux lignées : celle de Guzman d’Alfarache, dont elle se déclare successivement la fiancée29 puis l’épouse30, et celle de la Célestine, avec qui l’auteur la compare : « Il n’y a pas d’entourloupe dans La Célestine, ni de plaisanterie dans Momus, ni de niaiserie dans La Vie de Lazare […] dont je ne tire ici la quinte-essence »31. Désireux de faire de sa Narquoise Justine, une « réplique burlesque » du Guzman d’Alfarache32, López de Úbeda fait de son héroïne une pícara par alliance (elle est l’âme sœur du parangon du pícaro, Guzman) mais également une pícara de naissance (qui accumule toutes les tares possibles car, d’ascendance juive, elle se fait passer pour morisque)33. Les principaux textes picaresques espagnols s’inscrivent dans cette « endogamie textuelle », faite de liens conjugaux (Justine et Guzman), de secondes parties (le Lazarille et le Guzman d’Alfarche), ou encore de croisements aussi improbables que féconds (entre la lignée célestinesque et la famille picaresque pour La fille de la Célestine ou entre sorcières et démons pour le Colloque des chiens de Cervantès)34.

Par le choix de son titre, Salas Barbadillo indique d’emblée qu’il entend faire partie de la famille. Cette volonté de rattacher la pícara Hélène à la lignée célestinesque explique d’ailleurs que, dans la première moitié de l’ouvrage, l’héroïne ne soit jamais désignée dans les titres de chapitre autrement que par la périphrase « la fille de Pierres et de Célestine »35 ; nous apprendrons au troisième chapitre qu’il s’agit là de noms injurieux dont on affuble les parents d’Hélène, qui se prénomment, en réalité, Alonso et Zara. La généalogie infamante de l’héroine, exposée dans ce troisième chapitre, est l’occasion d’établir une double filiation littéraire. L’évocation d’une ascendance ignoble rattache, à l’évidence, Hélène à la veine picaresque : le sobriquet de son père conforte cette filiation puisque le prénom Pierres servait à désigner péjorativement les Français dont on stigmatisait ainsi les penchants éthyliques ; or la thématique du vin est, depuis La vie de Lazare de Tormes, une constante de la littérature picaresque. Le surnom de la mère, de son côté, tout en suggérant qu’elle est une prostituée doublée d’une maquerelle, inscrit la nouvelle de Salas Barbadillo dans la lignée des Célestine.

Prolongeant cet héritage célestinesque, que le titre et l’onomastique de la nouvelle soulignent, et dont nous aurons l’occasion de signaler plus avant d’autres exemples, c’est la matière picaresque qui est la plus abondante. Un résumé de la nouvelle suffira à nous en apporter la preuve.

Contrairement à ses illustres prédécesseurs – La vie de Lazare de Tormes, La vie du Guzman d’Alfarache ou encore La pícara Justina –, La fille de Célestine n’est pas un roman pseudo-autobiographique ; au contraire, le récit est pris en charge par un narrateur omniscient qui narre en troisième personne les frasques d’Hélène et de ses acolytes. Le récit commence in medias res par l’arrivée à Tolède de la belle Hélène. Celle-ci pénètre dans la ville dans une ambiance de fête aux allures carnavalesques qui prélude aux noces de don Sanche de Villafañe. Dès cette première apparition, preuve est faite de la beauté et du talent d’Hélène puisque ce premier chapitre s’achève par une bourle36 qui témoigne de l’intelligence et de l’absence de scrupules de l’héroïne. En effet, à peine arrivée à Tolède, elle parvient à soutirer du valet, Antonio, suffisamment d’information sur le compte du futur époux pour abuser le père du fiancé, auprès duquel elle se fait passer pour une jeune aristocratique violée et abandonnée par le jeune homme. À titre de dédommagement, elle réussit à soutirer au père la coquette somme de deux mille ducats. La victoire remportée sur la crédulité paternelle s’accompagne d’une victoire érotique sur le fils puisque celui-ci, ayant croisé par hasard la séduisante Hélène, s’en éprend au point de ne plus songer qu’à elle durant sa nuit de noce (chapitre 4).

Dès l’ouverture, un dispositif est mis en place, qui fera l’originalité du texte, et qui consiste à faire coexister, sans jamais les faire se rencontrer, deux plans de la narration qui s’inscrivent dans deux réalités absolument distinctes, tant sur le plan de la hiérarchie sociale que sur le plan littéraire : le monde picaresque, où sévissent Hélène et ses comparses, d’une part, le monde aristocratique de la nouvelle auquel appartient don Sanche, de l’autre37. Il convient de signaler que ce dernier, en dépit d’une lubricité extrême qui peut le mener jusqu’au viol, relève, tout au long du récit, d’un univers dominé par la courtoisie et le code de l’honneur38. Par un habile jeu de cache-cache sur lequel nous reviendrons, Salas Barbadillo fait en sorte que les trajectoires de la belle Hélène et de don Sanche se croisent à trois reprises, sans que la rencontre entre les deux personnages et le monde qu’ils représentent n’ait jamais véritablement lieu. Cette façon d’éviter que la sphère aristocratique n’entre en contact avec celle de la pègre est significative des intentions littéraires et sociales de l’auteur qui, en dernière analyse, se range du côté des valeurs dominantes.

Ce n’est qu’au troisième chapitre, et alors qu’Hélène et ses comparses fuient vers Madrid, que la pícara entreprend de narrer sa vie sur le mode du traditionnel alivio de caminantes39. À ce point du récit, la nouvelle adopte, le temps d’un chapitre, la forme canonique de la pseudo-autobiographie caractéristique du genre picaresque. De plus, Hélène sacrifie à la topique de la généalogie infamante, caractéristique du pícaro. Elle passe en revue sa parentèle de façon à montrer que son inconduite est le résultat d’une hérédité perverse. Son père, un laquais originaire de la Galice, du nom d’Alonso Rodriguez, est un ivrogne incorrigible doublé d’un cocu notoire ; il finit ses jours empalé par un taureau40. Sa mère, originaire de Grenade, est une esclave morisque, prénommée Zara mais que ses maîtres appellent Marie. Arrêtons-nous sur elle :

Ma mère était de Grenade et, étant marquée au visage – c’est en effet par ce genre de marques que les gens de bien se distinguent – elle servait à Madrid un gentilhomme de la famille des Zapata [...]. En un mot, elle était esclave : inutile de nier plus longtemps ce qui est connu de tous.
Ses patrons l’appelaient Marie et, bien qu’elle répondît à ce prénom, celui que ses parents lui avaient donné, et dans lequel elle se reconnaissait plus volontiers, était Zara41.

Le jeu sur les prénoms, l’évocation du lieu de naissance et de la marque sur le visage indiquent, sans équivoque, que la mère d’Hélène est une esclave morisque. Comme c’est le cas, dans la plupart des romans picaresques, l’origine religieuse impure est l’objet d’une surenchère sarcastique. Non seulement les ascendants maternels d’Hélène ont été condamnés par le Saint-Office de Tolède, mais Zara, elle-même, est si viscéralement opposée à la religion chrétienne qu’elle refuse par deux fois l’alliance avantageuse que lui proposent deux chevaliers membres de prestigieux ordres de chevalerie. Jouant ironiquement sur les mots, Salas Barbadillo souligne l’œcuménisme religieux et sexuel de Zara « disposée à soulager [sexuellement] avec la même ardeur les Tunisiens que les Algériens quoiqu’ayant un faible pour les Oranais »42. La description de la mère d’Hélène renvoie ouvertement au personnage de Célestine. Comme elle, Zara est issue d’une lignée de sorcières et a hérité, par voie maternelle, d’un talent de nécromancienne si exceptionnel que le moindre de ses ordres proféré à mi-voix fait trembler l’enfer (« doctísima mujer en el arte de convocar gente del otro mundo, a cuya menor voz rodaba todo el infierno », p. 109). Comme sa devancière, Zara est une d’entremetteuse de génie. Elle détient le monopole du commerce sexuel dans la ville (« en el tribunal del Amor no se determinaba negocio sin su asistencia ») ; sa spécialité est la fabrication de faux hymens si parfaits qu’ils rivalisent avec les vrais : « Il y eut une année, et même plusieurs, où les hymens contrefaits par ses soins se vendirent plus chers que les naturels tant les marchands de ce plaisir en étaient satisfaits ! »43. Trafiquante sexuelle de génie, la mère d’Hélène parvient à vendre, puis à revendre, la virginité de sa fille par trois fois : d’abord à un ecclésiastique, puis à un noble titré et enfin à un marchand génois dont le texte précise qu’il paya cher du second choix (« que pagó mejor y comió peor », p. 113). La visée satirique de cette énumération qui établit une hiérarchie dans l’appétit sexuel et la crédulité des trois ordres évoqués s’inscrit à l’évidence dans la veine picaresque. Prostituée et entremetteuse d’exception, Zara en vient à mériter le nom de Célestine qui, à lui seul, résume et célèbre ses talents :

Le peuple ayant connaissance de ses mérites voulut l’honorer en lui conférant un titre digne de ses prouesses et c’est ainsi que tous l’appelaient communément Célestine, deuxième du nom. Penserez-vous qu’elle rougissait de ce titre? Nenni! Bien au contraire, il la conforta au point qu’elle le tenait pour son plus haut titre de gloire44.

La fierté avec laquelle Zara arbore son sobriquet fait écho à un passage similaire de la Tragicomédie de Calixte et Mélibée où Pármeno, le jeune valet de Calixte, tente de dissuader son maître d’entrer en affaire avec la vieille prostituée, Célestine, qui se glorifie du titre de putain par lequel chacun la reconnaît et l’honore :

Si elle est parmi cent femmes, et si quelqu’un dit : « Vieille pute ! », elle tourne aussitôt la tête sans honte aucune, et répond d’un air joyeux […]. Elle passe entre les chiens, c’est ce nom qu’ils aboient ; elle est près des oiseaux, ils ne chantent pas autre chose ; près des troupeaux, leurs bêlements le proclament ; dans leurs braiements, les ânes répètent « vieille pute » ; les grenouilles des mares ne savent dire d’autre nom. La voilà chez les forgerons, c’est ce que disent les marteaux. Charpentiers, armuriers, maréchaux, chaudronniers et cardeurs, tout métier qui se sert d’un outil forme son nom dans les airs […] C’est au point que la pierre au choc d’une autre pierre résonne aussitôt : « vieille pute »45.

En digne émule de Célestine, Zara périt assassinée par des voleurs ; c’est alors qu’Hélène troque la protection de sa mère maquerelle, par celle de son amant-souteneur, Montúfar et celle de la vieille Méndez, que le texte désigne par l’anti-phrase « honrada vieja ». À ce point du récit, le passé rejoint le présent et la rétrospective du troisème chapitre se termine par l’évocation de l’escroquerie commise à Tolède, et à laquelle le lecteur vient d’assister, pour ainsi dire, en direct, au cours des deux premiers chapitres de la nouvelle.

Passant du sommeil de Montúfar à celui de don Sanche, le quatrième chapitre abandonne, pour un temps, le trio de gueux afin de suivre le jeune marié :

L’aube se réveillait et Montúfar dormait […] cependant que là-bas, le jeune marié, lassé de sa nuit et plus rassasié de sa jeune épouse qu’il ne l’eût souhaité, désirait fuir et sa compagnie et le lit.

Les évocations parallèles et les jeux de contrastes à l’œuvre dans ce passage annoncent un chapitre entièrement placé sous le signe du paradoxe et de l’ironie poétique. L’insatisfaction sexuelle de don Sanche au lendemain de sa nuit de noces débouche sur des considérations sentencieuses sur le thème des caprices de l’amour car l’aristocratique épouse que le gentilhomme délaisse pour une catin est, à son tour, l’objet d’une passion secrète. Le texte ne s’attarde pas sur l’identité du soupirant qui ne semble être là que pour servir de prétexte à un long excursus moralisant. À ce premier paradoxe, qui permet de pasticher les digressions du Guzman d’Alfarache, Salas Barbadillo en ajoute un autre, de nature plaisante. En effet, alors que don Sanche roule sur les traces des auteurs de l’imposture dont il ignore l’identité, il se surprend à rêver de la belle inconnue croisée la veille qui n’est autre que la coupable qu’il est en train de poursuivre. Don Sanche exprime la nature contradictoire des sentiments qu’il éprouve et ses réflexions sont d’autant plus comiques que le gentilhomme est sur le point de rattraper celle qu’il croit avoir laissée derrière lui. Voici les termes du débat intérieur qui l’anime :

Est-il possible que je sois à ce point le tyran de mes propres désirs qu’alors que mes pieds devraient être occupés à rechercher ce bien auquel j’aspire, je me retrouve à fuir le lieu où elle m’est apparue [Tolède]. Je serais en effet bien malheureux et mille fois misérable si, à mon retour, cet ange, auquel j’ai confié mon âme, parce qu’elle est étrangère à la ville, venait à l’avoir quittée!46

Lorsque don Sanche et ses gens rattrapent la voiture des fugitifs, un seul regard d’Hélène suffit à convaincre le gentilhomme de deux choses : il vient de retrouver la belle inconnue qui hante ses pensées ; cette jeune personne ne saurait être la voleuse qu’il poursuit :

[…] il crut que ses gens s’étaient trompés car l’amant prête toujours à l’objet de son amour les inclinations les plus honnêtes et les plus nobles scrupules. Et comme s’il avait été en mesure de se porter garant de sa moralité depuis sa naissance et qu’il ne fût pas possible qu’une aussi belle femme fût une voleuse – ce qu’elle était en réalité –, jetant sa dague et tirant son épée du fourreau, il s’élança contre ses gens en s’écriant: « Gueux, vilains ! »47.

Par un retournement cocasse de situation, ce sont les valets du gentilhomme qui sont traités de pícaros par leur maître. Le comble de l’inversion comique est atteint lorsque don Sanche tourne ses excuses sur le mode d’un compliment galant, présentant l’ignoble crocheteuse de bourses comme une galante ravisseuse des cœurs48. Le chapitre se termine sur de fausses présentations : Hélène se fait passer pour une femme mariée demeurant à Madrid et invite don Sanche à la laisser poursuivre seule son chemin, tout en lui laissant espérer un rendez-vous galant ultérieur.

La rencontre différée ne se produira pas au chapitre suivant car don Sanche, après avoir vainement tenté de retrouver sa belle dans Madrid, se résout à rentrer auprès des siens à Tolède. Dès lors, l’attention se reporte sur le trio de pícaros qui quittent Madrid, habillés en pèlerins. Chemin faisant, Montúfar tombe malade donnant à ses compagnes l’occasion de l’abandonner. La liberté de ces « dames » est, cependant, de courte durée puisqu’Hélène et Méndez sont rattrapées par Montúfar aux abords de Burgos. Dans une scène qui n’est pas sans rappeler la afrenta de Corpes, les deux femmes sont ligotées à un arbre, rouées de coups, puis abandonnées. La référence au Cantar de mío Cid (XIIe siècle) préfigure le rebondissement du chapitre suivant qui fait se rencontrer de nouveau, et de façon tout à fait inattendue, l’univers nobiliaire et picaresque, la sphère d’Hélène et celle de don Sanche.

De nombreux éléments de l’incipit de ce sixième chapitre rappellent les procédés mis en œuvre par Cervantès dans le célèbre chapitre IX du livre I, lorsque le texte se fige sur une image à l’arrêt du vizcaíno, en plein combat, pour ne reprendre qu’au chapitre suivant après que le vieux grimoire relatant la fin de l’aventure a été retrouvé à Tolède. Suivant le même type de procédé, dans La fille de Célestine, le chapitre s’ouvre sur l’évocation des deux femmes ligotées ; la scène est interrompue par l’arrivée, sur les lieux du châtiment, d’un lièvre qui est poursuivi par un chien de chasse, lui-même suivi d’un chasseur, qui n’est autre que don Sanche. Le narrateur explique simplement la raison de son improbable présence : il est de passage dans la région. La coïncidence extraordinaire qui rend enfin possible la rencontre de don Sanche et d’Hélène semble pasticher les scènes de reconnaissance des romans d’aventures ; mais, une fois de plus, les attentes du lecteur vont être plaisamment déjouées suivant deux procédés concomitants. La première réaction inattendue est le déni de don Sanche, qui, bien qu’il reconnaisse, en l’aventurière ligotée qu’il a sous les yeux, la femme dont il s’est épris à Tolède, préfère se croire victime d’une hallucination diabolique qui lui ferait voir en toute femme sa bien-aimée. Au nom de la bienséance, qui rend la présence d’une dame de qualité en ces lieux impossible, Salas Barbadillo donne un tour surprenant à son récit. Mais les choses n’en restent pas là ; par un plaisant escamotage, au moment où don Sanche s’apprête à secourir les deux femmes, son attention est détournée par une dispute qui éclate entre ses compagnons de chasse (p. 134). Lorsqu’il revient au pied de l’arbre, les deux femmes ont disparu. Il ne lui reste plus qu’à regagner Tolède, tout étourdi par sa mésaventure. Une fois de plus la rencontre entre don Sanche et la pícara n’aura pas lieu, le monde de la picaresque et celui de la novela cortesana continueront leur existence parallèle.

Au septième chapitre, le narrateur interpelle son lecteur mettant en avant le caractère extraordinaire des événements relatés au chapitre précédent et insistant sur la virtuosité dont il devra faire preuve pour rendre compte de la mystérieuse disparition (p. 137). L’explication avancée s’avère, une fois de plus, d’une désarmante simplicité : Montúfar, pris de remords, est revenu sur ses pas pour libérer les deux femmes. En fait, le narrateur joue un rôle important tout au long de la nouvelle49. Par ses commentaires moraux et stylistiques, il adopte une position de surplomb qui lui permet de conduire le récit au gré de sa fantaisie. Ainsi, par exemple, lorsque mention est faite de l’héroïne pour la première fois, le narrateur, conscient du fait qu’il déroge aux conventions picaresques en ne commençant pas par évoquer ab origine le parcours de la gueuse, précise : Hélène, « dont je rapporterai la naissance et les débuts à un moment plus propice ». Il choisit ainsi de repousser l’exposé du « roman des origines » jusqu’au troisième chapitre. De même, au chapitre sept, les explications destinées à rendre compte du tour de force de la disparition d’Hélène et de Méndez sont précédées par une digression qui souligne la liberté et la maîtrise littéraire du narrateur :

Je sais que vous ne quittez pas des yeux mes mains pour voir par quelle porte est entré celui qui a libéré les deux matrones si justement châtiées. À n’en pas douter, l’un de ces apprentis poètes qui, sous prétexte d’avoir recopié le sonnet ou la romance du voisin sur leur papier, de leur propre main et avec une plume qui leur a couté son prix, pensent pouvoir s’en attribuer le mérite (comme ils ne manquent pas de le faire) s’arme contre moi et me reproche rudement la faiblesse de mon esprit qui s’est relâché sur un point si important.
« Calme toi, pédant, et ne sois pas si prompt à te soulever de ton siège ! Je vois où tu veux en venir et je ne te laisserai pas en cette occasion sans t’avoir aidé à remplir les blancs. Tu dois savoir que jusqu’à présent jamais un dicton castillan ne s’est avéré faux… Hé bien, il en est qui dit “Quiconque sait nouer, sait dénouer”. Que cela est bien dit ! Veux-tu en faire la preuve ? Eh bien écoute et cesse de t’agiter […] »50.

Véritable prestidigitateur, le narrateur a le pouvoir de faire apparaître ou disparaître les personnages à sa guise. Il est en cela semblable à la pícara dont il narre les aventures, car tous deux sont également capables de se jouer de leurs auditeurs grâce à la maîtrise du verbe. Le premier chapitre de la nouvelle établit d’emblée la dextérité langagière d’Hélène qui, comme tous les pícaros et toutes les Célestines, est une bavarde aussi habile qu’impénitente51 ; à présent, c’est le narrateur, lui-même, qui apparait sous les traits du beau parleur, capable d’escamoter les personnages, sous les yeux de son lecteur ébahi. Comme de nombreux pícaros, en effet, Salas de Barbadillo pratique l’art de la bernardina. Ce terme à l’étymologie incertaine et que d’aucuns font dériver du français dialectal « barlandiner, berlandeur, berlander », en rapport avec « brelan » (maison de jeu)52, désigne l’utilisation de propos incohérents où absurdes qui permettent d’endormir la méfiance de celui qui les écoute pour mieux lui subtiliser un objet. L’exemple littéraire le plus connu de cette technique est celui narré par Cervantès au début de sa nouvelle Rinconete et Cortadillo où le jeune pícaro étourdit à force de paroles l’homme qu’il avait détroussé quelques lignes plus haut et qui était venu réclamer la restitution de sa bourse. À la fin de ce morceau de bravoure, le plaigant, sidéré par la loquacité de son voleur, repart, non seulement sans avoir récupéré son argent mais victime d’un deuxième larcin53. La définition de la bernardina proposée par le dictionnaire de Covarrubias (Tesoro de la lengua castellana o española, 1611) repose, d’ailleurs, sur les termes atar et desatar : « Bernardinas son unas razones que ni atan, ni desatan, y no significando nada, pretende el que las dize, con su dissimulación, engañar a los que le están oyendo […] »54. Or, c’est sur ces mêmes notions que joue le dicton espagnol cité par Salas Barbadillo lorsqu’il revendique sa liberté de narrateur : « quien bien ata, bien desata ». À la liberté de parole du gueux, fait écho la liberté avec laquelle le narrateur noue ou dénoue les fils de son récit.

À partir de ce septième chapitre, le récit ne s’occupe plus que des aventures picaresques des trois gueux et don Sanche ne fera plus qu’une brève apparition lors du dénouement. À Séville, les trois compères entreprennent de vivre aux dépens de la charité et de la dévotion publique. Montúfar se fait passer pour un saint homme, qu’assistent une mère et une sœur dévouées (dont les rôles sont tenus par Méndez et Hélène). L’écart entre leur vie publique exemplaire et leur vie privée licencieuse donne lieu à une savoureuse satire de la crédulité populaire et de son exploitation par les faux dévots. Le chapitre se clôt sur la fuite de Montúfar et Hélène, échappant de peu à la justice, et sur la mort de Méndez qui ne survit pas au supplice que lui inflige la justice.

Le dernier chapitre de la nouvelle développe, comme le précédent, un thème caractéristique de la littérature picaresque, celui du mari complaisant. En effet, grâce à l’argent amassé à Séville, Hélène et Montúfar se marient et s’établissent à Madrid. À l’abri des liens conjugaux, Hélène mène la vie dissolue des courtisanes tandis que Montúfar, que ce commerce charnel enrichit, ferme les yeux comme l’avaient fait avant lui Lazare, Guzman d’Alfarache et le père d’Hélène, lui-même. Les choses tournent à l’aigre le jour où celle-ci se laisse séduire par un jeune vaut-rien, Pierrot le Gaucher (Perico el Zurdo). Le surnom du galan souligne la maladresse du spadassin mais annonce surtout le changement de fortune qui accompagne son apparition. Le ‘gauchissement’ de la destinée d’Hélène se manifeste sous la forme d’une sinistre série de morts (siniestro étant en espagnol un synonyme de zurdo– « gaucher » –) qui s’enchaînent jusqu’à ce que justice poétique soit faite. Montúfar périt assassiné par Hélène et son nouvel amant tandis que ceux-ci ne tardent pas à être jugés et exécutés pour le meurtre du rufian : Pierrot, pendu ; Hélène, garrotée puis placée dans une cuve et jetée à l’eau. Contrairement à ce qui se passe pour La Vie de Lazare ou pour le Guzman d’Alfarache, La fille de Célestine ne se termine pas par une fin in media re55 mais par la mort de l’héroïne. Sur le plan technique, ce dénouement explique, à lui seul, le choix de la troisième personne pour la narration. Le dénouement se caractérise par un retour à l’ordre moral : Hélène dispose dans son testament que la somme volée, au début de la nouvelle, aux Villafañe leur soit restituée. Mais le véritable héritage légué à don Sanche est d’ordre moral. En effet, le gentihomme se convertit lorsqu’il apprend la véritable identité de celle qu’il a aimée et, mesurant les dangers auxquels il s’est exposé, il décide alors de mener une vie rangée (p. 153). Pour compléter ce happy end, le jeune valet Antonio, que la pícara avait berné au premier chapitre, entre dans les ordres, car, précise le narrateur, « souvent le châtiment d’un méchant est suivi par le rachat de nombreux vices » (p. 153). La nouvelle se termine par quelques vers, rédigés en guise d’épitaphe, par un poète tolédan :

Florecía entonces en Toledo, entre tantos espíritus gentiles, un poeta ilustre en escribir epitafios; el cual siendo bien informado de la vida de Elena, trabajó éste para su sepultura, con que mi pluma dará el último paso y se cerrarán las puertas de la historia:

En ce temps-là florissait à Tolède, parmi tant d’esprits raffinés, un poète célèbre pour ses épitaphes qui, s’étant bien renseigné sur la vie d’Hélène, écrivit pour orner sa sépulture le suivant épitaphe qui sera la dernière chose que ma plume tracera et qui servira à Ferrer les portes de notre histoire :

Elena soy, y aunque de Grecia el fuego

No hizo por mi ocasión a Troya ultraje,

Parecí que era griega en el lenguaje,

Porque yo para todos hablé en griego.

Je suis Hélène et s’il est vrai que le feu de la Grèce

N’embrasa pas à cause de moi la ville de Troie,

J’ai toujours semblé grecque par mon langage

Car pour tous, c’est en grec que je m’exprimais.

Huésped siempre mentí; siempre hice juego

De la verdad; neguéla el vasallaje:

Virtud es vinculada a mi linaje,

Que hasta en esto da muestras de gallego.

Dos padres virtuosos me engendraron

(Gente de poco gasto en la conciencia):

Padre gallego y africana madre.

Étrangère, j’ai toujours menti; je me suis toujours jouée

De la vérité ; je lui ai toujours refusé le vasselage :

Cette vertu est attachée à mon lignage,

Qui même en cela témoigne de ses origines galiciennes.

Deux parents vertueux m’ont engendrée

(Personnes économes avec leur conscience) :

Mon père galicien, ma mère africaine.

Después de muerta al agua me arrojaron

Para que vengase en mi inocencia

El mayor enemigo de mi padre.

Après ma mort on me jeta dans l’eau

Pour que se vengeât sur mon innocence

Le pire ennemi de mon père.

Dans ce sonnet, le poète tolédan « célèbre pour ses épitaphes », cède la parole à Hélène, qui adresse au lecteur, par delà la mort, une nouvelle version de ses mémoires picaresques. Le jeu avec les conventions du genre est ici évident car, si la confession du pícaro se produit généralement à l’âge mûr, jamais elle n’émane d’outre-tombe. De plus, s’il s’agit toujours d’une autobiographie imaginaire, jamais le subterfuge littéraire n’est aussi fermement souligné que dans ce final où le poète ne parvient pas à s’effacer derrière son personnage. Il est d’ailleurs révélateur que le plumitif soit un tolédan, à l’instar de Salas Barbadillo, présenté comme tel dans la préface de la nouvelle, alors qu’il est né à Madrid56. L’invention d’un ou deux auteurs tolédans, auteur(s) de la nouvelle et du sonnet-épitaphe souligne la dimension ludique du récit qui joue, aussi bien sur le plan de la fiction que sur ce lui de la métafiction, sur des registres contradictoires. À l’univers de la gueuserie, s’oppose celui des valeurs aristocratiques qui triomphent (sur un mode mi-sérieux, mi-plaisant) à la fin de la nouvelle. De même, si Salas Barbadillo est cet auteur grave qui ponctue sa nouvelle d’excursus moralisants, il est également ce deus ex machina espiègle qui conduit le récit avec une liberté toute picaresque, se jouant des lois du genre et des attentes de ses lecteurs.

De nombreuses références au roman picaresque émaillent le récit : le caractère itinérant de l’aventure, la forme autobiographique du troisième chapitre, l’évocation d’une parenté infâme dont la vilenie est soulignée à dessein ; mais encore le recours systématique à la bourle ou à d’autres expédients douteux comme le ménage à trois (évoqué au dernier chapitre), l’exploitation de la crédulité populaire à Séville ou les prouesses verbales (bernardinas) destinées à endormir la méfiance de l’interlocuteur, du premier chapitre, ou celle du lecteur, au septième chapitre. Un faisceau nourri de références célestinesques vient compléter cette abondante matière picaresque. Il convient, cependant, de noter que la matière picaresque mise en œuvre adopte une coloration particulière du fait que l’héroïne est une femme : le motif de la séduction amoureuse prévaut sur l’obsession de la faim, le service auprès de nombreux maîtres est remplacé par la succession de tromperies et d’amants bernés, la beauté et l’apparence soignée de l’héroïne contrastent avec l’allure de son homologue masculin. De fait, Hélène, comme la plupart des autres pícaras tient autant de la gueuse que de la courtisane et se trouve, de ce fait, à la charnière de la tradition picaresque, de la novela cortesana et de la littérature costumbrista. Antonio Rey Hazas a signalé la position très particulière occupée par ce petit récit qui se place « en el límite máximo permitido entre la novela picaresca y la ‘novella’ a la italiana –o su heredera española […] »57. Ce critique souligne que Salas Barbadillo écrit au moment où se forge la novela cortesana espagnole avec la publication, en 1609, des Noches de invierno d’Antonio Eslava, des nouvelles cervantines, en 1613, et de La fille de Célestine, en 1612. Avec ce premier texte, Salas Barbadillo « reprend et actualise le genre du Lazarillo » en empruntant à la nouvelle certaines de ses caractéristiques, en particulier ses dimensions réduites, de telle sorte que cette « novela corta » renvoie à la fois à la formule brève du premier roman picaresque et à celle des nouvelles cervantines58. Tout se passe, en fait, comme si Salas Barbadillo inversait la formule retenue par Mateo Alemán : si celui-ci avait inséré des nouvelles à l’italienne dans le récit autobiographique de Guzman, dans La fille de Célestine, les mémoires picaresques sont intégrées dans une novella rédigée en troisième personne. Cette tendance à l’hybridation était d’ailleurs inscrite dans les modèles imités ; en effet La Célestine, ainsi que Le Lazarille sont des textes issus du croisement de traditions disparates tandis que leurs continuations et imitations charrient des matériaux hétéroclites, tirés des romans de chevalerie, des récits sentimentaux et des nouvelles à l’italienne. S’inscrivant dans cette tradition, Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo ne cessera, tout au long de sa carrière littéraire, de pratiquer l’amalgame, ce qui explique le caractère inclassable d’une production que la critique a souvent considéré comme irrégulière et incohérente59.

Notes

1 La Hija de Celestina paraît simultanément à Saragosse (La Hyia de Celestina […] impressa por la diligencia y cuydado del Alferez Francisco de Segura, Zaragoza, biuda de Lucas Sánchez, 1612) et à Lérida chez Luis Menescal. Elle est publiée à nouveau sous le titre La ingeniosa Elena en 1614. Dans cette deuxième version, publiée à Madrid, chez Juan de Herrera, sont intercalés huit autres textes : deux récits à coloration picaresque rédigés sous la forme de tercets (La madre et El marido), une nouvelle à l’italienne, El pretendiente discreto, et cinq romances de « Malas manos ». La hija de Celestina est publiée à nouveau à Milan, chez Juan Bautista Bidelo en 1616. Signalons également : La ingeniosa Elena, hija de Celestina, Madrid, Pedro Joseph Alonso y Padilla, 1737 ainsi que La hija de [Pierres y] Celestina, Madrid, Colección Clásica de Obras Picarescas, 1907 [reproduisant l’édition milanaise de 1616]. L’édition qui nous sert de référence est celle d’Enrique García Santo-Tomás, Madrid, Cátedra, 2008. Retour au texte

2 Maurice MOLHO écrit à ce propos : « Le personnage du pícaro fait fortune. La littérature se peuple de vauriens – et même de vauriennes – plus ou moins crapuleux, mais toujours cyniques, dont on écoute la leçon tout en prêtant une oreille amusée au récit de leurs aventures. En 1605 apparut la première gueuse : la Pícara Justina […]. Cette narquoise Justine (tel fut le titre que lui donna son traducteur français en 1635) raconte, dan un style plein de concetti, de pointes et de grâces baroques, les piquantes aventures d’une donzelle, fille et petite-fille de voleurs et de tricheurs, qui, mêlée à toutes sortes de gens et dans les milieux les plus divers, escroque et berne tout ce qu’elle rencontre, mais parvient à préserver jusqu’au mariage […] une virginité physique incorrompue, sous laquelle se cache une âme corruptible et vouée, dès la naissance à la corruption. » (Romans picaresques espagnols, Intr. de Maurice Molho, trad. et notes de M. Molho et J.-F. Reille, Paris, Gallimard, 1968, p. LXXIX). Retour au texte

3 La critique s’accorde à dire que la nouvelle de Salas Barbadillo ne doit presque rien à La Pícara Justina. Sur ce point, Antonio REY HAZAS, Éd., Picaresca femenina (La hija de Celestina. La niña de los embustes, Teresa de Manzanares), Barcelona, Plaza & Janés, 1986, p. 40 : « […] no parece que la obra de Francisco López de Úbeda influyera apenas en la de Barbadillo, ni en la estructura de la novela, ni en los temas, ni en el estilo, ni siquiera en la configuración del personaje ». Citant Guzmán ÁLVAREZ, El amor en la novela picaresca española, La Haye, 1958, p. 134, Antonio Rey Hazas ajoute : « […] podemos sostener, como se ha dicho desde antiguo, que “si algo de común tienen en sus mañas [Elena y Justina] es que las dos mienten” o que sus respectivas madres son seres celestinescos. Y poco más ». Toutes ces considérations sont reprises dans Antonio REY HAZAS, Deslindes de la novela picaresca, Málaga, Servicio de publicaciones de la Universidad de Málaga (Thema), 2003. Retour au texte

4 Le roman de Alonso Jerónimo de CASTILLO SOLÓRZANO, La niña de los embustes, Teresa de Manzanares (1632) narre les frasques de Thérèse, fille d’une paysanne de Galice et d’un Gascon, qui après avoir été entremetteuse, perruquière et comédienne, finit par épouser un avare négociant. La garduña de Sevilla y anzuelo de las bolsas (1642) témoigne de la manière dont Castillo de Solórzano a su exploiter ses succès de librairie en créant « sur le modèle des anciens romans de chevalerie, des familles “picaresques” dont il raconte l’histoire de génération en génération » (M. MOLHO, Romans picaresques…, p. CXII). En effet, Rufine est la fille du Bachelier Truffard, protagoniste du roman picaresque du même auteur, Las aventuras del bachiller Trapaza (1637). Si son père était un professionnel du vol et de la triche, Rufine se sert de sa beauté pour renflouer les finances familiales. Retour au texte

5 L’expression est de María Soledad ARREDONDO, « Pícaras. Mujeres de mal vivir en la narrativa del Siglo de Oro », in Dicenda. Cuadernos de Filología Hispanica, n° 11, Madrid, Editorial Complutense, 1993, p. 11-33 ; voir p. 11 : « Las protagonistas de La Pícara Justina, La Ingeniosa Elena, Teresa de Manzanares y La Garduña de Sevilla constituyen un cuarteto femenino tan interesante como controvertido en la historia literaria ». En note, l’auteur précise : « La primera discusión es, desde luego, si las cuatro son pícaras o son más bien cortesanas, y la segunda si la lista debe ampliarse con otros personajes femeninos de los Siglos de oro ». Retour au texte

6 Évoquant les similitudes et les différences qui existent entre Teresa et Rufina, d’une part, et Hélène de l’autre, Antonio REY HAZAS écrit : « Con todo la diferencia es muy grande, pues Elena permanece siempre marginada, en los aledaños de la sociedad, mientras que Teresa y Rufina se integran bien en ella, adoptando constantemente máscaras cortesanas para conseguirlo. Aparte de que, como personajes literarios, son dispares, siendo mucho más consistente y profundo el carácter novelesco de Elena que el de las dos pícaras de Solórzano, un tanto superficiales y endebles […] », Picaresca femenina…, p. 41. Retour au texte

7 Sur la littérature de la pícara, l’étude pionnière fut l’article de Jonas Andries VAN PRAAG, « La pícara en la literatura española », Spanish Rewiev, 3 (1936), p. 63-74. Plus récemment, Thomas HANRAHAN, La mujer en la novela picaresca española, Madrid, Porrúa Turanzas, 1967, 2 vols. ; Pablo Javier RONQUILLO, Retrato de la pícara, Madrid, Playor, 1980 ; Jannine MONTAUBAN, El ajuar de la vida picaresca : reproducción, genealogía y sexualidad en la novela picaresca española, Madrid, Visor, 2003 ; Reyes COLL TELLECHEA, Contra las normas : las pícaras españolas (1605-1632), Madrid, Ediciones del Orto, 2005. Retour au texte

8 M. S. ARREDONDO, « Pícaras… », p. 11-12. Retour au texte

9 L’emploi de l’expression literatura celestinesca pour se référer aux textes qui continuent, imitent ou sont influencés par le livre de Fernando de Rojas, La Célestine, a été introduit en 1905 par Marcelino MENÉNDEZ PELAYO dans son Orígenes de la novela, Madrid, Gredos, 2008 (réédition), chapitre XI. Parmi les hispanistes français, elle est d’un usage courant après le livre de Pierre HEUGAS, La Célestine et sa descendance directe, Bordeaux, Institut d’Études ibériques et ibéro-américains, 1973. Pierre Heugas ne retient que la descendence directe de La Célestine, qu’il étudie de façon exhaustive et à laquelle il se réfère par les termes « littérature célestinesque » et « la célestinesque ». Il pose les limites géographiques et temporelles du phénomène : l’Espagne entre 1534 et 1554. Sur ce point, voir l’excellent article de Consolación BARRANDA LETURIO et Ana VIAN HERRERO « El nacimiento crítico del ‘género’ celestinesco: historia y perspectivas » in Raquel Gutiérrez Sebastián et Borja Rodríguez Gutiérrez (Coords.), « Orígenes de la novela »: estudios, Santander, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Cantabria, 2007, p. 407-482, en particulier, la page 425. Retour au texte

10 Le rattachement de La fille de Célestine au genre picaresque est objet de débat : si Alberto DEL MONTE (Itinerario de la novela picaresca española, Barcelona, Lumen, 1971, p. 106) et Francisco RICO (La novela picaresca y el punto de vista, Barcelona, Seix Barral, 1970, p. 131-132) considèrent que ce texte n’appartient pas au genre picaresque, dont il ne respecte pas la forme pseudo-autobiographique, Fernando LÁZARO CARRETER (Lazarillo de Tormes en la picaresca, Barcelona, Ariel, 1972, p. 200-201) et Antonio REY HAZAS (Picaresca femenina…, p. 42-53) considèrent que cette nouvelle, malgré ses nombreux traits relevants de la nouvellistique, appartient au genre picaresque auquel elle se rattache in extremis (A. REY HAZAS, Picaresca femenina…et « Novela picaresca y novela cortesana: La hija de la Celestina » in Edad de oro II, Madrid, Departamento de Literatura Española, Universidad Autónoma, 1983, p. 137-156). Retour au texte

11 A. REY HAZAS, Picaresca femenina…, p. 24 : « […] el mejor novelista español de su época, el más innovador, el que ensayó mayor cantidad de nuevas fórmulas narrativas con inteligencia […] ». Retour au texte

12 Font partie de cet ensemble : El caballero perfecto, Madrid, Juan de la Cuesta, 1620, bref roman sur le modèle du Courtisan de Baltasar Castiglione ; la nouvelle Atanarico, qui est intercalée dans El caballero puntual, Madrid, Miguel Serrano de Vargas, 1614 (sorte de roman picaresque en troisième personne) ; et la novela El gallardo montañés, qui fait partie des miscellanées Casa del placer honesto, Barcelona, Sebastián de Comellas, 1624. Retour au texte

13 Alonso Jerónimo de SALAS BARBADILLO, Patrona de Madrid restituida, Madrid, Alonso Martín, 1609. Retour au texte

14 Alonso Jerónimo de SALAS BARBADILLO, Los triunfos de la Beata Soror Juana de la Cruz, Madrid, Viuda de Cosme Delgado, 1621. Retour au texte

15 E. GARCÍA SANTO-TOMÁS, « Introducción » de A. J. SALAS BARBADILLO, La hija de Celestina…, p. 27. Williard F. KING qualifie l’auteur d’« infatigable expérimentateur littéraire » dans une phrase citée par E. GARCÍA SANTO-TOMÁS, La hija de Celestina…, p. 29, note 42. Retour au texte

16 « Pasando a Cataluña Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo por esta ciudad de Zaragoza, con quien a fe de ser todos de una patria y nacido en ese reino de Toledo, profesé estrecha amistad, dejó en mi poder por prendas de voluntad algunos de los más felices trabajos de su ingenio, y entre ellos esta subtil novela de La hija de Celestina, donde la invención es agudísima, la disposición admirable y la elocución peregrina […] » (p. 77). Retour au texte

17 Sur ce point voir Jean-Michel LASPERAS, La nouvelle en Espagne au siècle d’or, Montpellier, Éditions du Castillet, 1987, p. 21-24 et 161-170 ; Paul GUINARD, « ‘Novela’ : de la nouvelle au roman. Remarques sur l’évolution d’une dénomination littéraire », in Mélanges offerts à Maurice Molho, 2 vols., Paris, Éditions hispaniques, 1988, I, p. 329-341 ; Didier SOUILLER, La nouvelle en Europe de Boccace à Sade, Paris, Puf, 2004, p. 43-48 ainsi que l’intéressante mise au point de Maria ZERARI-PENIN, « Novas, (Nuova), Novella, Novela, Nouvelle : à propos de l’idée de ‘nouveauté’ en littérature », Les langues néo-latines, 103e année, 3, n° 350, juillet-septembre 2009, p. 117-143. Retour au texte

18 F. RodrÍguez Mansilla, « “Quien bien ata, bien desata”… », p. 115. Retour au texte

19 « […] je me donne (et cela est juste) pour le premier qui ait fait des nouvelles en langue castillane. Car les nombreuses nouvelles qui sont imprimées en cette langue sont toujours traduites de l’étranger. Et celles que voici me sont propres, je ne les ai ni imitées ni volées ». (CERVANTÈS, Nouvelles exemplaires suivies de Persilès, texte présenté, traduit et annoté par Claude Allaigre, Jean Canavaggio et Jean-Marc Pelorson in Jean Canavaggio (Dir.), Œuvres romanesques complètes, II, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1949, p. 1073). Retour au texte

20 Sur cette vision synthétique de la Célestine, Adeline RUCQUOI, Aimer dans l’Espagne Médiévale : Plaisirs licites et illicites, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 86. Retour au texte

21 La comedia intitulée El sagaz Estacio, marido examinado (Madrid, Juan de Cuesta, 1620) met en scène le personnage de Marcela, qui cherche un mari en procédant à un examen des candidats. Retour au texte

22 Alonso Jerónimo de SALAS BARBADILLO, Comedia de la escuela de Celestina y el hidalgo presumido, Madrid, Andrés de Porras, 1620. Retour au texte

23 Sur ce point, voir la note 9. Retour au texte

24 Pierre HEUGAS signale à ce propos : « À l’occasion, un Sancho de Muñón, un Villegas savaient reprocher à Feliciano de Silva ou à Gaspar Gómez leur infidélité et leur atteinte à un texte que les deux premiers admiraient beaucoup » (La Célestine et sa descendence…, p. 70) ; plus largement, les pages 51 à 70 sont fondamentales pour comprendre le processus de filiation littéraire auquel donne lieu La Célestine et l’éloge littéraire implicite que ces imitations « au second degré » font du modèle. Retour au texte

25 C. BARRANDA LETURIO et A. VIÁN HERRERO, « El nacimiento… », p. 427. Retour au texte

26 La gravure de Juan Bautista de Morales y Fe, connue sous le nom de La nef de la vie picaresque (La nave de la vida picaresca), illustre la première édition de La pícara Justina (1605). Elle est reproduite, entre autres dans l’édition de La pícara Justina présentée par Antonio REY HAZAS, Madrid, Editora Nacional, Biblioteca de la literatura y el pensamiento hispánicos, 1977, p. 7 (non numérotée) et dans le livre d’Alexander Augustine PARKER, Los pícaros en la literatura: la novela picaresca en España y Europa (1599-1753) Madrid, Gredos, 1971, p. 49. Pour un commentaire de cette gravure, J. MONTAUBAN, El ajuar de la vida picaresca…, p. 11-14. Retour au texte

27 Jannine MONTAUBAN écrit à ce propos : « En el grabado la Celestina aparece como la madre que alienta al Guzmán, a la Justina, al Lázaro a la vida picaresca » (El ajuar de la vida picaresca…, p. 10). Retour au texte

28 J. MONTAUBAN, El ajuar de la vida picaresca…, p. 11 et 14 (c’est nous qui traduisons). Retour au texte

29 Justina se presente dans le Prólogo Sumario comme « la fiancée de mon Seigneur dom Pícaro Guzman d’Alfarache ». Retour au texte

30 «  […] quedando casada con don Pícaro Guzmán de Alfarache, mi señor, en cuya maridable compañía soy en la era de ahora la más célebre mujer que hay en corte alguna […] » (Francisco DELICADO, La pícara Justina, II, p. 737). Retour au texte

31 « […] no hay enredo en Celestina, chistes en Momo, simplezas en Lázaro, […] enredos en Patrañuelo, cuentos en el Asno de Oro… cuya nata aquí no tenga y cuya quinta esencia no saque » (F. DELICADO, La Pícara Justina…, Éd. Bruno M. Damiani, Madrid, Porrúa, p. 48). D’autres occurences sont signalées par María Soledad Arredondo, « Pícaras… », p. 13. Retour au texte

32 L’expression est de Antonio REY HAZAS, La pícara Justina, p. 28. Retour au texte

33 F. DELICADO, La pícara Justina…, Éd. A. Rey Hazas, p. 28 et 42. Retour au texte

34 J. MONTAUBAN, El ajuar de la vida celestinesca…, p. 14. Retour au texte

35 Sur cette question, Gregory G. LA GRONE, « Salas Barbadillo and the Celestina », Hispanic Review, IX, 1941, p. 440-458. Retour au texte

36 À la suite de Monique JOLY (La bourle et son interprétation. Recherche sur le passage de la facétie au roman (Espagne XVIe-XVIIe siècles), Lille, Atelier national de reproduction de thèses, 1986, p. 9), il est d’usage de traduire le terme espagnol burla par le terme français « bourle » parce qu’il présente « l’avantage de réaliser sous lui, comme l’espagnol burla, une synapse sémantique dénonçant les affinités qui existent entre le champ de la tromperie et celui de la moquerie ». Retour au texte

37 Sur ce point, A. REY HAZAS, « Novela picaresca y novela cortesana… », p. 141 à 150. Retour au texte

38 Sur ce point, F. RODRÍGUEZ MANSILLA, «“Quien bien ata, bien desata”…», p. 119. Retour au texte

39 En référence au livre d’historiettes de Juan de TIMONEDA, Propos de table et réconfort des voyageurs, 1563 (El Patrañuelo, Sobremesa y Alivio de caminantes) : les contes sont narrés à l’étape pour agrémenter le voyage. Retour au texte

40 Le texte établit un lien sarcastique entre les cornes du taureau et celles de la victime qui périt par là où elle a péché. Retour au texte

41 « Mi madre fue natural de Granada, y con señales en el rostro – porque los buenos han de andar señalados para que de los otros se diferencien – servía en Madrid a un caballero de los Zapatas […]. Al fin, esclava; que no puedo negar lo que todos saben.
Llamábanla sus amos María, y aunque respondía a este nombre, el que sus padres la pusieron y ella escuchaba mejor, fue Zara » (p. 106-107). Retour au texte

42 « […] ella igualmente remediaba necesidades, con la misma voluntad, al de Túnez que al de Argel, aunque a los de Orán parece con alguna diferencia de más grado recibía […] » (p. 108). Retour au texte

43 « […] hubo año y aun años, que pasaron más caros los virgos contrahechos de su mano que los naturales: ¡tan bien se hallaban con ellos los mercaderes deste gusto! » (p. 110). Retour au texte

44 « Como el pueblo llegó a conocer sus méritos, quiso honrarla con título digno de sus hazañas, y así, la llamaron todos en voz común ‘Celestina’, segunda deste nombre. ¿Pensarás que se corrió del título? ¡Bueno es eso! Antes le estimó en tanto, que era el blasón de que más cuenta hacía » (p. 110). Retour au texte

45 Fernando de ROJAS, La Célestine. Tragi-comédie de Calixte et Mélibée, Trad. Pierre Heugas, Paris, Aubier – Flammarion, 1963, I, p. 153. Retour au texte

46 « ¿Es posible que soy tan tirano de mi propio gusto que al tiempo que mis pies habían de ocupar en buscarme este bien que tanto deseo voy huyendo del lugar adonde le vi, que sería triste yo y mil veces miserable si aquel ángel a quien di el alma, como era mujer forastera, no estuviese en la ciudad cuando yo volviese? » (p. 118-119). Retour au texte

47 « […] pensó que sus criados se habían engañado: porque siempre de la cosa amada presume el amante inclinaciones honradas y nobles respetos. Y como si él conociera a Elena por persona abonada desde el día de su nacimiento, y no fuera posible en el mundo que mujer de tan buen talle fuera ladrona – como verdaderamente lo era − arrojando la daga y desnudando la espada, dio tras ellos [sus criados] diciendo: —¡Pícaros, hombres viles! » (p. 120). Retour au texte

48 « Mire vuestra merced, señora […] a lo que está sujeta la gente principal en el mundo; pues si yo no vengo aquí acompañando a éstos, alborotan a este lugar primero, y valiéndose de los recaudos que traen, vuelven a vuestra merced presa a Toledo por ladrona. Bien creo yo que vuestra merced lo es y tanto, que por vida mía que no jure en su abono; pero de voluntades y corazones: que de tan bello rostro más lícito es presumir que roba almas que dineros » (p. 120). Retour au texte

49 Pour tout ce qui concerne le rôle du narrateur, voir F. RODRÍGUEZ MANSILLA, « “Quien bien ata, bien desata”… », p. 114-131. Retour au texte

50 « Ya sé que me miráis todos a las manos para ver por qué puerta sale el que dio libertad a las bien castigadas matronas. ¿Quién duda que algún poeta de cartapacio, de estos que piensan que porque trasladaron el soneto y romance de su vecino en papel que era suyo, escrito de su letra y con pluma que les costó sus dineros, que pueden canonizar el trabajo por propio, y lo hacen, se arma contra mí, reprehendiéndome la flojedad de mi ingenio con mucha aspereza, pues se durmió en cosa que tanto importa? Sosiégate, pedante, y no te levantes tan presto de la silla, que ya soy con tu pensamiento, y no te dejaré en este particular sin llenarte los vacíos. Bien sabrás que hasta ahora a ningún refrán castellano se le ha cogido en mentira, todos son boca de verdades […] Pues entre ellos anda uno vulgarísimo que dice: ‘Quien bien ata, bien desata’. Y ¡cómo que dijo bien! ¿Quieres verlo? Pues, oye, y no escandalices […] » (p. 137). Retour au texte

51 Sur la loquacité du gueux, voir Gonzalo SOBEJANO, « Un perfil de la picaresca : el pícaro hablador » in Studia hispánica in honorem R. Lapesa, III, Madrid, Gredos, 1975, p. 467-85. Retour au texte

52 Pour l’étymologie du terme, voir l’article de Gonzalo SOBEJANO, « “Bernardinas” en textos literarios del Siglo de Oro » in Homenaje a Rodríguez Moñino, II. Madrid, Castalia, 1966, p. 247-259. Retour au texte

53 M. de CERVANTÈS, Nouvelles exemplaires…, p. 138-139. Retour au texte

54 Ce qui vient à dire : « les bernardinas sont des raisonnements qui ne permettent pas plus d’établir des liens que de les défaire ; celui qui en use, sous le couvert de ces propos dénués de sens, tente de tromper celui qui l’écoute ». Retour au texte

55 Maurice MOLHO, introduction au volume Romans picaresques espagnols, 1968, p. CXII. Retour au texte

56 Son extrait de naissance fut découvert par Emilio COTARELO et publiée dans Obras…con la vida y obras del autor. Colección de escritores castellanos. Novelistas. Obras de Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo, Madrid, Tipología de la Revista de Archivos, 1907 y 1909, I, p. xvii-xvii. Retour au texte

57 A. REY HAZAS, Picaresca femenina…, p. 43 y « Novela picaresca y cortesana… », p. 147. Retour au texte

58 A. REY HAZAS, Picaresca femenina…, p. 45. Retour au texte

59 E. GARCÍA SANTO-TOMÁS, dans son introduction à La hija de Celestina, p. 27, dénonce ce point de vue réducteur. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Paloma Bravo, « La hija de Celestina de Alonso Jerónimo de Salas Barbadillo : à la confluence du roman picaresque et de la novella à l’italienne », Filiations [En ligne], 2 | 2011, publié le 05 avril 2011 et consulté le 29 mars 2024. DOI : 10.58335/filiations.101. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/filiations/index.php?id=101

Auteur

Paloma Bravo

PR, Centre Interlangues (EA 4182), Université de Bourgogne, Faculté de Langues et Communication, 2 bvd. Gabriel – paloma.bravo [at] u-bourgogne.fr

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