- VERSTEEGH Julien, D’un mouvement étudiant à un parti. Alle Macht an de Arbeiders, 1970-1979, Mémoire de licence d’histoire, sous la direction de Anne Morelli, Université Libre de Bruxelles, Faculté de philosophie et Lettres, 1999-2000,164 p .
- ROBERT Damien, Analyse de l’évolution idéologique et politique du Parti du Travail de Belgique (PTB) entre 1979 et 1990, sous la direction de M. Servais, Université Catholique de Louvain-la-Neuve, 1999-2000, 216 p.
Aujourd’hui, le Parti du travail de Belgique (PTB, dans la partie francophone, Partij van de Arbeid, PVDA, dans la partie flamande) est sans conteste la formation d’extrême gauche la plus importante en Belgique1, une des plus importantes en Europe, malgré la « discrétion » dont la crédite Christine Pina2.
Concernant ces travaux universitaires inédits3, trois remarques préalables peuvent être formulées. Elles concernent le rapport à l’objet, la construction de l’objet et la méthodologie.
Les deux auteurs annoncent clairement leur sympathie, voire leur appartenance pour l’un d’entre eux, au courant incarné par le PTB. Dans un certain sens, c’est un gage de pertinence. Sans verser dans une conception étroite où seuls les « initiés » seraient en mesure de recherches productives sur la thématique extrême gauche, force est de constater que l’étrangeté de l’objet amène bon nombre de commentateurs à ne pas saisir réellement à la fois la complexité et la subtilité de ce thème de recherche. Quand ce n’est tout simplement pas leur hostilité. Les exemples sont suffisamment nombreux de travaux de mauvaise qualité sur la gauche radicale. En même temps, cette proximité peut constituer un piège, du fait d’une adhésion « spontanée » à la « vision du monde » développée par l’organisation. Cet écueil n’est hélas pas évité par les deux étudiants travaillant sur le PTB. Un bon indicateur de cette attitude est, notamment, la manière dont ils analysent les autres forces politiques.
Systématiquement, c’est le point de vue du PTB à l’égard des autres courants qui prévaut.
Que ces forces autres soient d’autres composantes marxistes léninistes (par ex. dans le mémoire de Versteegh), les courants trotskystes (Robert). On pourrait naturellement évoquer d’autres aspects de cette proximité gênante avec l’objet dans ces travaux4. Gardons simplement à l’esprit que ce rapport se manifeste souvent, de manière problématique. La seconde remarque porte sur la construction même de l’objet et explique la difficulté de l’exercice de synthèse. Non seulement la période retenue n’est pas la même pour chacun des deux mémoires : celui de Versteegh porte sur les années de naissance, 1970-79, celui de Robert sur la décennie qui suit, 1979-90. Ces deux travaux sembleraient donc couvrir une période de deux décennies. Mais encore la construction même de l’objet diffère fortement d’un mémoire à l’autre, ne permettant guère leur commensurabilité. Là où Versteegh propose une approche traditionnelle d’histoire politique d’une organisation (conditions de création, activités, implantation, organisation, participation à la vie politique et sociale), Robert propose pour sa part une analyse du discours, à travers un examen des textes. Histoire sociale versus analyse idéologique/textuelle, l’exercice de mixage s’avère alors plus délicat qu’il n’y paraît car derrière l’apparente continuité chronologique se cache une discontinuité dans la construction de l’objet même.
En toute logique, découlant directement de ce point, il faut enfin souligner que la méthode utilisée varie fortement d’un mémoire à l’autre. L’analyse de Versteegh repose sur un fonds archivistique varié (archives de l’organisation, archives privées, presse) et une quinzaine d’entretiens, dont des ex militants et des membres d’autres organisations (marxistes-léninistes, à une exception près5). Si Robert utilise également les sources orales, celles-ci se révèlent beaucoup plus limitées, tant en quantité (six personnes) qu’en variété (tous sont des membres actuels de la direction du PTB). C’est bien sûr sur les sources imprimées, les documents programmatiques du parti que repose l’investigation de ce dernier.
Malgré la différence des matériaux servant à étayer le propos, un aspect relie ces deux mémoires. Pas plus l’un que l’autre des chercheurs n’a eu accès aux sources concernant la question de la structuration de l’appareil même6. Verteegh justifie cela en avançant qu’un parti qui souhaite le renversement de l’Etat actuel ne peut offrir des moyens pour permettre à cet Etat de mieux connaître son meilleur ennemi. La limitation de la recherche est donc acceptée, ce qui renvoie au rapport à l’objet, premier point évoqué.
1. Les conditions de naissance d’un courant maoïste en Belgique
Le développement de violentes oppositions internes au PC chinois, se manifestant par la Grande Révolution Culturelle, va affecter également les forces politiques radicales en Belgique. Si dans la partie francophone cela se manifeste par le développement d’une scission au sein du PCB organisée autour d’un dirigeant bruxellois Jacques Grippa dès le début des années soixante, c’est paradoxalement dans le milieu des étudiants nationalistes flamands que l’influence marxiste léniniste va s’exercer. C’est dans la seconde partie de son mémoire que J. Versteegh aborde les conditions d’apparition d’AMADA-TPO. Lors de la contestation de la suprématie francophone, par les étudiants flamands, qui déchire l’Université catholique de Louvain à partir de 1966, le mouvement étudiant va prendre des positions de plus en plus radicales. Par le biais d’une revendication de démocratisation de l’Université, le nationalisme flamand va évoluer vers des positions de plus en plus marquées à gauche7. La création en mars 1967 du SVB (Studenten Vakbeweging), dont le journal est animé par Ludo Mertens, futur et toujours actuel dirigeant du PTB, constitue un moment clé de cette évolution. Si l’auteur ne fournit pas d’éléments pour comprendre le rôle d’initiateur que joue Mertens, il apparaît clairement que ce dernier occupe une position d’idéologue au sein du groupe étudiant, rédigeant une bonne partie de ses textes. C’est sous son influence qu’une partie du syndicalisme étudiant radical va se convertir en un mouvement d’avant-garde, influencé par le marxisme88, souhaitant s’unir à la classe ouvrière. Dès la rentrée universitaire une occasion est fournie à la question « Que faire ? », soulevée dans le document de bilan que produit le SVB, avec l’éclatement d’une grève à Ford-Genk en oct.-nov. 68. Le SVB y intervient en soutien, avec une position assez farouchement antisyndicale. A travers la brochure analysant la grève et l’action des étudiants apparaît une idée force qui caractérisera le courant politique en phase de maturation, la nécessité pour les étudiants d’avant-garde de lier leur sort à celui des travailleurs, par une politique de prolétarisation des cadres militants. Dès l’année suivante, en 1969, une nouvelle occasion est donnée au mouvement étudiant radicalisé de lier son sort à celui des ouvriers à travers l’intervention dans la grève générale du textile de Gand qui éclate en janvier. Gand va devenir le second foyer d’implantation des étudiants radicalisés et du SVB. A l’été 69, le SVB publie un texte d’orientation, Dokument 69, qui dépasse très largement le cadre de l’Université et constitue un programme d’orientation politique large. Y est notamment affirmé « le caractère social-impérialiste et social-fasciste [de l’URSS] aussi dangereuse, si pas plus dangereuse que les Etats-Unis », p. 69.
En conclusion de cette seconde partie sur les prémices de la construction de l’organisation, Versteegh revient sur les conditions du succès des maoïstes néerlandophones.
Selon lui quatre raisons peuvent être avancées pour comprendre cette différence entre le courant M.L. francophone et néerlandophone. La première raison tient en la scissiparité permanente des organisations francophones (aspect sur lequel on reviendra un peu plus loin).
La seconde renvoie au rôle décisif du leadership de Ludo Martens, ce qui augmente le regret que Versteegh n’ait pas fourni plus d’explication sur les conditions de formation de cette position. Le travail de désagrégation de la police constituerait un troisième facteur (cette hypothèse est à peine évoquée). Enfin, on peut évoquer l’hypothèse « bon élève » : « Mais nous pouvons sans crainte avancer que les raisons de cet affaiblissement [des maos francophones] sont principalement à rechercher du côté de ce qui fait la force du futur AMADA, l’étude du marxisme-léninisme et l’unité avec la classe ouvrière », p. 72. Pas avare en hypothèses, l’auteur en avance une supplémentaire, à savoir qu’AMADA a pu en Flandre s’appuyer sur une tendance antisyndicale critique à l’égard de la CSC (Confédération des syndicats chrétiens). Evidemment cette idée aurait mérité de plus amples développements pour être convaincante99, mais en l’état, elle montre par son inachèvement même l’ampleur des travaux qui seraient à conduire pour mieux cerner la singularité de ce courant politique.
2. Du courant étudiant au parti communiste en construction (1970-79)
La troisième partie aborde la phase de précipitation partidaire du courant M.-L. C’est de nouveau l’activité sociale qui va servir de détonateur à cette évolution. En effet, en janvier 1970 éclate une grève chez les mineurs du Limbourg. Un groupe d’étudiants s’y rend pour étendre la grève aux différents puits. C’est ainsi que se constitue un comité unissant mineurs et étudiants, le Mijnwersmacht (Pouvoir des mineurs) qui se propose comme une alternative à la médiation syndicale. A travers les débats suscités par cette grève se dégagent deux positions parmi les deux groupes d’étudiants radicaux, articulés l’un autour de Louvain et l’autre dominant à Gand. Un des premiers débats porte sur la publication d’un journal national. Le groupe de Louvain y est hostile, voulant favoriser des publications locales, basés sur des militants d’entreprises. Animé par Ludo Mertens, le groupe de Gand considère au contraire la publication d’un organe national comme un élément structurant d’un parti. De fait, les oppositions qui se manifestent entre les deux villes recoupent l’opposition entre les partisans du prolongement et de l’extension de structures type Mijnwerkersmacht, comité de base, et partisans d’une organisation de masse de type parti. Finalement, sans que le lecteur 9 dispose des éléments, en particulier de nature sociologique, permettant de comprendre, c’est la conception portée par les Gantois et Mertens qui finit par l’emporter. Si bien qu’en octobre 1970 sort le premier numéro du périodique (un numéro toutes les trois semaines), Alle Macht an de Arbeiders (Tout le pouvoir aux travailleurs). A ce travail d’unification politique nationale s’ajoutent en parallèle deux aspects très spécifiques qui vont durablement marquer le parti en constitution. Le premier est la construction d’une structure apparentée, « Médecins pour le peuple ». En effet, durant la grève des mines, les étudiants constatent la difficulté d’accès à la santé pour les mineurs. Une maison médicale est créée par des étudiants en médecine M.L. en septembre 1971 à Heboken10. Pour se lier aux masses, les militants sont invités à pratiquer l’enquête sociale, à domicile. Ces Arbeidersenquetes-sociales enquetes constituent une dimension centrale du travail militant, au point qu’un guide d’enquête de plus de 40 pages est publié pour formaliser cette tâche militante. Cette orientation sera encore accentuée début 1971 lorsque est prise la décision de « prolétariser » les jeunes militants intellectuels en les envoyant travailler à l’usine, début d’une phase d’établissement11 qui va s’échelonner sur plusieurs années. Tandis que le parti commence à fonctionner et à se structurer, ainsi en sept. 1971 est créé une organisation de jeunesse pour continuer d’occuper le terrain universitaire, des dissensions continuent de se faire jour. C’est notamment le cas avec le groupe Brussel Zuid, qui édite le journal De Vonk (L’étincelle). Cette section prolonge la ligne des comités défendus quelque temps auparavant au sein du groupe de Louvain. A défaut de s’appuyer sur une connaissance historique des débats similaires qui ont animé la gauche unioniste allemande des années 2012, Versteegh endosse la défroque du juge pour condamner le groupe De Vonk qui propose « un front uni avec la bourgeoisie », p. 94. A cette opposition organisée, qui finit (on ne sait dans quelles conditions précises) par rompre avec AMADA, s’ajoute une série d’oppositions individuelles à une centralisation croissante de l’activité, mal vécue par des militants. Là aussi, l’auteur ne fournit guère de renseignements, préférant avancer la nécessité d’une « structure hiérarchique », p. 91.
L’activité du jeune parti dans le cadre des grèves ouvrières va l’amener à modifier assez fondamentalement son attitude anti-syndicale initiale. En effet, durant onze semaines à partir de septembre 1971 se déroule une grève chez Boel Tamise. Cette grève radicale est animée par une équipe de syndicalistes combatifs, ce qui n’empêche pas AMADA de s’opposer à eux durant la grève, attitude qui sera rectifiée après la fin du mouvement, amenant à une prise en compte du fait syndical et qui sera couronnée quelques années plus tard par la publication de brochures spécifiques pour ce type de militants. Mais cette grève a également des conséquences, momentanées, sur la structure d’AMADA. En effet, la direction du mouvement, constatant l’existence d’indiscipline (en particulier le refus d’appliquer le tournant syndical) parmi de nombreux responsables locaux décide de déconcentrer la direction nationale auprès des structures régionales. Cette absence de toute instance de direction nationale durera de la fin 1972 à l’automne 1973. Mais cette situation ne s’éternisera pas, du fait là aussi de l’éclatement d’une grève des dockers au printemps 1973. A cette occasion, AMADA se trouve confronté directement avec le PCB, dont les dockers sont un terrain d’implantation ancien. Cette grève de longue durée, six semaines, se conclura par un échec du fait de son isolement. Surtout, elle jouera un rôle important dans la décision d’accroître la centralisation du groupe car pour la première fois le Parti se trouve confronté à la répression et à des procès. Il s’agit « d’éliminer le libéralisme organisationnel », comme l’avance un document interne, de « construire une organisation forte, unifiée et structurée (…) un véritable parti prolétarien», ainsi que le commente l’auteur, p.107.
Versteegh consacre de longs développements à la « rectification sur la construction organisationnelle du Parti », p. 111 et suivantes, s’inspirant de l’exemple du KPD (le Parti communiste allemand) de la période de Weimar, sans que la référence à ce parti ne soit bien explicite. Cette partie soulève beaucoup de questions sur ce qui est réellement mis en œuvre.
On y apprend ainsi que les intellectuels reçoivent un « statut spécial », mais sans qu’aucune précision ne permette d’en comprendre la nature. Il est bien avancé que les conditions d’adhésion sont soumises à un contrôle strict « de nature quasi « sectaire » », p. 113, mais là aussi sans que l’on en apprenne beaucoup plus, si ce n’est que l’on peut retenir une certaine candeur de l’auteur quand il avance que « la rigueur des statuts est certainement inspirée par la volonté de se conformer aux principes élaborés par Lénine lui-même », p. 113. Cette insistance sur l’unité idéologique13 s’accompagne d’une mobilisation interne pour le passage au journal hebdomadaire, pour lequel une souscription, couronnée de succès, est lancée début 1975.
Décision est prise également de participer aux élections. De 1974 à 1979, AMADA participera aux législatives en 1974, 1977 et 1978, aux communales en 1976 et aux européennes en 1979, avec des résultats modestes, mais significatifs (on se reportera au mémoire pour le détail des chiffres. Voir synthèse p. 110). Dans les deux derniers chapitres de sa recherche, J. Versteegh aborde deux autres aspects, le rôle d’AMADA dans l’unification des organisations marxistes-léninistes en Belgique et la transformation consécutive d’AMADA en PTB. Au début des années 70, un « accord tacite », p. 120, divisait le travail militant entre AMADA du côté flamand et l’UC(ML)B (Union des Communistes (M.-L.) de Belgique) du côté francophone. On ne peut rentrer dans les détails des discussions qui vont déchirer le mouvement M.-L. En fait, l’UC(ML)B, lui-même produit de la fusion d’autres groupes, semble avoir eu un fonctionnement moins centralisé, laissant une certaine autonomie aux différentes sensibilités qu’il rassemble. Ce caractère souple est perçu comme « trotskiste »14 par AMADA, en tous les cas contraire à l’unité indéfectible du parti. Ce qui commence par une discussion se termine par une foire d’empoigne entre AMADA et l’UC(ML)B15, avec accusation réciproque de complot, appel aux autorités chinoises, suspicion contre des « agents doubles », interrogatoire, etc. Finalement, le processus initial de rapprochement des deux organisations se conclut par une désintégration de l’UC(ML)B en 1978 dont une dizaine de membres seulement rejoindront AMADA sur les 5-600 militants que comptait ce groupe.
Le développement d’un véritable climat d’hystérie16, incline la direction d’AMADA à envoyer quelques cadres s’installer côté francophone, à la fois pour convaincre certains des militants de l’UC(ML)B et commencer un travail d’implantation. Ces militants seront les piliers du développement ultérieur d’AMADA en terres francophones. A partir de 1976 une version française du journal, Tout le pouvoir aux travailleurs, est publiée. En 1978, la fête nationale d’AMADA du 1er mai a lieu à Bruxelles, en territoire wallon. Désormais, et c’est le dernier point abordé dans ce mémoire, AMADA-TPO rassemble tous les éléments pour se « présente(r) comme l’embryon d’un Parti communiste », p. 129, c’est-à-dire en mesure de proposer un Front uni. L’auteur offre un court développement sur la nature de ce Front uni, alliance avec la bourgeoisie nationale (voire des éléments réactionnaires) contre… le danger russe. Favorable à la présence des troupes américaines en Europe, protection contre le « social-fascisme », AMADA met en pratique ce Front uni lors de la création d’un Comité Tchécoslovaquie, unissant les partis de droite, la social-démocratie et l’appareil syndical. Si Versteegh n’aborde que par la bande la dimension idéologique de ce courant, c’est la préoccupation centrale du second mémoire. La consécration du marxisme-léninisme en Belgique a lieu quand est décidée la création d’un PTB en 1979, aboutissement de dix ans d’activité. Pour l’auteur, cette création n’est rien moins que l’expression du fait que « Les idées communistes sont toujours belles (sic) et bien existantes et connaissent même un regain de popularité avec le PTB (…) [Le développement de celui-ci, on le constate] « apparaît comme un pur produit de l’histoire, une nécessité dialectique, le contraire de la fatalité historique », p. 140.
3. L’idéologie comme mode de compréhension
Moins confiant dans la nécessité historique17, mais il ne traite pas la même période historique, Robert Damien, s’interroge pour comprendre « Pourquoi le PTB a-t-il résisté à la liquidation progressive des principes communistes qu’ont connue la plupart des partis qui s’en réclament ? », p. 3. Parmi les multiples possibles pour répondre à cette question, il choisit d’analyser l’évolution idéologique du PTB. Cela donne un texte dense, parfois indigeste, dont on peut d’ailleurs douter de la pertinence fondamentale quand on constate que la réponse apportée possède toutes les qualités des vertus dormitives de l’opium.
On passera rapidement sur la première partie du mémoire, consacrée au contexte général national et international. Robert endosse à son compte la bipolarité du monde, avec un monde capitaliste qui s’oppose à un camp socialiste, dont il dresse brièvement un portrait des différentes configurations. S’attardant un peu sur la Tchécoslovaquie (ou sur la RDA) il avance que les forces qui ont dirigé le Printemps de Prague étaient déjà pro-capitalistes, de même pour l’opposition démocratique en RDA. Dans le chapitre consacré à la Belgique (où, notons au passage la Flandre est totalement absente), il présente un panorama des différentes forces politiques, dont le caractère synthétique retiendra l’attention du lecteur français, en particulier en ce qui concerne les formations d’extrême gauche, tout juste évoquées dans le mémoire précédent.
La seconde partie, divisée en six chapitres, aborde de front la question de l’évolution idéologique et politique du PTB. Le premier chapitre est consacré à une analyse détaillée du congrès de fondation du PTB, sur lequel s’achevait le travail de J. Versteegh. On notera, au détour d’une phrase, une précision sur la structuration du parti, à savoir le rôle qu’a joué le journal durant les années de maturation d’AMADA. En effet, c’est le comité de rédaction, non élu et fonctionnant sur la base de la cooptation, qui dirige l’organisation. L’apparition d’un comité central, élu, est beaucoup plus tardive. Sans rentrer dans le détail, comme il le fait de manière parfois pesante, du programme discuté, on retiendra que pour le PTB, l’URSS constitue le principal danger, « foyer de guerre le plus dangereux », extrait du programme cité p. 81. Si la Chine constitue l’horizon de référence, pour autant le PTB n’apparaît pas comme l’émanation diplomatique de ce pays ou de l’Albanie, comme d’autres organisations marxistes léninistes. Certains débats font l’objet de discussions contradictoires préalables dans le journal. C’est le cas par ex. de la question des nationalisations ou de celle, nettement plus avancée, sur la peine de mort… et son usage durant la révolution et sous le socialisme. La direction du PTB prend position en faveur de la peine de mort, « dans les cas exceptionnels et durant la révolution », p. 90. Au vu de l’analyse des débats, quantifiés sous forme de fromages, Robert en conclut au « fonctionnement démocratique » du PTB. Seulement, ce bel outil est immédiatement menacé par le développement d’un « courant liquidateur », dont la « fonction », « vise ni plus ni moins à la destruction du parti communiste (sous entendu le PTB) », p. 96. S’appuyant sur les discussions ayant lieu en France (PCMLF et PCRML), mais surtout en Allemagne (KPD et KBW18), des débats se font jour, au sein du PTB, sur la pertinence de la construction de courants marxistes léninistes.
Robert caractérise cette discussion comme une « décadence du mouvement M.-L », ainsi que l’indique un titre de chapitre. La propagation d’ « idées réformistes », l’abandon du marxisme s’expliqueraient du fait d’une offensive des forces de la réaction. Deux illustrations sont fournies : l’attribution de la caméra d’or au film « Mourir à trente ans » à Cannes en 1982, film « qui raconte la vie sans joie d’un militant d’extrême gauche qui finit par se suicider », p. 106. C’est surtout l’influence délétère de penseurs de la gauche anticommuniste, Marcuse mais surtout André Gorz qui est pointée. Ce dernier est crédité d’exercer une influence aussi dissolvante sur la pensée critique que le Petit livre rouge de Mao Tsé Toung en avait eu une, attrayante, sur la jeunesse occidentale. Heureusement, Robert ne s’en tient pas à une explication schématique relevant seulement du primat des idées, il avance trois explications possibles (même s’il ne les creuse pas) de l’influence de ces conceptions : d’une part la jeunesse des partis et des militants ML, d’autre part l’amour irraisonné de la Chine porté par certains courants pris à contre-pied par les retournements de la politique internationale chinoise (guerre avec le Vietnam) ou nationale (tournant vers le capitalisme). Enfin, Robert ajoute un facteur sociologique pour faire bonne mesure, l’inscription de classe de bon nombre de militants M.-L., « d’origine petite-bourgeoise voire même bourgeoise et ne possédant par conséquent pas la conception du monde d’un ouvrier », p. 108. Bien plus que la question de savoir pourquoi le PTB n’a-t-il pas « sombré » dans cette crise liquidatrice19 qui a vu pratiquement tous les partis M.-L. au niveau européen se désagréger au début des années 80, Robert aurait pu se poser la question de savoir pourquoi ces critiques ont eu si peu d’écho au sein du PTB ? En effet, au vu des développements avancés sur les documents présentant le point de vue liquidateur, on ne comprend pas pourquoi le PTB aurait perdu seulement 10% de ses effectifs à dans cette période, soit 50 à 70 militants.
Ayant dépassé la crise « néfaste », p. 116, du courant liquidateur, le PTB tient son deuxième congrès en 1983 (objet du chapitre 3). Congrès marqué par un renforcement des statuts, la décision prise de créer une école nationale de cadres20 ou encore un renforcement du contrôle de la direction sur les finances des militants. Du fait de la prépondérance de son angle d’analyse par l’idéologie, Robert ne s’intéresse pas plus avant à ces mécanismes organisationnels, notant simplement « Des sacrifices très importants sont demandés aux membres, que ce soit au niveau du projet de vie (« mettre les intérêts du parti avant ses propres intérêts »), ou au niveau financier, secteur dans lequel il n’est plus possible pour les membres d’échapper aux règles strictes du PTB en la matière », p. 131. On le regrette d’autant plus que l’évocation de cette dimension des techniques de maintien des dispositions militantes (contrôle des lectures21, vérification de la participation aux réunions, établissement de bilan personnel du travail dans le parti) parsème les textes d’un parti qui se présente comme une « institution totale »22. A défaut de mieux comprendre le fonctionnement de cet encadrement de l’activité des militants, le résultat est probant puisqu’en même temps que le nombre de militants augmente, que la diffusion du journal connaît également une croissance, la confiance des membres du parti dans son programme et dans ses objectifs apparaît forte, « Cela est sans doute la conséquence de la façon dont cette campagne a été menée par la direction : stricte, rigoureuse mais pas autoritaire [… permettant que] le parti et ses militants retrouvent une unité sur une base marxiste-léniniste, aussi bien dans la théorie que dans la pratique», ainsi que le commente l’auteur, p. 137-139.
A l’occasion du troisième congrès de 1985 et 1986 (le congrès a lieu en deux temps), on peut constater le développement du parti. Sa presse tire à 5000 exemplaires et des cellules du PTB sont actives dans 80 entreprises (rapporté à la Belgique, ces chiffres sont tout à fait importants). L’essentiel des débats du congrès porte sur la question syndicale, puisque depuis 1976 le PTB a privilégié l’intervention au sein des organisations syndicales. La campagne d’établissement d’intellectuels au sein des entreprises, décidée une dizaine d’années plus tôt, porte ses fruits. Bien qu’aucune indication chiffrée ne soit fournie, le PTB, malgré la répression de la bureaucratie syndicale à son encontre, est solidement ancré dans le milieu syndical, en particulier dans la CSC
On laissera de côté l’ultime chapitre (chap. 6) consacré à la criminalisation du PTB, conséquence à la fois de la répression engagée contre le terrorisme des CCC (Cellules communistes combattantes)23 et surtout du climat général consécutif à la chute du Mur de Berlin. Beaucoup plus singulière et intéressante apparaît l’évolution du PTB par rapport à son positionnement à l’égard de la Chine et du monde socialiste, particulièrement soviétique. En effet, pour aller à l’essentiel de l’argumentation développée longuement dans les pages du chapitres 5, le PTB apprécie si positivement la politique gorbatchévienne qu’il en vient à modifier son analyse de la nature de l’URSS (et des pays satellites). L’appréciation de la politique gorbatchévienne est si positive que les lecteurs de Solidaire (nouveau nom du journal du PTB) se voient offrir des facilités pour s’abonner à Moscou Informations afin de suivre les changements en cours en URSS. Ce changement d’analyse sur la nature de l’URSS, désormais considérée comme un pays socialiste, entraîne des conséquences sur le plan interne. Le PTB va proposer en 1988 au PCB et au POS (Parti ouvrier socialiste, trotskyste) une participation commune aux élections communales. Las, cette tentative se soldera par la présentation de listes communes, mais uniquement du PCB et du POS.
C’est donc avec la conception des pays de l’Est comme dépositaires du socialisme que le PTB va aborder l’année 1989, qui voit la chute du Mur et le soulèvement démocratique en Chine. Le PTB se place en fervent soutien du PCC et dénonce les étudiants de la place Tien an men comme l’expression d’un mouvement contre-révolutionnaire. Tout au plus, concède Robert, « Les moyens et les méthodes militaires employés sont disproportionnés par rapport aux désordres créés par certaines fractions contre-révolutionnaires », p. 173. Cette prise de position suscite néanmoins des interrogations dans les rangs du PTB. Cependant selon Robert, il s’agirait d’individus persistant dans le soutien à la politique gorbatchévienne24, au moment même où le PTB dénonce Gorbatchev comme « un fossoyeur de l’URSS en tant qu’Etat socialiste », p. 177, position qui sera définitivement adoptée début 1990. Il n’en reste pas moins que dans la crise du socialisme qui se développe, le PTB s’aligne sur les dirigeants de ces pays : soutien à Ceaucescu (« Le problème essentiel n’est pas dans les erreurs (bien réelles) du Parti Communiste Roumain mais l’offensive mondiale préparée de longue date par l’impérialisme pour attaquer et éliminer tous les pays socialistes et anti-impérialistes », p. 175), maintien du socialisme du SED, multiplication des contacts avec Cuba ou la Corée, pays dans lesquels des délégations du PTB se rendent. Le PTB apparaît clairement comme une formation nostalgique de la période campiste du « socialisme réellement existant ». Cela amènera d’ailleurs son principal dirigeant Ludo Martens à écrire coup sur coup trois livres en l’espace de quelques mois (L’URSS et la contre-révolution de velours, 1992 ; De Tien an Men à Timisoara, 1992 ; et Un autre regard sur Staline, 1994 réévaluation du socialisme sous Staline).
Tel est le visage que présente le PTB au début des années 90, date à laquelle s’achève ce travail. Reste à l’auteur à fournir sa réponse à la question initiale à savoir pourquoi le PTB figure-t-il parmi les rares formations marxistes léninistes à n’avoir pas disparu ? Selon Robert, la réponse réside dans le renforcement de son caractère socialiste : « trois principes ont permis au PTB de passer le cap de la décennie quatre-vingts sans subir de dégâts importants et même en se renforçant : d’une part, l’acquisition de principes d’organisation démocratiques, d’autre part, la fermeté et « l’intelligence » de la direction et enfin, le maintien du marxisme-léninisme (…) Ce facteur est important puisqu’il permet, à chaque période de crise de faire appel à un juge qui oriente les discussions sur une base commune à la plupart de ses membres. En outre, plus le parti subit des attaques, plus il s’accroche à cette théorie », p. 199.
A l’issue de l’examen de ces deux mémoires, force est de constater que si un certain nombre de bonnes questions sont posées (ou esquissées), force est de constater que la manière dont les auteurs traitent le sujet ne permet pas d’y répondre convenablement. D’autant que la période traitée se termine au début des années, 1990, le PTB ayant subi au cours de la dernière période des évolutions très sensibles qui mériteraient d’être prises en compte. Des recherches de grand intérêt restent donc à conduire pour mieux comprendre cette importance d’un parti singulier dans un pays qui ne l’est pas moins.