L’année 1997 semble être le début d’un boom éditorial autour de la figure d’Ernesto Che Guevara. En effet, la découverte de ses restes en Bolivie, à la suite d’un processus rocambolesque, et le rapatriement de ses ossements, ainsi que ceux de camarades révolutionnaires, à Cuba, l’année des trente ans de sa mort, ont donné lieu à une multiplication des biographies sur le guérillero. Ce phénomène éditorial se compose majoritairement de biographies dont l’aspect héroïque et spectaculaire masque la pensée du révolutionnaire cubano-argentin. La marchandisation et la diffusion du mythe, qui ont connu un certain renouveau dans la seconde moitié des années quatre-vingt dix, peuvent expliquer cette tendance et depuis, chaque anniversaire, que ce soit de sa mort ou de sa naissance, a été prétexte à la parution de nouveaux ouvrages ou de nouvelles biographies1.Alors que les publications semblent être toujours aussi nombreuses, plusieurs ouvrages s’orientent vers une analyse de la pensée marxiste du Che2. Les maisons d’éditions semblent être plus favorables à la publication d’ouvrages « théoriques » qui délaissent l’aspect spectaculaire, fascinant de la vie d’Ernesto Guevara pour se consacrer à l’étude et à la présentation des caractéristiques d’une pensée originale. Cette nouvelle orientation pourrait être inspirée par le renouveau de l’analyse de la pensée marxiste et par les événements actuels en Amérique Latine qui s’orientent vers la recherche de nouvelles alternatives. Ainsi, les ouvrages que nous présentons ici abordent le Che comme penseur même si des disparités, tant au niveau de la forme que du contenu, peuvent nous permettre de les dissocier.
L’ouvrage de Philippe Godard, Che Guevara, fils prodigue de la révolution, semble être celui qui se destine à un plus large public dans la mesure où son accès est facilité par une structure fixe qui alterne récit biographique et discours. En effet, Philippe Godard offre la possibilité au lecteur de découvrir et de se forger sa propre opinion sur la pensée du célèbre guérillero en ayant accès à un certain nombre de discours et comme il l’écrit en introduction : « Il (ce livre) propose plutôt des éléments de réflexion fondamentaux autour de Guevara et de sa politique »3. En offrant ce matériel écrit par le Che lui-même, l’auteur propose des pistes pour dépasser la représentation traditionnelle et réductrice du mythique guérillero. Néanmoins, pour ne pas perdre le lecteur, Philippe Godard prend soin auparavant de présenter des pans de la vie du révolutionnaire qui peuvent préparer à la lecture des discours qui suivent. Il traite ainsi de la mutation d’Ernesto en Che, à partir de ses voyages à travers l’Amérique Latine où il découvre la misère, l’exploitation et pressent l’ère des révolutions arriver. Il aborde également les premiers temps de la révolution, du rôle des jeunes générations dans la construction de la révolution.
Un des aspects majeurs de ce livre est sans doute la reproduction, en français et dans son intégralité, du discours qu’Ernesto Guevara a prononcé aux Nations Unies le 11 décembre 1964. Ce discours est capital pour comprendre un des traits fondamental de sa pensée. En effet, c’est un réquisitoire contre l’impérialisme, et principalement nord-américain, mais également une première remise en cause de la coexistence pacifique prônée par les deux grandes puissances leaders des deux blocs : les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Celui qu’on appellera Tatu au Congo ne remet pas en cause la coexistence pacifique mais dénonce la manière dont elle est appliquée, c’est-à-dire uniquement entre les grandes puissances et sans tenir compte des intérêts des « petits pays ». Cette critique apparaîtra avec beaucoup plus de virulence lors de son discours d’Alger en 1965. Pour éclairer son propos, le Che se livre à un état des lieux des différentes interventions de l’impérialisme Nord-Américain que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine. Guevara aborde dans son discours des problématiques qui sont peut-être difficilement compréhensibles du fait de l’éloignement temporel des faits (libérations en Afrique, guerre du Vietnam, division de la Chine…) mais qui sont déterminantes dans le contexte de l’époque. A la fin du discours, il aborde la situation plus particulière de Cuba et dénonce les différentes opérations nord-américaines qui ont cherché à mettre à mal la révolution de « los barbudos ». L’énumération des cinq conditions nécessaires à la paix qu’il énonce est très intéressante dans la mesure où nous nous apercevons que deux d’entre elles ne sont toujours pas d’actualité : la fin du blocus économique qui dure depuis 50 ans et le retrait de la base de Guantanamo, devenue encore plus tristement célèbre. Le Che clôture son discours en insistant à nouveau sur l’impérialisme nord-américain, qu’il dénonce avec virulence, et se place dans une logique latino-américaine et tiers-mondiste qui structure sa pensée internationaliste. Ce discours démontre l’actualité de son analyse et nous ne pouvons que constater que les maux de l’Amérique Latine et des pays pauvres que le révolutionnaire latino-américain dénonçait sont toujours les mêmes que ce soit la récurrence de l’impérialisme ou la domination étasunienne.
La fin du livre a le mérite d’essayer de faire un petit bilan de la diffusion et de la représentation que l’on a de la figure du mythique guérillero tout en essayant d’aller au-delà en abordant succinctement des aspects de sa pensée moins connus. En somme, ce livre peut être un point de départ pour dépasser les représentations traditionnelles et commencer à s’intéresser à la pensée d’Ernesto Che Guevara.
Le livre d’Ernesto Guevara, Ecrits sur la Révolution, publié par les éditions Aden complète la lecture de l’ouvrage précédent en se penchant sur des aspects plus complexes de sa pensée. Les textes présents dans cet ouvrage ne sont pas les plus connus de Guevara d’où l’intérêt du livre.
Il se divise en deux parties distinctes. La première partie regroupe plusieurs interviews du médecin-révolutionnaire alors que la deuxième est composée de discours et de textes prononcés ou écrits par le Che. Cette composition originale permet au lecteur de découvrir de nouvelles facettes de l’élaboration intellectuelle de cet homme politique et le fait de débuter avec la lecture des interviews est plus aisé. Dans l’avant-propos, l’éditeur explique ce choix singulier : « Nous avons fait ce choix éditorial pour faciliter la lecture du livre et donner envie aux lecteurs de se plonger plus avant dans la pensée théorique du Che »4.
L’ordre des interviews fonctionne un peu à la façon d’une biographie. Les premières abordent le processus révolutionnaire, la lutte dans la Sierra Maestra, le rôle des paysans, l’armée rebelle, l’impérialisme étasunien et la problématique de la réforme agraire. Il est intéressant de relever dans l’interview de Telemundo Television que le Che aborde la question de la Banque interaméricaine qui n’est pas sans rappeler celle actuelle de la Banque du Sud et les réserves qu’expriment le révolutionnaire cubano-argentin sont les mêmes que celles qui sont exprimées aujourd’hui, à savoir la proportionnalité entre argent apporté/nombre de voix au lieu du principe un pays/une voix. L’interview de Maurice Zeitlin est sans conteste la plus approfondie et aborde diverses problématiques plus techniques : rôle des masses, rôle des ouvriers dans l’élaboration du plan économique, construction du parti unique. Néanmoins, le développement des relations Cuba/Etats-Unis au sein de la problématique des blocs permet d’éclairer le contexte de l’époque. La dernière interview, réalisée par Josie Fanon, insiste sur la problématique internationaliste et tiers-mondiste chère à Ernesto Guevara qui critique à nouveau l’impérialisme, affirme la nécessité de l’anticolonialisme et de la construction d’un front révolutionnaire international et notamment à l’échelle latino-américaine.
Les discours, quant à eux, œuvrent à une reconstruction du processus révolutionnaire à partir de l’attaque de la Moncada, l’étape mexicaine jusqu’à la victoire définitive, l’évolution de Cuba puis la construction du parti. Un des aspects pertinents que l’on peut dégager en premier lieu est son appel à ce que « l’Université se teinte de noir, de mulâtre, d’ouvriers et de paysans »5, c’est-à-dire que l’Université soit à l’image de cette nouvelle Cuba que la révolution est en train de construire. De la même façon, Che insiste sur le fait que le parti marxiste-léniniste doit être issu du processus révolutionnaire et de la participation des masses : « la décision de la Direction Nationale présidée par Fidel a été de se tourner vers les masses, de recourir aux masses et c’est ce qui a permis d’établir le système de consultation de tous les centres de travail pour l’élection des travailleurs exemplaires par la masse, et la possibilité d’être sélectionnés pour faire partie des noyaux du Parti, d’un parti intimement uni aux masses »6. Il aborde également la construction du socialisme qu’il conçoit comme un système de redistribution équitable des richesses sans discrimination aucune. Il insiste à nouveau sur la dimension internationale de la révolution et du parti, et même si la révolution cubaine ne peut être exportée, il affirme néanmoins qu’elle soutient les mouvements révolutionnaires qui se développent en Amérique latine face à l’impérialisme.
Ce dernier aspect permet d’ouvrir sur la deuxième partie des textes qui renvoient à la solidarité internationale et le discours sur le Vietnam résonne comme l’ébauche de son célèbre appel à la Tricontinentale : « Créer deux, trois, plusieurs Vietnam » en 1966. Il met l’accent sur le rôle d’exemple qui incombe à la Révolution Cubaine afin de guider les peuples sur les voies de l’émancipation : « nous devons aussi transporter cet exemple, par tous les moyens, dans l’Amérique opprimée pour montrer comment dans tous les continents on peut lutter pour l’émancipation des peuples… »7.
L’internationalisme du Che apparaît à nouveau comme un des traits fondamentaux de sa pensée mais il n’en est pas le seul constituant. En effet, une des composantes de sa réflexion, nettement moins connue que l’anti-impérialisme et le tiers-mondisme, concerne la dimension économique et la construction du socialisme. L’ouvrage de Jean Vogel, Le testament du Che, s’attaque à ce pan de la pensée guévariste et il est utile si l’on souhaite se préparer à la lecture des Notes critiques sur le manuel d’économie politique8, ouvrage récemment édité en espagnol. D’autre part, nous pouvons signaler que Jean Vogel s’attache dans un premier temps à présenter les différentes représentations ou constructions de la figure du Che qui sont véhiculées (Che modèle de l’homme nouveau, martyr, héroïque, humain, boucher…). Un des points intéressants mais néanmoins sujet à débat, est le parti pris de l’auteur qui défend la thèse d’un Che stalinien. Même s’il est vrai que Guevara a exprimé sa sympathie et son admiration pour Staline au départ de sa formation politique, il est à présent établi qu’il s’est éloigné de Staline en devenant de plus en plus critique même s’il n’a pas perçu, il est vrai, toute l’étendue du rôle dramatique de Staline en URSS.
D’autre part, l’auteur affirme également que celui qui se faisait appeler Ramón en Bolivie fut « un des révolutionnaires les plus autoritaires de l’histoire » et que la liberté des masses qu’il préconise se trouve finalement singulièrement limitée. Cependant, un des écueils que nous pouvons peut-être relever ici est l’oubli du contexte. Un des autres aspects qui se dégagent de ce livre est l’importance donnée aux masses paysannes dans le processus révolutionnaire au détriment de la classe ouvrière. En effet, il estime que la classe ouvrière est privilégiée même dans les pays pauvres bien que ce soit dans une moindre mesure par rapport aux pays industrialisés où la conscience révolutionnaire est diminuée par un embourgeoisement progressif. De ce fait, il semblerait que Che Guevara rejoigne ainsi les thèses maoïstes qui mettent en avant le rôle fondamental de la campagne. Dans le même ordre d’idée, il rappelle que la solidarité internationale entre pays socialistes n’est en réalité qu’une chimère dans la mesure où les pays socialistes sont complices d’une exploitation des pays pauvres et en voie de développement.
Jean Vogel présente ensuite les fondements du Système Budgétaire de Financement que le ministre Guevara a élaboré à Cuba et qui fut à l’origine du grand débat sur l’économie des années 63-64. Ce système, basé sur la prédominance des stimulants moraux au détriment des stimulants matériels, est le fruit d’une critique du calcul économique et de la NEP. Pour finir, les annexes ajoutées à la fin de ce livre permettent de compléter et comprendre ces réflexions qui visaient à poser les bases de la construction du socialisme.
Le livre de Michael Löwy et d’Olivier Besancenot, Che Guevara une braise qui brûle encore, complète les lectures antérieures. Il est nécessaire de souligner que les deux auteurs sont tous les deux engagés au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste et que ce livre montre une influence et une inspiration politique. En effet, cela témoigne de l’ouverture du NPA vers la réflexion guévariste.
Le début du livre offre une biographie du guérillero qui peut être utile pour rappeler les grandes lignes de sa vie ainsi que le contexte, introduction profitable pour comprendre la construction de sa pensée et le moment historique où il l’a élaborée. Les deux auteurs construisent un ouvrage qui décortique cette pensée mais qui demeure abordable et compréhensible. Ils insistent tout d’abord sur l’humanisme du Che qui place l’homme au cœur du processus révolutionnaire. La révolution est faite par et pour les hommes et elle vise à construire une nouvelle société en même temps que l’homme nouveau. Par des rappels de sa biographie, les auteurs expliquent le cheminement d’Ernesto Guevara vers le marxisme, un marxisme non-dogmatique qui ne peut être imposé mais que chaque révolution doit découvrir par ses propres moyens. Le mythique guérillero insiste sur le fait que l’on ne peut formater l’humanité et que l’esprit critique est fondamental dans la construction du communisme. Bien entendu, ils soulignent également l’internationalisme revendiqué par le révolutionnaire latino-américain pour que la révolution triomphe et libère l’homme de toutes ces chaînes qui l’oppressent : « la pratique de l’internationalisme prolétarien n’est pas seulement un devoir pour les peuples qui luttent pour un avenir meilleur, c’est aussi une nécessité inéluctable »9. La lutte contre la misère et l’aliénation est nécessaire à la libération de l’homme et c’est pour cela que le Che commence à critiquer fortement le socialisme réel. Dans ce livre, certaines idées reçues, ou issues de la propagande, sont démenties notamment en ce qui concerne le Che bourreau, le Che sexiste. Mais ils n’oublient cependant pas d’être critiques envers certains aspects de la personnalité du guérillero comme par exemple son intransigeance, son excès d’exemplarité et un certain autoritarisme.
D’autre part, ils abordent des problématiques qui ne sont que très peu abordées dans les ouvrages précédents, notamment en ce qui concerne la prise du pouvoir. Notons que le Che, dans le contexte des années 60, estimait que la lutte armée était le meilleur moyen pour transformer la société mais qu’elle ne pouvait être la solution tant que tous les moyens démocratiques n’avaient pas été épuisés. Les auteurs relèvent également des critiques ou des inquiétudes qu’avait manifestées Guevara concernant la dérive du politique vers la propagande idéologique ou la bureaucratisation progressive de la révolution. Ils constatent qu’Ernesto Guevara a été très lucide quant à la situation latino-américaine que ce soit à propos de l’impérialisme ou des relations de la bourgeoisie avec les grands propriétaires et de la nécessité de la radicalisation de la révolution ininterrompue. Ils développent également l’évolution de sa pensée qui aboutit sur la critique progressive du socialisme réel, dont les cahiers de Prague10 constitue la plus grande expression, et à la création d’un système économique alternatif (Système Budgétaire de financement). La principale lacune de cette construction intellectuelle, pointée dans ce livre, est la relation entre démocratie et planification, à savoir qui décide, qui détermine les priorités du plan entre production et consommation.
La dernière partie, sur l’héritage du Che et sur les continuités existantes entre son internationalisme et l’altermondialisme, constitue vraisemblablement la principale originalité de cet ouvrage. La sensibilité révolutionnaire, la résistance au capitalisme et la recherche d’une nouvelle perspective socialiste constituent l’héritage du guévarisme. Actuellement, le Che ne représente plus une méthode de guérilla, même si certains veulent le réduire à cela, mais un certain esprit, une révolte contre l’impérialisme, contre l’injustice sociale, contre l’ordre établi. Cet esprit se retrouve aujourd’hui au sein des mouvements sociaux, des alternatives politiques en Amérique Latine (Bolivie, Venezuela…) et de l’altermondialisme qui luttent contre la domination du capitalisme néolibéral et recherchent une nouvelle voie. Néanmoins, Michael Löwy et Olivier Besancenot insistent sur le fait que le Che n’est pas la seule source d’inspiration mais qu’il incarne la recherche d’un autre modèle social même si tous ces mouvements ne se revendiquent pas du Che (divergences au sein du Forum Social Mondial par exemple).
L’ouvrage collectif, Che plus que jamais, dirigé par Jean Ortiz, universitaire et militant communiste qui revendique clairement son engagement politique et l’influence de la pensée guévariste, propose d’aborder la pensée économique, éthique et philosophique du Che, selon les termes de Jean Ortiz.
Il est indéniable que ce livre est très précieux pour aborder, étudier, comprendre la pensée du guérillero et qu’il cherche avant tout à briser les stéréotypes dans lesquels fut enfermée la figure du Che. De plus, le fait que ce livre soit le résultat d’un colloque auquel ont contribué une vingtaine de spécialistes venus d’horizons et d’idéologies différents est un atout évident qui permet de s’attaquer au cœur de la pensée guévariste. Il est cependant nécessaire de souligner que cet ouvrage universitaire, de part la richesse des contributions et des problématiques techniques abordées, se destine avant tout à un public de spécialistes.
Les chapitres qui traitent des réflexions du Che sur les systèmes économiques sont les plus complexes du fait de leur spécificité mais ils permettent de comprendre le Système Budgétaire de Financement qui est expliqué de manière plus claire, en tant que système de production et fait de conscience, un système qui insiste sur les stimulants moraux, l’abandon de la valeur en tant que levier de l’économie et qui préconise la planification, l’organisation, la formation professionnelle…Le chapitre sur « le débat des années 60 sur l’économie de transition » de Danielle Bleitrach et de Jacques François Bonaldi peut être un très bon complément au livre de Jean Vogel dans la mesure où les problématiques abordées recoupent bon nombre de celles abordées dans l’ouvrage de Jean Vogel. De nombreux chapitres font référence aux Notes critiques au manuel d’économie politique parce que la publication récente de ce livre a constitué un retour à la pensée d’Ernesto Guevara dans la mesure où les critiques qu’il fait de l’Union Soviétique sont encore plus fortes que celles énoncées dans son célèbre discours d’Alger.
Les chapitres de Néstor Kohan et de Michael Löwy permettent de s’approcher le plus de l’éthique communiste du Che et de sa conception du socialisme qu’il cherchait à construire à Cuba. Cependant, ces deux auteurs n’affirment pas que sa pensée était figée mais qu’elle était en construction. Une réflexion qui viserait à aboutir à l’instauration de ce nouveau système où le mode économique serait humaniser : « la construction socialiste doit conjuguer simultanément production, organisation et conscience, placer au centre du chantier l’homme et sa liberté »11. D’autre part, les chapitres qui concernent l’actualité de la pensée du médecin-guérillero ont une résonnance tout à fait particulière dans la mesure où l’Amérique latine est le théâtre de nouvelles. Signalons de nouveau que la recherche de collaboration à l’échelle continentale s’inscrit dans la logique guévariste. L’étude parallèle des discours du Che et de Chávez à la tribune de l’ONU démontre l’actualité et la pertinence de cette pensée.
L’originalité du chapitre de Janette Habel réside dans le fait qu’il insiste sur la volonté du ministre cubano-argentin d’instaurer un espace de libre expression et d’échange autour du débat économique et au sein de son Ministère. Toutefois, elle pense qu’il a sans doute sous-estimé les risques du verticalisme et de l’autoritarisme. Comme d’autres auteurs, elle insiste sur l’humanisme du Che qui veut mettre fin aux privilèges et construire une société où la dimension éthique est prépondérante.
Pour conclure, le chapitre de Jean Ortiz sur la crise du politique démontre la permanence et l’actualité du révolutionnaire latino-américain qui ne cesse de revenir sur le devant de la scène. Pour lui, le Che demeure présent dans la mesure où il incarne une représentation de la politique qui est différente de celle qui est véhiculée actuellement. Ernesto Guevara est l’antithèse de cette recherche du pouvoir pour le pouvoir, de cette politique qui n’est plus au service des masses et de la population et qui aboutit à une absence totale de projets. La crise de la politique s’explique par le fait que la mondialisation et le néolibéralisme ont imposé ce que Jean Ortiz dénomme le « non-avenir ». Le retour du Che démontre ce besoin d’utopie, de croyance en un avenir meilleur où la prédominance du marché est remise en cause.
Pour tous ces auteurs, il demeure présent parce qu’il incarne des valeurs de dignité, d’anti-dogmatisme, d’exemplarité. « Le Che reste une icône, une référence incandescente, parce qu’il nous parle d’éthique, d’humanité, de résistance, de nouvelles relations humaines. Il tombe les armes à la main, en pleine réflexion, inachevée, sur un projet essentiellement éthique, sur un modèle alternatif au socialisme soviétique »12.