Etrange objet littéraire que cet ouvrage. Accompagné d'un DVD qui suit assez fidèlement le plan du livre, il se présente comme un témoignage, mélangé à une enquête et à un scénario de film. Consacré à une figure banale d'un militant syndical CGT de la fédération des transports, le « Michel » du titre, ce récit séduisant excède les cadres attendus et convenus de la description d'un syndicaliste ordinaire. En effet, très rapidement, l'auteure, par ailleurs réalisatrice du film qui accompagne le livre, fait fonctionner l'enquête qu'elle mène comme la madeleine de Proust. Ce qu'elle découvre du quotidien de Michel, la renvoie (et le lecteur avec elle) à des scènes de son enfance. La visite au père de Michel l'amène à consacrer de longs développements à ses propres parents et à sa grand-mère. A certains moments, on ne sait plus trop s'il est question d'évoquer l'action militante de Michel ou s'il s'agit pour elle de se servir de ce dernier comme activateur de sa propre mémoire. Ce positionnement inattendu tend parfois à brouiller le récit, en particulier quand elle fait état de ses propres angoisses et appréhensions (lire par ex. p. 126). Si on laisse de côté cet aspect troublant, il n'en reste pas moins que ce livre présente un grand intérêt. En effet, par petites touches, en suivant ses activités, l'auteure dresse le portrait d'un militantisme au quotidien. Michel s'est engagé dans la syndicalisme au moment de la grève de 1995, suite à l'intervention de cheminots dans son entreprise de transport routier. Depuis lors, il milite, assez seul d'ailleurs, à la CGT. En dehors des fonctions représentatives dans son entreprise, il milite dans l'UL du 12 e arrondissement de Paris. En même temps qu'est décrit par le menu les activités qui sont les siennes (distribution de tracts au petits matin, ou dans les galeries marchandes dans le cadre d'une campagne de syndicalisation, accompagnement d'une salariée aux prud'hommes, participation à des réunions de sa structure, manifestations…), Langérome l'accompagne dans sa vie privée. Le tire possède un double sens. La course évoquée renvoie à la fois au combat qu'il mène, mais aussi aux activités sportives qu'il pratique. En effet, Michel est un cycliste passionné. Membre d'un club, il passe une partie de son temps libre, vissé à sa selle de vélo. L'auteure ne s'arrête pas là. Avec Michel, elle rend visite à ses parents, dans le Nord de la France , l'accompagne sur la tombe de son fils décédé de la maladie du sommeil du nourrisson ou participe avec lui au pot de départ d'une militante de l'UL. Ce livre offre un regard inattendu et souvent passionnant sur un militant qui se réclame de la lutte de classes et dont l'ancrage dans son entreprise est des plus ténus. Il est assez paradoxal que Langerome conclut son ouvrage par l'évocation d'un épreuve solitaire, en décalage avec ce militantisme de proximité évoqué tout au long du livre. On l'aura compris, ce portrait sensible dessine en filigrane une thèse sur l'actualité syndicalisme. Si Michel participe à l'association des Amis de la Commune de Paris (ce qui l'insère dans l'histoire longue du mouvement ouvrier), les interrogations transpirent, sous la plume de l'auteure, sur l'avenir du syndicalisme.
Isabelle Langerome, Où cours tu Michel ? Un militant dans la tourmente, Paris, Éditions Atelier, 2008, 192 p.
Article publié le 04 novembre 2011.
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Georges Ubbiali, « Isabelle Langerome, Où cours tu Michel ? Un militant dans la tourmente, Paris, Éditions Atelier, 2008, 192 p. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Nos archives : le mouvement syndical, publié le 04 novembre 2011 et consulté le 03 décembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=757