Blackout, poème, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma et Ada Tosatti, postface d’Ada Tosatti, Genève, Entremonde, 2011, 125 p. ; Nanni Balestrini, La violence illustrée, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma, postface d’Andrea Cortelessa, Genève, Entremonde, 2011, 141 p. ; Nanni Balestrini, Nous voulons tout, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma, Genève, Entremonde, 2009, 165 p.

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Mots-clés

Intellectuels, Littérature, Lutte armée

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On doit aux éditions genevoises Entremonde la très louable initiative d’une nouvelle édition des œuvres de l’écrivain Nanni Balestrini, dont on connaissait surtout Vogliamo tutto, « nous voulons tout », un titre phare des années 68, manifeste de « l’ouvrier masse » de l’Automne chaud turinois de 1969 (Le Seuil, 1973), ou encore L’Éditeur, retraçant la trajectoire de l’éditeur milanais Giangiacomo Feltrinelli (POL, 1995), figure essentielle de ces années-là et première victime de la lutte armée. Ces deux ouvrages composent avec Les Invisibles (POL, 1992) le cycle romanesque dit « de la grande révolte », titre sous lequel ils furent réunis et republiés en Italie chez Bompiani en 1999. Avec le roman La violence illustrée (1976), ou encore le recueil de poésies Blackout (1979) –ici associé à Vivre à Milan (1976) et à Hypocalypse (1981-1983)-, traduits par Pascale Budillon Puma, et munis de précieuses postfaces d’Andrea Cortellessa et d’Ada Tosatti, nous est donnée l’occasion de découvrir des textes de l’écrivain inséparables des « années de plomb », demeurés jusque-là inédits en France. Ces ouvrages nous permettent ainsi d’apprécier d’une manière plus globale l’œuvre d’un des écrivains majeurs issus du mouvement de Mai 68, à l’instar de Peter Schneider ou Frederick Christian Delius en Allemagne fédérale - dont on a peu d’équivalents en France -, et de revisiter les rapports entre politique et esthétique au sein des avant-gardes européennes durant cette période.

Membre des Novissimi et fondateur du « groupe 63 », en écho au « groupe 47 » ouest-allemand, Nanni Balestrini s’inscrit de prime abord dans une avant-garde littéraire très attirée par le formalisme, en complète rupture avec le réalisme et la littérature engagée, et mettant l’accent sur la crise du langage. Mai 68 amènera une brusque redistribution des cartes esthétiques avec le retour en force du politique et la résurgence d’œuvres engagées, à l’instar de la Balatta di Rudi d’Elio Pagliarani. Directeur de la revue Quindici, l’écrivain s’engagera intensément dans les mouvements d’extrême gauche Potere Operaio puis Autonomia Operaia. Lorsqu’il sera à son tour inquiété par la justice italienne, il gagnera la France et Paris en exil, avant d’être définitivement acquitté pour manque de preuves en 1984. Usant des techniques du cut-up et du fold-in selon les principes du ready-made dadaïste et  bannissant la ponctuation classique pour des structures narratives à la fois éclatées et répétitives, il dresse à travers ces textes l’épopée de cette saison des révoltes en Italie, en écho à la formidable floraison d’expressions de toutes sortes nées des mouvements autonomes, alors à leur apogée.

Composant une saisissante chambre d’échos, La violence illustrée s’attache à restituer les multiples expressions matérielles et symboliques, orales et textuelles, de la violence de cette époque, tandis que Blackout, ultime cri de rage du mouvement, est dédié aux camarades emprisonnés de l’écrivain lors de la grande vague de répression de 1979. Dans Vivre à Milan, un texte à l’origine destiné à accompagner les photographies d’Aldo Bonasia, il restitue remarquablement l’atmosphère enfiévrée des grandes métropoles industrielles du Nord à cette période. Au début des années 1980, Hypocalypse pressent le tournant politique et esthétique en marche, avec le triomphe de l’idéologie néo-libérale galvanisée par la communication politique portée par les nouveaux médias. Ainsi qu’y insiste avec justesse Ada Tossatti, Balestrini aura finalement été « l’écrivain le plus radicalement formaliste et radicalement engagé […] que l’Italie ait connu dans ces cinquante dernières années », attaché à révolutionner le langage  autant que la société, dans une geste qui tient du tour de force.

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Julien Hage, « Blackout, poème, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma et Ada Tosatti, postface d’Ada Tosatti, Genève, Entremonde, 2011, 125 p. ; Nanni Balestrini, La violence illustrée, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma, postface d’Andrea Cortelessa, Genève, Entremonde, 2011, 141 p. ; Nanni Balestrini, Nous voulons tout, traduit de l’italien par Pascale Burillon Puma, Genève, Entremonde, 2009, 165 p. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Littérature scientifique, publié le 02 février 2012 et consulté le 20 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=725

Auteur

Julien Hage