Trois ans après Main basse sur l’école publique (chroniqué sur notre site), le duo constitué de l’enseignant Eddy Khaldi et de la journaliste Muriel Fitoussi en livre une suite, face aux progrès constatés de l’enseignement privé, essentiellement catholique. La coïncidence entre la parution du livre et les débuts de la campagne présidentielle de 2012 n’est d’ailleurs probablement pas fortuite, les deux auteurs ayant à cœur de remettre la question scolaire au centre des débats politiques, face à une gauche sur la défensive et à une droite fossoyeuse de l’éducation nationale au prétexte de la rigueur budgétaire, agitant le pare-feu de l’islam pour laisser dans l’ombre les velléités de l’enseignement catholique. Les auteurs signent ainsi leur appartenance à la tradition d’une gauche laïque et républicaine, volontiers anticléricale, résolument opposé à l’ambigüe laïcité positive, mais ne vont jamais jusqu’à la revendication d’un service public unifié de l’enseignement mettant fin à l’existence d’une sphère privé autre que celle des familles.
Partant essentiellement de la loi Debré de 1959, vue pratiquement comme la mère de tous les reniements, Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi revendiquent une séparation nette des financements entre enseignement public et privé, ce dernier ne pouvant justifier d’une aide de l’Etat dans la mesure où il ne respecte pas les mêmes contraintes que le public (absence de laïcité et de gratuité, sélection des élèves aboutissant à une plus faible représentativité des boursiers et des catégories sociales défavorisées). Ils montrent également bien la concordance d’intérêts entre un enseignement catholique désireux de reconquête, au lobbying actif, et une droite (voire une gauche) libérale, menant par petites touches le désengagement de l’Etat dans l’éducation, visant au final à sa privatisation, avec en germe une communautarisation de la société. Tout cela sans toujours respecter la stricte légalité, le réseau de l’enseignement catholique étant un interlocuteur privilégié du ministère, censé pourtant traiter avec des établissements autonomes et séparés. Au passage, est rappelé le rôle d’avant-garde joué par l’officine des « Créateurs d’écoles » au début des années 1990, autour de figures aussi progressistes que celle de Philippe Nemo, ainsi que les liens de certaines personnalités et thématiques de l’enseignement prétendument « libre » avec l’extrême droite. Enfin, il est pour le moins singulier de noter que, face à un discours de droite tendant souvent à invoquer les prétendus modèles à l’œuvre dans les autres pays de l’Union européenne, la forte place de l’enseignement catholique en France et son financement public élevé sont isolés en Europe !
Actualisation de Main basse sur l’école publique oblige, des développements sont consacrés aux suppressions de postes proportionnellement moins élevées dans le privé, à la fin de la formation dans le public via la disparition des IUFM (mais pas dans le privé, qui bénéficie de sa propre formation, tout en devant appliquer les mêmes programmes !) et à l’emploi croissant de vacataires (une réalité trop rapidement traitée). Sans oublier la loi Carle de 2009, qui fait obligation aux communes de financer le privé pour des élèves de familles résidentes scolarisés dans une autre commune, sans respecter la moindre parité des charges financières avec le public. Autre éclairage utile, celui dédié à la promotion des jardins d’éveil par l’UMP et l’enseignement catholique, payants et plus coûteux au final qu’une école maternelle publique accueillant des élèves avant trois ans, mais promettant d’être un bon moyen de fidéliser une « clientèle » dans des filières privées.
Néanmoins, malgré des données intéressantes, La République contre son école souffre de plusieurs défauts. Au-delà d’une relative tendance à idéaliser l’école républicaine et d’un manque ponctuel d’analyses plus poussées (sur les écoles hors contrat, sectaires, juives ou musulmanes, sur les catholiques opposés à l’enseignement privé dont on ne sait pas chiffrer la proportion, ou bien sur les raisons de la complaisance des médias vis-à-vis de la stratégie de victimisation du privé), le reproche le plus sérieux tient dans la structuration de l’ouvrage. Sa finalisation a en effet dû être franchement précipitée, tant les redites sont nombreuses, au fil des chapitres ou entre le corps du texte et les notes de bas de page, avec en outre quelques coquilles.