La thématique de la décroissance s'est invitée dans le débat politique durant les dernières années. On ne compte plus les ouvrages et les rencontres autour de cette perspective, au point qu'une revue spécialisée Entropia (ed. Parangon) a vu le jour. La Fédération anarchiste, dont J.-P. Tertrais est membre, se réclame officiellement d'une volonté « décroissante » (voir notamment le texte du 61 e congrès de 2004, reproduit p. 212-215). Ce livre apporte les éléments essentiels d'analyse de cette position. Il se compose de deux parties. Une première est de nature programmatique. La seconde est constituée d'une anthologie d'articles du même auteur publiés essentiellement dans l'organe de la FA, Le Monde libertaire. Le fait que le courant libertaire se préoccupe de la question de la décroissance est tout à fait intéressant. Pour autant, à la lecture de ce texte de nature théorique, de nombreuses ambiguïtés ou incohérences surgissent. Tertrais inscrit clairement la perspective de la décroissance dans un cadre de rupture avec le capitalisme. On le suit également lorsqu'il propose une esquisse de bilan, désastreux, du capitalisme en matière d'environnement. Pollution généralisée, épuisement des ressources naturelles, pillage des matières premières dans les pays du tiers monde, accélération de la disparition des espèces animales et végétales, consommation frénétique, sont quelques un des aspects développés. En revanche, certaines affirmations demanderaient à être argumentée un peu plus sérieusement. Ainsi, celle, lieu commun du courant de la décroissance, d'une finitude des capacités de la terre. L'antienne de l'extinction du pétrole et des sources d'énergie et par conséquent de la condamnation du capitalisme est rien moins qu'évidente. Que l'on songe, à titre d'illustration, que les estimations les plus sérieuses de la capacité de l'énergie solaire permettraient, correctement exploitées, couvriraient 1500 fois les besoins énergétiques. Sans verser dans le scientisme, la finitude de la planète, mériterait une fondation un peu plus solide. De même, la question démographique se révèle assez ambiguë, frôlant à de nombreux endroits le malthusianisme explicite. Affirmer ainsi que la « maîtrise (de la population) constitue un préalable à la résolution de problèmes aussi graves que la pollution, la pauvreté, l'urbanisation sauvage.. », p. 130, revient à privilégier le biologique au détriment du social. Le désaccord se fait explicite quand Tertrais évoque le courant des naturiens, courant libertaire de la fin du 19 e , qui considérait que la destruction de la nature daterait du néolithique !! Ou quand il aborde les comportements individuels permettant de lutter contre la croissance. Passe encore qu'il préconise de ne plus manger de viande, on se pince quand il avance qu'il faut lire moins de livres et moins sortir au théâtre (p. 74) ou que la « simplicité volontaire » amène à « ne pas succomber aux échanges de cadeaux à l'occasion des fêtes », « laver sa voiture à l'eau de pluie » ou encore de mettre des chaussettes en fibre naturelle (toutes ses propositions figurent à la p. 73). Au final, Tertrais nous offre un livre qui interpelle, mais à l'argumentation trop souvent relâchée pour réellement emporter la conviction, malgré les bons sentiments.
Jean-Pierre Tertrais, Du développement à la décroissance. De la nécessité de sortir de l'impasse suicidaire du capitalisme, Paris, Éditions du Monde libertaire ; Saint-Georges d'Oléron, Éditions libertaires, 2006, 228 p.
Article publié le 27 mai 2012.
Index
Mots-clés
AltermondialismeTexte
Illustrations
Citer cet article
Référence électronique
Georges Ubbiali, « Jean-Pierre Tertrais, Du développement à la décroissance. De la nécessité de sortir de l'impasse suicidaire du capitalisme, Paris, Éditions du Monde libertaire ; Saint-Georges d'Oléron, Éditions libertaires, 2006, 228 p. », Dissidences [En ligne], Juin 2012, Nos archives du mois : l'altermondialisme, publié le 27 mai 2012 et consulté le 22 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=675