Dans cet essai illustré d'un bon nombre de photographies en noir et blanc, les deux auteurs, journalistes, synthétisent le fruit de plusieurs années d'enquête parmi ceux qu'ils nomment « les nouveaux militants ». Avec moult entretiens et exemples vécus à l'appui, on (re)découvre donc les actions de collectifs anti pub (les Déboulonneurs), anti société de consommation, en lutte pour le droit au logement (Jeudi-Noir, les enfants de Don Quichotte) ou les droits des stagiaires (Génération précaire), contre les expulsions de sans papiers (RESF), ou tout simplement tournant en dérision le pouvoir (la BAC, Brigade activiste des clowns). Une galerie assez disparate, donc, qui réunit, selon les auteurs, des groupes soucieux d'actions médiatiques, pacifistes (négatif des autonomes) et réformistes, structurés de manière horizontale, dans la lignée de l'anarchisme individualiste.
Les origines de cette « mouvance », quelque peu forcée (peu de chose en commun entre RESF et la BAC, par exemple), sont à chercher du côté des situationnistes, des associations comme Act Up ou le DAL, et du monde anglo-saxon, comme pour les détournements de haut niveau des Yes Men . Ce « militantisme zapping », pour reprendre la formule du sociologue Jacques Ion, court toutefois le risque, outre d'être récupéré par les médias à leur profit -une intégration à la société du spectacle que relèvent les auteurs-, de favoriser la dispersion sans qu'une vision globale et des perspectives d'ensemble ne soient proposées ; au risque donc de ne pas avoir de lendemains, chantants ou non. D'où la conclusion qui appelle à une revivification du mouvement ouvrier par ces jeunes pousses.
L'opposition que présentent Jeanneau et Lernould entre cette génération d'activistes ponctuels et les militants professionnels de la génération 68, sans être nécessairement erronée, souffre néanmoins d'un manque criant de matière, au risque de virer au simplisme. En dehors d'un entretien avec Alain Ruscio et du roman de Olivier Rolin, Tigre en papier , rien n'est avancé pour évoquer le militantisme ancien style ! L'entretien avec Miguel Benasayag, placé en postface, approfondit la discussion sans la clore. Bien que le chercheur ait tendance à adopter une vision très manichéenne entre les « militants tristes », partisans d'une idéologie et d'un modèle d'avant-garde centralisée, pour lui nocifs, et les militants joyeux, il estime que la période actuelle est « (…) une époque obscure et que la question du dépassement du néolibéralisme ne peut pas se poser pour le moment. (…) Le triomphe mondial du néolibéralisme et de l'impérialisme fait que la tâche que nous avons est plus humble : il faut d'abord refonder le tissu social, refonder les réflexes sociaux, refonder une compréhension alternative de la vie » (p. 232), une façon de légitimer ces nouvelles manières de faire de la politique au sens le plus large.