André Gorz, Ecologica, Paris, Galilée, 2008, 158 p.

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Écologie politique, Idéologie, Écologie

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Mort en 2007, André Gorz s'est fait connaître comme journaliste (il a participé à la fondation du Nouvel Observateur) et comme analyste, féroce critique du marxisme, dans sa version stalinienne (lire en particulier Le traître, 1958 ou plus récemment Adieux au prolétariat , 1980). Depuis le milieu des années 70, il s'est intéressé à la question de l'écologie, dont il est un des théoriciens les plus influents. Ecologica constitue un recueil de sept articles, dont la publication s'échelonne de 1975 à 2007, année de sa disparition. On regrettera d'ailleurs que l'éditeur n'ait pas pris la peine de publier ses contributions de manière chronologique tant l'évolution de la pensée et des références sont patentes sur un quart de siècles. Ainsi le texte «L'idéologie de la bagnole », datant de 1975, nourrit de Ivan Illich fleure bon une certaine naïveté qui imprègne la période. Malgré l'aspect parfois un peu daté de certaines réflexions, l'ensemble offert représente une contribution du plus grand intérêt pour celles et ceux qui pensent que le capitalisme constituent une impasse du point de vue de l'écologie et de la vie tout simplement. La prévalence de la valeur d'échange, correspondant à l'extension de la sphère de la marchandise, sur la sphère de l'utilité, conduit le capitalisme à gaspiller d'une manière suicidaire les milieux naturels aussi bien que les ressources naturelles. De ce point de vue, le développement d'une stratégie écologiste ne peut que s'accompagner que d'une rupture avec la dictature du capital. Le point de vue de Gorz situe ce dernier clairement dans une écologie qui ne saurait se satisfaire du ni-ni, ni droite ni gauche. Sur la base d'une lecture marxiste des réalités sociales, Gorz prône une écologie ancrée à gauche. Gorz dessine donc les contours d'une économie tournant le dos aux besoins d'accumulation du capital, mettant l'accent sur la sphère de l'autonomie des individus, en matière productive. Selon ses analyses (lire en particulier le chapitre « Richesses dans valeur, valeur sans richesse »), il s'agirait pour les communes associées/fédérées (thème issu du proudhonisme) de fabriquer leur moyen d'existence sur la base des fabuleuses économies de temps et de matière permis par l'usage généralisé de l'informatique et d'Internet. Bref, pour le dire vite, le capitalisme dans sa démesure productive nous lègue des moyens pour produire de manière autonome nos moyens d'existence, sur la base d'une satisfaction « suffisante » (terme qui revient dans plusieurs articles) ou autolimitée des besoins sociaux. On notera d'ailleurs une évolution aussi bien des termes que de la conception générale du propos, évolution et glissement tout à fait normaux pour des textes qui s'échelonnent sur des décennies. Des communautés humaines autonomes produisant leur moyen de subsistance dans une perspective de respect des équilibres écologiques le tout assisté par ordinateur grâce à la nature de plus en plus immatérielle des besoins, voilà une perspective qui ne peut que susciter a priori l'enthousiasme. Malgré l'intérêt que les analyses de Gorz soulèvent dans les milieux écolos, une certaine distance critique doit néanmoins être de mise. Trois points mériteraient en particulier d'être précisés. Le premier porte sur le substrat sociologique des transformations du capital. Gorz avance ainsi que le capitalisme tardif fonctionne sur la base d'une proportion croissante d'emplois improductifs. Il avance ainsi que plus de 55% des emplois existant aux Etats-Unis peuvent être qualifiés d'improductifs, dans la mesure où ils ne produisent pas de valeur nouvelle. Ce constat mériterait une ample discussion, sur la base du caractère de plus en plus socialisé (et internationalisé) de la production. On peut certes penser qu'un certain nombre de métiers sont totalement inutiles du point de vue productifs et donc gaspillent des ressources. Il n'est cependant pas sûr que les exemples avancés par Gorz soient ceux qu'il faille incriminer. Ce dernier pointe ainsi les vendeurs, les serveurs, les femmes (et hommes) de ménage, les employés de maison, jardiniers, bonnes d'enfants ou gardiens d'immeuble. On peut gloser à perte de vue sur la fonction socialement utile de certains de ces métiers qui relèvent en effet d'une domesticité pour classes supérieures. Mais la question que devrait se poser Gorz c'est l'utilité sociale des ingénieurs qui passent des années à concevoir des armes atomiques ; c'est la capacité productive des publicistes ou des concepteurs de gadgets, etc. Bref, il n'il n'est pas sûr que l'improductivité de certaines fonctions résident là où Gorz les pointent. La seconde limite du propos gorzien réside dans la survalorisation de la morale, rejoignant par là un des travers communs à de nombreux courants écologiques. Dès l'introduction, l'ambiguïté surgit quand il en appelle, dans le prolongement d'Ivan Illich, à une éthique, dont la forme supérieure serait celle du « déclassement volontaire » auquel appelle le théoricien de la social démocratie allemande Peter Glotz. Il n'est bien entendu pas dans le propos de réduire la transformation du capitalisme en une modification du mode de production (ou pour le dire rapidement qui se satisferait de bouleverse l'instance économique). Réciproquement, avancer l'idée qu'il suffirait de transformer les valeurs et les représentations de notre mode de consommation et d'existence actuelle sème plus d'ambiguïté qu'il ne résout des problèmes. L'instance mise sur l'éthique débouche ainsi chez Gorz sur une assomption de la volonté : « Je ne dis pas que ces transformations radicales se réaliseront. Je dis seulement que, pour la première fois, nous pouvons vouloir qu'elles se réalisent », écrit il ainsi symptomatiquement, p. 41. Enfin, la critique la plus importante que l'on peut avancer aux analyses de Gorz est sans doute celle de la stratégie de rupture avec le modèle capitaliste réellement existant. Gorz a beau affirmer que la rupture avec l'ordre productif du capitalisme ne peut que s'effectue de manière radicale, il n'en avance pas moins que «La sortie du capitalisme a déjà commencé », titre de son premier article. Son optimisme high tech l'amène à penser que le capitalisme est au bout de son mode développement et qu'il laisse transparaître en son sein une autre économie « qui inverse le rapport entre production de richesses marchandes et productions de richesses humaines », p. 159. Le problème de la transformation révolutionnaire ne se poserait donc pas, puisque le capitalisme par la socialisation de la production permet son propre dépassement graduel. De ce point de vue, Gorz ne varie donc pas avec ses analyses des années d'après guerre, en opposition profonde avec le marxisme révolutionnaire. Malgré ses limites, Ecologica est un livre très stimulant pour celles et ceux qui souhaitent enrichir la matrice marxiste de toutes les potentialités subversives de la critique écologique.

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Référence électronique

Georges Ubbiali, « André Gorz, Ecologica, Paris, Galilée, 2008, 158 p. », Dissidences [En ligne], Juin 2012, Nos archives du mois : l'altermondialisme, publié le 27 mai 2012 et consulté le 19 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=665

Auteur

Georges Ubbiali

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