Postcapitalisme s'inscrit dans une approche similaire à celle d'un autre ouvrage collectif récent, Y a-t-il une vie après le capitalisme ?, celle de féconder l'utopie. Pour ce faire, Clémentine Autain a rassemblé une kyrielle d'auteurs, issus d'une pluralité de courants et de mouvances politiques, qui livrent pour l'essentiel des textes inédits (seuls quelques entretiens sont issus de la revue Regards ). Néanmoins, l'absence de table des matières problématisée renforce l'impression dominante d'un méli mélo inégal. Le hors sujet n'est d'ailleurs pas totalement évité, Frédéric Lebaron ne faisant ainsi que relativiser la profondeur du retour au contrôle public des finances, si médiatisé depuis la crise. On trouve même, à côté d'une démonstration philosophique signée Bernard Stiegler jargonneuse et proprement illisible1, une nouvelle d'anticipation courte d'Arnaud Viviant, « C'était comme si un vol de paire de claques noircissait le ciel et fondait sur nous » (un titre qui fleure bon la science-fiction politique française de la seconde moitié des années 1970), le récit d'un salarié de l'industrie automobile pris dans la tourmente, qui se conclut par une explosion révolutionnaire en forme de deus ex machina…
Certaines contributions réaffirment des thèmes classiques de l'anticapitalisme, en une réactualisation des fondamentaux. Il en est ainsi de Daniel Bensaïd qui, partant de réflexions de Keynes en soulignant son irréductibilité avec Marx, appelle à la lutte contre le brevetage généralisé, pour la baisse du temps de travail, une planification autogestionnaire et démocratique, un rôle de pilotage économique assumé par l'Etat (par le monopole bancaire) et un réel développement durable plutôt qu'une décroissance. On retrouve d'ailleurs sa défense de Rosa en tant que gardienne de la démocratie. Michel Husson se centre pour sa part sur l'économie mondiale, suggérant un certain nombre de revendications transitoires : davantage d'autosuffisance locale, des services publics assurant les besoins prioritaires, une planification écologique, et même un protectionnisme progressiste sous certaines conditions. La discussion entre Dominique Méda et Isabelle Treillet autour du travail insiste, outre sur la nécessité de fournir un emploi à tous et toutes (contre toute idée de revenu universel qui en serait déconnecté), là aussi sur la baisse du temps de travail ; le caractère à la fois émancipateur et aliénant d'un travail salarié nécessairement subordonné laisse ouvert la question de la défense d'un statut salarial plus protecteur, sur le modèle de celui encore en cours au sein de la fonction publique. Enfin, Isabelle Garo souligne les défauts du terme de postcapitalisme et revendique celui de communisme, en appelant à l'analyse de son utilisation passée et à sa redéfinition.
D'autres textes relèvent davantage de l'altermondialisme et des nouvelles militances contemporaines. Michel Onfray défend ainsi Proudhon contre Marx (jusqu'à la caricature, lorsqu'il estime que le socialisme scientifique est négation de l'hédonisme) et plus généralement l'anarcho-syndicalisme, en mettant l'accent sur les micro changements à la base, tout comme Isabelle Stengers soulignant la fertilité de la lutte anti OGM. Dans le même ordre d'idée, Gustave Massiah livre des réflexions sur l'altermondialisme plutôt très optimistes sur les possibilités de changements dans le nouveau contexte de crise. Thomas Coutrot, pour sa part, réhabilite la notion de société civile face à son dévoiement néo-libéral : une démarche qui reste cependant inachevée, et semble surtout faire de la société civile un succédané du peuple (tout en privilégiant d'ailleurs une vision pour le moins réductrice de la démocratie communiste). Jacques Généreux, marqué par le socialisme réformiste2, défend à la fois les apports de Pierre Leroux, Proudhon et Marx dans une vaste réflexion qui imposerait une discussion plus approfondie. Quant à Denis Vicherat, il réactive la critique essentielle de la société de consommation au nom du collectif Utopia, défendant entre autre le principe d'une allocation universelle et l'idée fondamentale d'un revenu maximal, mais ses autres propositions de lutte -éduquer, démarchandiser les biens communs- sont un peu courtes !
Liaison entre ces deux ensembles, Roger Martelli s'essaye à repréciser les grands axes du dépassement du capitalisme, insistant sur la nécessité d'un régulateur social autre que le marché ou l'Etat, d'une réconciliation des temporalités courtes et longues du changement, du marqueur démocratique et d'un nouveau mouvement à créer pour succéder au mouvement ouvrier… Parmi les thèmes plus délimités également traités, on trouve la défense d'une liberté de circulation totale et mondiale par Claire Rodier (du GISTI), celle d'une PAC modifiée et d'une souveraineté alimentaire appuyée sur la Charte de l'ONU (Aurélie Trouvé), ou une critique des renforcements de la propriété intellectuelle par Gaëlle Krikorian et Florent Latrive, avec des propositions alternatives relativement modestes. Il y a de quoi rester également frustré face au texte de Catherine Tricot autour de la ville, axé seulement sur la défense de l'accès de tous aux équipements urbains contre la privatisation de l'espace (voir à ce sujet Paradis infernaux , chroniqué sur ce site). On le voit, il y a malgré tout matière à réflexion dans ce recueil très inégal, reflet de la diversité plus que jamais actuelle de l'extrême gauche.