Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, 812 p. (Collection des Amériques).

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Historiographie

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Une histoire populaire des Etats-Unis , récemment transposé en format BD (voir la recension sur notre site), est sans aucun doute le magnum opus de l'historien Howard Zinn. Proposant une critique de l'histoire officielle de son pays, il s'intéresse à tous les opprimés et à toutes les minorités ayant eu à souffrir du développement capitaliste, exposant une véritable histoire de classe habitée par un profond souci moral.

Il débute son propos avec la conquête espagnole, évoquant, avec force détails concrets et extrêmement vivants les massacres et l'exploitation des Amérindiens et de leurs ressources, en liant cette violence à la propriété privée, à laquelle s'opposerait la société égalitaire des Iroquois, par exemple. Cette relativisation du sens supposé du progrès se heurte néanmoins aux caractéristiques plus contrastées des autres sociétés amérindiennes, aztèque ou inca. La traite des noirs et le racisme subséquent sont également explicités, en insistant sur une révolte qui couve en permanence. Plus généralement, Zinn montre bien la chaîne d'oppression qui existe alors dans les colonies américaines, des Anglais aux Amérindiens en passant par les coloniaux aisés et les fermiers de la Frontière.

La fameuse révolution américaine éclate justement dans un contexte de croissance des luttes sociales, l'occasion de récupérer la colère populaire au profit des catégories les plus aisées tout en endiguant les revendications les plus radicales. La pérennisation des inégalités permet entre autre de dissiper toute la mythologie des Pères fondateurs : «  La Constitution illustrait donc parfaitement la complexité du système américain : elle servait les intérêts de l'élite fortunée mais faisait également quelques gestes en direction des petits propriétaires, des ouvriers-artisans et des fermiers aux revenus modestes pour s'assurer leur soutien le plus large. (…) Elle permettait à l'élite américaine de conserver le contrôle de la situation avec un minimum de mesures coercitives et un maximum de législation – tout cela rendu plus acceptable grâce aux flonflons patriotiques et unitaires » (p.119).

Les thèmes traités sont ensuite aussi variés que passionnants : oppression des femmes, plus égales à la Frontière , mais victimes d'une réaction morale parallèle aux germes d'émancipation suscités par les luttes et la conscience collectives fruits de l'industrialisation ; tragédie des Amérindiens, intégrés de force à la société occidentale ou chassés de leurs terres confisquées, à grands coups de promesses régulièrement reniées ; guerre contre le Mexique au milieu du XIXème siècle, sciemment provoquée, et génératrice de la désobéissance civile défendue par Thoreau. Un des sujets les plus intéressants n'est autre que la lutte pour l'abolition de l'esclavage. Howard Zinn montre en effet, au-delà de l'existence d'abolitionnistes aussi bien blancs que noirs, la complicité tacite du gouvernement fédéral avec les Etats du Sud ; la figure si consensuelle d'un Lincoln apparaît ici comme incarnant la simple jonction entre les revendications abolitionnistes et les intérêts des milieux d'affaire, loin du désir d'insurrection d'un John Brown. Surtout, l'émancipation obtenue avec la Guerre de Sécession se trouve balayée les années suivantes par un retour de balancier réactionnaire.

Mais ce copieux ouvrage propose également une chronique des luttes de classes entre ouvriers et patronat, luttes marquées par une répression particulièrement dure, dont un des points culminants est la grève des cheminots de 1877 (avec les fameux événements de Haymarket). La fin du XIXème siècle nous donne l'occasion de (re)découvrir le mouvement populiste chez les fermiers, un exemple parmi d'autres d'une des grandes faiblesses de toutes ces luttes : l'absence d'unification entre les différents acteurs. On peut également citer, entre autres tableaux, les luttes syndicales croissantes du début du XXème siècle avec l'essor des IWW et les progrès de l'idéal socialiste, ou l'apparition, au début des années 1930, de la tactique d'occupation d'usines, témoignage d'un activisme à la base canalisé par les directions de l'AFL et du CIO. Sans oublier les luttes des années soixante, celles des noirs ou des femmes, des Amérindiens également (dont l'occupation médiatique d'Alcatraz en 1969), l'opposition à la guerre du Vietnam, ou les revendications au sein des prisons. Seuls sont trop allusivement évoqués les combats homosexuels. Si la période récente est moins instructive, on bénéficie néanmoins d'utiles développements sur la profondeur des inégalités sociales, renforcées par le consensus bipartisan, et sur la variété des militantismes dans les années 80 ou 90, anti nucléaire ou latinos, parmi d'autres. Une leçon à retenir en priorité : seule la lutte paye.

La politique extérieure n'est pas oubliée, les aventures militaires du pays étant, selon Howard Zinn, systématiquement liées à l'expansion économique et à la nécessité d'écoulement de la production, et ce de la guerre à Cuba à la fin du XIXème siècle (avec en sus la peur d'une République noire) jusqu'à celle contre l'Irak (en 1991). Le voyage s'arrête malheureusement avec les débuts de la guerre en Afghanistan. La liste des atrocités est impressionnante, aussi bien aux Philippines qu'au Vietnam. Sur la Seconde Guerre mondiale, terrain propice à l'unanimisme consensuel, il pose les bonnes questions, insistant sur la participation des Etats-Unis en fonction d'abord de leurs propres intérêts, tout en perpétuant la ségrégation dans l'armée (les transfusions sanguines entre blancs et noirs étant même proscrites !). Surtout, c'est le début de l'économie militaire permanente, avec une hausse du budget militaire quasiment continu jusqu'à nos jours.

La lecture de cette somme est perpétuellement passionnante, et l'érudition de l'auteur impressionnante. Seul regret : l'absence de cartes détaillées des Etats-Unis, qui auraient permis de mieux visualiser les nombreux lieux évoqués. Certains ouvrages d'histoire sont des classiques. Celui d'Howard Zinn est assurément de ceux là.

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Jean-Guillaume Lanuque, « Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, 812 p. (Collection des Amériques). », Dissidences [Online], Histoires, Historiographies, 06 December 2012 and connection on 21 November 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=589

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Jean-Guillaume Lanuque

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