Jean Birnbaum était convaincant avec son dernier opus, Leur jeunesse et la nôtre (2005, chroniqué sur notre site), forme d'enquête en filiation non dénuée d'une certaine brillance sur les générations révolutionnaire jusqu'à la génération 68, malheureusement codifiée par Hamon et Rothman. Pour Le Monde, il reprit le fil de l'enquête sous forme d'articles en 2008 ; rassemblés dans la collection Parti-pris , ils structurent la charge d'une thèse qui court d'un maoïsme français -ici singulièrement germano-pratin et Gauche prolétarienne hors Badiou- à un néoconservatisme à la française, soit « une forme de maoïsme qui aurait perdu son peuple » (p. 122), redécouvrant l'Occident, tout comme certains anciens trotskystes ou sympathisants étatsuniens se sont reconvertis en républicains purs et durs. Jean Birnbaum forge le néologisme de maoccidents pour caractériser ce processus.
Sa définition condense tout ou partie des philippiques introspectives de Jean Claude Milner dans L'arrogance du présent (voir ci-dessous). Le maoccident est un petit bourgeois fier de l'être, un intellectuel « dont le problème n'est pas de connaître le vrai mais d'avoir » raison (p. 123), dont la prose porte la marque de 68, « teigneuse entre noblesse rhétorique et verve pamphlétaire » (p. 124). La clé de voûte du néologisme tient en ces quelques lignes : « si le gauchisme lacano-normalien peut maintenant accoucher d'un néo-conservatisme cocardier, c'est parce que le maoïsme occidental n'a jamais été qu'une fièvre française, un nationalisme intégral (p. 125) ». Lecteur sans doute hâtif des propositions de Zeev Sternhell sur la droite révolutionnaire, Jean Birnbaum fournit ici une nouvelle pièce au procès du maoïsme français qui, touché par la grâce du mysticisme (juif ou chrétien peut importe là finalement puisqu'il s'agit avant tout d'universel) passa de Mao à Maurras.
A quoi bon donc ce procès en filiation ? La thèse fonctionne puisqu'elle prend soin de circonscrire le maoïsme français à quelques intellectuels encore en vue ; d'épaisseur sociale du mouvement il n'est pas ici question, ni même de complexité des trajectoires intellectuelles et militantes -réduire le poids des propositions de Badiou dans l'extrême-gauche à sa seule réflexion sur Saint Paul caricature une mouvance intellectuelle. L'ouvrage procède davantage d'une fascination pour l'objet. De pages en pages, au fil de paragraphes parfois poétiquement charpentés par l'idée d'une voix chuchotée, d'un souffle réservé à quelques initiés d'où le lecteur comme l'auteur seraient exclus, c'est une part du tombeau du maoïsme français qui s'esquisse ici. Défilent ainsi dans cette galerie de portraits les figures de Benny Lévy et Jean-Claude Milner, attirés vers le judaïsme, ou celles de Christian Jambet et Guy Lardreau, respectivement analystes de l'islam chiite et du christianisme.
Fallait-il encore ciseler ce monument en forme d'épilogue générationnel à 68 ? A quoi bon ? Les maocccidents éclaire peu la question du néoconservatisme français, il ne dit rien de la « cassure qui seule importe » , selon Gérard Bobillier, premier mao interrogé. En une tentative un peu décousue d'élucidation de cette évolution, Jean Birnbaum repère des constantes, mystique révolutionnaire, messianisme, foi dans le peuple, concrétisée par la pratique de l'établissement, sans pour autant les approfondir. Il semble d'ailleurs s'attacher par trop aux analyses faites a posteriori par les acteurs eux-mêmes pour expliciter leur engagement révolutionnaire passé. Pour les maoïstes tout est mystique, la conversion de l'Orient à l'Occident également : il n'est plus de politique, point de déploration péguyste. Jean Birnbaum colle à la légende dorée que les maoccidents se forgent, au rythme des essais sur l'universel. Le religieux fait écran à la compréhension politique du retournement. L'auteur s'est trouvé là prisonnier de sa fascination pour la « Génération qui, longtemps était demeuré muette » (p. 11). Une histoire sociale et politique de ce retournement reste à écrire.