Avec ce récit, on dispose d'un document de première importance pour la compréhension de la République de Weimar, de la montée du nazisme ainsi que des années qui suivent. Ce témoignage a été publié une première fois en 1951, avant de tomber dans un oubli à peu près total. Il faut saluer l'excellent travail éditorial (comme toujours, devrait-on ajouter) fourni par l'équipe d'Agone, qui précise les aléas de la publication, même si on ne peut que regretter l'absence de la préface allemande de Michaël Rohrwasser dans ce volume. Qui était ce Georg Glaser ? Il revient à André Prudhommeaux de présenter ce personnage au destin hors du commun. Militant communiste exilé en France après 1933, il s'y marie, s'y installe, adopte la nationalité, combat sous l'uniforme français, passe des années comme prisonnier de guerre sans être découvert comme Allemand d'origine et poursuivra sa vie après guerre comme militant communiste et syndicaliste dans son pays d'adoption. Au-delà de ce parcours extraordinaire (nombre de ses camarades ont disparu dans les geôles nazies et c'est par hasard qu'il parviendra à échapper à ce sort), Glaser confère à son récit une expression littéraire totalement accomplie qui accentue le caractère dramatique de l'action. Il faudrait pouvoir citer de longs passages qui relèvent du dantesque. On se contentera de l'évocation d'une visite à la maîtresse d'un de ses camarades de beuverie, manière pour lui de dresser un portrait de la misère dans laquelle une partie du peuple vivait : « Une porte était ouverte, et je vis sur un mur, dans une chambre sombre, trois mauvaises photographies, grandeur nature, de son père, de son mari défunt et de son fils unique (…) Je sentis que j'étais sur les lieux d'un crime. Je vis ses auteurs confiants, inhumainement sévères, encore sur le qui-vive, observer depuis le mur. L'âme de la fille, la femme et la mère avait été terriblement torturée. L'étonnement des vivants devant les morts me saisit devant ce fantôme furtif qui craignait la lumière – cela avait donc été autrefois un être plein de santé, une femme qui avait bu en chantant, qui avait crié de plaisir dans l'étreinte, dont le rire sonore avait retenti la nuit dans la rue, qui avait conçu et engendré un fils ! Gottwhol ne s'était certainement pas attendu à une telle déchéance de sa bien-aimée » (p. 192). Grâce à son indéniable talent d'écrivain, Glaser fournit avec ce livre beaucoup plus qu'un nouveau témoignage, intéressant, sur une période cruciale de l'histoire. Il parvient pratiquement d'une manière physique à nous faire ressentir et partager les états de conscience qui sont les siens quant il doit participer à des distributions de tracts sous le contrôle de groupes armés de défense, quand il est convoqué par la police comme prisonnier pour vérifier sa (fausse) identité ou encore quand il parvient à échapper aux griffes de la Gestapo lors du référendum sur le rattachement de la Sarre. Plus qu'un témoignage de première importance, Glaser sait rendre les couleurs, les odeurs, les ambiances (souvent violemment exacerbées) de son expérience.
Georg K. Glaser, Secret et violence. Chronique des années rouge et brun (1920-1945), Marseille, Agone, 2005, 568 p.
Article publié le 06 décembre 2012.
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Georges Ubbiali, « Georg K. Glaser, Secret et violence. Chronique des années rouge et brun (1920-1945), Marseille, Agone, 2005, 568 p. », Dissidences [En ligne], Front populaire, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 24 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=527