Déjà édité une première fois en 2003 par les éditions Parangon, ce petit opuscule de l'universitaire hawaïen Franz Broswimmer est ici préfacé par Jean-Pierre Berlan, qui oppose Jared Diamond (auteur du succès de librairie Effondrement ), inscrit dans l'idéologie néo-libérale, et Franz Broswimmer, dont la critique se centre sur les rapports de domination, avec l'émergence dès le néolithique de classes dominantes.
Tout au long de son étude synthétique, ce dernier se penche en fait sur les divers écocides, compris comme extinctions de masse des espèces, celui perpétré par l'humanité s'inscrivant dans la suite de ceux de la Préhistoire, œuvres d'une nature aveugle. Il livre ce faisant un excellent résumé de l'évolution menant à l' homo sapiens sapiens , insistant sur le rôle essentiel de la maîtrise du feu, en tant que moyen de briser les rythmes strictement naturels et de favoriser l'éveil de la conscience. Le premier élément d'écocide humain qu'il repère concerne la disparition de la mégafaune par une chasse intensive, au quaternaire récent. Et d'emblée, un problème se pose : quelle responsabilité peut-on imputer à l'espèce humaine, sachant qu'elle n'avait aucune connaissance, à l'époque, des implications de ses actions à l'échelle de l'écosystème terrestre ? Le terme d'écocide, qui évoque inévitablement celui, hautement culpabilisant, de génocide, impliquant d'ailleurs une volonté délibérée, est-il bien approprié ? Quelle alternative existait-il à l'époque, ne peut-on parler ici de nécessité ? On le voit, l'anachronisme n'est pas loin.
Il en est d'ailleurs de même en ce qui concerne les exemples que Franz Broswimmer prend dans l'Antiquité ou le Moyen Âge, de la Mésopotamie où les sols subissent une progressive salinisation, à la déforestation des rivages de la Méditerranée par les Grecs, en passant par les Mayas ou les Pascuans, déjà mis en valeur par un Jean Chesneaux (voir L'engagement des intellectuels. 1944-2004. Itinéraire d'un historien franc-tireur , chroniqué sur notre site). Au risque d'ailleurs de surestimer cette donnée écologique dans la « chute » de certaines civilisations, en particulier pour les Grecs… ou pour l'URSS ! Le véritable changement d'échelle correspond aux débuts du processus de mondialisation et du capitalisme, la nature devenant alors une simple marchandise. A partir de 1492, la diversité des espèces connaît une chute drastique, à travers le commerce des fourrures ou la pêche commerciale de la baleine, la domination progressive de l'Europe se matérialisant aussi dans la diffusion de sa faune et de sa flore. Avec l'impérialisme moderne et les guerres qui en découlent, l'écocide franchit un palier supplémentaire, tant les armes de destruction massive provoquent de ravages écologiques (Seconde Guerre mondiale, Vietnam). L'auteur montre d'ailleurs très bien que le plus gros pollueur n'est autre que le complexe militaro-industriel !
Tout au long de son exposé, la liste véritablement saisissante des disparitions d'espèces a de quoi impressionner. Tenté par une accusation du milliard d'habitants le plus riche, Franz Broswimmer distingue heureusement la surconsommation des plus riches, attribuant une responsabilité majeure au néo-libéralisme, avec l'exemple des plans d'ajustement structurel qui, augmentant le montant de la dette à rembourser, intensifient l'exploitation des ressources naturelles des pays concernés. Ses perspectives d'avenir sont par contre quelque peu confuses : la suppression du capitalisme n'est pas clairement énoncée, même si le capitalisme vert ou la responsabilisation individuelle au détriment de celle des entreprises sont clairement critiqués. Les alternatives proposées se résument essentiellement à une « démocratie écologique » et une « propriété publique mondiale équitable » : il y a donc là de quoi poursuivre la réflexion.