Paul Ariès, dont la production scripturale est pour le moins abondante, livre ici une défense de son positionnement antiproductiviste et décroissant, souhaitant contribuer à l'abandon par la gauche de son productivisme traditionnel. Il commence par critiquer l'actuel capitalisme vert, et c'est sans doute là une des parties les plus intéressantes de son ouvrage. Dénonciation des nouvelles technologies censées moins polluantes (empreinte carbone des connexions internet, effets négatifs des ampoules basse consommation), du système des droits à polluer favorisant les plus riches, ou même de Yann Arthus-Bertrand et de son film Home , qui ne s'attaque pas aux racines du problème écologique, la liste des cibles est longue, et culmine dans la critique des technosciences. Se rapprochant en cela du collectif Pièces et main d'œuvre (voir leurs ouvrages chroniqués sur notre site), Paul Ariès alerte sur les dangers des transhumains et des partisans des HGM (humains génétiquement modifiés), ne résolvant pas pour autant la question cruciale des limites à fixer quant aux manipulations sur le vivant, dont certaines des potentialités sont indubitablement progressistes.
Dans sa condamnation du productivisme de gauche, il n'évite d'ailleurs pas les propos polémiques, en semblant réduire ce dernier au « socialisme réellement existant », lorsqu'il parle de « fable » au sujet de la socialisation des moyens de production, ou qu'il juge « les peuples occidentaux (…) déjà perdus pour la révolution » (p.79), du fait des succès de l'hypercapitalisme, qui a conduit à une aliénation profonde et générale par le biais de la marchandisation universelle. Face à une gauche productiviste optimiste, celle de Marx analysée au prisme de Denis Collin ( Le cauchemar de Marx , chroniqué sur ce site), non sans certaines simplifications1, il oppose une gauche antiproductiviste mais pessimiste, celle des socialistes chrétiens, des socialistes utopiques, des libertaires, de Henri Lefebvre, Rudolf Bahro, des situationnistes, de l'Ecole de Francfort jusqu'à Alain Accardo (voir également Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes chroniqué sur ce site).
En une synthèse de ces deux tendances de fond, il défend finalement un antiproductivisme optimiste, en retenant les refus populaires des progrès techniques (se rapprochant en cela de François Jarrige : Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique , chroniqué sur ce site), et les luttes contre le travail, sans pour autant fixer de limites claires. Refusant un certain nombre d'objets de consommation, du 4x4 à la cravate (!), il fait l'éloge de la simplicité et de la lenteur, plaçant ses espoirs dans la démotivation des gens au travail, la désobéissance civile par une hypothétique grève générale de la consommation, les expérimentations collectives de toutes sortes mais également les efforts individuels… Un livre qui ne peut laisser indifférent, même si on n'est pas nécessairement totalement en accord avec ses préférences pour le style de vie plutôt que le niveau de vie, pour la gratuité et les droits sociaux plus que le pouvoir d'achat. En outre, cet essai souffre de redites fréquentes, voire d'une certaine tendance ponctuelle au bavardage, tout en manquant sur bien des points simplement cités de développements détaillés (la condamnation de la poussette, par exemple).