Laird Boswell, Le communisme rural en France. Le Limousin et la Dordogne de 1920 à 1939, Limoges, PULIM, 2006, 313 p.

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Communisme

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Les Presses universitaires de Limoges publient la thèse soutenue en 1998 par Laird Boswell sur le communisme rural. La traduction française paraît d'autant plus tardive que l'ouvrage n'a pas fait l'objet d'une refonte de son appareil scientifique, bien que depuis 1998, et sous l'effet notamment des propositions de Laird Boswell, les études sur le communisme rural se soient multipliées.

Tel quel, l'ouvrage prend comme cible la cartographie électorale pratiquée par les historiens et politistes français depuis André Siegfried, via François Goguel, Emmanuel Todd. Pour Laird Boswell, celle-ci, lorsqu'elle entend fonder scientifiquement l'intuition de Daniel Halévy sur le gauchissement générationnel des paysans en politique (aïeux montagnards, grands-parents radical-socialistes, parents socialistes, rejetons communistes), procède d'une corrélation par intimidation (p. 61). A le suivre, l'argument d'une tradition « rouge » des campagnes est obscur, il naît scientifiquement de coïncidences cartographiques fortuites (p. 74). En aparté, l'historien anglo-saxon lie l'impasse heuristique dans laquelle s'enfermeraient les tenants de la tradition à la formation des historiens français, inextricablement mêlée à la géographie… En soit, la vigueur de la charge résulte de la confrontation de l'approche anglo-saxonne de l'histoire avec l'histoire politique française, appliquée au communisme. Laird Boswell construit sa démonstration à partir des propositions d'Eric Hobsbawm – qu'il ne cite pas – sur l'invention des traditions1. Le communisme rural n'est donc pas, dans le cadre géographique de la démonstration, l'héritier des fureurs paysannes du XIX e siècle naguère décrites par Alain Corbin ( Le village des cannibales ). Il n'est pas non plus l'expression d'une politique du peuple que propose de mesurer sur la longue durée Roger Dupuy2, il n'est pas exactement non plus l'effet d'une politisation des campagnes par la République. Le communisme rural est pour lui l'expression d'une utilisation de l'arène politique pour défendre l'identité paysanne malmenée par la crise des années Trente (p. 288), soit une réaction face à l'immobilisme de l'Etat devant le délitement des sociétés paysannes. L'un des succès des communistes tient ainsi à la manière dont ils se mobilisent pour défendre les agriculteurs saisis par les huissiers, expropriés. Le communisme rural surgit là où les filets des notables et de la religion ne sont plus, ou s'avèrent impropres à défendre la communauté villageoise. L'analyse scalaire fouillée à laquelle se livre Laird Boswell montre alors que le communisme rural prend là où les notables radicaux n'ont pas de raison d'être, dans des zones dominées par l'indifférence religieuse.

Dans cette perspective, le communisme rural dispose de traits spécifiques qui le distinguent du communisme saisi par le haut, par les villes. Il est d'abord construit par des individualités remarquables, comme Marius Vazeilles, militant du Krestintern. La propagande, et l'adhésion, se comprennent dans une société d'interconnaissance, où l'irruption de l'étranger génère la suspicion. Le communisme des champs est ainsi imperméable au communisme des villes ; pour Laird Boswell il est autochtone, quasiment auto-fondé à partir du legs de la SFIO de la Belle époque qui entreprit les campagnes3. L'auteur renverse ainsi des perspectives canoniques : ce n'est pas la Résistance qui fonde le succès du communisme rural après-guerre, mais son antériorité dans les années Trente. De même, ce n'est pas le syndicalisme paysan qui enfante le communisme au village, mais ce dernier qui nourrit le premier. Au sein de la société villageoise, cette interconnaissance aboutit à des résultats paradoxaux : le meilleur des candidats pour le PCF est rarement le meilleur des militants… La propagande communiste au village repose sur quelques thèmes. Dans le Limousin marqué par le pacifisme de la minorité socialiste de la Grande Guerre elle se nourrit du mythe de la révolution russe, dans l'évidence ambiguë du mot d'ordre  la terre à ceux qui la travaillent . Sur le fond, le communisme rural est d'abord l'expression de petits propriétaires – à l'instar du socialisme de la Belle époque –, il s'intègre à la lutte des petits contre les gros . Pour autant, ces traits s'apparentent peu à la culture républicaine, sinon au prix de leur décontextualisation : pour Laird Boswell, le succès du communisme rural tient d'abord à une identité paysanne qu'il défend face à l'Etat4.

Il faut donc lire Laird Boswell, nonobstant l'historicité des notes de bas de pages. Il faut le lire puisqu'à sa manière il permet un regard nouveau, non seulement sur le fait communiste, mais sur la pratique de l'histoire politique en France ces vingt dernières années. Laird Boswell, dans un article de 2005, souhaitait reconceptualiser l'histoire du communisme, qu'il juge dans une impasse. La traduction de sa thèse par les Presses universitaires de Limoges participe de cette visée. Il est ainsi plusieurs manières d'entendre l'histoire politique, de sonder la pertinence des concepts de culture, de tempéraments, politiques.

Notes

1 Eric Hobsbawm, Inventing the tradition . L'ouvrage est enfin traduit en français aux éditions Amsterdam (Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), L'invention de la tradition , Paris, Amsterdam, 2006). Retour au texte

2 Roger Dupuy, La politique du peuple , Paris, Albin Michel, collection « Evolution de l'Humanité », 2002. Retour au texte

3 Vincent Chambarlhac et alii, Histoire documentaire du parti socialiste , tome 1, L'entreprise socialiste (1905-1920) , Dijon, EUD, 2005. Retour au texte

4 Ma lecture de Laird Boswell diffère ainsi de celle d'Edouard Lynch, Édouard Lynch, « Laird BOSWELL, Rural Communism in France, 1920-1939 , Itahca/Londres, Cornell University Press, 1998, 266 p. », Ruralia [En ligne],1999-05 - Varia,. Mis en ligne le : 25 janvier 2005. Disponible sur : http://ruralia.revues.org/document131.html. Référence du 2 décembre 2006. Retour au texte

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Référence électronique

Vincent Chambarlhac, « Laird Boswell, Le communisme rural en France. Le Limousin et la Dordogne de 1920 à 1939, Limoges, PULIM, 2006, 313 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 10 septembre 2012 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=464

Auteur

Vincent Chambarlhac

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