Axelle Brodiez, Le Secours populaire français. 1945-2000. Du communisme à l'humanitaire, Paris, Presses sciences po, 365 p.

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Communisme, Organisation

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Aujourd'hui, le Secours populaire français figure parmi les grandes organisations humanitaires au niveau du pays, reconnu pour ses activités en faveur des démunis. Mais qui connaît réellement l'histoire de cette association ? Sans doute bien des donateurs, voire des militants seraient étonnés d'apprendre que le SPF trouve son origine dans la mouvance communiste de l'entre deux guerres. C'est à cette socio-histoire d'une transformation identitaire que s'attelle Axelle Brodiez dans ce livre touffu et souvent passionnant. Le propos se déploie en trois grandes parties. La première, qui s'étend de 1945 à 1955, couvre en fait plus largement la période de naissance du SPF. En un premier chapitre, hélas trop succinct, A. Brodiez propose quelques pistes pour tracer l'histoire de la naissance du Secours rouge international, organisation de l'écosystème communiste visant à lutter à contre la répression des militants. La rareté des sources ne permet cependant guère de fournir autre chose que des indications et des hypothèses sur cette organisation. A partir de la période du Front populaire, soit 1934, le Secours rouge prend l'appellation de Secours populaire de France et des colonises. Toujours étroitement contrôlé par le PCF, le SPF jouera un rôle assez minime durant la période de Vichy. Au sortir de la guerre, cette association apparaît très secondaire dans l'ensemble de la galaxie communiste. Au point que s'y faire « affecter », comme cela est évoqué par le biais du témoignage d'un dirigeant, apparaît comme une sanction. Le rôle premier du SPF dans les années 50 est de fournir un soutien aux luttes anticolonialistes et aux militants réprimés. Ce dont l'organisation se charge, avec une certaine efficacité, en fournissant avocats, soutien financier ou politique (lire notamment lors de la guerre d'Indochine la campagne en faveur d'Henri Martin). L'auteure conclut cette première partie en indiquant la sociologie des militants impliqués dans ce type d'activité. La seconde partie, 1955-1979, constitue une étape fondamentale dans la mue de l'organisation. Sous l'impulsion de son nouveau secrétaire général (Julien Laupêtre à qui un long développement est consacré), militant clé de cette transformation, le SPF va rompre peu à peu ses liens de subordination au PCF, pour s'engager dans la voie d'une activité apolitique et humanitaire. Même si les liens au PCF ne sont pas brisés (Laupêtre est un militant PC, ainsi que la plupart des dirigeants de l'organisation), le SPF, a contrario d'autres organisations du conglomérat (la CGT en premier lieu) s'émancipe de la tutelle. Le rôle secondaire de l'association dans l'écosystème communiste, ajouté à la volonté de son dirigeant, doublé d'une profonde modification de son corps militant l'éloigne du tropisme communiste. Cette distanciation se manifeste notamment par la reconnaissance officielle de la part des pouvoirs publics. L'institutionnalisation constitue la troisième partie ; de 1979 à 2000, date à laquelle s'achève cette recherche. Désormais le SPF est totalement recentré sur l'action humanitaire, ses militantes (les femmes occupant désormais une place centrale) se penchant sur les conséquences sociales de la précarité. On laissera le lecteur découvrir les différentes facettes (action internationale, défense des droits de l'homme, aide au développement) qui constituent les terrains privilégiés d'activités du SPF. Aujourd'hui, constate l'historienne, le PS F représente une structure de rémanence pour les militants communistes, un lieu de ressourcement, mais dont les liens sont chaque jour plus distendus avec la matrice qui l'a vu naître. Ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes de transmissions de mémoires : la plupart de ses cadres et militants ne sont pas, plus ou peu porteurs de l'histoire de cette institution, banalisant par la même la structure au sein du monde humanitaire. Dans son éclairante conclusion, l'auteure revient de manière plus conceptuelle sur les conditions, au nombre de quatre, qui ont permis cette évolution inattendue et singulière (si l'on compare par rapport à d'autres pièces de l'écosystème). C'est une partie particulièrement nourrie par la littérature sociologique, sur laquelle il n'est pas inintéressant de s'arrêter. La première raison que l'on peut avancer pour expliquer la transmutation du SPF réside dans la rupture des attaches partisanes. Le deuxième élément réside dans la spécialisation fonctionnelle. Viennent ensuite la capacité d'adaptation et enfin la construction d'une organisation ancrée localement et décentralisée dans son fonctionnement. On ne saurait souligner l'extrême richesse analytique déployée dans ce livre, qui fonctionne in fine comme un bon analyseur des évolutions de l'engagement partisan.

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Georges Ubbiali, « Axelle Brodiez, Le Secours populaire français. 1945-2000. Du communisme à l'humanitaire, Paris, Presses sciences po, 365 p. », Dissidences [En ligne], Communisme français, publié le 02 septembre 2012 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=451

Auteur

Georges Ubbiali

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