Michael Scott Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009 (édition originale 2004), 454 p. (Contre-feux).

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Intellectuels, Maoïsme

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Cette étude de l'historien étatsunien Michael Christofferson, tirée de son travail de thèse, ne manquera pas de susciter le débat, voire la polémique. Il faut dire que l'auteur propose une relecture des « années 68 » en suivant un fil rouge quelque peu provocateur : montrer que les intellectuels progressistes sont passés, au cours des années 1970, du marxisme au réformisme basé sur les droits de l'homme, en instrumentalisant pour ce faire l'antitotalitarisme. Débutant par un retour sur le concept de totalitarisme utilement remis en perspective à travers la comparaison de plusieurs pays, il démontre l'usage politique dont il a été l'objet, en particulier au milieu des années 70 en France, à une époque où l'URSS n'était assurément plus totalitaire au plein sens du terme employé ici ; on nous permettra par contre d'être moins convaincu par les fragilités scientifiques du concept qu'il expose. Le cœur de son analyse s'articule d'abord sur la période allant de 1945 aux années 70, afin d'illustrer, sans vraiment de surprises, la désaffection des intellectuels vis-à-vis du PCF et de la SFIO au profit d'un attachement constant à la démocratie directe (et à l'autogestion dans les années 70). Il insiste à cette occasion sur l'importance de l'engagement aux côtés de la Gauche prolétarienne dans l'évolution de l'intelligentsia, de par sa revendication d'un intellectuel non surplombant et surtout sur l'accent mis sur l'initiative provenant des masses elles mêmes. Dans le chapitre suivant, il relativise à juste titre l'effet Soljenitsyne, qui pour lui a surtout servi aux adversaires du PCF au sein de l'Union de la gauche. En effet, face à une campagne de dénigrement de l'écrivain russe marquée par le passé stalinien du Parti, les intellectuels auraient eu peur d'une possible hégémonie idéologique du PCF face au PS en cas de victoire électorale, et se seraient donc emparés du thème de l'antitotalitarisme pour en faire une véritable machine de guerre. Se succèdent ensuite un exposé sur l'Union de la gauche et les réactions intellectuelles à son égard, l'affaire de l'interdiction du journal socialiste Republica durant la révolution portugaise contribuant encore davantage à l'inquiétude vis-à-vis d'une arrivée au pouvoir du PCF. L'auteur retrace un historique des dissidences en Europe de l'est et des soutiens manifestés en France, avec le point culminant de 1977, l'intérêt pour la dissidence s'inscrivant dans la pression faite sur le PCF afin d'intégrer le respect des libertés formelles. Il opère également un retour sur le phénomène des « nouveaux philosophes », à la fois médiatique et politique, à travers les ouvrages de Glucksmann ( Les maîtres penseurs ) et Bernard-Henri Lévy ( La barbarie à visage humain ), véritables pensées du recul, avec le parti pris pour les deux auteurs de se placer dans une posture de victime, désamorçant d'avance toute critique ; récupérant l'étiquette de la dissidence1, ils obtiennent le soutien de Michel Foucault, pendant que les critiques d'un Elleinstein, pourtant pertinentes, sont marginalisées. Enfin, l'analyse par Christofferson du parcours de François Furet conclut à la manifestation d'un zèle prononcé de sa part, suite à son engagement passé au sein du PCF, dans cet antitotalitarisme qui conduit à Penser la Révolution française : le moyen de placer les origines du totalitarisme au cœur de l'histoire de France. Son retour critique sur la période communiste de Furet, avec la tendance de sa part à la revisiter à l'aune des préoccupations du moment, est tout particulièrement convaincante. Tout cela est énoncé avec beaucoup d'assurance, mais à côté de réflexions assurément stimulantes, les raisonnements de Michael Christofferson sont parfois un peu discutables, voire carrément simplificateurs. Outre le fil rouge présupposé de la démocratie directe chez bon nombre d'intellectuels de gauche comme préoccupation centrale, on peut ainsi lui reprocher certains raccourcis chronologiques (les Assises du socialisme d'octobre 1974 marquant par exemple la fin du « gauchisme »), quelques manques (le cas des khmers rouges dans la perception du communisme, l'invasion de l'Afghanistan) et une tendance occasionnelle à uniformiser à l'excès le milieu intellectuel. Au risque de rapprocher parfois son travail problématisé du lit de Procuste. Si l'association du socialisme et de la liberté par bon nombre d'intellectuels de gauche a fini par faire prévaloir le second terme de l'équation en abandonnant le premier, ouvrant sur le néolibéralisme et le postmodernisme, il faut assurément invoquer pour l'expliquer une pluralité de causes, sans se limiter à l'approche de Christofferson, mais sans la négliger, tant elle parvient à restituer l'ambiance idéologique d'une époque, et se révèle convaincante au fil de la lecture.

Notes

1 Profitons-en pour préciser les choses : si notre collectif a adopté en 2000 le nom de Dissidences, c'est bien sûr en référence à cette opposition démocratique au socialisme réellement existant, mais sans nous situer sur la ligne des « nouveaux philosophes ». Retour au texte

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Jean-Guillaume Lanuque, « Michael Scott Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009 (édition originale 2004), 454 p. (Contre-feux). », Dissidences [En ligne], 3 | 2012, publié le 03 avril 2012 et consulté le 25 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=241

Auteur

Jean-Guillaume Lanuque

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