La LCR réfléchie par les comptes rendus : retour sur les années 2007/2008 (Le compte rendu, discours d'ordre ?)

Variations autour de Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire. Instrument du grand soir ou lieu d'apprentissage ?, Rennes, PUR, 2005.

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Trotskysme

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Jean-Paul Salles a publié sa thèse consacrée à la Ligue communiste révolutionnaire aux PUR en 2005. Il ne s'agit pas ici d'en discuter l'apport, mais plutôt de prendre au mot le jeu des comptes rendus de l'ouvrage, escomptant qu'ainsi advienne une esquisse singulière de la LCR, objet des comptes rendus. Travailler cette réception critique implique une courte description du compte rendu dans le dispositif de l'édition en sciences humaines et sociales. Treize comptes rendus forment le matériau de l'enquête. En soi le nombre vaut indice. On peut le corréler aux difficultés de l'édition universitaire, au marché sans cesse restreint ; faut-il également y lire la marginalisation de l'objet d'étude ?

La pratique du compte rendu s'apparente à un discours d'ordre bibliographique. Survenant dans l'après-coup d'une publication, le compte rendu assigne dans l'espace éditorial une place au livre chroniqué1. Pour Bertrand Müller, le compte rendu « parasite » le texte, décentrant l'objet de l'écriture de l'auteur dans l'horizon d'attente de la publication où s'inscrit la chronique2. C'est par le titre, par la place dans l'espace de la page qu'un implicite discours d'escorte se tisse alors. Celui-ci préexiste en quelque sorte à la lecture même du compte rendu par le lecteur.

Titulatures

Notre échantillon compte treize publications. Le spectre des journaux ou revues est lâche.

Une brève allusion du Monde (11/10/2007) indique sans doute l'une des bornes de ce spectre, dont la publication d'un court article dans le mensuel L'Actualité Poitou-Charentes (2006) -région de l'auteur- marque l'autre extrémité géographique. L'Humanité (22/02/2006) mais aussi Politis (3/05/2006), Les Cahiers du mouvement ouvrier (février 2006), Rouge (23/02/2006) et Inprecor –le mensuel de la IVe Internationale (janvier / février 2006)- signifient un lectorat militant. Nous sommes là en terre d'extrême gauche, à laquelle adjoindre le compte rendu électronique de Dissidences (Dissidences.net). Connexes à ce second massif, des revues passerelles entre militantisme et monde de la culture soulignent également l'intérêt de la mouvance socialiste pour le livre de Jean-Paul Salles : Les Cahiers Jean Jaurès (n°186), L'OURS (février 2006). Des revues plus académiques, ou à tout le moins directement liées à la recherche historique, forment le dernier ensemble du corpus : Historiens et géographes (n°394), Les Cahiers d'histoire immédiate (automne 2007), Histoire et liberté (été 2006).

Dans cet ensemble, quatre manières de titrer le compte rendu apparaissent. La première est strictement académique: les mentions de l'auteur, du titre, du lieu d'édition, de l'année de publication soulignent a priori la neutralité du discours suivant. L'ouvrage est ainsi accepté dans l'ordre des livres chroniqués. Les feuilles de la LCR titrent, elles, sur l'histoire du parti ; « enfin une histoire de la LCR ! » affiche Inprecor, soulignant là autant une attente que le déplacement opéré par l'ouvrage de Jean-Paul Salles dans l'ordinaire des publications sur l'organisation. Celle-ci est également le cœur de cible de quatre autres titres qui tous inscrivent l'ouvrage dans le champ politique : « Sur les trotskistes » indique Politis, « Le Facteur « Che » souligne le Monde, « La LCR » pour les Cahiers Jean-Jaurès, la plume de Sylvain Boulouque complétant pour l'OURS l'indication d'un lapidaire « l'accumulation des grands soirs ». Ces titres marquent un retournement dans l'appréciation même du livre. Lui assignant une place dans l'espace politique, ils présentifient son objet, reléguant dans l'épaisseur du compte rendu l'appréciation des qualités scientifiques du propos. L'Humanité tranche, affichant un « Trajectoires de militants soixant'huitards » qui semble mettre en évidence l'apport sociologique du livre mais lie la LCR au seul poids de Mai 68. L'organisation serait ainsi fille des événements.

Telles quelles, ces titulatures quadrillent l'espace de réception du livre de Jean-Paul Salles.

Elles signalent que le compte rendu est une écriture de l'après-coup. Quid de la place du livre dans ce dispositif? Il semble que celle-ci soit prioritairement politique, l'ouvrage occupant une place dans la représentation de l'adversaire politique, la discussion de ses présupposés ; seuls les comptes rendus académiques par la neutralité excipée procèdent a priori d'une lecture disciplinaire, déconnectée du poids politique de l'objet.

Usages d'un livre.

Le compte rendu tient du discours d'ordre. Sa rédaction implique systématiquement une relation biaisée de l'auteur de l'ouvrage au chroniqueur. Agissant dans l'après-coup, celui-ci pose l'auteur en interlocuteur muet, qui ne peut qu'acquiescer aux objections formulées. Pris dans cette configuration, les comptes rendus de notre échantillon indiquent quatre usages possibles du livre, courant d'une rhétorique académique à un propos davantage politique. Autant de scènes donc où l'auteur paraît devant le chroniqueur, où l'ouvrage vaut pièce dans des dispositifs plus amples.

L'impétrant devant ses maîtres.

Jean-Paul Salles tire son ouvrage d'une thèse. Le sel de son travail tient à la construction de la LCR en objet d'histoire. Si cette dynamique heuristique est souvent rappelée dans les chroniques, elle ouvre pour certains d'entre eux sur un discours de jury universitaire. Le compte rendu réitère ici et maintenant le rite que fut la soutenance. Jacques Girault pour les Cahiers Jean Jaurès, Pierre Barral, pour les Cahiers d'histoire immédiate, procèdent ainsi. L'attention du lecteur est attirée sur la qualité des références, du corpus de sources, la méthodologie employée. Au détour d'un paragraphe, Pierre Barral trouve l'occasion de saluer les qualités pédagogiques de Jean-Paul Salles, remarque ordinaire des jurys de thèse. En soi le compte rendu certifie la valeur de l'auteur et de l'ouvrage, saluant une solide monographie (Jacques Girault). Par extension, Historiens et géographes (Robert Marconis) peut indiquer la contribution essentielle qu'apporte Jean-Paul Salles. L'essentiel, dans ce premier usage des comptes rendus tient à la circulation académique du livre qu'elle règle. La thèse adoube le chercheur, le praticien éclairé retrouve dans ces indications de lecture de quoi nourrir sa culture historiographique. Pour conclure sur ce premier usage, notons qu'il procède strictement de l'université et signifie alors que la LCR, objet de l'analyse, est un objet comme un autre, malgré -mais c'est une constante de l'exercice- l'empathie de l'auteur pour son objet. Les fragrances d'une ego-histoire mobilisée par la soutenance persistent là.

Un ancien militant...

Pour d'autres chroniqueurs, c'est une histoire que compte Jean-Paul Salles. Celle-ci s'aborde sous l'angle de la chronique, celle d'une histoire mouvementée qui est aussi une histoire de luttes et d'engagements (Politis), du dévoilement (« Tout, tout, tout, vous saurez tout sur l'histoire de la LCR » - Histoire et liberté). C'est finalement une histoire de la LCR, dans un regard qui n'est pas simplement extérieur, puisque Jean-Paul Salles appartint à la LCR. Le compte rendu permet l'interpellation de l'auteur, la critique amicale du choix des interviews pour Jean-Michel Krivine dans Inprecor. Le propos s'avère ainsi propice à la réflexion rétrospective comme au retour sur le présent de l'organisation. Derechef pointe le regret de l'appareil de notes de bas de pages, si complexe pour celui qui se reconnaît dans la lecture de Génération d'Hamon et Rotman. Ici réside sans doute l'un des accrocs les plus sensibles fait aux desseins de l'auteur d'une construction de la LCR en objet scientifique. Le compte rendu s'engage ainsi rétrospectivement sous les auspices d'un procès fait aux thèses défendues par un ex, relues par celui qui appartient encore à l'organisation.

Au-delà du satisfecit régulièrement proclamé par le retour de formules telles que l'auteur montre bien..., c'est une autre conception de l'engagement et du rôle de la LCR que tisse implicitement le chroniqueur. S'efface ainsi l'une des dimensions fortes de la problématique, celle de la LCR comme lieu d'apprentissage, problématique évidemment suspecte à celui qui en est, et non pas qui en fut, sous peine d'affronter le point nodal de son rapport à l'apprentissage. On jugera que chacun est ici dans son rôle et qu'il n'est pas attendu d'une feuille militante un retour réflexif en ces termes sur l'organisation. L'histoire que salue Inprecor n'est pas une socio-histoire. Rouge pointe davantage sous la plume d'Antoine Artous ces divergences d'interprétations, notant un problème dans la « présentation de son profil politico-général », concluant à la nécessité d'une nouvelle pesée pour « comprendre comment, contrairement à tout un pan de l'extrême gauche issue de Mai 68 qui a disparu, elle [la LCR] se soit installée de façon durable dans le paysage politique français ». En termes élégants, la pertinence du lieu d'apprentissage est ici niée par la position au présent tenue dans l'article. In fine, le procès implicite porte ainsi moins sur le contenu d'une analyse circonscrite à la séquence 1968-1981, et davantage sur les conclusions présentes à en tirer. Comme témoin, Antoine Artous peut souscrire à une analyse dont il pointe, en militant, les faiblesses.

Adoubement sociologique?

L'Humanité sous la plume de Pierre Cours-Salies -dont la signature se complète de la mention sociologue- mêle également la distance critique à une rhétorique implicitement militante.

Le titre excipe la qualité sociologique de l'ouvrage, contrastant ainsi nettement avec les usages précédents. « Ces trajectoires de militants soixante-huitards » se précisent du sous-titre « une étude du comportement de la LCR durant la décennie qui précède l'élection de François Mitterrand ». La démonstration se fonde sur l'argument de la trajectoire, du lieu d'apprentissage comme lieu de promotion sociale. En quelques mots, l'organisation se croque par ses fonctions sociales, épousant en grande partie la démonstration de Jean-Paul Salles. La conclusion, balançant entre le questionnement de « l'activisme et de l'auto-proclamation avant-gardiste » note que ces travers se « compensent d'une réelle souplesse, une facilité à se corriger et à s'adapter ». De proche en proche, l'analyse de Pierre Cours-Salies paraît ainsi l'occasion au titre d'une étude des fonctions sociales de la LCR de rappeler les transferts militants de la LCR au Parti socialiste, comme les vocations d'inspecteurs du travail nées de ce lieu d'apprentissage. La visée est ici redondante, chacun connaît le parcours d'Henri Weber, Julien Dray, Gérard Filoche3... L'implicite militant du texte tient à l'ancienne appartenance de l’auteur de l’article à la LCR. Dans l'économie d'un discours qui adoube semble-t-il sociologiquement la démonstration de l'auteur, une seconde lecture est possible assignant à la minorité la part méliorative du lieu d'apprentissage, propice ensuite à d'autres cheminements. L'écriture du compte rendu s'entend simultanément ici dans l'horizon scientifique d'une prise de position sur la nécessité d'une analyse de l'organisation dans ses fonctions sociales et dans la perspective du reclassement des ex, la problématique serait alors ici d'autant moins réductrice qu'elle s'appuie sur un patient travail d'archives, celui de l'historien qui restitue l'image de militants exemplaires et permet de conclure sur la ductilité de l'organisation face à l'événement. Le compte rendu s'inscrit ainsi à la charnière de deux logiques, l'une tient aux logiques académiques et aux prises de position sur l'objet parti, la seconde s'entend dans l'horizon de la LCR comme une vitrine possible de l'organisation dans un quotidien communiste. Le salut fait aux militants dans la conduite des luttes l'illustre.

Un surplomb sur l'Autre.

Le dernier usage des comptes rendus s'inscrit plus directement en terre sociale-démocrate. Les Cahiers Jean Jaurès ressortent peu à cet usage par contraste avec l'OURS, mensuel de culture socialiste. Sous la plume de Sylvain Boulouque, le compte rendu se déroule en deux temps. L'auteur salue d'abord un ouvrage qui comble une lacune historiographique avant que d'en discuter la lecture. Cette discussion s'entend en rapport. Le clin d'œil du titre -« l'accumulation du grand soir »- dit implicitement le clivage qui permet la discussion. En se basant sur la lecture de Claude Lefort de l'institution communiste il peut lier la culture de la LCR (dont l'étude forme la 3e partie du travail de Jean-Paul Salles) à la culture politique des communistes. Grosso modo l'auteur propose ici une lecture de la LCR qui n'aurait pas été -à la différence de son homologue qu'est le PCF- une institution totale, incapable d'établir une contre-culture. Le constat s'écrit en termes kriegeliens, permettant d'assigner à la LCR une place dans l'échiquier politique qui retourne la question de l'apprentissage démocratique dans l'organisation. En somme, l'ouvrage de Jean-Paul Salles autoriserait la pesée de l'étrangeté du militant de la LCR, amarré jusque dans ses contradictions à un monde politique -le communisme- irréductible à la question démocratique, monde dont il se déprend par et malgré l'organisation. A l'image de Pierre Cours-Salies, les trajectoires font le miel de cette lecture construite sous les auspices mêlées du militantisme et de la recherche universitaire.

Conclure...

Si l'échantillon est restreint, il mesure néanmoins les apories d'une réception contrainte de l'ouvrage de Jean-Paul Salles. La LCR peine, à les lire, à s'affirmer comme objet d'étude en tant que tel. La neutralité des commentaires académiques efface la singularité de l'objet par l'argument de conformité de la démarche de l'auteur avec les canons historiques; les abords plus politiques jouent de l'approche socio-historienne comme élément qualifiant ou disqualifiant d'une mesure toujours liée à une appréciation politique, sinon à l'éducation militante. S'affirme là un usage du livre de sciences humaines et sociales rabattu sur son volet politique; se souligne ici le chemin à parcourir pour que la LCR soit un objet d'étude à part entière, indépendant de la grille de lecture issue de ce lieu commun qu'est le poids de l'historiographie du fait communiste dans l'histoire politique. Se devine enfin les vertus de l'approche socio-historique face aux tenants d'une histoire politique davantage liés aux sciences politiques.

Notes

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Citer cet article

Référence électronique

Vincent Chambarlhac, « La LCR réfléchie par les comptes rendus : retour sur les années 2007/2008 (Le compte rendu, discours d'ordre ?) », Dissidences [En ligne], 3 | 2012, publié le 02 avril 2011 et consulté le 22 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=220

Auteur

Vincent Chambarlhac

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