Sous ce titre, José Gotovitch et Anne Morelli publient les contributions d'un colloque organisé par le Centre d'Histoire et de Sociologie des Gauches (Université libre de Bruxelles) en octobre 2005. Mêlant témoignages et études, Presse communiste… alterne les monographies sur la presse radicale en Belgique, France, Italie, Grande-Bretagne, Luxembourg, Egypte. Une courte introduction souligne l'intérêt d'une démarche, implicitement comparatiste : poires et prunes s'y mêlent selon José Gotovitch. Sur le siècle, la compilation des monographies pointe le rétrécissement du spectre du journal militant : naguère créés par l'ensemble de la sphère socialiste (socialisme, communisme, syndicalisme, extrême gauche), les journaux militants sont aujourd'hui le seul fait de l'extrême gauche : la social-démocratie n'a cure de cette presse à vocation didactique, en France comme ailleurs.
Peu ou prou, l'ensemble des contributions souscrit à ces propos d'un lecteur d'Hebdo75 (Belgique) : « ce n'est pas la presse qui fera la Révolution, ce qu'on lui demande, c'est de signaler, au plus grand nombre possible, que cette Révolution est possible, nécessaire, et que certains y travaillent un peu partout, de plus en plus. » Dans cette perspective, la presse radicale a vocation didactique, pédagogique, parfois analytique, comme le souligne Georges Ubbiali à propos des Cahiers de la Taupe. Trois familles politiques sur le siècle ont contribuée à façonner cette presse. Les socialistes sont relativement absents, hors l'intervention de Pierre Van Dongen sur Louis de Brouckère. Le pôle communiste apparaît dans toutes ses singularités. Celui d'une presse militante, informée, capable en France de construire des organisations de masse comme les Comités de Défense de l'Humanité (Alexandre Courban), capable également d'interactions avec la CGTU (Sylvain Boulouque). Sous les plumes de Léon Strauss, François Olivier Utard ou Henri Wehenkel, la presse communiste paraît travaillée par la dialectique des questions nationale (Luxembourg, Lorraine, Alsace)… Les mécomptes du Drapeau rouge, organe du Parti communiste belge, ébauchent sous la plume de Nicolas Naif, comme par les souvenirs de Georgette Smolski, Jacques Moins, une histoire en creux du communisme belge. Luciana Castellina évoque ensuite le poids d'Il Manifesto sur l'extrême gauche italienne, l'autonomie relative dont il dispose, son rayonnement. Mais c'est le pôle trotskiste qui concentre finalement les contributions les plus neuves sur un secteur historiographique en déshérence du fait de sa sujétion aux études sur le communisme et le socialisme, du fait également de sa dissidence politique, parfois byzantine. Nicolas Latteur évoque la trajectoire de La Gauche, organe de combat socialiste, tenu en partie par les trotskistes belges, les syndicalistes proches de Georges Renard. Son article doit se lire en contrepoint des mémoires de Georges Dobbeleer, naguère chroniquée sur Dissidences (Georges Dobbeleer, Sur les traces de la révolution, itinéraire d'un trotskiste belge). Scrutant les Cahiers de la Taupe, Georges Ubbiali montre notamment comment cette entreprise s'inscrit en contrepoint des éditions Maspero, de Rouge, dans l'actualité des questions sociales soulevées par Mai 68. Mathieu Beys, pour la Belgique, travaille la même matière, narrant l'histoire d'une presse libérée, radicale et éphémère : Notre Temps, Hebdo, Pour. La comparaison qu'il tente avec Libération pose davantage question. Outre-quiévrain, à le suivre, l'aventure est paradigmatique ; lue de France, celle-ci ne semble pas aussi fondatrice pour l'objet du colloque, sinon à déchiffrer dans ces tentatives de presse radicale une propédeutique pour un journalisme professionnel (cf. sur ce point Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rotschild, Paris, Raison d'Agir, 2005, également chroniqué sur notre site). La presse radicale serait ainsi une expérience formatrice parce qu'une antichambre du professionnalisme.
Ici réside sans doute l'une des limites de ces contributions prises sous le double feu d'une histoire du mouvement ouvrier et d'une histoire culturelle et économique de la presse encore balbutiante. La presse radicale est-elle une entreprise de presse analysable suivant les méthodologies en vigueur ? Si la thèse d'Alexandre Courban, consacrée à L'Humanité (L'Humanité, Histoire politique, sociale et culturelle d'un journal du mouvement ouvrier français, 2005), illustre toutes les vertus de cette problématique, son application à d'autres feuilles, moins pérennes, sacrifie l'effervescence et les desseins militants sur l'autel d'une rationalité fondée sur la professionnalisation de la presse. Derechef, ces feuilles ne sont plus objets d'histoire, mais signes d'une culture politique, signes également d'un échec à construire dans la durée. Le sel de ces expériences s'estompe alors doublement puisque, situées dans l'horizon des cultures politiques, elles ne sauraient dire autre chose que le simple ressassement topographique d'un ethos politique déjà donné, déjà là au prix de l'oubli de l'instant et de ses nécessités (politique, révolutionnaire…). Puisque également, l'analyse ne prend jamais au mot l'esprit de ces entreprises et la croyance en une presse qui, plus qu'un maillon du politique, serait aussi un ferment des luttes. Soit la croyance naïve et héritée du XIX e siècle quand l'écrit était nécessairement émancipateur et représentatif. Pourtant, la dimension utopique n'est jamais absente de la presse radicale.