Au sortir de Tours, une identité reconstructrice pour structurer la SFIO
L’issue du Congrès de Tours est connue, la naissance du Parti communiste longuement commentée. A contrario, finalement peu de chercheurs se sont penchés sur les modalités de continuation de la SFIO, la plupart se contentant de reprendre l’antienne du discours de Léon Blum à Tours sur la « vieille maison ». Pourtant se joue dans les séances des 30 et 31 décembre 1920 la redéfinition des bases identitaires du socialisme français après deux secousses majeures, la guerre, la scission1. Porté par Paul Faure et Jean Longuet, le débat est clair : il faut maintenir le parti continué à gauche sans céder aux sirènes du participationnisme, de l‘intégration à la République voulue par les courants de droite de la SFIO. Cette volonté refondatrice se situe autour de ce champ d’expérience qu’est l’unité « à gauche » de 1905, créent une mémoire de l’unité spécifique au Parti socialiste, propose comme stratégie la refondation de l’unité de tout le mouvement socialiste en tenant compte des leçons de la guerre [Louise Saumonneau demeure au Parti, Le Populaire]. En somme, l’identité reconstruite de la SFIO du 31 décembre 1920 est une identité « reconstructrice » traduite dans la composition des organes dirigeants élus. La prééminence des membres du Comité de reconstruction se retrouve dans la composition de la Commission Administrative Permanente (CAP) puisque 15 anciens « reconstructeurs » s’y retrouvent pour 9 résistants (4 de la nuance Léon Blum, 5 de la nuance Pierre Renaudel2. La mémoire de l’unité constitue le fondement principal de l’accord passé entre des fractions opposées violemment les mois précédents. Dans ce cadre, la guerre disparaît, les conflits entre majoritaires et minoritaires sont tus pour maintenir une organisation commune. Cependant, si le clivage de la guerre est tu au niveau national, il renaît sur le plan de l’International, les reconstructeurs, autour de Jean Longuet, de Paul Faure, mezzo voce, souhaitent la création d’une nouvelle Internationale capable de tirer les leçons de la guerre en dénonçant les politiques d’Union sacrée, participent de fait à la création de l’UPSAI (l’Union des Partis Socialistes pour l’Action Internationale3), dont le choix est de créer un centre capable de refaire l’unité des socialistes, des reliquats de la Deuxième Internationale à la Troisième Internationale [Paul Faure, La conférence de Vienne, l'Avenir]. La correspondance de ce choix au niveau national est le refus de se laisser entraîner dans une coalition républicaine opposé au Bloc national, considérée comme une déviation à droite [Jean Longuet, Pas de déviation à droite, Le Populaire, 5 mars 1921]. Cela passe par un soutien aux candidatures communistes quand cela est nécessaire. [Jean Longuet, Marty candidat de la tradition républicaine]. L’échec de l'UPSAI aboutit à la création de l’Internationale Ouvrière et Socialiste en mai 1923 à Hambourg par fusion de la Deuxième Internationale et de l’IOS. Cet échec renvoie les tenants de l’identité reconstructrice à une impasse stratégique et les oblige à se concentrer sur la scène nationale, face à une majorité d’Union nationale au Parlement contre laquelle se structure une alliance à gauche, des radicaux aux républicains socialistes lesquels font des appels de pied aux socialistes pour rejoindre un Cartel, seul susceptible de battre la droite aux élections de 1924.
Un espace atrophié
La perspective des élections législatives de 1924 noue un débat important au sein de la SFIO sur la manière dont le Parti doit se présenter au scrutin. Celui-ci dure deux ans, voit la gauche « reconstructrice » disparaître tant les mots d’ordre d’unité sont caducs devant le refus communiste, devant la volonté de battre le Bloc national. La différence gauche/droite se joue sur un autre registre, l’intégration ou l’autonomie dans le système politique. En ce sens, le débat se jour principalement au sein des instances dirigeantes de la SFIO, Commission Administrative Permanente (CAP), Groupe Parlementaire socialiste. L’échéance de 1924 donne un débouché concret à la controverse socialiste. Le choix arrêté au Congrès de Marseille de 1924 est celui du « Cartel d’une minute » : l’alliance avec le reste de la gauche mais sans programme commun. Aussi, la CAP doit-elle statuer sur le cas de chaque département pour donner son aval aux propositions des fédérations : celles-ci recouvrent trois modalités, l’intégration sur des listes de Cartel (47 cas), l’alliance avec l’Union Socialiste Communiste (trois cas), l’autonomie (16 cas). Les deux derniers cas recouvrent les orientations d’autonomie de la gauche socialiste dans système politique Elles indiquent bien la difficulté pour la gauche socialiste à peser sur les élections afin d’imposer sa pratique, son peu d’influence sur la conjoncture. Espérée, annoncée, la victoire du Cartel des gauches envoie 104 députés au groupe socialiste à la Chambre [Paul Faure, le sens des élections françaises, Le Populaire, 21 mai 1924]. Les socialistes décident à la quasi-unanimité le soutien sans participation ce qui implique le vote du budget. L’alliance électorale se distend en 1925, se défait définitivement au tournant 1925-1926 mais la séquence voit une offensive de la droite socialiste, revendiquant la participation au pouvoir pour « réaliser ». Pour cela, elle préconise une nouvelle organisation du parti à laquelle s'oppose la gauche socialiste [Conseil national. Réorganisation administrative du parti, Le Populaire, 6 novembre 1925]. L’identité reconstructive disparaît définitivement à ce moment comme support de définition de la gauche socialiste.
Courants et majorité : 1926-1933
La disparition de l’identité reconstructrice nécessite réaménagements tant au niveau de l’organisation que de la recherche d’un nouveau discours. Alors renaissent les tendances organisées autour de publications, trois en deux ans dans l’espace de la gauche socialiste : l’Etincelle Socialiste, la Correspondance socialiste en 1926, la Bataille Socialiste en 19274. A côté de cette structuration en courants, le secrétariat construit sa propre légitimité dans sa lutte contre la droite. Quand sa pression se fait forte autour de la participation, l’alliance se noue entre la gauche et le secrétariat autour du maintien de l’autonomie socialiste : alors se crée un espace large. A contrario, lorsque l’intégration à la République ne signifie plus la disparition de la SFIO comme parti propre, les liens se distendent, la gauche se réduit aux dimensions des tendances4. Du milieu des années 1920 à la scission-exclusion des néo-socialistes en 1933, ce double mouvement structure l’espace de la gauche socialiste autour de la question du pouvoir, point principal de différenciation interne au socialisme unifié. Chronologiquement, cette petite tendance est la première à se construire. Son initiateur, Maurice Maurin annonce la création d’un nouvel organe de presse, l’Etincelle socialiste dans une lettre du 10 avril 1925. Ambitieux, ce programme de rassemblement des gauches échoue dans sa volonté de coordonner les oppositions au sein du Parti socialiste. En effet, des participations annoncées, seule celle de Jean Zyromski se confirme dans les numéros de l’Etincelle socialiste. Quelles explications donner à cet échec partiel ? Le personnage de Maurin, concepteur principal du journal suscitait la méfiance chez nombre de socialistes. Surtout, en ce printemps 1925, la nécessité d’un regroupement étroit ne semble pas s’imposer pour des militants de gauche. En ce printemps 1926, situé à gauche, un autre groupe se structure à partir d’une publication la Correspondance socialiste. De durée réduite, de mai à décembre 1926, la Correspondance socialiste se créé dans une conjoncture où l’identité fondée à Tours ne porte plus la sfio, où les propositions de Léon Blum dégagent un espace conceptuel d’unité du parti, où la droite socialiste conçoit son projet comme avenir pour le Parti socialiste. Face à ce triple défi, le secrétariat, des militants se reconnaissant à gauche choisissent d’affirmer leurs conceptions ancrées sur la tradition, l’autonomie dans la République. La Correspondance socialiste cesse sa publication à la fin de 1926 pour deux raisons : reparution du Populaire, éloignement du danger de la participation. Brève, l’existence de la Correspondance voit l’invention du patriotisme de parti instrument au service du secrétariat, outil d’exclusion, d’insertion de la SFIO [Paul Faure, Le patriotisme de parti, La Correspondance socialiste, 22 mai 1926]. La fin de la Correspondance ne laisse pas seule l’es sur l’espace de la gauche socialiste. Des partisans de la publication née en mai 1926 lancent à leur tour une tendance en décembre 1926-janvier 1927 : la Bataille socialiste [Déclaration. Ce que nous voulons, la Bataille socialiste, 10 juin 1927]. La novation de la tendance repose sur la distinction de deux plans d’insertion : le politique et le social. Le premier niveau reconnaît la place du socialisme dans la République, le second extériorise par la construction des organisations propres à la classe ouvrière, parti, associations, syndicats, coopératives. Après cette affirmation, à l’égale du parti, la tendance doit se définir par rapport aux radicaux, aux communistes. L’unité politique ouvrière sert de base à la définition des relations avec le Parti communiste. Si la politique de l’Internationale communiste, des bolcheviks est fermement condamnée, le socialisme doit continuer à manifester son esprit de classe pour faire disparaître « l’esprit de secte » dans le mouvement ouvrier. Cette orientation d’unité politique ouvrière condamne la stratégie communiste afin de ne pas donner prise à de nouvelles scissions. Mais le problème le plus important pour la gauche socialiste est la contrainte des propositions sans cesse renouvelées de participation au gouvernement de 1929 à 1933. La lutte entre droite et gauche se déroule sur deux plans. Le premier est lié au renouvellement de crises internes dues à la répétition de demande de participation en provenance des radicaux [Paul Faure, Glissement à droite, le Populaire, 7 janvier 1928]. La plupart des Conseils nationaux, des congrès sont consacrés à ce problème, jamais réglé tant la pression extérieure ou interne de la droite socialiste est forte. L’autre conséquence du conflit est la modification de l’espace à gauche de la SFIO avec l’alliance étroite contractée entre le secrétariat et la Bataille socialiste5. Cette alliance se joue dans la réaffirmation de la tradition socialiste en particulier du guesdisme [Liste des participants effectifs et excusés à la première réunion des Amis de la Société Jules Guesde tenue le 22 juin 1933]. L’affrontement se conclut par l’exclusion d’une fraction des députés néos-socialistes, selon un processus étalé du printemps à l’automne 1933.