Présentation
Figure du combat minoritaire, féministe de premier plan dans le mouvement socialiste, Louise Saumoneau refuse de s'inscrire dans le nouveau Parti communiste. Cette recrue témoigne du maintien dans la SFIO d'un certain nombre de socialistes attachés à la Révolution mais surtout à l'unité du parti. Cela renvoie à une des modalités de reconstruction du socialisme, la mémoire de l'unité comme base identitaire.La scission devient un accident, une simple séparation que le futur annihilera pour redonner vie au passé de la France socialiste. La mémoire de l'unité structure ce passé socialiste, élément central de l'identité reconstructrice de la sfio. Cette thèse est celle de Jean Longuet dans un discours de novembre 1920 qui tente de démontrer le destin des deux fractions séparées du socialisme l'une allant vers le ministérialisme l'autre vers l'anarchie et la violence; seule l'unité peut empêcher cette double dérive emmenant vers des rivages étrangers au socialisme1. L'unité est le bien à préserver dans le respect de la légalité, de la morale socialiste. Le petit-fils de Karl Marx refuse les dispositions des conditions de l’adhésion à l’Internationale Communiste connues au fur et à mesure, dimension présente dans l'article de Louise Saumonneau2. Cette thématique unitaire est celle des reconstructeurs : il faut maintenir le cadre de 1905 pour ne pas faire le jeu de la bourgeoisie, pour éviter le dépérissement des factions socialistes. Une seule condition est mise à cette unité : la liberté de discussion. La guerre n’est plus élément décisif de différenciation interne. Les dissensions nées du premier conflit mondial sont liées au passé socialiste, elles ne sont pas source de novation pour la pratique socialiste.
Lors du congrès de Tours, les orateurs « reconstructeurs de droite », Jean Longuet, Paul Faure, convoquent le passé pour signifier le refus du diktat de Moscou, le refus de penser le présent comme totalement nouveau, configuré par le premier conflit mondial. L'unité construit un pont entre l'avant et l'après 1914, elle postule les combats internes aux socialistes comme possibles, l'affrontement droite/gauche acceptable dans cette chronologie niant 1914/1918. Affirmée, voulue, l'unité est celle des années 1918/1920 basée sur la politique minoritaire reposant sur deux conceptions de l'internationalisme
- l'opposition à la guerre réinsérant le présent dans l'identité reconstructrice.
- la revendication de l'Internationale d'avant 1914.
Document
« Au camarade Paul Faure. Secrétaire du parti socialiste (S.F.I.O.). »
Mon cher camarade,
Du jour où j’ai connu et examiné les conditions meurtrières que Moscou imposait à notre Parti, j’ai entrevu les possibilités d’une scission, de ce jour-là j’ai pris la ferme détermination de ne pas adhérer au parti de la proscription et des « épurations périodiques ». Les inquisiteurs auront toujours assez de besogne, n’est-il pas vrai ?
Réduite à l’inaction depuis plus de deux mois alors que se déroulaient les derniers événements qui ont amené le dénouement fatal, - dénouement dans lequel seul un petit nombre peut dire qu’il n’a aucune part de responsabilités « immédiates ou lointaines », - j’ai eu bien souvent l’idée d’abandonner définitivement la lutte, de me retirer sur mon « Olympe » de la montagne Sainte-Geneviève, pour y gémir sur les ruines de la Jérusalem Socialiste, si péniblement édifiée en 1905 et maintenant détruite, dans des conditions et à un moment tels que la raison reste confondue devant un crime aussi stupide. Tentation lâche évidemment, fortifiée et entretenue par un mauvais état de santé persistant, mais âprement combattue par la vision de ce grand mot impératif : Devoir ! qui s’inscrivait sur tous les objets m’environnant. Devoir ! C’est là, sans doute, pour les « laissés-pour-compte » de nos grands lycées, l’une de ces idées de « petit-bourgeois » comme honneur, dignité, morale, moralité, propreté… J’avoue humblement que je l’ai cependant puisée dans la lignée des serfs de la ville et des champs qui constitue mon arbre généalogique. Cette fois encore ce sentiment a triomphé des pensées débiles.
Je reste donc avec vous, cher camarade, avec tout mon passé, qui ne supporte aucun recul de pensée, ni d’action, apportant ainsi, je le crois, un « morceau d’unité socialiste » reconstituée à Tours, un complément nécessaire pour que toutes les tendances y soient représentées et puissent, comme par le passé, se heurter et même se combattre, sans se proscrire : pour que notre parti soit aussi tout à fait représentatif du « Socialisme de guerre », du « Réformisme », et de l’illusionnisme parlementaire. Il est vrai que, pour certains, ce ne sera qu’un otage de plus ; néanmoins, mon miroir ne m’a pas renvoyé mon image sous cette forme-là.
Les masses de « jeunes » que la guerre a amenés au Socialisme et dont les souffrances, les meurtrissures, les amertumes exploitées présentement d’une manière ignominieuse et indigne, semblent aujourd’hui aveuglées au point de ne plus distinguer ceux qui s’efforcèrent de mettre fin à leurs misères, de ceux qui mirent tout en œuvre pour les prolonger, dès que ces derniers ont reçu le baptême et la confirmation qui les fait parfaits Communistes. On doit s’efforcer de comprendre les âmes tourmentées de ces « Enfants du siècle » et ne point désespérer de les attirer à soi. Un jour viendra où, dégagés des vapeurs sanglantes dont ils ont été enveloppés durant de longues années et dont ils sont encore tout imprégnés, ils comprendront le respect de leur personne humaine et l’amour qu’ont pour eux ceux qui désirent les voir aller aux combats révolutionnaires en pleine conscience du but à atteindre et s’emploient à les en instruire ; ils percevront le mépris que professent à leur égard ceux qui veulent, au contraire, les fanatiser, voire même les militariser. Ils imposeront alors, comme certains d’entre nous le firent autrefois, la reconstitution de l’« Unité totale », faite de discipline et de tolérance.
Cordiales salutations.