Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes, Variations sur des thèmes d’Edward Elgar

  • Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes; Variations on Themes by Edward Elgar

Abstracts

Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes (1984) est un film du metteur en scène britannique Hugh Hudson, auteur des Chariots de feu (1981). Inspiré du Tarzan of the Apes (1912) d’Edgar Rice Burroughs, il montre l’éducation de l’enfant dans la jungle parmi les grands singes, sa transplantation chez son grand-père en Écosse en tant que John, comte de Greystoke, et son retour définitif dans la jungle. Film musical, il s’ouvre et se ferme par une “symphonie de la jungle” due au compositeur John Scott. Hudson s’ingénie à dresser des parallèles et des effets de miroir entre les mondes de la jungle et de la civilisation, associée musicalement au thème de marche caractéristique qui ouvre la Première Symphonie, op. 55 (1907) d’Edward Elgar, jamais mentionné au générique. Ce thème est constamment varié dans la symphonie et ces variations apparaissent à des moments-clés du film pour ponctuer l’évolution de John. Dans le contexte des années Thatcher, l’opposition entre le thème de John Scott et la musique d’Elgar permet à Hudson de dénoncer une société britannique corrompue, violente et engluée dans ses privilèges, à laquelle Elgar est associée, et d’accompagner le rejet progressif de Greystoke de la civilisation et son retour dans la jungle où il devient Tarzan.

Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes, a 1984 British film directed by Hugh Hudson, of Chariots of Fire fame (1981), recycles E. R. Burroughs’ 1912 Tarzan of the Apes. The film shows the boy’s jungle education among the Mangani apes, his uneasy transplantation to Scotland as John, Earl of Greystoke and his final return to the wild where one supposes he becomes Tarzan. A musical film whose score by John Scott opens with an “Overture” and closes with a musical epilogue, it uses fragments of Elgar’s Symphony n°1, surprisingly never mentioned in the credits, whose first movement’s funeral march motto, a symbol of imperial Britain, links all four movements. It appears under several guises in a series of variations at dramatic key points in the narrative and underlines the numerous parallels between the characters, images and situations in Africa and Scotland and sets up a “doppelganger discourse”, with a mirror as matching objective correlative. Elgar’s music thus links the jungle and Scottish scenes, and helps justify the hero’s return to Nature, red in tooth and claw, and his renunciation of civilisation and Imperial Britain as corrupt and evil.

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Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes (1984), est un film du metteur en scène britannique Hugh Hudson, auteur des Chariots de feu (1981), qui s’inspire librement du Tarzan of the Apes (1912) d’Edgar Rice Burroughs. Une longue première partie montre l’éducation de l’enfant dans la jungle parmi les grands singes Mangani après que sa mère nourricière Kala l’arrache à la hutte où sont morts sa mère biologique Alice et son père John, Lord Clayton, comte de Greystoke (Écosse), suite à leur naufrage sur les côtes d’Afrique de l’Ouest. À douze ans, l’enfant découvre son identité humaine au cours d’une visite à la hutte grâce à trois objets : un abécédaire qui lui montre sur les faces d’un cube un singe, Ape pour A et un garçon, B pour Boy, un miroir qui reflète son visage et un médaillon à fermoir contenant les portraits de ses parents. Il trouve le couteau de chasse de son père avec lequel, devenu adulte, il tue un des Pygmées meurtrier de sa mère Kala. Puis il tue White Eyes, le rival de Silverbeard, son père nourricier, et devient le chef des singes. Boy sauve ensuite l’explorateur belge Philippe d’Arnot, attaché à une expédition du British Museum. Blessé et abandonné par ses collègues après une attaque des Pygmées, d’Arnot découvre l’identité de John/Jean, fait son éducation, lui apprend à parler anglais et le persuade de partir pour l’Écosse retrouver sa vraie famille.

Dans la seconde partie, John, sous la houlette de d’Arnot, est transplanté à Greystoke où son grand-père, le prenant pour son fils, l’accueille avec joie, sous le nom de Johnny. Jane, la pupille américaine du grand père, lui apprend les bonnes manières et des éléments de culture classique avant qu’il ne devienne comte de Greystoke suite à la mort accidentelle du grand-père. Mais après la mort de Silverbeard, capturé et emmené à Londres, John se sent incapable d’accepter les règles de la société des humains et d’oublier l’éducation de la jungle, en dépit des leçons et de l’amour de Jane. Il décide de rentrer en Afrique au sein de sa famille Mangani, où l’on suppose qu’il devient le Tarzan de la légende, nom qui ne lui est jamais donné dans ce film.

Ce résumé donne l’impression d’un diptyque opposant deux mondes antithétiques, celui de la Nature, sauvage, sanguinaire et indomptable, « red in tooth and claw » selon Tennyson1, et la Civilisation, avec ses règles étouffantes et ses limites, comme pourrait l’indiquer le cube dont les faces opposent Ape et Boy. Dans un entretien paru dans The Hollywood Reporter Hudson avoue son intérêt pour cette dualité (Galloway 2016) mais en réalité son film montre les deux faces du même cube et la double nature de John/Jean. Dans un article du New York Times Hudson indique que son intention était de faire de John un rebelle dont le retour dans la jungle tient autant d’un choix délibéré que d’une nécessité absolue, illustrant l’éternel débat entre Nature et Culture « Nature and Nurture », l’inné et l’acquis et la difficulté de trouver en chacun de nous l’équilibre essentiel entre ces deux opposés (Nightingale 1983: 2, 17). On est loin de L’Enfant sauvage de François Truffaut (1970) où le jeune Victor, après s’être échappé pour un bref retour à sa vie de sauvageon, revient chez le docteur Itard qui a fait son éducation. Contrairement au roman, qui montre que les actions de Tarzan, White Boy dans le langage des singes, rejeton d’une race supérieure, sont déterminées par son hérédité d’aristocrate occidental, le film postule la primauté de son éducation dans le monde violent des singes. Aux règles complexes d’une société occidentale décrite comme absurde, handicapante et déshumanisée, John préfère les lois de la jungle. Aussi le film souligne les nombreux parallèles entre des personnages, des situations et des images qui tissent un contrepoint serré entre les scènes africaines et écossaises. Il en résulte un effet de doubles dont le corrélat objectif est ce miroir qui apprend à Boy sa nature d’homme, et j’aimerais d’abord en évoquer quelques aspects.

La musique joue rôle majeur dans le film avec 90 minutes de musique contre 40 minutes sans, dont l’essentiel est dû au compositeur et chef d’orchestre John Scott (1930-)2. Le film s’ouvre par un long plan fixe de 1 :36 de la forêt équatoriale luxuriante et verdoyante appelé « Ouverture » avant de montrer la société des singes, près de la Vallée de la Cataracte. Comme toute ouverture, elle présente le thème principal associé à la jungle, qui est repris et varié dans le film. Thème héroïque et lyrique, quasi straussien d’allure, où s’exprime l’héritage classique du compositeur, il revient avec les mêmes images de jungle pour le générique final. L’autre matériau musical du film est essentiellement emprunté au compositeur britannique Edward Elgar (1857-1934), notamment à sa Symphonie n°1 en La bémol majeur op. 55 (1908) dont les quatre mouvements varient le thème-devise caractéristique qui ouvre l’œuvre. Il apparait pendant le générique de début, rejeté après l’Ouverture et les premières scènes africaines. Curieusement, le nom d’Elgar n’apparait jamais aux génériques. Pourtant des extraits des différentes variations de sa symphonie illustrent des scènes importantes en Écosse comme en Afrique. Elles contribuent à lier ces scènes entre elles de même que les variations du thème-devise lient les quatre mouvements de la symphonie. La mémoire du spectateur est ainsi constamment sollicitée puisqu’aux variations visuelles des images et des situations s’ajoutent deux séries de variations musicales, procédé de composition qui entraine la transformation d’un élément sous différents aspects, mais toujours reconnaissable, que l’époque baroque qualifie de « double ». Je consacrerai ma seconde partie à ces doubles musicaux. Le thème et la musique d’Elgar ne constituent pas un fil conducteur du récit mais symbolisent un moment historique, celui d’une Angleterre edwardienne colonialiste et impérialiste, et ils véhiculent le rejet d’Hudson d’une société britannique sclérosée et arcboutée sur ses privilèges, critique qui s’adresse obliquement aux années Thatcher et ce sera l’objet de ma conclusion.

Effets de miroir et doubles

C’est grâce à un miroir que Boy découvre sa nature d’homme. « Miroir » est le premier mot que John apprend de d’Arnot avec le mot « rasoir » et c’est un miroir et un rasoir que d’Arnot laisse à John après leur retour à Greystoke, pour lui rappeler qu’il est un homme et pas un singe. C’est pourtant ses dons d’imitation, que d’Arnot découvre lorsque Boy ‘singe’ à la perfection son interprétation d’Auprès de ma blonde, qui permettent à John d’apprendre le langage articulé et d’acquérir un vocabulaire chaque jour plus étendu. Le film fait ici écho à la théorie darwinienne de la musique, qui aurait précédé ou occasionné l’apparition du langage, et à celle du rythme, « capacité mimétique par excellence » qui a permis, selon Merlin Donald, le passage de la culture « épisodique » des grands singes à une culture « mimétique » qui a précédé et favorisé l’apparition du langage et de la pensée conceptuelle (Donald in Sacks, 2009: 327-328).

Ce talent mimétique permet à Boy de maitriser le langage inarticulé des singes et leur gestuelle de communication. Il est mis à l’épreuve lorsqu’à Greystoke John apprend à danser le menuet et les figures complexes de la contredanse et imite à ravir les remarques dédaigneuses et l’accent d’ancien élève d’Eton de Sir Evelyn Blount, chef de l’expédition du British Museum, et de Lord Esker, aristocrate affolé des derniers modèles d’automobiles, aussi pompeux et prétentieux l’un que l’autre. Ses imitations des chants d’oiseaux fascinent Jane quand ses feulements de fauve effraient Sir Evelyn. Est-ce ce don qui persuade son grand-père de retrouver son fils dans son petit-fils, qu’il appelle Johnny ? Johnny n’est-il alors qu’une imitation du défunt comte de Greystoke et un être sans véritable identité ?

Le miroir offre de nombreuses images réfractées avec la répétition de scènes semblables ou contrastées. Ainsi, John et Alice Clayton s’embarquent pour une expédition en Afrique de l’Ouest qui finit par un naufrage, sans doute celui du Navire-état dû à l’incompétence du capitaine Billings, alors que l’expédition du British Museum sur la Julie Fisher se termine dans un bain de sang déclenché par le bien-nommé Major Downing3. S’il pêche avec ses mains dans la jungle, Johnny ne maîtrise pas l’art de la canne à pêche en Écosse, dont le fil s’entortille inextricablement. Il se laisse persuader de suivre d’Arnot en Écosse et quitte sa jungle dans la Vallée de la Cataracte, espace ouvert et liminal où il revient et se sépare de d’Arnot et Jane avant de s’enfoncer sous les feuillages de son enfance et de rejoindre sa tribu.

Au grand escalier du château de Greystoke4 qui avec les portraits de ses ancêtres constitue l’arbre généalogique de John, répond la forêt équatoriale et ses grands arbres, habitat naturel des Mangani, surtout lorsque l’escalier est décoré de feuillage pour Noël. À la hiérarchie de la société des singes, et à la lutte pour la suprématie des deux mâles Alpha, Silverbeard et White Eyes, répondent la hiérarchie des domestiques à Greystoke et les règles strictes de la société britannique dans laquelle Johnny est prié de s’insérer en acceptant le titre et les fonctions de comte de Greystoke au nom de la science et d’un devoir moral et social, celui de perpétuer sa lignée. À la jungle perpétuellement verte de l’Ouverture, sorte de locus amoenus édénique, répondent la première vision de Greystoke dans des gris et des cuivres d’automne, les rochers et le sable noir de la côte africaine, les arbres dégarnis et les statues gesticulantes de l’Albert Mémorial dans Hyde Park ; aux animaux de la jungle, singes, panthères, serpents et éléphants, les pièces exposées sous verre au National History Museum de Kensington, où languissent des singes en cage ou écorchés sur une table de dissection.

La violence de la jungle, dont Boy finit par triompher, est rappelée à Greystoke par le célèbre tableau de Stubbs, Cheval attaqué par un lion5, que Johnny découvre dans le grand escalier de Greystoke et par le fouet dont Lord Esker menace Willy, pauvre infirme vivant au domaine. Cette violence s’incarne dans le Major Downing à la gâchette facile. Avide de singes naturalisés, il meurt sous les flèches des Pygmées, selon une justice poétique qui doit beaucoup à Hugh Hudson. La même violence émane du comptoir de l’ivoire que découvrent John et d’Arnot en chemin vers l’Europe. Dominé par une chapelle d’où s’échappe un vague cantique, image d’une religion chrétienne imposée aux indigènes, le village, semblable à la description de Londres que fait William Blake dans son poème « London6 », est administré par des rebuts de la société britannique qui tyrannisent leurs sujets noirs à coups de chicotte, ce fouet en peau d’hippopotame dont Mario Vargas Llosa décrit les ravages dans Le Rêve du celte (2010)7. Ces tyranneaux insistent sur l’importance des bonnes manières et de la bienséance vestimentaire alors que dans leur domaine règnent la terreur et la torture, le braconnage, l’esclavage des enfants, la prostitution et la syphilis. L’Afrique est leur « Cœur des ténèbres » et les références au roman de Conrad, à qui l’adaptation de Francis Ford Coppola dans Apocalypse now (1979) venait de donner une nouvelle vie, sont patentes. L’expédition du British Museum, guidée par d’Arnot missionné par ses supérieurs belges, propriétaires du Congo, remonte une rivière en bateau à aubes, la Julie Fisher, avatar de la Nellie de Conrad, sous les menaces d’indigènes masqués parqués sur les berges. Au comptoir de l’ivoire flotte le fantôme du Kurz de Conrad, toujours impeccablement habillé, revers et avers de la même médaille, les horreurs que suscitent l’environnement colonial et l’esprit de lucre, qu’Hudson appelle « the Fatal Impact » (Nightingale 1983: 2, 17). John, qui apprend alors le mot « feu », provoque un incendie purificateur en sauvant d’Arnot des violences de ses tortionnaires britanniques. Vu l’imprégnation des Britanniques par Le Messie de Handel, les intentions polémiques d’Hudson et le personnage d’Éric Liddell, chrétien convaincu dans Les Chariots de feu, titre emprunté au Livre des Rois (II Rois 2:11 et 6:17), il est difficile de ne pas penser ici à l’air n° 6 de la Première partie de l’oratorio « Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? (Malachie 3 :2-3) » dont la section Prestissimo met en musique les mots « Car il sera comme le feu du fondeur8 », faisant de John un prophète ou un « pur », ce qui anticipe sur le dénouement.

Le miroir fournit plusieurs Doppelgänger. Au château, Johnny est nanti d’un double en la personne de Willy, pauvre infirme et débile mental à la démarche simiesque qui s’exprime par des grognements et qui s’attache à lui comme Droopy Ears, son camarade de jeux dans la forêt. Le parallèle entre humains et singes, « le singe sous l’homme et l’homme derrière le singe » (Nightingale 1983: 2, 17)9, est d’autant plus flagrant que ces derniers ont des noms mentionnés au générique et que leurs rôles sont tenus par des acteurs costumés et masqués dont les mains et les visages sont extraordinairement mobiles et imitent des expressions et des gestes humains. Le Grand-père Greystoke lorsqu’il meurt les yeux ouverts et le sang à la bouche, suite à sa glissade dans le grand escalier, ressemble étonnamment à la Mère Kala lorsqu’elle meurt sous les flèches des Pygmées ou à Silverbeard sous les balles de l’armée dans Hyde Park. Johnny retrouve alors les gestes et les cris de la forêt dans sa tentative de les réconforter et d’exprimer son chagrin ou lorsqu’il s’agit de manifester sa joie en dansant la gigue la veille de Noël. Sous l’humain demeure l’anthropoïde.

D’Arnot lui aussi se présente comme un double de Johnny. Explorateur Belge francophone parmi des Britanniques xénophobes et sanguinaires, son anglais approximatif et son accent sont constamment opposés aux cadences melliflues et à la rhétorique faussement suave de Sir Evelyn. Le rôle est tenu par Ian Holm qui dans les Chariots de feu de 1981 tient celui de Scipio Africanus, dit Sam Mussabini, affligé du même anglais que d’Arnot, l’entraineur arabe du Juif Harold Abrahams, victime d’antisémitisme à Cambridge, deux autres figures d’outsider10. Boy nourrit d’Arnot comme Kala l’a nourri et Philippe rase John avec le même soin que pour lui-même. Tous deux se languissent de leur mère et de la liberté que symbolise Auprès de ma blonde, vieille chanson française du règne de Louis XIV, Le Prisonnier de Hollande11, où le locuteur donnerait tout Versailles, Paris et St Denis pour retrouver le royaume de son père et sa mère. Dans la jungle John est le soutien de Philippe, qui le guide ensuite dans le monde de Greystoke. Dans sa quête d’un père de substitution, Johnny vole la chevalière de Philippe mais rejette ses encouragements à rester à Greystoke après la mort de Silverbeard. Si Johnny exprime son rejet de la société britannique par ses gestes ou ses attitudes, c’est d’Arnot, maître du mot, qui verbalise les raisons de son retour en Afrique, et se fait le porte-parole du metteur en scène dans sa dénonciation de cette société.

Variations sur des thèmes d’Elgar

Cette dénonciation passe en partie par l’utilisation de la musique d’Elgar, qui symbolise cette société victorienne et édouardienne colonialiste et violente, et les portraits de Victoria et d’Édouard apparaissent sur les murs du comptoir de l’ivoire. Dans Les Chariots de feu c’est la musique de Gilbert et Sullivan qui est attachée à cette société où le Juif Harold Abrahams peine à s’intégrer. Ici la musique d’Elgar est employée de manière non-diégétique mais toujours significative, à une exception près. Dans la jungle, sur son gramophone, le Major Downing joue le Liebesgruss ou Salut d’amour, op. 12, d’Elgar (1888) tout en chargeant ses fusils avant d’aller tirer du singe. Grand succès du compositeur, ce choix est ironique puisqu’Elgar offre la pièce à sa future femme pour leurs fiançailles et sa sentimentalité contraste avec les intentions de ce Nemrod prétentieux12. Par contre, c’est la Chanson de Matin, op. 15, n°2 (1899), autre succès d’Elgar, qui illustre de manière non-diégétique le cache-cache amoureux de Johnny et Jane dans le labyrinthe de Greystoke, autre écho de la jungle, pour un de leurs rares moments de bonheur.

Plus significatif me semble l’emprunt de la Marche n°4 en sol majeur (1907) noté Allegro marziale des Pomp and Circumstance Military Marches, op. 39 d’Elgar pour les scènes du National History Museum. À l’architecture massive du bâtiment vu en contre-plongée, qui évoque l’Allemagne néo-romane et conquérante du Kaiser Guillaume I, neveu de Victoria, et qui symbolise cette « science impériale », c’est-à-dire colonialiste, que d’Arnot reproche à Sir Evelyn, répond le thème solennel de la marche. Le titre d’Elgar pour sa série de marches, est emprunté à Othello, acte III, scène 3 :

Le coursier qui hennit, et la stridente trompette,
L’encourageant tambour, le fifre assourdissant,
La bannière royale, et toute la beauté,
L’orgueil, la pompe et l’attirail de la guerre glorieuse13 !

Il évoque ainsi cet esprit de conquête et le spectacle d’uniformes rutilants et de drapeaux flottant au vent de parade militaire que renforce la paraphrase d’un poème de John Warren, Lord de Tabley (1835-1895) « The March of Glory » qu’Elgar note sur la partition de la première marche en ré majeur (McVeagh 2007: 77), expression de l’ardeur belliciste et chauvine « à la Jingo14 » du compositeur qui se brise devant l’hécatombe des hommes et des chevaux des premiers jours de la guerre en septembre 1914 :

Comme une musique fière qui entraine les hommes à la mort
Dans une folie, à la pointe d’une lance, dans une extase guerrière,
Une mélodie qui remplit toutes leurs veines du paradis
Et leurs mains d’un fer15.

Comme la première marche, devenue le célèbre Land of Hope and Glory, qu’Hudson ne pouvait utiliser vu son immense popularité et sa présence lourde de sens dans la bande-son d’Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick, après une première partie qui évoque l’agitation fébrile de Londres ou l’esprit de conquête, la quatrième marche présente un trio avec un « big tune » lui aussi noté Nobilmente16, dont le thème chantant est associé à la déambulation des visiteurs parmi les vitrines du musée où reposent les spécimens rapportés par l’expédition du British Museum, image saisissante des cadavres dus au colonialisme, guidés par Sir Evelyn dont il est, avec d’Arnot, le seul survivant.

À ce thème Nobilmente fait écho celui du thème-devise de la Symphonie n°1 d’Elgar dont les retours au cours du film confèrent une dimension structurante et symbolique, celui d’incarner Greystoke. Il est cité six fois contre huit pour le thème héroïque de John Scott qui ouvre et ferme le film, affirmant ainsi quantitativement sa supériorité sur celui d’Elgar. Voici comment Hudson l’utilise. (1) Le domaine de Greystoke apparait pour la première fois pendant le générique de début alors que le cor héroïque de Scott, qui se révèle celui de Boy, laisse place aux roulements de timbales et aux cordes du thème-devise d’Elgar noté Andante Nobilmente e semplice, indication quasiment synonyme du compositeur (Elgar 1985: repère 1 à 3). Il accompagne la course éperdue du grand-père et du fils à travers le vaste domaine de Greystoke. Thème de marche solennelle, il illustre parfaitement ce que les anglais appellent « a stately home », une résidence seigneuriale majestueuse et imposante, dont les vastes écuries et la foule de ses domestiques indiquent l’ancienneté et la richesse.

(2) Le film emprunte les premières mesures du quatrième mouvement de la symphonie, Lento, qui commence avec un sinistre arpège ascendant de la clarinette basse dans son registre le plus grave avant une variation staccato du thème pour les bassons et le contrebasson (Elgar 1985: avant repère 111). C’est le moment où d’Arnot, dans l’espace liminaire entre jungle et civilisation qu’est la Vallée de la Cataracte17, essaie de convaincre John de rejoindre sa famille. Pour Hudson, d’Arnot joue ici le serpent du Jardin d’Eden (Nightingale 1983: 2, 17) puisqu’il révèle à John le logos, sa valeur et son pouvoir, et éveille sa curiosité comme ses doutes avec les mots « father, mother, family », entrainant sa Chute, ou du moins la perte de son innocence, signifiée ici par la cataracte et plus tard par son premier contact violent avec le monde des hommes blancs au comptoir de l’ivoire.

(3) Le thème-devise du premier mouvement revient fortissimo (Elgar 1985: repère 3 à 5) pour la scène de reconnaissance entre Johnny et son grand père, qui le salue comme un des siens. (4) Quand le grand-père montre à Johnny le vaste domaine dont il héritera un jour derrière le mur qui l’enserre, épisode qui varie le thème des tentations du Christ au désert (Matthieu, 4, 1-11), c’est la variation lyrique du thème-devise du quatrième mouvement, un grand canon cantabile aux accents d’apothéose qui accompagne ses propos : « Ne vends jamais. Préserve ton intégrité18 » (Elgar 1985: repère 129 à 134). (5) Lorsque le grand-père meurt sous le tableau de Stubbs après sa glissade sur un plateau d’argent dans le grand escalier, Hudson cite les premières mesures du troisième mouvement de la symphonie, Adagio, où le thème-devise revient dans une grande déploration (Elgar 1985: repères 13 à 15). (6) Il réapparait enfin, comme à la première fois, pour les funérailles du grand-père dont le cercueil est recouvert de l’Union Jack en l’honneur de ce vieux militaire.

L’utilisation de la musique d’Elgar comme symbolique de tout ce qui touche à l’Angleterre et à la société édouardienne tombe sous le sens : « Elgar, en vérité, est la voix de l’Angleterre elle-même19 » écrit en 1916 le musicologue et critique Ernest Newman (Grogan 2020: 209). Comme le précise David Cannadine, le nom d’Elgar est associé à la grandeur de la monarchie britannique et à l’Empire par une série d’œuvres écrites dans une période qui va de la fin du règne de Victoria au début du règne de Georges V. Sous l’impulsion d’Édouard VII, la couronne retrouve alors le lustre et le faste de ses cérémonies officielles après la longue éclipse due au veuvage de Victoria et à son refus de paraître en public alors qu’il devient vital de présenter le souverain dans tout l’éclat de sa puissance comme symbole de continuité et d’unité dans un monde en perpétuelle mutation au plan intérieur et extérieur (Cannadine 1983: 133). En intitulant son recueil de marches Pomp and Circumstance Elgar est véritablement en harmonie avec l’air du temps.

Le compositeur, dont la réputation est alors fondée sur des œuvres chorales commandées par les grands festivals de musique d’Angleterre (The Black Knight, Worcester, 1892 ; King Olaf, North Staffordshire Music Festival, 1896 ; The Light of Life, Worcester, 1896), écrit l’Imperial March, op. 32, pour le jubilée de diamant de Victoria (1897). Le succès international de ses Variations Enigma (1899) et du Dream of Gerontius (1900) lui valent la commande d’un hymne pour le sacre d’Édouard VII prévu en juin 190220, mais aussi d’une œuvre profane qui serait jouée la veille du couronnement, Coronation Ode, op. 44. Selon les vœux du roi, elle incorporera la mélodie du trio de la Marche n°1 des Pomp and Circumstance qui enthousiasme le monarque à sa création en novembre 1901 et qui devient alors le célèbre Land of Hope and Glory avec des paroles dues à A. C. Benson, fils de l’archevêque de Cantorbéry. Véritable hymne à l’expansion de l’Empire21, avec des échos du Rule Britannia et du God Save the King, contemporain de la deuxième guerre des Boers (1899-1902)22, à laquelle nous renvoie l’uniforme du grand père le soir de Noël, il fait à présent partie du final traditionnel de la Dernière Nuit des Proms :

Terre d’espoir et de gloire,
Mère des hommes libres,
Comment allons-nous te rendre hommage
Nous qui sommes tes enfants?
Plus loin et toujours plus loin
Tes frontières seront établies.
Que Dieu, dont tu tires ta puissance,
Te rende plus puissante encore !

Elgar est fait chevalier en 1904 et en 1911 le compositeur dédie sa Symphonie n°2, op. 63, conçue en 1910 en hommage au roi, à la mémoire du défunt Édouard VII, dédicace acceptée par son fils Georges V. Le compositeur est alors directement associé à la monarchie. Sa Coronation Ode est reprise en 1911 pour le sacre de Georges V, pour lequel Elgar compose la Coronation March, op. 65. En 1912, le compositeur célèbre l’anniversaire du sacre du roi Georges comme « Emperor of India » au cours du darbâr de Dehli en 1911 avec un ‘masque’, spectacle musical proche du ballet de cour jacobéen, intitulé The Crown of India, op. 6623. En 1923 Elgar devient Master of the King’s Musick, titre honorifique créé en 1626 par Charles I, équivalent de celui de « Poet Laureate », poète officiel du monarque. En juillet 1924, avec son recueil de mélodies intitulé Pageant of Empire, il participe au grand spectacle du même nom donné dans le stade de Wembley, nommé à l’époque Empire Stadium, à l’occasion de l’Exposition de l’Empire Britannique. En juin 1931, il est élevé à la dignité héréditaire de premier baronnet Elgar de Broadheath, dignité créée en 1929 par le roi Georges V, et devient le premier compositeur britannique à recevoir une telle distinction, ce qui fait de lui, avec l’Ordre du Mérite et l’Ordre Royal de Victoria, un des compositeurs les plus décorés du royaume.

Pour Michael Kennedy, il y a un lien direct entre le trio de la Marche n°1 et le thème-devise de la symphonie (Kennedy 2004: 81). Le thème était cher à Elgar puisqu’il le cite dans son ode chorale de 1912, The Music Makers, qui célèbre les poètes et les musiciens comme forces vives des nations et des empires (Elgar 2003 : repères 78-82). À l’origine, la symphonie, dont le thème est esquissé à l’ombre des tombeaux de la Via Appia Antica (Elgar 1985: iv) est conçue comme un hommage au général Gordon, catholique comme lui, « héros » de Khartoum dont la mort tragique au Soudan en 1885 suscite colère et indignation chez les Britanniques. Il fait partie des idoles victoriennes que Lytton Strachey (1880-1932), membre du groupe de Bloomsbury et pacifiste convaincu, se plait à déboulonner dans Eminent Victorians (1918)24. Elgar l’admirait pour son courage et sa piété mais finalement supprime cette référence. « Il n’y a pas de programme, si ce n’est une vaste expérience de la vie humaine avec une grande charité (l’amour) et un immense espoir dans l’avenir25 » écrit-il à son collègue Walford Davies après la première en novembre 1908 (McVeagh 2007: 120), tout en conservant la référence oblique à l’hymne du Jeudi Saint « Où règnent la charité et l’amour, là est Dieu26 » qu’inspire la première épitre de St Paul aux Corinthiens (1 Co13, 1) : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain qui résonne, une cymbale qui retentit27 ». Pour Elgar « Le thème d’ouverture est censé être simple, et, intentionnellement, noble et exaltant…comme un appel idéal — je veux dire persuasif, mais pas coercitif ou impératif — et quelque chose au-dessus du quotidien et du sordide28 » (McVeagh 2007: 121). Pourtant, avec son caractère dépressif, sa triple chute de quinte et le mystérieux roulement de timbales qui l’introduit, le thème semble plus nostalgique que triomphal et la symphonie dans son ensemble paraît inquiète, sombre et désabusée comme Elgar l’écrit plus tard : « Composée sous le poids d’une vaste expérience de la vie, elle est censée inclure les phases innombrables de joie et de deuil, de luttes et de victoires et surtout, celles entre la vie idéale et la vie réelle (Grogan 2020: 208)29 » Un long Requiem en somme.

« Préserve ton intégrité »

Le spectateur anglophone éduqué identifiera sans problème ces emprunts à Elgar, d’où peut-être l’absence, assez curieuse en vérité, de son nom au générique puisque ses œuvre sont dans le domaine public. Il relèvera les différentes apparitions du thème-devise et de ses variations et, se rappelant qu’Elgar est l’auteur des Variations Enigma, y cherchera un sens. Tous reconnaitront son caractère profondément anglais qui l’associe à des films qui évoquent l’époque édouardienne ou celle d’avant 1914, ce moment clé de l’histoire des Britanniques sur lequel ils ne cessent de revenir, comme les adaptations d’E. M. Forster ou d’Henry James par Merchant et Ivory qui regardent le passé d’un œil critique et invitent à le porter sur le présent. Ces films en costume ont été injustement accusés de stimuler la nostalgie du public pour un Âge d’Or britannique qui n’a peut-être jamais existé de manière à occulter les horreurs du présent comme celle du siècle passé, le carnage de la Grande Guerre, les atrocités du deuxième conflit mondial et de la décolonisation, tout cela dans le contexte d’une Grande Bretagne soumise aux excès de la révolution thatchérienne, de la destruction du Welfare State, du néo-libéralisme triomphant, de l’argent facile, de la mondialisation et de la revanche des Conservateurs (Higson 2006 : 99-109). Il n’y a pas de nostalgie ici. L’épisode du comptoir de l’ivoire, où se réfugie l’incompétent capitaine Billings, se lit comme une dénonciation des dérives du néo-libéralisme dont les agents prônent les valeurs traditionnelles de la grande bourgeoisie chères à Mrs Thatcher, aux convictions méthodistes et conservatrices, tout en pratiquant un brigandage éhonté. Le « Never sell » du Grand-père Greystoke semble s’opposer au credo thatchérien de privatisation des entreprises publiques nationalisées par le gouvernement travailliste d’Attlee en 1945-1948 au nom de la productivité et de la profitabilité, entrainant l’augmentation sensible du chômage. Si dans les références à l’Empire on peut voir ce qu’on a considéré comme le moment de triomphe impérial de la Dame de Fer avec la victoire des Britanniques dans les Malouines (The Falklands War, 1982), le « Keep them out and keep us in » du Grand-Père se fait l’écho des craintes de Thatcher de voir le pays submergé par des gens d’une culture différente en 1979. Elles mènent à l’adoption du British Nationality Act 1981 qui limite drastiquement l’entrée en Grande Bretagne des habitants du Commonwealth et la définition de citoyen Britannique aux natifs du royaume, et interdit l’acquisition du droit de résidence aux non-britanniques. Le film dresse le portrait d’un monde qui se rue à sa perte, s’il faut en croire la première séquence à Greystoke, avec le thème d’Elgar comme marche funèbre prémonitoire.

Pourquoi Elgar alors, et pourquoi le bannir du générique ? Certes, en dehors de John Scott, aucun des compositeurs utilisés par Hudson n’est mentionné aux deux génériques. Mais que sont les quelques mesures du Menuet de Boccherini ou de la Sontag Polka d’Eugen d’Albert ou du mouvement « Mars » des Planètes de Gustav Holst en regard des citations signifiantes de la symphonie d’Elgar30 ? Dans le monde de son temps, cet autodidacte, wagnérien formé loin des conservatoires londoniens et pétri de musique du Continent, donne l’image d’un mouton noir. Fils d’un commerçant et fervent catholique dans une société qui n’a guère de considération pour ces saltimbanques que sont les musiciens et méprise les boutiquiers, c’est grâce à sa femme, fille d’un major-général de l’armée des Indes qui commet ainsi une double mésalliance, qu’il devient un parfait gentleman et qu’il adopte les valeurs de l’Establishment, tout en conservant un grand scepticisme à leur égard. Elgar symboliserait alors les compromissions que rejettent et Johnny et Hudson lui-même dans sa révolte contre son milieu social de naissance : « Ces gens du monde de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, je les connais très bien. Mes parents étaient des propriétaires terriens. J’ai fait mes études à Eton [l’école privée très huppée]. Mais je l’ai détestée. J’étais un rebelle au sein de ma famille. C’est juste que je n’aimais pas ces élites. Autrefois, j’ai travaillé pour le Parti travailliste (Galloway 2016)31 ».

Le thème-devise d’Elgar, source des variations, constitue alors l’ADN de cette société aristocratique fondée sur le privilège, l’hérédité et leur cascade de mépris que le film se plait à caricaturer. Le domaine de Greystoke, nom mis en avant dans le titre du film, représente un microcosme de la société britannique, avec ses hiérarchies et ses codes sociaux, à l’abri de l’énorme mur « qui les maintient à l’extérieur et nous protège à l’intérieur32 » comme dit le Grand-père à Johnny, en écho inversé au « Them and us, eux et nous » de Richard Hoggart dans The Uses of Literacy (1957). Avec le Grand-père qui retombe en enfance et glisse dans l’escalier sur un plateau d’argent le soir de Noël, avec Lord Esker, Sir Evelyn ou le Major Downing, les aristocrates sont décrits comme des irresponsables dont l’équivalent crapuleux est incarné par les colons du comptoir de l’ivoire, citoyens d’un Empire que rappelle Dean, le domestique Sikh attaché au grand-père comme Mohammed Abdul Karim le fut à Victoria, Impératrice des Indes. Le château de Greystoke, simulacre crénelé de forteresse médiévale, est régi par des protocoles que Johnny peut imiter sans les maîtriser, comme les figures du menuet ou de la contredanse, symboles de la cohésion d’un corps social auquel il est étranger. Greystoke, c’est aussi l’image d’un patrimoine héréditaire, d’une dynastie et d’une famille que Johnny n’a jamais vue qu’en peinture, dans le tableau de sa mère à Greystoke ou dans le médaillon à fermoir, « a locket», où ils resteront à jamais enfermés et où il ne pourra pas pénétrer « locked out », comme dans le tableau de l’artiste américaine Anna Lea Merrit (1844-1930) Love Locked Out de 189033. Mais d’autre part la leçon du Grand-père à Johnny c’est « Préserve ton intégrité », renforcée par ce « Never sell » si proche de « sell out, vendre son âme au diable, trahir ses principes ». Pour Johnny, pour demeurer intègre et pur, comme l’annonce l’incendie du comptoir de l’ivoire et à l’image d’Éric Liddell qui dans Les Chariots de feu reste ferme dans ses convictions34, pas question de « rester assis sur le mur », c’est-à-dire entre deux chaises, et de renoncer, sinon au prix d’une grande chute, comme Humpty Dumpty dans la comptine :

Humpty Dumpty était assis sur un mur.
Humpty Dumpty fit une grande chute.
Tous les chevaux du Roi, ni tous ses hommes
Ne purent jamais recoller les morceaux d’Humpty Dumpty35.

Pour conserver son intégrité et (re)trouver son identité, Johnny doit retourner dans sa jungle auprès des Manganis. C’est le dernier message musical du film quand, en opposition aux fragments de la symphonie d’Elgar, il déploie dans toute sa splendeur le thème de la jungle de John Scott, triomphant, amplifié et magnifié, depuis la dernière scène dans la Vallée de la Cataracte jusqu’à la fin du générique. Et c’est ce thème, plus que les fragments d’Elgar que le spectateur gardera en mémoire.

Bibliography

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Sked, Alan & Cook, Chris (1993). Post-War Britain: A Political History, 1945–1992. Harmondsworth: Penguin.

Notes

1 « Tho’ Nature, red in tooth and claw, aux crocs et griffes ensanglantés ». Alfred, Lord Tennyson, In Memoriam A. H. H., Canto LVI. Tennyson, Poems and Plays, T. Herbert Warren & Frederik Page (eds.), O. U. P., Oxford Paperbacks, 1971, p. 243. Return to text

2 La bande originale du film enregistrée par John Scott avec le Royal Philarmonic Orchestra fait l’objet d’un LP Warner Bros. Records, 25120-1. Return to text

3 Littéralement « celui qui abat ». Return to text

4 Celui de Hatfield House, le palais de Robert Cecil, premier comte de Salisbury et ministre de Jacques I, où résida Elisabeth I. Return to text

5 https://fr.wikipedia.org/wiki/Cheval_attaqu%C3%A9_par_un_lion#/media/Fichier:George_Stubbs_-_Horse_Attacked_by_a_Lion_(Episode_C)_-_Google_Art_Project.jpg. Consulté le 13/07/2023. Return to text

6 « I wander thro' each charter’d street, / Near where the charter’d Thames does flow. / And mark in every face I meet / Marks of weakness, marks of woe. // In every cry of every Man, / In every Infants cry of fear, / In every voice: in every ban, / The mind-forg’d manacles I hear ». William Blake, « London », Songs of Innocence and of Experience, Showing the Two Contrary States of the Human Soul (1794), with an introduction and commentary by Geoffrey Keynes, Oxford, O.U.P., 1970, p. 150. Return to text

7 Le roman met en scène le diplomate Anglo-Irlandais Roger Casement, auteur en 1904 d’un rapport accablant sur les atrocités commises par les autorités coloniales belges dans l’État indépendant du Congo, propriété privée du roi Léopold II de Belgique, et fait intervenir Joseph Conrad parmi ses personnages. Return to text

8 « But who may abide the day of his coming? […] For He is like a refiner’s fire ». George Frideric Handel. Messiah, HWV 56 (1741). Partition chant et piano. New York: Schirmer, 1912, pp. 27-35. Return to text

9 Traductions de l’auteur sauf indication contraire. « It’s about the ape beneath the man and the man behind the ape ». Return to text

10 Le titre du film, Les Chariots de feu (Chariots of Fire) est emprunté à la Bible mais l’image du chariot de feu « Bring me my Chariot of fire ! » est présente dans le poème de William Blake, « And did those feet in ancient time » issu de la Préface à Milton (1804), qui parle du combat à mener pour établir la Nouvelle Jérusalem sur les terres vertes et plaisantes d’Angleterre. Le poème est plus connu sous le titre de Jerusalem après sa mise en musique en 1916 par le compositeur Hubert Parry (1848-1918). Adopté par les Suffragettes britanniques en 1917 puis les Women’s Institutes, il devient l’hymne de campagne du parti travailliste de Clement Attlee en 1945. Très populaire, Jerusalem fait partie des hymnes chantés par la foule à la fin de la Dernière Nuit des Proms et il est chanté au cours des funérailles à la fin du film. Return to text

11 Martin Denis-Constant, « ‘Auprès de ma blonde...’. Musique et identité ». Revue française de science politique, 2012/1 (Vol. 62), p. 21-43. Return to text

12 La variation IX (Adagio) des Variations Enigma d’Elgar, op. 36, est dédiée à son ami Augustus Jaeger, surnommé Nemrod. Return to text

13 Mes italiques. Traduction de François-Victor Hugo. « La tragédie d’Othello, le More de Venise », Œuvres complètes de Shakespeare, Tome V, Paris, Pagnerre, 1868, p. 320. « The neighing steed and the shrill trump / The spirit-stirring drum, the ear-piercing fife, / The Royal banner and all quality, / Pride, Pomp and Circumstance of glorious war!  » Return to text

14 « Jingo », désigne les partisans de l’intervention militaire britannique en Turquie pour arrêter l’avance russe en 1878 et dérive des paroles d'une chanson de music-hall exprimant l'enthousiasme des bellicistes s'écriant « By Jingo ! ». Return to text

15 « Like a proud music that draws men on to die / Madly upon the spears in martial ecstasy, / A measure that sets heaven in all their veins / And iron in their hands. » (Maine 1933: 196). Return to text

16 À ce thème solennel, on joint aussi des paroles et pour éviter Land of Hope and Glory, devenu peu politiquement correct après deux guerres mondiales et la décolonisation. Le trio de la Marche n°4 est utilisé pour la procession de sortie de St Paul des époux Charles et Diana en 1981 et pour celle du sacre de Charles III et Camilla en 2023. Return to text

17 « The Edge of the World » dans l’enregistrement de la bande-son. Return to text

18 « Never sell. Keep yourself whole » Return to text

19 « Elgar, in truth, is the very voice of England ». Return to text

20 Due à l’appendicite royale, le sacre d’Édouard VII est repoussé au mois d’août 1902 et l’ode est créée à Londres en juin 1903. Return to text

21 « Land of hope and glory, / Mother of the free, / How shall we extol thee, / Who are born of thee? / Wider still and wider / Shall thy bounds be set. / God, who made thee mighty, / Make thee mightier yet ! » Return to text

22 À l’issue de celle-ci, l’État libre d’Orange et la République sud-africaine du Transvaal d’origine néerlandaise sont intégrées à l’Empire britannique. Return to text

23 Le titre d’Impératrice des Indes est créé par Disraeli pour la reine Victoria en 1877. Return to text

24 Le tableau de George William Joy, General Gordon’s Last Stand (1893, Leeds City Art Gallery) célèbre le général Charles George Gordon (1835-1885), surnommé « Chinese Gordon » ou « Gordon de Khartoum », dont la mort tragique aux mains du Mahdi à Khartoum devient celle d’un héros chrétien mort en martyr aux mains de fanatiques musulmans dans la presse britannique de l’époque. Lytton Strachey en fait un aventurier sans scrupules, acteur de guerres coloniales, égocentrique et traitre aux idéaux élevés d’amour et de compassion hérités de son éducation chrétienne. Return to text

25 « There is no programme beyond a wide experience of human life with a great charity (love) and a massive hope in the future ». Return to text

26 « Ubi caritas et amor, Deus ibi est ». Return to text

27 Traduction de Louis Segond (1910). Paris : Alliance Biblique Française. « If I speak in the tongues of men or of angels, but do not have love, I am only a resounding gong or a clanging cymbal. » Return to text

28 « The opening theme is intended to be simple &, in intention, noble & elevating ... the sort of ideal call – in the sense of persuasion, not coercion or command – & something above every day & sordid things ». Return to text

29 « Written out of a full life-experience and is meant to include the innumerable phases of joy and sorrow, struggle and conquest, and especially between the ideal and the actual life. » Return to text

30 Le site IMDb donne toutes les références de ces emprunts. https://www.imdb.com/title/tt0087365/soundtrack/. Return to text

Consulté le 17/07/2023.

31 « That kind of upper-middle-class or aristocratic world, I understand perfectly. My family were landowners. I went to Eton. But I hated it. I was a rebel to my family. I just didn’t like elitists. I used to work for the Labour Party » Hudson realise plusieurs films pour les campagnes du Parti Travailliste dont celui qu’on appelle Kinnock-The Movie de 1987. Hugh Hudson Obituary : Film director whose debut feature Chariots of Fire won four Oscars. Ryan Gilbey. The Guardian, 11 février 2023. Return to text

32 « that keeps them out and keeps us in ». Return to text

33 https://en.wikipedia.org/wiki/Anna_Lea_Merritt#/media/File:Anna_Lea_Merritt-Love_locked_out.jpg. Return to text

Consulté le 13/07/2023.

34 Le lien entre les deux films est renforcé par la présence des mêmes acteurs qui relève plus de l’intention délibérée d’Hudson que des caprices du casting. Return to text

35 « Humpty Dumpty sat on a wall. / Humpty Dumpty had a great fall. / All the king’s horses and all the king’s men / Could not put Humpty together again. » Return to text

References

Electronic reference

Gilles Couderc, « Greystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes, Variations sur des thèmes d’Edward Elgar », Textes et contextes [Online], 19-1 | 2024, 15 July 2024 and connection on 17 September 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4734

Author

Gilles Couderc

Maître de Conférences honoraire, Laboratoire ERIBIA, Équipe de recherche interdisciplinaire sur la Grande-Bretagne, l’Irlande et l’Amérique du nord, Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix – CS 14032, 14032 CAEN Cedex 5

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