Un tombeau en musique : souvenir et rituel de deuil dans la fiction britannique et irlandaise contemporaine

  • From Song to Tomb: Memory and Mourning Rituals in Contemporary British and Irish Fiction

Résumés

Le mythe d’Orphée offre un exemple paradigmatique des liens qui unissent les pouvoirs incantatoires de la musique et le désir (aporétique ?) de ranimer les ombres des morts dans le récit de deuil. Dans la lignée de ce mythe, plusieurs ouvrages de fiction britannique et irlandaise contemporaine comportent des scènes musicales qui semblent œuvrer à la fois à préserver le souvenir des défunts et à constituer un rituel funéraire pour accompagner le processus de deuil. La fin de la nouvelle « The Dead » dans Dubliners (1914) de James Joyce met en scène l’écoute d’une chanson qui mène à une profonde introspection. Dans Artful (2012), Ali Smith dissémine le texte d’une ballade funèbre pour rythmer le retour du fantôme mais aussi des souvenirs du·de la défunt·e, tout comme la musique d’Orphée lui restitue temporairement son Eurydice. Dans The Child in Time (1987) et The Gathering (2007), Ian McEwan et Anne Enright soulignent la valeur relationnelle de la performance musicale. L’élégie visant avant tout à « émouvoir » et à « se souvenir » (Maulpoix De l’élégie 2018, 65), deux caractéristiques qu’elle partage avec la musique, nous chercherons à explorer dans cet article la contribution ou non des scènes musicales au geste élégiaque et à la commémoration (ou mémoire partagée) des défunt·e·s.
Dans ces ouvrages, ce n’est pas seulement la pensée de la musique, mais plutôt la performance musicale concrète qui fait émerger la prosopopée, la voix des défunts. Alors que le temps du souvenir envahit la narration, la limite entre vivants et morts s’en trouve brouillée. Cet article se propose d’étudier comment l’irruption de la musique au sein du récit de la mémoire, en constituant un rituel de deuil, peut transformer le roman en un tombeau, au sens musical et monumental du terme.

The myth of Orpheus offers a paradigmatic example of the links between the incantatory powers of music and the (aporetic?) desire to revive the shadows of the dead in the narrative of mourning. In line with this myth, several works of contemporary British and Irish fiction feature musical scenes that seem to work both to preserve the memory of the deceased and to constitute a funerary ritual to accompany the mourning process. The end of the short story “The Dead” in James Joyce’s Dubliners (1914) stages the introspective potential of music-listening. In Artful (2012), Ali Smith scatters the text of a funeral ballad to punctuate the return of the ghost and the memories of the deceased, just as Orpheus' music temporarily restores his Eurydice. In The Child in Time (1987) and The Gathering (2007), Ian McEwan and Anne Enright emphasize the relational value of musical performance. As elegy aims above all to "move" and "remember" (Maulpoix De l'élégie 2018, 65), two characteristics it shares with music, this article seeks to explore the contribution or otherwise of musical scenes to the elegiac gesture and to the commemoration (or shared memory) of the deceased. In these works, it's not just the thought of music, but rather the concrete musical performance that brings out the prosopopoeia, the voice of the dead.
As the time of remembrance invades the narrative, the boundary between the living and the dead is blurred. This article examines how the irruption of music into the narrative of memory, by constituting a ritual of mourning, can transform the novel into a tomb, in the musical and monumental sense of the term.

Index

Mots-clés

Orphée, tombeau, élégie, deuil, rituel

Keywords

Orpheus, tomb, elegy, mourning, ritual

Plan

Texte

Dans le mythe d’Orphée, les talents artistiques du musicien-poète lui permettent de charmer le dieu des Enfers pour ramener à la vie sa défunte épouse Eurydice. En se retournant vers elle avant la fin de sa traversée vers le monde des vivants, Orphée rompt cependant son contrat funèbre et perd définitivement Eurydice. L’histoire d’Orphée suggère que la musique offre aux endeuillés la possibilité de ramener le passé dans le présent, de ranimer le souvenir des défunts, même fugacement. Alexander Stein écrit en effet dans son article « Music, Mourning, and Consolation » que, la musique étant un art temporel1 mais aussi psychologique (« a psychological-auditory event », 2004 : 800), l’écoute (ou l’exécution) d’un morceau de musique ou d’une chanson peut mettre la mémoire en mouvement tout en suscitant l’émotion : « [music-listening] can affectively evoke temporally distant events or reminiscences from the past » (2004 : 801). Néanmoins, le retournement d’Orphée, décrit par le poète et critique Jean-Michel Maulpoix comme un « travail de mémoire » (2005 : 69) et un signe de « mélancolie crépusculaire, tournée vers la remémoration du passé » (65), est aussi voué à l’échec, le condamnant à la perte irrémédiable d’Eurydice. En outre, le regard en arrière de l’endeuillé, son geste mémoriel prolongé, peut paralyser son existence et la figer dans le passé ; c’est ainsi que se manifeste la force paradoxale de la mémoire musicale dans le deuil.

Dans sa tentative de représenter à la fois le souvenir des défunt·e·s et le processus évolutif ou la stase mélancolique du deuil2, le récit fictionnel de deuil s’apparente à une élégie qui délaisserait la forme poétique pour se faire narrative (Ganteau 2021). Alexander Stein identifie des propriétés similaires dans la musique : « music can be understood as a symbolic expression of mental functioning that correlates roughly with the intrapsychic elements of the mourning process » (2004 : 791). La musique, talent notoire d’Orphée, cette figure mythologique du deuil, est d’ailleurs souvent une composante essentielle des rituels du deuil, permettant d’honorer la mémoire du défunt, notamment dans la culture irlandaise où la tradition de la veillée funèbre s’assortit de chants et célébrations. L’incursion musicale au sein du récit de deuil pourrait ainsi épouser ou au contraire interroger l’ambition rituelle de l’élégie traditionnelle, dont la visée consolatrice est soulignée par Sarah Henstra dans The Counter-Memorial Impulse in Twentieth-Century English Fiction : « these views of elegy as a curative, cathartic medium hinge on a reading of the genre as performative: like a funerary oration or eulogy, the elegy is meant to enact a ritual of mourning through which loss is contemplated, accepted, and eventually overcome » (2005 : 113)3. Il s’agit ici d’examiner la dimension rituelle de la musique dans plusieurs récits de deuil britanniques et irlandais, que l’on y perçoive un potentiel cathartique et libérateur ou au contraire une force mélancolique qui viendrait mettre le deuil en échec. Nous faisons pour cela appel à la métaphore du tombeau, tant artistique que monumental. En effet, « le tombeau [étant] à la fois un monument funéraire et une composition poétique ou musicale à la mémoire d’un artiste » (Laufer 2009 : 99), il allie mise en mémoire, hommage aux défunts et entreprise artistique. Si la musique, comme l’esprit de l’endeuillé, devient un tombeau, lieu de sépulture qui conserve et ensevelit la mémoire des défunts, ce tombeau risque d’enfermer l’esprit de l’endeuillé dans le même temps.

On retrouve dans la nouvelle « The Dead » de James Joyce (1914), les romans The Child in Time (Ian McEwan, 1987), The Gathering (Anne Enright, 2007) et Artful (Ali Smith, 2012) une poétique commune du deuil-tombeau qui honore la mémoire des défunts, tout en risquant de pétrifier les vivants pour réveiller les morts. Dans « The Dead », dernière nouvelle du recueil Dubliners, l’interprétation inopinée de la chanson « The Lass of Aughrim » transforme le récit d’une soirée mondaine en un moment d’introspection mélancolique lorsque le souvenir de Michael Furey, amant défunt de Gretta Conroy (épouse du protagoniste Gabriel Conroy) surgit de ces quelques notes de musique. Dans The Gathering, qui valut à Anne Enright le Man Booker Prize en 2007 et contient de nombreux échos assumés au texte de Joyce4, la narratrice Veronica conte le décès de son frère Liam et tente de se remémorer leur enfance trouble. Le récit culmine lors des scènes d’hommage au défunt, où l’interprétation de la chanson préférée de Liam, « Hard Times Come Again no More », semble faire surgir son fantôme. Dans The Child in Time, c’est cette fois l’interprétation musicale qui semble modifier le rapport de Julie Lewis à son passé douloureux, marqué par la disparition de sa fille Kate. Dans Artful, ouvrage hybride qui entremêle essai et fiction, le·la narrateur·rice fait le deuil de son·sa défunt·e conjoint·e5. L’ouvrage s’ouvre sur la première strophe d’une ballade anonyme, « The Unquiet Grave », dont le texte est disséminé au fil du premier chapitre et semble ranimer le fantôme à la fois indifférent et kleptomane du·de la défunt·e.

Au sein de ces ouvrages, la musique permet aux endeuillés de ranimer les ombres fantomatiques de celles et ceux qui ne sont plus, au lieu de se contenter de souvenirs à demi effacés. La tonalité élégiaque du récit vient effectivement colorer les scènes musicales et l’élan mémoriel qui s’en détache, menant parfois à un surgissement magique (ou imaginaire) des fantômes du passé. Cependant, ce retour du passé dans le présent risque également d’enfermer les endeuillés dans cet encombrant tombeau de la mémoire musicale. C’est enfin souvent la dimension collective et partagée du souvenir musical que les auteurs et autrices mettent en valeur, soulignant le lien entre musique, élégie et rituel de deuil.

Préserver la mémoire des défunt·e·s : le punctum auditif

Dans l’élégie, l’expression de la douleur est souvent indissociable de la mémoire endeuillée, comme le suggère Katharina Lempe dans Poetics of Loss : « the two states of memoria and lamentatio, the sweet memories interrupted by the bitter realization that they are now over, are inextricably linked in the elegy » (2015 : 23)1. La conscience aiguë de la perte vient alors teinter le souvenir d’une nuance mélancolique. Au sein de récits de deuil, l’épisode musical peut se parer de cette double dimension mémorielle et affective : « certain works qualify as mourning music […] simply for having been a favorite of a lost loved one, perhaps viewed as endearingly characteristic of him/her […] The piece of music becomes a keepsake or cherished memento » (Stein 2004 : 792). Dans The Gathering d’Anne Enright, les cérémonies qui accompagnent l’adieu à Liam sont ancrées dans la tradition rituelle irlandaise. Comme l’explique Bridget English, l’hommage au défunt pendant la veillée funèbre ne saurait se passer de musique : « the Irish wake portrayed in popular culture is a riotous affair dominated by whiskey consumption, poetic laments and music. […] [It] is useful in exhuming the past and forcing the living to confront painful memories » (2017 : 173 ; 175). Si dans The Gathering, la veillée funèbre est exempte de performances musicales, le rassemblement qui suit les funérailles comble ce manque lorsque la sœur de la narratrice Veronica, Kitty, rend hommage à Liam en interprétant sa chanson préférée (2007 : 247). Dans cette scène poignante, loin de la joyeuse exubérance de la veillée funèbre traditionnelle, la musique fait résonner le souvenir du défunt tout en catalysant l’émotion des endeuillé·e·s. Dans leur analyse conjointe des liens entre la musique populaire et la mémoire, Emily Keightley et Michael Pickering définissent l’art musical comme un équivalent auditif du punctum photographique, que Roland Barthes décrit dans son ouvrage La Chambre claire comme « ce qui me point, mais aussi me meurtrit, me poigne » (1980 : 49) suite à la mort de sa mère. Keightley et Pickering décrivent l’effet de la musique en ces termes : « the aural punctum, where music pierces, cuts through and penetrates in such a way as to be indistinct from the experience of it » (2006 : 156). L’interprétation de la chanson préférée du défunt provoque pour Veronica, dans The Gathering, une émotion aussi puissante qu’inattendue, venant puiser dans la force affective du souvenir enfoui : « of course. This stupid thing. I have to push hard against my eyelids, the tears are so sudden and sharp » (2007 : 247). La reconnaissance instantanée de l’air musical entonné témoigne de l’immédiateté du punctum, où la tendresse et l’amusement le disputent à la tristesse, le souvenir rendu poignant par la disparition du frère. L’interprétation de la chanson préférée de Liam fait ici office de tombeau, préservant la mémoire du défunt.

Dans la nouvelle « The Dead », l’interprétation inopinée de la chanson « The Lass of Aughrim » à la fin d’une soirée mondaine fait surgir le souvenir du défunt Michael Furey, ancien amant éperdu de Gretta Conroy. La mémoire involontaire ainsi active plonge la jeune femme dans une profonde méditation : « I am thinking about a person long ago who used to sing that song » (1996 [1914] : 250). L’utilisation du présent continu souligne la temporalité suspendue qu’introduit l’incursion d’un passé lointain (« long ago ») dans le présent. À chaque étape de son bref récit, Gretta utilise l’expression « used to », qui désigne l’habitude révolue (« a person I used to know », « he used to sing that song », « a young boy I used to know », 250), rappelant la mort du jeune homme. Là aussi, la chanson se fait punctum et provoque une émotion aussi soudaine que débordante : « an outburst of tears » (249). Cet épisode musical aux accents proustiens ranime le souvenir des liens passés entre le défunt et la jeune femme : « the impact of the song’s lyric intensity combined with its former wrenching associations leads Gretta to re-experience and, ultimately, to disclose a grief she has suppressed throughout her marriage to Gabriel » (Henigan 2007 : 145)6. Le contenu de la chanson, la mélodie et l’association mémorielle contribuent à former ce moment déchirant. Cette expérience rappelle effectivement des épisodes de la Recherche, dont la publication entre 1906 et 1922 fut contemporaine de celle de Dubliners. Proust y explore à plusieurs reprises l’ancrage sensoriel, ainsi que la charge émotionnelle, du souvenir7. Dans Un Amour de Swann, c’est l’écoute de la sonate de Vinteuil qui porte la force mnémonique et affective de la musique :

Tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu’à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d’amour qu’ils crurent revenu, s’étaient réveillés, et, à tire-d’aile, étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains du bonheur. (1974 [1919] : 344).

Les sentiments personnifiés dans l’écriture de Proust resurgissent des profondeurs d’un passé oblitéré pour réveiller des émotions éteintes8. En témoigne le contraste faisant du présent le douloureux négatif du souvenir heureux.

Dans tous ces exemples, les pouvoirs mnésiques de la performance musicale transpercent le présent pour y inscrire la hantise d’un passé inoubliable et rappeler la douleur contrastante de la perte. Le souvenir y est profondément intime, comme s’il restait incommunicable à autrui, retranché derrière l’expérience individuelle.

Faire surgir des fantômes : l’enfermement au tombeau ?

Si le punctum musical accentue parfois la béance de la perte et la douleur intime, la musique peut aussi être représentée au contraire comme un lien tissé entre passé et présent, instaurant un espace-temps liminal de surgissement magique des ombres. Il s’agit là d’une caractéristique de la musique mythologique d’Orphée, qui est « avant tout un carmen, un charme, c’est-à-dire une incantation aux pouvoirs magiques » (Dekens 2011 : 100). Elle œuvre ainsi à « remembre[r] ce qui s’est disjoint [et rappeler] ce qui s’est perdu » (Maulpoix 2005 : 67). Il arrive que le récit de deuil se positionne à la lisière du fantastique en faisant surgir les fantômes du passé dans le présent. Ce désordre temporel est d’ailleurs pour Bridget English l’apanage de la veillée funèbre : « the Irish wake is often associated with magic, with the idea that the dead might suddenly come to life » (2017 : 188). À la fin de la nouvelle « The Dead », Gabriel Conroy croit voir la figure du défunt Michael Furey surgir dans la pénombre : « in the partial darkness he imagined he saw the form of a young man » (1996 [1914] : 255), comme si l’épisode musical bouleversant lui avait donné accès aux souvenirs de Gretta en invoquant la silhouette indistincte du défunt (« the form of a young man »). La limite entre souvenir et imagination est d’ailleurs brouillée par cette appropriation du souvenir (« he imagined »).

On retrouve une réflexion similaire sur la force d’incarnation du souvenir dans la musique dès les premières pages d’Artful, où les strophes de la ballade funèbre « The Unquiet Grave » sont disséminées dans le premier chapitre, intitulé « On Time ». Ce texte anonyme, qui met en scène le dialogue entre un jeune homme éploré et son amante défunte, scande les étapes du retour du fantôme. Le fantôme de l’amant·e, incarnation concrète (ou imaginée ?) du souvenir de l’endeuillé, semble puiser son existence dans les paroles de la ballade. En effet, alors que la défunte du poème rappelle sa condition funèbre à son amant « my breath smells earthy strong » (2012 : 28), le·la narrateur·rice façonne son propre fantôme sur le même modèle olfactif : « the clean earthy smell you’d first had when you came back » (2012 : 52). Tout en cherchant à préserver l’écho d’une empreinte vivante dans la mémoire des endeuillés, la ballade/incantation inscrit la voix des défunt·e·s au cœur du texte sous la forme de la prosopopée. Dans Artful, le fantôme obéit à l’injonction de la deuxième strophe de la ballade : « the twelvemonth and a day being up, / The dead began to speak » (2012 : 16). Dès son apparition, un an après son décès, il prononce des paroles énigmatiques : « I’m late » (8). Ali Smith entretient le doute quant à la nature fantasmée ou fantasmagorique de l’apparition (« I had to congratulate my imagination, for you were very like you », 2012 : 42).

Cependant, le regard en arrière du personnage-Orphée semble contraint à la « mélancolie crépusculaire » (Maulpoix 2005 : 65) parce qu’il ne ramène du royaume des ombres qu’un simple écho du défunt, comme l’explique Vladimir Jankélévitch dans La Mort :

Le souvenir est une façon métaphorique et spectrale de revenir […]. La conservation des souvenirs ne nous permet pas littéralement de réunir ce que l’alternative a disjoint : car elle nous soustrait à la réalité charnelle du vécu en ne nous laissant que l’image. N’est-ce pas le refoulement temporel qui nous réduit à ces délices de la souvenance ? L’image toutefois peut coexister avec le présent, survivre dans l’épaisseur polyphonique de ce présent, fabriquer à notre usage les fantômes poétiques de la présence absente et du présent-passé : le contrepoint de la présence et de l’absence. (1977 : 298 ; 300)

Pour Jankélévitch, l’épaisseur concrète et multi-sensorielle de l’expérience fait place à un souvenir qui ne mobilise qu’un seul sens (« l’image » vient remplacer « la réalité charnelle »). La temporalité de la mémoire est donc « polyphonique », contenant à la fois le présent de la perte et le passé réincarné. Le souvenir presque tangible des défunts est bel et bien décrit selon des modalités fantomatiques dans The Gathering, où ils semblent constamment voués à disparaître : Liam est un fantôme perpétuellement voué à la disparition « the kind of ghost who is always turning away » (2007 : 215). Dans « The Dead », le fantôme qui émerge de l’écoute musicale reste une silhouette indistincte : « this figure from the dead » (1996 [1914] : 251), « some impalpable and vindictive being […] in its vague world » (252). Enfin, dans Artful, le·la revenant·e, bien qu’il·elle ait forme humaine, voit disparaître progressivement ses yeux et son nez : « it was you except for at the eyes. Where they’d been, a blue like no one else’s, there were now black spaces » (2012 : 9), « your actual nose now was almost gone » (52). L’incarnation de fantômes incomplets, indistincts et mangés par l’absence devient à la fois la marque d’un passé impossible à recréer intégralement et d’une mélancolie tenace qui les rappelle malgré tout. C’est bien l’une des caractéristiques du tombeau que de consacrer à la fois le souvenir et la perte, selon Jean-Michel Maulpoix : « ce mot de ‘tombeau’, qui renvoie simultanément à l’absence et à la présence […] signe la mémoire d’une disparition » (2005 : 305). La résurrection d’un passé enterré a beau être vouée à l’échec (comme le retournement d’Orphée), l’endeuillé·e n’a de cesse de s’y atteler dans l’élégie.

Et puisque de la musique surgit la prosopopée, la voix spectrale du défunt, par un effet de contagion, les vivants semblent devenir eux-mêmes fantomatiques, comme enfermés dans leur mémoire, dans une torpeur quasi-funèbre. La mémoire mortifère inverse alors le mythe originel d’Orphée et Eurydice, en condamnant le protagoniste au royaume des ombres du souvenir. En effet, selon Paul de Man, la prosopopée, si elle permet de faire ressurgir les morts, fait surtout payer aux vivants un lourd tribut : « making the dead speak […] implies […] that the living are struck dumb, frozen in their own death » (1979 : 928). Dans « The Dead », après l’interprétation musicale, tout l’univers narratif semble être contaminé par l’atmosphère funèbre : « one by one, they were all becoming shades » (1996 [1914] : 255), « his soul had approached that region where dwell the vast hosts of the dead » (255). La mention des ombres, liée à celle du royaume des morts dans l’imaginaire populaire9, s’appuie sur la dimension immatérielle du souvenir pour souligner l’apparente désincarnation du protagoniste intrigué par le monde des défunts (« that region »). Une même attraction pour la mort s’exprime dans The Gathering, Veronica se mue temporairement en une Belle au Bois Dormant endeuillée après les funérailles et la chanson d’hommage à Liam : « it started sometime after the funeral, a week perhaps, after Tom tried to resurrect me by lying the length of my body and kissing and rubbing and all the rest. But I was over that – I had forgotten it » (2007 : 133). Le refus de la relation charnelle (« kissing and rubbing and all the rest ») s’adosse à l’imaginaire d’une résurrection avortée, comme si le personnage de Veronica refusait le script du conte de fées (l’éveil de la Belle au Bois Dormant) et résidait déjà dans le monde des morts (souvent associé à l’oubli symbolisé par l’eau du Léthé). Enfin, dans Artful, ce risque de contagion mortuaire apparaît au sein du texte même de la ballade, au gré d’une mise en garde de la défunte : « you crave one kiss of my clay-cold lips; / But my breath smells earthy strong; / If you have one kiss of my clay-cold lips, / Your time will not be long » (2012 : 28). L’étreinte entre les vivants de The Gathering est ici remplacée par le baiser de la défunte à l’endeuillé, consacrant la puissance mortifère du contact charnel (à la fois tactile et olfactif : « kiss »/ « smells ») entre morts et vivants.

Le surgissement spectral des défunts, partiellement causé par la performance musicale ou l’irruption du texte de chanson dans le roman, cristallise le souvenir dans la mémoire des endeuillé·e·s et semble risquer de condamner les vivant·e·s à une mélancolie paralysante.

Vers un rituel de deuil musical ?10

La ‘séparation’, première étape, est celle qui correspond à la sortie du monde antérieur. Elle concerne autant l’individu changeant de statut que la communauté l’entourant, laquelle va être redéfinie par l’épreuve du rituel. La deuxième étape, la ‘marge’, est une zone neutre [...]. C’est le moment où le statut antérieur est perdu, sans pour autant que le statut définitif ne soit acquis. [...] La séquence rituelle se clôt par la troisième étape, l’‘agrégation’. Par opposition à la séparation, elle réunit à nouveau l’individu en passage et sa communauté. (Clavandier 2009 : 83)

Les étapes du rituel de deuil comme rite de passage viennent s’adosser au processus de deuil : la séparation entre le défunt et l’endeuillé est suivie par une phase intermédiaire d’adaptation, qui se conclut par la réintégration du sujet endeuillé au sein de la communauté. L’image duale du tombeau consacre le paradoxe inhérent à la mémoire du deuil : le souvenir peut être source d’enfermement dans le passé s’il s’attarde dans la deuxième étape du rituel, la marge, ou mener à la séparation entre le vivant et le défunt et la réintégration de l’endeuillé dans la société. Dans Artful, une fois passée la phase liminale d’apparition du fantôme, qui brouille les limites entre vie et mort dans le chapitre intitulé « On Edge », l’endeuillé·e se détache progressivement de son passé pour se tourner vers l’avenir et le fantôme cesse de surgir inopinément dans le récit.

La troisième étape du rituel, qui marque le retour de l’individu endeuillé dans la société, peut trouver un moyen d’expression dans les scènes musicales du récit. Alors que plusieurs sociologues notent la « privatisation du deuil, corollaire d’une sécularisation des pratiques funéraires » (Clavandier 2009 : 110), la musique semble ainsi prendre temporairement la place laissée vacante par la religion dans le rituel funèbre. Tout comme l’étymologie du terme « religion » renvoie au Latin religare qui signifie « relier », dans les récits de deuil étudiés, la musique semble effectivement créer un lien social entre les endeuillés, mais aussi entre vivants et morts. En plus de relier le passé au présent, le pouvoir fédérateur de la musique est mis en avant. Dans The Gathering, il n’est pas anodin que la chanson d’hommage à Liam, entonnée par sa jeune sœur Kitty, soit reprise par tout le groupe, témoignant d’un désir collectif d’honorer sa mémoire : « a ragged consensus gathers under the chorus » (2007 : 248). Selon Bridget English, la veillée funèbre est justement conçue pour permettre aux endeuillés de partager leurs souvenirs du défunt et de former une communauté : « [it is] a way of gathering shared memories » (2017 : 21). Le titre même du roman, The Gathering (Retrouvailles dans la traduction française) souligne le lien qui se tisse, entre Veronica et son frère défunt, mais aussi entre les endeuillés.

Par ailleurs, les auteurs et autrices des récits de deuil de ce corpus font souvent le choix de chansons populaires (qu’elles soient anonymes ou non) pour œuvrer au surgissement spectral d’un passé défunt, œuvrant à dépasser l’immédiate singularité de leurs récits de deuil et les ancrer dans une mémoire ancestrale partagée. Comme le rappellent Emily Keightley et Michael Pickering : « auditory culture is experienced as a bearer of personal and social memory » (2006 : 150). Dans The Gathering, « Hard Times Come Again no More » est une musique de salon aux allures d’hymne, écrite par l’Américain Stephen Foster au XIXe siècle. Alors que les paroles semblent représenter les souffrances endurées par Liam avant son suicide et un désir d’apaisement, il y est principalement question de pauvreté, dans une perspective universelle qui s’affranchit de son contexte d’écriture américain : « while we seek mirth and beauty/ And music light and gay, / There are frail forms fainting at the door; / Though their voices are silent, / Their pleading looks will say / Oh, hard times come again no more » (2007 : 248). Dans « The Dead », la ballade « The Lass of Aughrim » est une chanson élégiaque irlandaise d’origine écossaise (Henigan 2007 : 136), dont les paroles tragiques (« my babe lies cold », 1996 [1914] : 240) laissent entrevoir le souvenir du défunt Michael Furey. Julie Henigan note que cette chanson ancre le récit dans un univers mémoriel celtique : « This song is a product, not of the cosmopolitan world Gabriel’s Dublin friends and relatives aspire to, but of his wife’s native West » (Henigan 2007 : 147). Dans Artful, comme on l’a vu, le texte de la ballade anonyme « The Unquiet Grave », dont il existe plusieurs variantes11, accompagne les développements narratifs : la douleur du narrateur/de la narratrice fait écho à celle du poète endeuillé, et une conversation d’outre-tombe s’instaure entre vivants et morts dans le poème comme dans la trame narrative12. Les auteurs rendent ainsi hommage au pouvoir du rituel musical dans la préservation et l’universalisation de la mémoire des défunts.

Au-delà du souvenir individuel, les chansons et ballades populaires choisies par Joyce, Enright et Smith semblent mobiliser dans chaque récit un fonds culturel commun, une mémoire collective qui dépasse la singularité du récit de deuil privé. La performance musicale semble alors relier le sujet endeuillé à une communauté spirituelle, comme le suggère Oscar Wilde dans « The Critic as Artist » (1891) : « after playing Chopin, I feel as if I had been weeping over sins that I had never committed, and mourning over tragedies that were not my own. Music always seems to me to produce that effect. It creates for one a past of which one has been ignorant and fills one with a sense of sorrows that have been hidden from one’s tears » (1913 : 96). Le punctum auditif, loin de constituer une expérience purement individuelle et isolatrice, prend une dimension profondément relationnelle, comme le suggère Sara Ahmed dans The Cultural Politics of Emotion : « emotions are not only about movement, they are about attachments or about what connects us to this or that » (2004 : 11). La force du rituel de deuil musical s’appuie d’ailleurs sur le travail mémoriel de l’intertextualité, que ce soit dans Artful, où des vers de multiples poèmes s’adossent au mythe fondateur d’Orphée et Eurydice13, ou dans The Gathering, qui contient de nombreux échos à la nouvelle de Joyce, ainsi qu’à des contes et mythes. Cependant, alors que les pouvoirs mnémoniques de la musique dans « The Dead » transpercent le présent pour y inscrire la hantise d’un passé inoubliable, dans The Gathering, l’interprétation collégiale assied la prévalence du présent et de l’avenir face à la stase mortifère du souvenir, comme l’indique Gerardine Meaney : « in ‘The Dead’, the sweet sadness of ballads and songs evokes desolating memory and the loss of love in the past becomes inextricable from the destruction of love in the present. […] The moment of epiphany is a moment of communion with the dead, not recovery of life as in The Gathering » (in Bracken et Cahill 2011 : 158).

Enfin, le potentiel régénérateur et collectif de la musique est également mis en avant dans un autre récit de deuil britannique, The Child in Time (Ian McEwan 1987), où la musique classique vient remplacer la chanson populaire. Le protagoniste, Stephen Lewis, est également le personnage focalisateur du récit, occultant dans la quasi-intégralité du roman la perspective de sa femme Julie, le couple s’étant séparé suite à la disparition de leur enfant Kate. Dans le dernier chapitre, alors qu’elle s’exprime enfin, il est révélé que la musique a accompagné discrètement le processus de deuil de Julie, violoniste professionnelle dont l’instrument, pilier du quatuor à cordes, est propice au jeu collectif. La promesse d’harmonie se mue en une révélation essentielle pour l’avenir du couple, alliant le souvenir à l’évocation du présent :

One afternoon the quartet came out. They brought an old friend from college, a cellist, so we played, or tried to play, the Schubert C Major Quintet. When we got to the Adagio, you know how lovely it is, I didn’t cry. In fact, I was happy. That was an important step. I started playing again properly. I’d stopped because it had become an evasion. I was taking on these difficult pieces and working at them furiously, anything to stop thinking. Now I was playing for its own sake, I was looking forward to the baby coming, and I was beginning to think about you and remember, and really feel how much we loved each other. (238)

Julie, désormais enceinte d’un deuxième enfant, retrace la progression de son deuil dans le portrait évolutif de son rapport à la musique : si la musique solitaire est d’abord une distraction malvenue, c’est bien l’interprétation collective (le quatuor devenu quintette) qui ouvre la voie d’une rédemption musicale. Le mouvement que Lynn Wells identifie dans l’arc narratif de Stephen est ainsi transposable au rôle que joue la musique dans le récit final de Julie : « [a] movement beyond the self-absorption generated by that loss to a state of altruism » (2010 : 41). Loin de s’ancrer dans le ressassement mélancolique, le souvenir se fait alors reprise, au sens où l’entend Søren Kierkegaard. Si en musique, la reprise est une répétition, ou plus précisément le retour au début d’une séquence musicale, elle désigne également dans d’autres contextes « l’action de ressaisir, d’attraper de nouveau quelque chose dont on a perdu le contrôle, [le] fait de recommencer quelque chose après un temps d’arrêt » (CNRTL). Le philosophe et théologien danois Søren Kierkegaard définit en 1843 la reprise comme un « souvenir en avant » (traduction que propose Philippe Forest dans Le Roman infanticide, 2010 : 120). Au lieu de postuler la stase mélancolique et douloureuse de « la nostalgie du [res]souvenir, qui empêche d’accueillir la nouveauté » (Kierkegaard 1990 [1843] : 18), la reprise serait dynamique :

Reprise et ressouvenir sont un même mouvement, mais en direction opposée ; car ce dont on a ressouvenir, a été : c’est une reprise en arrière ; alors que la reprise proprement dite est un ressouvenir en avant. C’est pourquoi la reprise, si elle est possible, rend l’homme heureux, tandis que le ressouvenir le rend mal-heureux. (65-66)

Dans The Child in Time, le passage du ressouvenir à la reprise est justement corrélé à l’ouverture qu’offre l’ajout de la perspective de Julie dans un récit qui était jusque-là le produit de la focalisation unique de Stephen. La musique dotée d’une fonction rituelle donne alors un nouvel élan à la mémoire en l’associant à la communauté et à la perspective d’une guérison ou d’un retour à la vie. Dans les ouvrages qui composent ce corpus, la musique s’insère dans le processus de consolation, dont l’étymologie renvoie, selon Michael Ignatieff au latin consolor (« to find solace together », 2021 : 1) et à la création d’une communauté. Même dans « The Dead », où l’expression du deuil semble rester profondément individuelle, la musique semble avoir un effet catalyseur. Pour Julie Henigan, elle joue le rôle du rituel en apaisant la douleur jusqu’ici intérieure de Gretta : « This catalyzation of emotion results not simply in the resurrection of long-buried pain but also to its partial healing, a process of reconciliation in which the dead can at last be laid to rest » (2007 : 145). La scène (et le recueil entier) s’achève d'ailleurs sur un moment de révélation et de réflexion universelle sur la mortalité, qui vient unir les vivants et les morts dans une humanité partagée : « all the living and the dead » (256).

Conclusion

Dans le récit de deuil, la musique a souvent partie liée au tombeau, à la fois forme musicale ou poétique et monument, qui oscille entre hommage à et ensevelissement de la mémoire du défunt. La corrélation entre musique et mémoire suit le modèle du mythe orphique : les pouvoirs magiques de la musique font surgir les ombres des morts dans la mémoire des vivants, jusqu’à leur offrir une incarnation spectrale au sein de la diégèse. Pour Jean-Michel Maulpoix, en effet « le tombeau constitue le sépulcre de l’âme. Le travail du poète est travail d’embaumeur » (2005 : 307), afin d’assurer la pérennité du souvenir. Comme dans le mythe d’Orphée, la musique permet des retrouvailles en pensée entre l’endeuillé et les défunts, mais c’est aussi le retournement d’Orphée, son geste rétrospectif, qui met fin au miracle d’un retour des figures du passé. Le souvenir spectral se dérobe sans cesse aux endeuillés, à la manière d’Eurydice, ombre sans cesse « disparaissante ». L’espace paradoxal entr’ouvert par la musique peut alors entraîner l’endeuillé vers le royaume des ombres, comme paralysé par son incursion dans le passé. Ce tombeau musical d’hommage aux défunts menace ainsi de se refermer sur l’endeuillé et de le prendre au piège dans un passé disparu et décoloré ; en honorant les défunts, il risque d’enterrer les vivants, devenus de véritables personnages-tombeaux. Cependant, en épousant les contours de l’élégie, la musique peut en imiter l’aspiration rituelle et illustrer la quête de consolation des protagonistes endeuillés. En créant une communauté de recueillement et de partage, elle peut ainsi contribuer à transformer le ressouvenir, ou ressassement, en reprise, autrement dit, en mémoire qui s’élance vers l’avenir.

Bibliographie

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Notes

1 Stein évoque ici les définitions de Claude Debussy, selon qui la musique est la mise en rythme du temps (« rhythmicized time », 2004 : 800) et de Suzanne Langer, qui fait de la musique un outil discursif (« its formal structure unfolds successively in real time, like a narrative », 2004 : 800). Retour au texte

2 Jean-Michel Maulpoix indique dans Une histoire de l’élégie que l’élégie doit viser tant à « émouvoir » qu’à « se souvenir » (2018 : 65). Retour au texte

3 Ces remarques font écho aux écrits de Peter Sacks sur l’élégie anglaise : « the elegy, as a poem of mourning and consolation, has its roots in a dense matrix of rites and ceremonies, in the light of which many elegiac conventions should be recognized as being [...] the literary versions of specific social and psychological practices » (1987 : 2). Retour au texte

4 Enright remarque dans un entretien qu’elle n’a de cesse de revenir à l’œuvre de Joyce : « I pilfer freely from Joyce, I have no problem doing that » (in Schwall 2008, 20). Retour au texte

5 Le genre des protagonistes n’est jamais précisé, dans un récit à la première et à la deuxième personne du singulier, qui entretient savamment le mystère. Retour au texte

6 Joyce reconnaît dans une lettre adressée à Nora Barnacle le pouvoir émotionnel de cette ballade : « I was singing an houra go your song The Lass of Aughrim. The tears come into my eyes and my voice trembles with emotion when I sing that lovely air » (in Henigan 2007 : 142). Retour au texte

7 « [La musique] s’adresse directement à nos sens » (Carretero 2014), alliant une dimension sensorielle et incarnée à l’émotion. Retour au texte

8 L’émotion ayant étymologiquement partie liée avec le mouvement, le champ lexical du retour et du déplacement est omniprésent dans cet extrait : « revenu », « réveillés », « remontés ». Retour au texte

9 Notamment dans le ballet La Bayadère, chorégraphié par Marius Petipa en 1877 sur une musique de Léon Minkus. La variation du Royaume des Ombres représente les âmes de jeunes filles défuntes. Retour au texte

10 Pour van Gennep, les rites de passage sont « des cérémonies dont l’objet est identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation tout aussi déterminée » (1981 : 13). Retour au texte

11 Carol Rumens en retrace l’historique en 2013 dans un article pour le Guardian : https://www.theguardian.com/books/booksblog/2013/may/13/poem-of-the-week-the-unquiet-grave. Retour au texte

12 On retrouve un procédé similaire dans Middle England de Jonathan Coe, où le personnage de Benjamin écoute la chanson « Adieu to Old England » après l’enterrement de sa mère. Ce choix musical dote également la scène d’une force symbolique, nostalgie du temps passé qui excède la perte individuelle de la mère : « one of the most eerie and melancholy English folk tunes ever written » (2018 : 17). Retour au texte

13 Le deuxième chapitre de l’ouvrage, intitulé « On Form », s’ouvre d’ailleurs sur un centon composé de vers empruntés à des poèmes de Wallace Stevens, Emily Dickinson, William Blake, Samuel Taylor Coleridge, Stevie Smith, John Keats, Dylan Thomas, W.B. Yeats, Sylvia Plath, W.H. Auden, Edward Thomas et Philip Larkin, reconstituant un tombeau poétique (2012 : 48). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Héloïse Lecomte, « Un tombeau en musique : souvenir et rituel de deuil dans la fiction britannique et irlandaise contemporaine », Textes et contextes [En ligne], 19-1 | 2024, publié le 15 juillet 2024 et consulté le 17 septembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4684

Auteur

Héloïse Lecomte

Docteure, IHRIM UMR 5317, École Normale Supérieure de Lyon, 8 rue René Leynaud, 69007 Lyon

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