Bernard Sicot, Últimos ecos del exilio. Estudios de poesía hispanomexicana

Référence(s) :

Bernard Sicot, Últimos ecos del exilio. Estudios de poesía hispanomexicana, New York: Peter Lang, « Exiles and Transterrados », 2022, 352 p. ISBN 978-1-4331-7685-2

Texte

Ce livre est le cinquième volume d’une collection inaugurée chez Peter Lang en 2017 pour y publier des ouvrages, en anglais ou en espagnol, sur le thème de l’exil républicain et des « transterrados » – néologisme forgé par le philosophe José Gaos pour qualifier sa vie d’exilé au Mexique. Comme indiqué en fin de volume, « esta serie se enfoca, principalmente, en el exilio resultante de la Guerra Civil española y sus variadas y complejas conexiones con la producción cultural de los países en los que transcurría ese exilio, de 1936-1939 a 1975, al menos » (p. 351).

Si d’assez nombreuses études et quelques anthologies ont été consacrées à la poésie de l’exil républicain en général (notamment Poetas del exilio. Una antología, ed. James Valender et Gabriel Rojo Leyva, Mexico, El Colegio de México, 2006), peu d’entre elles concernent ceux parmi ces auteurs qui n’ont pratiquement pas connu l’Espagne, et dont toute l’œuvre a été écrite en exil.

Centré sur le Mexique, le présent ouvrage reprend, en les modifiant, dix-sept articles publiés depuis une vingtaine d’années par Bernard Sicot, Professeur émérite à l’Université Paris Nanterre. Il offre ainsi une synthèse fort bienvenue sur un groupe d’écrivains longtemps négligés, car souvent considérés comme ni vraiment espagnols, ni tout à fait mexicains. Formé, comme le reflètent les photos de couverture, de onze hommes et trois femmes, ce groupe rassemble les principaux poètes « hispano-mexicains », auxquels (à l’exception d’un seul, alors non encore publié) Bernard Sicot a naguère consacré une anthologie (Ecos del exilio. 13 poetas hispanomexicanos, A Coruña, Ediciós do Castro, 2003). De nationalité espagnole, nés entre 1924 et 1937, tous arrivèrent au Mexique entre 1939 et 1942 alors qu’ils étaient encore enfants ou adolescents. La plupart étudièrent dans des écoles espagnoles républicaines à Mexico avant d’entrer à l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM), où certains d’entre eux devinrent professeurs.

Les six premiers chapitres du livre envisagent l’ensemble du groupe de façon à en dégager les caractéristiques essentielles, à retracer les grandes étapes de son parcours, à en marquer la cohérence et la diversité, enfin à signaler, en son sein, certaines dissidences. Dans la lignée de Jorge Guillén (p. 76-77), d’Emilio Prados (p. 133) et, dans une moindre mesure, de Luis Cernuda, Pedro Salinas, Rafael Alberti, José Bergamín et Juan Ramón Jiménez (p. 316), la poésie de cette génération se détache de la politique pour se rapprocher de la philosophie (discipline que quelques-uns enseignèrent), et principalement de l’existentialisme. À l’influence de Heidegger (traduit par José Gaos au Mexique) s’ajoute celle du Camus de Noces.

La méditation sur ser et estar (chapitre IV) est au centre de cette production poétique, où la notion de presencia (qui donne son titre à la revue qui les réunit brièvement de 1948 à 1950) est fondamentale, bien avant qu’elle ne s’impose, en France, comme la pierre de touche de l’œuvre d’Yves Bonnefoy (p. 40). Sentido de la presencia (1953) est d’ailleurs le titre du premier essai de l’un d’entre eux, Ramón Xirau (1924-2017), philosophe et critique littéraire d’expression castillane mais dont la poésie est toute entière écrite en catalan (et l’on peut regretter que la traduction espagnole des poèmes cités ne soit pas donnée en note, comme aurait pu y inviter l’édition bilingue de la poésie complète de Xirau publiée par Andrés Sánchez Robayna au Fondo de cultura económica en 2007). Les autres thèmes étudiés par Bernard Sicot sont « l’impossible retour » en Espagne (chapitre III), la mer, que ces exilés traversèrent y qui habite leurs poèmes (chapitre V), enfin la vieillesse et la mort (chapitre VI).

Quatre chapitres sont ensuite consacrés à l’œuvre vaste et variée de Tomás Segovia (1927-2011), œuvre sans doute la plus riche de cette génération (p. 149) – ce que confirme son inclusion dans différentes anthologies marquantes de la poésie hispanique contemporaine, au Mexique, en Espagne et en France (p. 67). Pour Segovia, « el exilio no es un tema, es una condición » (p. 5). Particulièrement éclairant est le chapitre IX, qui distingue deux grandes époques dans sa poésie, où une diction volontiers « débordante et accumulative » (p. 152), en « cascades » de mots et de poèmes (p. 150), laisse finalement la place à des textes plus resserrés et d’autant plus intenses, selon une évolution qui correspond, grosso modo, aux deux tomes publiés en 2014 au Fondo de cultura económica – Cuaderno del nómada. Poesía completa. Vol. I (1943-1987), vol. II (1988-2011).

Dans un premier temps, donc, marqué par la « paratopie » (selon la terminologie de Dominique Maingueneau explicitée p. 168), cette poésie se veut en exil plutôt que de l’exil (p. 6). Située à côté, en marge de tout groupe, de toute institution, de toute thématique collective, elle cultive le « nomadisme » comme une liberté inaliénable, ainsi que l’a montré Judite Rodrigues dans Les Possibilités du Nomadisme. L’écriture poétique de Tomás Segovia (Villeurbanne, Orbis Tertius, 2014). Dans un second temps, le poète, en cela fidèle à l’intuition initiale de son groupe générationnel, célèbre avec ferveur une heureuse « présence » au monde et au langage. Ce qui frappe, alors, chez cet auteur très tôt éprouvé par la vie, c’est bien son appétit du monde. Appétit de « carnalidad », d’une part, particulièrement sensible et sensuel dans les Sonetos votivos (chapitre X), que Bernard Sicot traduisit en partie et édita en bilingue, avec pour sous-titre « Exvotos eróticos » (Paris, Riveneuve, 2013). Appétit de lumière, d’autre part, jusque et y compris dans « l’automne » de sa vie que l’auteur de Misma juventud (2000) et Siempre todavía (2008), seul parmi les Hispano-Mexicains, choisit de passer en Espagne, à Madrid. « Eso es la poesía: hacer tu casa en todas partes » (p. 158).

Évoquée au chapitre XI, la poésie d’Angelina Muñiz-Huberman (née en 1936) s’oppose en tout point (cf. p. 206) à celle de Gerardo Deniz (1934-2014), qui fait l’objet des trois derniers chapitres du livre (XV-XVII). D’un côté, un lyrisme abondant et toujours vivace, où l’évocation de l’exil républicain, douloureux écho de l’expulsion des juifs d’Espagne de 1492, aboutit à une mythification voire à une mystique de l’exil : « Cuando comprendí que el exilio era mi casa, abrí la puerta y me instalé. Me instalé cómodamente » (p. 219). De l’autre, l’anti-lyrisme ironique, sardoniquement hermétique, de Deniz (pseudonyme que Bernard Sicot rapproche du français déni). Brocardant « los meandros y cagandros del destierro » (p. 306), cet auteur n’épargne aucun de ses symboles – dont la figure controversée et politiquement compromise du vieux poète León Felipe, fidèle adulateur du Parti Révolutionnaire Institutionnel dans sa version la plus répressive.

L’œuvre poétique et cinématographique de Jomi García Ascot (1927-1986) fait pour sa part l’objet des chapitres XII à XIV, tandis que la poésie de César Rodríguez Chicharro (1930-1984) et celle de Manuel Durán (1927-2020) sont évoquées en contrepoint de celle de Gerardo Deniz dans les chapitres XV et XVII. Publié tardivement et difficilement accessible, le poème « Exilio » (1983) de Rodríguez Chicharro est ici reproduit dans son intégralité (p. 285-287). Loin d’exalter l’accueil réservé aux républicains espagnols par le Mexique, ce poème dénonce les mesquineries et les faux-semblants de cette hospitalité, en un salutaire exercice d’insolence démystificatrice.

Malgré quelques répétitions dans les premiers chapitres ou encore l’absence regrettable d’un index nominum, ce beau et inspirant volume, à la fois érudit et précis, aussi attentif à l’histoire et à la philosophie qu’à la linguistique et à la stylistique, présente le grand mérite de donner toute sa visibilité à une génération méconnue de la poésie mexicaine – et, en un certain sens, espagnole –, en en restituant les nombreuses nuances. Ce livre fixe un canon, ou tout au moins le fondement de celui-ci, formé par ceux et celles qui eurent la constance et la chance de publier une œuvre aujourd’hui rééditée et anthologisée au Mexique et, pour certains d’entre eux, en Espagne.

Nul doute que ce canon sera peu à peu complété par d’autres études sur des auteurs et surtout des autrices qui n’ont pas publié, ou très peu, de leur vivant, et qui sortent à présent de l’ombre, grâce, notamment, au récent ouvrage édité par Katia Irina Ibarra (El mar y sus exilios. Antología de poetas mexicanas, Mexico, UNAM – Escuela Nacional de Estudios Superiores – Editorial Nómada, 2021). Au nom d’Angelina Muñiz-Huberman s’ajoute, dans ce cas, celui de six autres poétesses, dont certaines (Nuria Parés, Francisca Perujo) sont mentionnées par Bernard Sicot, et d’autres (Tere Medina, Aurora Correa, Adriana Merino et Carmen Castellote) font leur première apparition.

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Référence électronique

Paul-Henri Giraud, « Bernard Sicot, Últimos ecos del exilio. Estudios de poesía hispanomexicana », Textes et contextes [En ligne], 19-1 | 2024, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4675

Auteur

Paul-Henri Giraud

Professeur en études hispaniques contemporaines, laboratoire CECILLE (Université de Lille)

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