Entre-deux langues : un point de vue de linguiste

  • In-between languages: a linguist’s point of view

Abstracts

On considère ici l'espace (métaphorique) entre deux langues, diversement prévu par les approches des linguistes. Pour les locuteurs, c'est un espace de pratiques abondantes, et stratégiques sur le plan anthropologique, celui de la construction des langues. Mais ces réalités, qui débordent les modèles de langues instituées, sont difficiles à décrire. C'est le cas aussi des interlangues et des compétences d'intercompréhension. Ces pratiques se heurtent à l'hégémonie de la description en langues séparées, souvent même au corps défendant des linguistes, qui sont intéressés à l'identité des langues distinctes, et ressentent, comme les autres locuteurs, l'inconfort de l'indistinction.
L'entre-deux langues se révèle ainsi le lieu de stratégies de synergies et de schismes, touchant à la constitution des langues et aux politiques linguistiques.

This article deals with the (metaphorical) space between two languages, variously envisaged by linguists' approaches. For speakers, it is a space of abundant practices, and strategic on the anthropological level, that of language construction. But these realities, which go beyond established language models, are difficult to describe. This is also true of interlanguages and intercomprehension skills. These practices come up against the hegemony of the description of separate languages, often even in spite of linguists, who are interested in the identity of distinct languages and, like other speakers, feel the discomfort of indistinction.
In-between languages thus prove to be the site of strategies of synergy and schisms, affecting the constitution of languages and language policies.

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Introduction : quelques remarques préalables sur les objets

Entre-deux ? Oui mais entre deux quoi ? Cette notion d’entre-deux implique deux réalités posées préalablement, et elle suppose des réalités discrètes – l'opposé étant une description en terme de continuum.

Mais je veux encore relever l’ambiguïté du terme : si nous parlons de ce qui se passe entre deux personnes, nous ne nous intéressons pas vraiment à l’espace qui les sépare (ou ne les sépare pas) comme d’un entre-deux : nous considérons un phénomène qui les englobe tous deux, amitié, amour, commerce… ; de même, le physicien qui étudie le magnétisme a bien posé une réalité (le magnétisme) entre deux pièces aimantées. Mais si nous voulons expliquer le goût d’un nouveau légume, nous nous débrouillons avec des expressions comme « c’est entre le navet et la carotte », par exemple, en désignant bien un objet entre deux autres, ou bien, dans « cela se passe entre dix heures et midi » une notion, ici un repère, intermédiaire. Donc entre-deux n’est pas univoque, il y a au moins un entre-deux englobant et un entre-deux exclusif. Nous garderons cette ambiguïté au départ, pour essayer de la décrire autrement.

La notion d’entre-deux implique, disions-nous, deux réalités posées préalablement : je choisirai ici de considérer deux langues. En matière de langage, nous avons beaucoup d’autres objets envisageables, on pourrait chercher entre deux mots, phrases, phonèmes, constructions syntaxiques, etc.

Considérons donc cet ensemble complexe, toujours en train d’être redéfini (système, polysystème, institution, programmation neuronale, etc.) : une langue. Les approches les plus classiques la définissent d’abord par le principe saussurien : une langue est un système où tout se tient. Pris à la lettre, comme ce fut souvent le cas, ce principe implique qu’il n’y a pas d’entre-deux : existerait-il un trait qui n’appartienne pas au système de la langue, c’est donc qu’il appartient à un autre système. On a pu ainsi, dans le parler de telle ville (en l’occurrence, Besançon), discerner au plan phonologique une variété A, une variété B, une variété C, etc. (Rittaud-Huttinet 1970). Autre exemple de la même approche : si vous dites « il faut que tu viennes », vous n’avez pas la même grammaire que la personne qui dit « il faut que tu viens », et ce sont donc deux systèmes différents, donc deux variétés. L’entre-deux est difficilement envisageable.

Cette optique est aujourd’hui périmée. On s’est donné par la suite des outils plus souples, à commencer par les règles variables. Ainsi, dans le même exemple, on dirait aujourd’hui qu’il y a variation entre « il faut que + indicatif » et « il faut que + subjonctif ».

Mais les langues doivent être considérées non pas en tant que systèmes linguistiques seulement, mais en tant que réalités socialement admises (bien sûr, appuyées sur des systèmes de signes). Fût-ce sous le nom de dialectes ou patois, ce sont des termes institués, c'est-à-dire validés par une société donnée. Cette approche, dite sociolinguistique, est plus riche et plus juste : c’est la vie en société qui fabrique des langues, en mettant à profit les capacités symboliques de notre espèce. Le thème de l’entre-deux convient particulièrement à cette approche sociolinguistique.

Nous commencerons cependant par rappeler deux approches classiques de l’entre-deux langues.

1. Le contact

Or donc, que se passe-t-il entre deux langues ? C’est-à-dire : que se passe-t-il en cas de contact – c’est l’expression usuelle, et c’est un concept qui a été travaillé dans le cadre de la linguistique de contact (Nelde 1985) – entre deux langues L1 et L2 ? – c’est-à-dire (il faut souvent le rappeler, en particulier aux linguistes) entre des personnes qui pratiquent des langues différentes.

On observe deux phénomènes principaux. D’abord des interférences et des emprunts, voire des formes de mélange – mais ce mot a longtemps été refusé, car les linguistes ont beaucoup travaillé à décrire la grammaire de ces contacts, justement pour montrer que ça n’était pas un simple mélange. Ainsi l’emprunt – L1 utilise un mot, ou une construction, de L2 – ne remet pas en cause une sorte d’étanchéité entre les deux langues, et en tout cas ne crée pas un entre-deux. Nous y reviendrons.

Un autre phénomène, souvent décrit aussi, est l’alternance de langues dans la parole, dans les pratiques langagières. Cette alternance, ou code switching, ou plutôt ce discours alternant, a pu être qualifié de troisième variété (en plus de L1 et L2), mais plutôt englobante qu’entre deux. Comme l’alternance est généralement régulée, que l’on peut en décrire la grammaire, on a montré que les pratiques langagières des bilingues alternants exigent la maîtrise de trois grammaires : celle de L1, celle de L2, et celle de l’alternance. Par exemple, quand vous commencez une phrase en L1 et que vous la finissez en L2, le moment où vous basculez obéit à des régularités, donc découle d’une compétence ou grammaire (voir le titre de l’article célèbre de Shana Poplack 1980 : « Sometimes I'll start a sentence in Spanish y termino en Espanol : toward a typology of code-switching »).

Dans le premier cas (l’emprunt), il n’y a pas un espace entre deux langues. Mais dans le cas de l’alternance (code switching) la « 3e grammaire » dessine un espace propre.

2. La dialectologie

Il faut citer aussi, au titre de rappel des traitements classiques, la dialectologie. On a pris conscience, dans la seconde moitié du XIXe siècle, que les parlers populaires ou locaux, socialement placés sous le toit des langues nationales, étaient descriptibles par de petites différences d’un village à l’autre. Gaston Paris décrivait ainsi les langues romanes comme une tapisserie s’étendant de la Belgique au sud de l’Italie par des transitions insensibles : à ce niveau des observations, il n’y a évidemment plus de frontières (contrairement à ce qui se passe si l’on n’observe que les langues nationales). D’ailleurs la dialectologie ne recherche pas un entre-deux, mais une réalité unique, celle du lieu d’enquête (repéré par un nombre) (Pop 1950). Il n'y a donc pas d'entre-deux.

Mais la dialectologie opère aussi des synthèses, sous formes de cartes dites aréales : en observant la géographie de chaque trait linguistique ou de chaque mot, et en les superposant, elle peut tracer des limites (les isoglosses) qui varient et s’entrecroisent à l’infini ; mis à part que parfois plusieurs limites correspondent, forment un bourrelet d’isoglosses, et marquent une différence un peu plus nette entre deux groupes de parlers. Ces groupes de parlers, ou aires dialectales, sont le siège de divers phénomènes anthropologiques de construction de variétés à valeur identitaire, des variétés et tendanciellement – suite à tout un travail d'élaboration – des langues distinctes. En guise d’entre-deux, on décrit des zones de transition, des zones mal définies, telles que le wallo-picard, ou la zone de transition au sud-est du domaine linguistique picard avec le domaine champenois.

La logique des territoires nationaux ne permet pas l’entre-deux, la frontière est une ligne qui discrétise radicalement ; et la logique des langues nationales, elle non plus, ne permet pas l’entre-deux. La carte des aires dialectales en est inspirée, elle laisse imaginer des sortes de frontières entre variétés. Dans ces cartographies, les lignes sont des pièges !

3. L’action des locuteurs

La critique va venir de la sociolinguistique et de l’observation de situations peu institutionnalisées et des pratiques quotidiennes diverses. On prend conscience que le périmètre des langues, dans lesquelles se reconnaissent variablement les gens, est l’objet de comportements descriptibles en termes anthropologiques. LePage et Tabouret-Keller (1985), s’inspirant de l'anthropologue F. Barth, dans un travail portant sur la situation linguistique de Belize (ex-Honduras britannique), rendent compte de la variation des comportements langagiers et en même temps des descriptions, des discours métalinguistiques, sur un axe focalisation vs dispersion.

À partir d'une langue naturelle, celle d'un groupe humain, deux dynamiques opposées sont observables. L'une, la dispersion (angl. diffuse), tend à produire un pidgin momentané (angl. instant pidgin), du fait qu'elle exploite la variation, l'emprunt, la création verbale, l'analogie et la métaphore autant que de besoin pour se faire comprendre en contexte. L'autre, la focalisation (angl. focusing), tend à produire une langue stable, le plus possible invariante, le noyau stable de la langue, volontiers imaginée éternelle, investie d'une mission de vérité non contextuelle. Au plan métalinguistique, on voit s'opposer des descriptions de langage très empiriques liées au contexte, et d'autres descriptions plus idéalisées et abstraites, indépendantes du contexte. Les linguistes s'intéressent traditionnellement aux pratiques focalisées, les langues, et il n'y a que quelques décennies que les pratiques dispersées retiennent l'attention – c'est même une spécificité de l'approche sociolinguistique.

Figure 1 : Focalisation et dispersion dans la conduite et la description linguistique. (Le Page – Tabouret-Keller 1985 : 202 – trad. Eloy).

Figure 1 : Focalisation et dispersion dans la conduite et la
          description linguistique. (Le Page – Tabouret-Keller 1985 : 202 –
          trad. Eloy).

Dès lors, si l’on considère non pas une mais deux variétés-groupes – langues, dialectes, parlers –, le schéma emporte d’autres conséquences, qui correspondent bien aux réalités qui nous intéressent ici.

Figure 2 : Le schéma focalisation vs dispersion appliqué à une situation à deux langues.

Figure 2 : Le schéma focalisation vs
          dispersion appliqué à une situation à deux langues.

Dans ce schéma réaliste – puisqu'il prend en compte les pratiques réelles, non idéalisées, du pôle dispersion –, la zone grisée représente l'entre-deux langues. Or cet entre-deux n’est pas un trou, un vide, mais un espace de pratiques entre les idiomes. La langue (l'une comme l'autre) y est floue, en partie incohérente, en tout cas déstabilisée.

4. Un espace difficile à saisir

Les pratiques de l'espace intermédiaire entre deux idiomes en contact sont très importantes, que ces idiomes soient proches ou distants. Or une langue est rarement isolée, mais généralement en contact avec une ou plusieurs autres, c'est la situation générale.

Cet espace est loin d'être désert. En outre, les différents cas sont décrits dans des termes proches.

Nos témoins d'enquête (Eloy et al. 2003)1 décrivent les pratiques, même entre langues distantes, sous le terme de mélange. Cette notion est volontiers qualifiée de non-scientifique par les linguistes, qui cherchent à décrire plus précisément ce qui se passe en termes d'interférences, d'alternances ou de mixage. On verra plus loin cependant que le terme de mélange, si imprécis qu'il soit, présente un autre intérêt.

Dans le cas de langues proches, les linguistes doivent admettre souvent, cependant, qu'il est difficile d'identifier si certains passages relèvent de l'emprunt ou de l'alternance codique. Cette difficulté est une des caractéristiques des continuums.

Dans notre enquête, entre ces langues proches que sont français et picard, les témoins évoquent surtout des pratiques partielles du picard. De nombreuses pratiques, telles qu'elles sont rapportées par les témoins, consistent en effet à seulement marquer le discours, à le saupoudrer de marqueurs picards, mais sans saturer cette possibilité. Pour les uns, c'est un choix, car ils sont capables de parler picard de façon plus cohérente ou systématique, pour d'autres, la faiblesse de leur compétence en picard ne leur permet pas plus, d'autres enfin ne pratiquent le français que sous cette forme mixte. L'évocation asymétrique que j'en donne ici correspond à la réalité sociolinguistique : le français est non-marqué, c'est la norme générale, tandis que le picard est devenu marqué, de par son statut social.

Le colloque de 20012 offre d'autres exemples, désignés comme 'gamme' ou 'continuum' : « La plupart des Allemands aiment jouer sur la gamme, à un nombre infini de niveaux, entre l'allemand standard et le dialecte autochtone, suivant la situation et suivant l'interlocuteur » (Ternes 2004).

En Écosse, A. Judge (2004) constate « un continuum qui va d’un anglais simplement influencé par le scots au niveau de l’accent et du vocabulaire à une langue quelquefois inintelligible pour les Anglais ».

En Grèce, Stavros Kamaroudis (2004) relate que « les chercheurs observent chez les mêmes individus, toute la gamme des variantes possibles entre le grec standard, le chypriote standard et le chypriote aux intonations de leur village lointain d’origine ».

Le phénomène n'est pas seulement contemporain, il a une historicité. À propos du piémontais, M. Giolitto (2004) cite ce commentaire sur la langue d'un dramaturge du XIXe siècle, Bersezio : « La langue du Bersezio est le turinois parlé : plus idiomatique dans la bouche des personnages des classes populaires et moyennes, plus soutenu, mais peut-être moins caractérisé dans sa structure syntaxique générale, dans celle de la bonne bourgeoisie »3.

Cette description laisse apercevoir, aussi, toute une gamme de nuances dans le idiomatico et le caratterizzato.

Sur le russe et l'ukrainien, à partir des russismes en ukrainien et des ukraїnismes en russe « qui ont passé à degré égal dans l’une et l’autre langue » (mais ce ne sont pas les mêmes faits linguistiques dans chaque sens), N. Shumarova (2004) évoque « comme résultat de l’interaction de ces langues l’apparition d’un code mixte, une sorte de pidgin appelé sourgyk. Les linguistes ont beaucoup de peine à déterminer son statut linguistique, le considérant tantôt comme une forme du langage populaire formée sur la base de l’ukrainien, tantôt comme manifestation de l’interférence émergeant sous l’influence du russe sur l’ukrainien ».

Enfin, sur le fameux continuum créole-français, B. Jeannot (2004) note « la mise en œuvre par le locuteur de moyens … lui permettant, dans le flot de sa production, d’avoir recours simultanément aux deux lexiques, français et créole tout en demeurant dans une énonciation, marquée comme une énonciation en créole ».

Toutes ces évocations ne sont pas strictement identiques, mais toutes repèrent cet espace comme un lieu de création linguistique qui déborde des langues admises, et qui de ce fait met les linguistes en difficulté.

L'attention portée à ces pratiques de production difficilement catégorisables est à porter au crédit de la linguistique dite de contact, de la sociolinguistique et de la créolistique. Elle peut être étendue à quatre autres champs d'expérience linguistique, qui peuvent apporter des éléments importants.

5. Quatre autres champs d'entre-deux

Les deux premiers seraient les interlangues d'apprentissage et de désapprentissage (ou attrition), qui constituent probablement des espaces comparables (ou identiques ?) – bien que répondant à d'autres fonctions – en ce qu'ils sont également 'intermédiaires'.

R. Maitre et M. Matthey (2004) évoquent ainsi, mais en passant, une fillette de douze ans qui essaye de parler le patois d'Evolène avec son grand-père, et ils citent, de la dialectologue Rose Claire Schüle, dans les années 1960, l'usage du mot abâtardissement du patois.

Le domaine du désapprentissage a été exploré à partir des années soixante, sous le concept de semi-speaker (Nancy Dorian 1973, 1977), et, à partir d'exemples scandinaves, sous le concept de semi-linguisme (avancé dès 1962 par un linguiste suédois, N.E. Hansegård), repris par Haugen (1966), concept qui a fait couler beaucoup d'encre polémique. On évoque sous ce terme des locuteurs qui ont une maîtrise insuffisante de deux langues en présence, et qui de ce fait les mélangent sans cesse, ou autrement dit les utilisent de façon nécessairement complémentaire.

Ces deux termes, désapprentissage et semi-linguisme, sont connotés négativement, du fait qu'ils sont en quelque sorte repérés par rapport à une compétence monolingue stricte, sans compensation par un quelconque autre instrument de communication.

Au plan des pratiques écrites, peut-être aussi pouvons-nous en voir une troisième manifestation, ou un analogue, dans l'usage de graphies adaptatives, qui combinent le système graphique standardisé d'une langue avec la notation des spécificités d'une autre.

Le quatrième champ est cependant le plus important. « Pour Saussure, la langue est entièrement et exclusivement du côté de l'audition, de la réception », écrit Encrevé (1977 : 6), qui commente : « Ainsi la langue d'un sujet, contrairement au jugement commun, ce n'est pas la langue qu'il parle, c'est la langue qu'il entend » (1977 : 14). Il s'agit ici, couvrant mais dépassant notre ‘espace intermédiaire’, de l'idée, évoquée souvent sous le terme d'intercompréhension, que la compétence passive acquise dans une variété permet de comprendre l'autre. La compétence passive est plus difficile à observer que la compétence de production, car elle ne se cristallise pas immédiatement dans un document linguistique observable, c'est pourquoi on la déduit de pratiques diverses – ne serait-ce que la participation aux activités de la vie quotidienne –, et elle fait souvent l'objet de mentions peu précises, intuitives.

Ainsi l'intercompréhension – un des critères pourtant les plus usités de proximité linguistique – est d'un usage particulièrement inconsistant ou instable. Qu'on en juge – pour n'en prendre qu'un exemple – par ses usages scolaires en Italie, rapportés par Marco Giolitto (2004) : selon les besoins politiques du pouvoir, le piémontais est dit plus proche du français ou du toscan (donc offrant un accès facile à l'un ou à l'autre), et dans les deux cas restent de réels problèmes des élèves à suivre l'enseignement, puisqu'ils sont de langue piémontaise : « En 1802 le français devient la langue officielle de l’enseignement, malgré les énormes problèmes des élèves, qui, ne parlant que le piémontais, ont de grandes difficultés à suivre les cours en français, comme ils en avaient avec les cours en italien ».

Cette étonnante déformabilité de la notion d'intercompréhension, souvent rencontrée chez les témoins des enquêtes, mais aussi dans les travaux savants, la rend difficilement utilisable en toute rigueur par les linguistes, sauf à recourir à des protocoles de psychologie… ce qui n'empêche qu'on continue à l'utiliser intuitivement.

Enfin, le caractère peut-être le plus important de cet ‘espace intermédiaire’ est la souplesse des pratiques qui s'y inscrivent, souplesse due au fait que ce ne sont pas des langues que l'on y trouve, mais précisément des productions échappant aux modèles de langues. Nous reviendrons plus loin sur les représentations épilinguistiques4 qui rendent compte de cet espace. On ne saurait trop souligner l'intérêt épistémologique particulier que présentent des situations où les variétés concernées ne sont pas rigidifiées en langues, ni aux yeux des locuteurs, ni à ceux des linguistes.

Autrement dit, dans la perspective particulière de la notion d'entre-deux, ce que peut dire le linguiste est que la considération de l’entre-deux délégitime les objets (les langues) posés d’entrée, ou les enrichit considérablement.

6. Hégémonie de la description en langues séparées

Mais on ne saurait oublier que la norme qui domine, presque universellement, est celle d'« un monde de langues séparées », selon la belle expression de Le Page et Tabouret-Keller (1985), qui ont travaillé sur un espace créolophone et multilingue, à savoir Belize. En conséquence, nous sommes obligés de considérer qu'il existe une norme idiomatique, qui est « l'effet normatif, sur le discours, des représentations de limites d'idiomes » (Eloy 1997 : 117). C'est une norme linguistique fondamentale, qui exige le respect des frontières entre langues, et interdit le mélange des langues. Cette norme prend sens dans des conceptions ou idéologies linguistiques, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Très concrètement, elle exige des pratiques d'opposition, de scission résolue entre les langues, permettant des usages contrastifs, éventuellement alternants, en bref ce que nous appellerons des pratiques oppositives, mais surtout pas mixtes.

On trouvera donc à ce chapitre tous les cas classiques de pratiques linguistiques identitaires, que ce soit dans le cadre des langues standardisées et jalouses de leur ‘pureté’ (on parle alors de purisme) ou dans le cadre de variétés émergentes, en cours d'affirmation et de conquête statutaire, où l'on parle alors de nationalisme linguistique. Le traitement de ces pratiques oppositives va différer, selon la proximité linguistique des langues en présence. Le contraste est patent entre les situations de langues proches et les situations où n'existe pas ce sentiment de proximité. Ainsi, selon Pierre Knecht (1985, cité par Matthey et Maitre 2004), en Suisse romande en général, « grâce à la distance linguistique entre patois et français, les dialectophones ont eu de tout temps conscience qu'il s'agissait de deux langues différentes. L'influence du français put donc aller très loin sans mettre en péril l'identité même du patois ».

Bien sûr, dans des situations de contact comme basque-français, ou gaélique-anglais, l'identité même de la langue minorée ne fait pas de doute. En revanche, dans les situations de variétés proches (au sens de ‘appartenant à un même sous-domaine dialectal’) comme celles du domaine d'oïl, ou scots-anglais, ou asturien-castillan, l'opposition a pour enjeu explicite, faisant souvent l'objet d'un débat dans la société concernée, la reconnaissance de l'existence même d'une langue séparée. La proximité linguistique intervient ici paradoxalement : elle gêne objectivement les pratiques oppositives, mais de ce fait suscite un volontarisme perceptible au niveau même des formes linguistiques sous forme de réfections et d'hyperdialectalismes (Hendschel 2004).

Sans approfondir ce point ici, nous voulons surtout souligner que cette norme idiomatique tendant à la mise en opposition des idiomes est à ce point fondamentale que les descripteurs oublient souvent de la considérer comme telle, et la traitent comme fait de nature ou comme fait d'évidence fonctionnelle. De cette norme découle l'hégémonie des descriptions en termes de langues séparées. Qu'il s'agisse des locuteurs ou des linguistes – et même des sociolinguistes –, la tendance est extrêmement forte à ne pas savoir décrire l'espace intermédiaire autrement qu'en termes bi-polaires – notre terme provisoire ‘intermédiaire’, d'ailleurs, n'y échappe pas ! Rappelons que chez des locuteurs en position d'affirmation identitaire, même dans le cas de langues distantes, les pratiques oppositives peuvent intervenir à propos de tout élément suspecté d'être une interférence.

Ainsi le cas du breton chez certains néo-bretonnants. L'une des structures verbales du breton, la structure verbale impersonnelle, étant identique à celle du français, ils considèrent que « ce n’est pas du breton, mais un calque du français, et [que c']est par conséquent inacceptable ». Ce que la linguiste qui rapporte ce fait, Cécile Avezard-Roger (2004), décrit comme « une attitude assez normative, assez puriste vis-à-vis de leur langue ».

Si l'on se tourne vers les descripteurs spécialisés, les linguistes, on trouve cette même attitude, soit assumée ouvertement, soit, parfois, exprimée indirectement, au corps défendant des auteurs. Quand, par exemple, les lexicographes catalans évoqués par Philippe Reynès (2004) excluent de leurs dictionnaires les castillanismes, les gallicismes ou les italianismes rencontrés dans les pratiques, ils assument évidemment un programme de ‘purification’, c'est-à-dire d'opposition radicale.

Plus troublant est l'autre cas, quand les linguistes mêmes qui s'intéressent à l'espace intermédiaire ne parviennent, si l'on peut dire, à le décrire qu'en le décriant – involontairement. Par exemple B. Jeannot (2004) sur le créole martiniquais, après avoir convenu que « la caractérisation du lexique martiniquais n’est pas rendue aisée du fait de la proximité formelle, énonciative et discursive des deux langues », indique : « on se rend compte que des locuteurs peuvent produire des énoncés comportant des lexèmes français, là où l’équivalent créole aurait pu facilement être employé ». Et un peu plus loin, à propos de faits phonologiques du créole, elle parle de « réalisations qui lui sont étrangères et d’éléments qui lui sont extérieurs ». Cette description repose sur les seuls termes créole et français, ou basilecte et acrolecte. Mais les réalisations qu'elle caractérise comme extérieures ou étrangères, ne le sont que par rapport au basilecte : or justement, ce qui est ici observé, l'article démontre que ce n'est pas du basilecte. Entendant par créole uniquement le basilecte, elle renvoie le discours qu'elle décrit à des lacunes ou défauts. Elle aborde un état de langue autre, mais le décrit en le retranchant d'un idéal (basilectal), et non comme une création positive.

Il est fréquent que la dénomination d'une variété, l'existence même d'une terminologie, soit un véritable piège. Par exemple Ó hIfearnain (2004) note : « Il est vrai qu’un certain nombre d’universitaires ont commencé à utiliser le mot écossais ‘Gàidhlig’ en irlandais pour désigner le gaélique d’Écosse, et ‘Gaeilge’ en gaélique d’Écosse quand ils parlent de l’irlandais, mais ce n’est pas une pratique populaire authentique et cela crée de nombreux problèmes pour la grammaire, sans parler du fait qu’il n’existe pas d’accent grave en irlandais. Cela montre une volonté dans le discours universitaire d’extérioriser la langue de l’autre pays et de créer une terminologie à l’instar de l’anglais ». On trouve un autre exemple en Flandre dite néerlandophone (Duvolskeldt 2004).

Il y a donc une tendance descriptive générale au schisme, ne serait-ce que par la terminologie, l'acte de nomination (Tabouret-Keller 1997) – et pas seulement pour une raison théorique, celle de la langue au sens saussurien, le ‘système où tout se tient’.

7. Les jugements de valeur et leurs enjeux

Allant plus loin, nous trouvons – toujours au corps défendant du linguiste – de véritables jugements de valeur : « Le niveau syntaxique n’est pas plus épargné que les précédents. … L’énoncé (…) est donc a-basilectal et aurait dû se réaliser sous la forme… alors qu’en créole basilectal, une telle structure n’a pas lieu d’être » (Jeannot 2004).

On trouverait bien sûr d'autres cas de cette partialité – par exemple, à propos du sourgyk en Ukraine, la linguiste utilise l'expression « un sourgyk grave » (Shumarova 2004).

La créoliste que nous avons prise pour exemple nous livre très explicitement la clé de son comportement, et vraisemblablement de celui de bien d'autres linguistes : « À terme, si de tels processus n’étaient pas enrayés, on pourrait craindre que ce type de décréolisation, accompagné d’une décréolisation structurelle en profondeur, conduise à un rapprochement matériel des deux langues de telle sorte que les locuteurs verraient de moins en moins la nécessité de manier deux idiomes ».

Et voilà peut-être bien l'enjeu : dans le rapprochement des langues – asymétrique, ne l'oublions pas, c'est-à-dire aussi polarisé par des relations de pouvoir ou cratiques, selon le mot de Muljacic (2004) –, la linguiste craint la disparition de son objet, ou bien plus généralement la disparition d'une langue, aussi précieuse à ses yeux que toute langue. Allons plus loin. S'il n'y avait que cela, elle pourrait aussi, pourtant, se réjouir de l'apparition d'une autre langue, d'une nouvelle variété, mais elle ne le fait pas. Qu'y a-t-il donc d'autre ? C'est que la variété déjà réputée existante est investie d'identité, elle est la langue – ne serait-ce que symboliquement – d'un groupe humain, ce que n'est pas la nouvelle variété à venir : il faut donc convenir que la linguiste est sensible, par sympathie consciente ou non, au discours ‘identitaire’, elle est prise dans un fonctionnement anthropologique qui l'associe à la communauté des locuteurs qui se reconnaissent dans le créole basilectal (et pas encore, explicitement du moins, dans une nouvelle variété mésolectale).

Signalons qu'une issue à cette difficulté est proposée par Jean Bernabé (1983) : il travaille sur cette zone mésolectale, abordée au plan linguistique et épilinguistique, en posant une compétence d'emprunt, responsable de la discontinuité acrolecte/basilecte, assortie d'une instance douanière, qui marque, variablement, les emprunts. Ce dispositif lui permet de rendre compte du mésolecte comme espace énonciatif, à partir des termes linguistiques ‘acrolecte’ et ‘basilecte’.

8. La langue d'à-côté

Si l'entre-deux-langues pose donc de gros problèmes de description, il faudrait évoquer aussi un à-côté-de-la-langue – la réalité linguistique non reconnue juste à côté d'une ou de deux langues reconnues. L’entre-deux, ici, est identique à la distance faible, la proximité qui empêche l’autonomie. À travers les débats politico-linguistiques se lit bien aussi la difficulté à appréhender (ou à instituer, selon le mot de Balibar 1985) ces variétés proches.

C'est le cas du débat sur le joual, qui a fait couler tant d'encre au Québec, où la question est récurrente de la reconnaissance de l'existence d'une variété distincte du français bien que proche. À propos de cette variété, deux positions nient l'espace intermédiaire : les uns, comme Laurendeau (2004), lui donnent existence comme variété distincte, et la posent comme langue ‘proche’ du français et non une variété ‘intermédiaire’ entre français et anglais. Les autres nient vigoureusement que ce soit une variété, et désignent l'ensemble de faits concernés comme produit d'interférences d'une langue sur une autre (l'anglais sur le français), c'est-à-dire un ‘produit intermédiaire’. Le débat, d'ailleurs, est retombé, et très peu de journalistes et intellectuels s'écartent aujourd'hui du consensus politique réalisé depuis vingt ans contre la reconnaissance du joual.

Mais sur le même terrain se situe un autre débat, abordé par A. Paquot (2004), celui du français québécois par opposition au français standard. Ce débat, selon elle, « témoigne de l’inconfort d’une proximité linguistique jugée aliénante et oppressive et, en réaction, de la volonté de différenciation identitaire à laquelle elle peut mener ». La proximité linguistique joue ici un rôle quasi-oppressif – plus exactement, elle semble aider à une oppression ressentie. Mais de ce fait, elle devient un ‘problème à régler’, et détermine des actions politico-linguistiques, des actions sur les langues et leurs locuteurs. Ce qui oppose les acteurs dans le débat, en fait, plus même que l'analyse du fait linguistique, c'est la reconnaissance, la déclaration, l'institution, l'objet idéologique – aussi – qu'est une langue.

Ainsi, à côté de la question de la distance linguistique objective entre des variétés – question qui à notre connaissance, comme nous l'avons dit, n'est pas réglée en linguistique –, les groupes humains construisent des dispositifs de proximités et d'éloignements (expression de Paul Laurendeau*). Il faut entendre par là, en premier lieu, des dispositifs discursifs, c'est-à-dire des discours stabilisés, établis, acquis. Ces dispositifs sont des éléments centraux, sont la réalité essentielle de ce qu'on appelle les représentations épilinguistiques ou sociolinguistiques, ou l'idéologie linguistique.

Autrement dit, l'entre-deux est travaillé par les pratiques et les représentations, qui peuvent le nier ou l'exagérer, en termes de proximité-distance entre les langues.

9.  Une question de communication : un espace de synergie linguistique

Au cours de l'enquête (Eloy et al. 2003), nous avons noté que non seulement presque tous les témoins évoquent des ‘mélanges’ de langues, et généralement s'en amusent beaucoup, mais aussi qu'une frange de témoins semble remettre en cause le concept même de langue en dérivant vers la communication.

L'impossibilité de nommer est en quelque sorte la première étape : des témoins disent par exemple du parler des immigrants polonais (de première génération, leurs parents) que « c’est un mélange français polonais, c’est un cocktail de français de polonais de picard et euh bon y a des mots d’ailleurs / qui sont pas des deux »5, ou, par la négative, « c’est même pas polonais c’est pas du français c’est pas du picard c’est pas de l’espéranto non plus ».

Mais dans certains cas, la notion de langue semble explicitement écartée comme non pertinente, comme le dit ce témoin (qui parle un portugais natif, un français natif, et un picard natif) :

<Joachim> euh on sait même pas ce qui sort <rires> / si le gars en face i comprend il a compris si i comprend pas i demande qu’est-ce que t’as dit / voilà c’est tout (…) "

De façon cohérente, cette conception le conduit à refuser de se dire bilingue ou trilingue :

« ah nan faut pas dire ça c’est faux / non c’est / on a des langues c’est tout / (…) je suis bien content de le savoir c’est tout / ça reste là
<Enquetrice> <rires> ça reste un un outil de communication
<Joachim> communication voilà

La notion de langue est conçue (par certaines personnes ou beaucoup ?) comme éloignée des pratiques réelles, dans une sorte d’éther inaccessible. Et de ce fait, ce qu’on parle, on hésite parfois à le reconnaître comme langue : ce qui s'exprime par « ça sort » : « je ne sais même pas si euh si ils s’en rendent compte euh de façon consciente je pense qu’ils parlent comme ça ils utilisent un terme en français un terme en polonais ils mélangent le tout et ça sort euh ça fait une phrase ».

Qu’est-ce que ce ça : le mélange ? L'entre-deux ? Est-ce seulement la parole ? Ou bien ça est une indéfinissable non-langue ?

Enfin, une de nos informatrices remet en cause notre démarche de linguistes en expliquant que ce n’est pas une affaire de langues mais de cultures… et « c’est un tout » : « moi je pense que c’est un mélange de la langue de la culture qu’on nous apporte enfin / la langue c’est pas que le parler hein / c’est euh / je sais pas comment vraiment l’expliquer / c’est un mélange de coutume / de rites enfin c’est un tout quoi ».

La difficulté de ce témoin à exprimer son idée est bien compréhensible : la culture, le vécu, l’histoire de l’immigration… dépassent de trop loin un ‘simple’ mélange de langues.

Faisons le rapprochement avec ce que disaient au colloque de 2001, les linguistes travaillant sur la décréolisation. D'abord la lumineuse démonstration de B. Jeannot (2004) :

Le créole étant réhabilité et revalorisé par des instances officielles, il peut devenir légitime d’utiliser le créole même dans des situations formelles, si le recours à cette langue répond à un quelconque besoin communicatif (compréhension de locuteurs unilingues, expression d’une spécificité culturelle créole…). Ce mouvement des représentations et de l’imaginaire des locuteurs à l’égard des deux langues, a donc pour conséquence d’entrainer un cloisonnement de moins en moins hermétique entre les frontières énonciatives du français et du créole. Or, ces frontières, en excluant toute possibilité de coexistence en discours des deux langues, peuvent permettre d’éviter certains phénomènes de contamination réciproque entre elles et peuvent donc être considérées comme un frein à leur interpénétration plus avancée d’un point de vue structurel. C’est précisément la proximité énonciative qui prend valeur de causalité, se surajoutant à d’autres facteurs (coexistence des deux langues sur un même terrain, proximité génétique, utilisation du français ou d’un créole marqué par le français dans les médias…) pour entraîner une proximité linguistique de plus en plus accrue entre les deux langues. 

Autrement dit, les pratiques linguistiques dans l'espace énonciatif commun de l’‘entre-deux’ seraient le lieu de mouvements linguistiques majeurs. Jean Bernabé et S. Grivelet (2004) aussi, parlant de ‘la compréhension du message’, soulignent que « la question de la communication linguistique n'est pas seulement question annexe de celle de la créolisation : elle lui est connexe, voire consubstantielle.

Cela n'est pas un résultat intellectuel sans conséquences : du fait qu'il s'agit de stratégies communicatives, « Ce n'est donc pas au niveau des "états-majors" de linguistes que vont opérer les mouvements linguistiques même si les ‘experts’ ont un rôle déterminant à jouer dans l'analyse et l'encadrement des phénomènes. C'est à la masse parlante que revient le rôle actif et déterminant en la matière ».

Il est donc indispensable, dans notre problématique d'aujourd'hui, de faire entrer le thème de la communication. Car les pratiques de notre ‘espace intermédiaire’, dès lors qu'elles sont fréquentes et relativement stables, ne se réduisent pas aux langues ‘polaires’ (par exemple acrolecte et basilecte) : il s'y déroule un processus positif de communication, qui peut se stabiliser en un registre identifié, et se révéler éventuellement créateur de nouvelles variétés.

Nous ne pouvons conserver l'idée d'un ‘espace intermédiaire’ – seulement intermédiaire : c'est un espace de synergie, fonctionnel pour la communication.

Les pratiques de cet espace ‘intermédiaire’ mettent en effet les pôles en collaboration, en synergie pour la communication : les ressources sont comme simultanées, cumulées, combinées, synthétisées… et les pratiques synergiques, utilisées massivement, peuvent être assumées comme marqueurs d'identité de groupe.

Mais ce n'est pas toujours le cas, et surtout il est rare que l'on donne à ces pratiques le statut d'une langue : les contradictions sont fréquentes à leur propos. En fait, ce qui s'oppose dans les représentations, ce sont les opérations de schisme et celles de synergie. Quelle est donc la place de la synergie des langues (hybridation, synthèse, syncrétisme, etc.) dans nos idéologies ?

10. Entre deux langues : schisme et synergie

Les linguistes ont étudié de nombreux cas de pratiques linguistiques hybrides, telles que les pidgins et lingua franca diverses. Dans une certaine mesure, on peut même admettre que l'hybridation est le cas général – même la philologie lui a donné une place sous les concepts de substrat et d'adstrat –, avant qu'un groupe social ne développe des pratiques oppositives à des fins d'identification. Mais si l'on cherche des pratiques hybrides conscientes érigées en ‘variétés’, la littérature est beaucoup moins abondante. Il est frappant que nous n’avons que peu de cas semblables en synchronie, alors que l'histoire des langues en regorge.

Par exemple, Claude Hagège (2000 : 242) cite quelques cas de langues mixtes ou « hybrides linguistiques, qui résultent du contact entre deux langues, dont les systèmes se mêlent totalement ». Il évoque d'abord la « langue de l’île du Cuivre » (au large du Kamtchatka), faite d'un lexique aléoute affecté d'une morphologie russe, pour montrer que dans ce cas la langue aléoute a trouvé son « salut par l'hybridation » (car là où n'avait pas lieu cette hybridation elle a disparu plus tôt). Il mentionne également le mbugu de Tanzanie, hybride de langue couchitique et de bantou, la media lengua d'Equateur, hybride de quechua et d’espagnol, et le mitchif du Canada (Alberta), hybride de langue cri et de français.

Nous rejoignons son propos quand il note: « Bien entendu l’hybridité dérange. (…). Mais c’est la myopie du contemporain qui fausse le jugement » (2000 : 243).

Ces exemples, cependant, ne nous satisfont pas. Car, outre que ce sont souvent des cas de très petites langues par le nombre de locuteurs, il faudrait savoir dans quelle mesure il s’agit de variétés conscientes et assumées par leurs locuteurs. Or l’auteur note que, sur l’ile du Cuivre, « Selon les enquêteurs, (…) les habitants sont persuadés qu’ils parlent russe ». En l’occurrence, l’hybride n’aurait donc aucune place dans les représentations. De plus, ces hybridations ne concernent que des langues distantes (vs proches).

La figure 3 tente une sorte de reformulation du couple schisme-synergie. Elle distingue les pratiques linguistiques et les représentations ou idéologies, et à chacun de ces niveaux les options ou tendances oppositives (tendances au schisme) et les tendances à la synergie. Enfin, le schéma nous permet de faire intervenir le degré d’investissement politique de ces questions, qui revient aux enjeux de pouvoir.

Figure 3 : Faits de synergie et de schisme, dans les pratiques et l’idéologie, y compris politique.

Figure 3 : Faits de synergie et de schisme, dans les pratiques
          et l’idéologie, y compris politique.

Ce que nous avons vu jusqu’à présent, c’est que les pratiques existent dans les deux directions tendancielles – synergie et schisme (cases A et B du schéma). La tendance au schisme est liée au politique – c’est, typiquement, l’influence normative du nationalisme. Et inversement, les pratiques synergiques touchent, comme par définition, les locuteurs les plus éloignés du pouvoir.

Quelle est la traduction idéologique de ces phénomènes ? La case D du schéma rappelle la force des idéologies du schisme, et l’importance de la composante politique (‘nationiste’ ou nationaliste) ; tous les termes font l’objet d’une forte valorisation positive. Mais dans la case C du schéma, on ne peut faire état que de termes négatifs, et au mieux d’un silence pudique des locuteurs ; la dominante s’exprime en dévalorisation, dérision, négation, voire répression. Cela fait ressortir l’exception remarquable que constituent un tout petit nombre de formes hybrides, comme le sourgyk d’Ukraine, le nouchi de Côte-d’Ivoire ou le chiac d’Acadie, quand elles sont assumées comme marqueurs identitaires, et valorisées6 par les locuteurs, ce qui en général se fait à la faveur d’un nom propre à cette forme linguistique.

Mais nous apercevons alors que ces formes hybrides sont susceptibles à leur tour d’entrer dans des pratiques oppositives. C’est ce que, dans le cas du sourgyk, suggère très prudemment Nataliya Shumarova (2004) – qui elle-même est nettement opposée à l’idée de considérer le sourgyk en positif :

Les locuteurs ont souvent conscience du caractère incorrect, non-normatif du sourgyk, mais comme il est parfois la forme langagière unique assimilée comme ‘langue ukrainienne’ par certains sujets parlants, ceux-ci rejettent souvent non pas le sourgyk, mais la forme littéraire de la langue ukrainienne ; il apparaît une sorte de distanciation, d’opposition entre ‘le mien’ et ‘l’autre’, où ‘l’autre’, c’est la forme littéraire de la langue maternelle aussi bien que le russe (…). À l’heure actuelle on peut parler d’une certaine expansion du sourgyk. Comme la langue ukrainienne est devenue obligatoire pour la communication officielle et d’affaires, un flux langagier peu correct ou même macaronique s’est fait la voie à la télévision et dans la presse en devenant souvent l’objet de moquerie.

Mais cette moquerie même n’est certainement pas unanime ni efficace comme moyen de répression, car l’auteur note aussi que « D’après nos observations, certains linguistes ayant des connaissances excellentes des langues russe et ukrainienne parlent chez eux sourgyk » et que : « De l’autre côté, le sourgyk est utilisé souvent comme moyen stylistique dans les mass média et n’évoque pas toujours une réaction négative. Une des héroїnes populaires des émissions télévisées, Verka Serdyutchka, parle sourgyk ce qui ne l’a pas empêchée de gagner la sympathie du public ».

Conclusion

Cet exposé ne prétend pas, et de loin, épuiser la question posée. Nous avons voulu attirer l’attention sur quelques points importants, résumés ci-dessous.

La métaphore d’un espace compris entre deux langues est liée à celle de la distance linguistique, et elle figure commodément la notion de continuum. Notons que c’est une métaphore différente de celle du contact, qui ne suppose, entre la variété A et la variété B, aucune place potentielle pour un troisième terme. Cet espace intermédiaire, ce qui se passe entre les deux pôles, a été au contraire notre troisième terme, dont nous avons vu qu’il fait l’objet d’élaborations, de constructions, que l’on peut nommer, après Paul Laurendeau (2004), dispositifs de proximités et d’éloignements.

Que les pratiques linguistiques soient abondantes dans cet ‘espace’, ce n’est pas une révélation pour des sociolinguistes. Mais nous avons voulu signaler toute une classe de situations, perçues et décrites comme des pratiques continuistes entre deux variétés proches. L’intérêt de ce phénomène est de premier plan là où il y a émergence ou néoglossie (Léonard 2004), y compris dans la rétrospective historique, car c’est là que se joue la constitution des langues. Dans les termes de Kloss (1967), ce sont des cas d’Abstand réduit suscitant des pratiques d’Ausbau7. Nous avons signalé à ce propos deux points faibles des travaux linguistiques, à savoir d’une part l’impossibilité d’une appréhension simple de la ‘distance linguistique’, d’autre part la difficulté de décrire l’intercompréhension, c’est-à-dire une compétence passive qui en quelque sorte se joue des frontières de langues.

Il nous a semblé utile de montrer que la norme de ‘séparation des langues’ est aussi un fait construit – visible surtout dans les cas de langues proches. En effet, en tant que membres de leurs sociétés, et du fait que les théories qui les forment sont elles-mêmes partie intégrante des fonctionnements sociaux, les linguistes semblent souvent participer aux préjugés ‘scissionnistes’ en vigueur – même devant des corpus manifestement continuistes. Et à défaut de prendre du recul à ce propos, les linguistes risquent de manquer d’observer ce fait anthropologique fondamental, que sont les dispositifs de proximités et d’éloignements.

L’existence de cloisonnements, de pratiques oppositives, ou au contraire de pratiques d’hybridation ou de fusion, ne trouve explication que dans le cadre de stratégies de communication. Or c’est, nous semble-t-il, un niveau que les linguistes qui travaillent sur les contacts traitent souvent sommairement, par une sorte d’auto-limitation de leur recherche : il y a là un paradoxe regrettable, si ce niveau est bien le cadre où se règlent les constructions de langues.

Au rebours de l’hégémonie des idéologies de séparation des langues, nous avons proposé de nommer positivement espace de synergie les pratiques langagières mettant en œuvre des traits appartenant à deux langues reconnues, saisies plus banalement comme espace intermédiaire, de contact, de transition, ou continuum.

Enfin, nous avons signalé la rareté des cas où les représentations des hybrides (en général, et en particulier d’hybrides entre langues proches) étaient positives, investies d’actes d’identité par les locuteurs, et considérées comme ‘de vraies langues’ par les linguistes. Sans doute notre enquête est-elle très lacunaire sur ce point, mais sans doute aussi faut-il d’abord concevoir une classe de phénomènes pour pouvoir en faire l’inventaire plus complètement.

Nous avons le sentiment, en terminant cette communication, d’avoir commencé un tel travail, et non de l’avoir achevé.

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Notes

1 L'enquête portait sur les rapports établis par des familles d'origine immigrée entre le français, le picard et leur langue d'origine. Return to text

2 En 2001 et 2003 ont eu lieu à Amiens et Limerick deux colloques internationaux sur les « Langues collatérales », où ce dernier concept a été confronté à un bon nombre de situations de proximité linguistique (Eloy, Ed. 2004, Eloy / Ó Hifearnain, Ed. 2007). Return to text

3 « La lingua del Bersezio è il torinese parlato : più idiomatico in bocca ai personaggi dei ceti popolari e medi, più sostenuto, ma forse meno caratterizzato nella sua struttura sintattica generale, su quella della buona borghesia ». Traduction de l’auteur. Return to text

4 On entend par épilinguistique l'ensemble des discours et jugements des locuteurs sur les pratiques langagières (y compris les leurs). Return to text

5 Convention de transcription : / signifie une pause. Return to text

6 Cette valorisation reste discutée, aussi longtemps qu’une politique linguistique explicite n’érige pas l’hybride en variété officielle. Ainsi par exemple, Perrot (2001) fait du chiac une véritable langue : « Le degré de stabilisation du mélange des langues est tel qu’il rend possible la description d’un nouveau système obéissant à des règles qui lui sont propres », et le décrit comme « représentatif de l’ensemble, collectif et non marqué », au contraire de l’alternance codique, procédé qui « reste marginal et stigmatisé au sein du groupe ». Au contraire, Boudreau et Dubois (1993) insistent sur l’instabilité de l’hybride : « le corpus permet de cerner un véritable continuum variant du français plus ou moins standard au français plus ou moins anglicisé ; le degré d’anglicisation varie d’un informateur à l’autre et d’un entretien à l’autre », et le décrivent comme « fortement dévalorisé ». Return to text

7 Schématiquement, entre des langues, Ausbau désigne la distanciation par élaboration, Abstand la distance donnée d’origine. Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Jean-Michel Éloy, « Entre-deux langues : un point de vue de linguiste », Textes et contextes [Online], 19-1 | 2024, 15 July 2024 and connection on 21 November 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=4642

Author

Jean-Michel Éloy

Professeur émérite de Sciences du langage, laboratoire CERCLL (UR 4283), Université de Picardie Jules Verne, UFR de Lettres, Campus Citadelle, F-80000 Amiens

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