Voyager dans un jardin et y découvrir le monde : l’univers enchanté du quotidien urbain

Résumés

La nature en ville enchante le quotidien, elle change une simple promenade en voyage de découverte au fil des rencontres de plantes, d’oiseaux ou d’insectes. Apprendre à regarder la nature en ville, c’est aussi comprendre la cohabitation de l’humain, de l’animal non humain, du végétal, de l’eau ou de la pierre qui, dans la ville, tracent un sentier de conscience. Les jardins du monde, les animaux croisés dans les villes sont des révélateurs. Ils ré-enchantent le monde urbain et en même temps ouvrent nos yeux. Un simple jardin peut devenir un monde. Dans un va-et-vient entre ma propre expérience dans des lieux divers et les jardins littéraires, de Thoreau à N. Scott Momaday et des jardins de Shakespeare aux États-Unis aux chemins de Linné en Suède, cet article cherche à montrer comment jardins littéraires et jardins réels racontent le monde en nous apprenant à le regarder et à comprendre notre lien avec lui.

Urban nature re-enchants our everyday life, changes a mere walk into a journey of discovery, as the walker meets plants, birds, or insects. Learning to look at nature in the city is also a way of understanding the cohabitation of humans, nonhuman animals, vegetation, water, or stones which reveal many things. They re-enchant the urban world and at the same time open our eyes. A mere garden can become a world. In a to and fro movement between my own experience in various places and literary gardens, from Thoreau to N. Scott Momaday and from Shakespeare Gardens in the USA to Linnaeus’s itineraries in Sweden, this article tries to show how literary and real gardens together tell stories about the world while teaching us to look at it and to understand how we are interconnected with it.

Plan

Texte

Les voyages de découverte ne sont pas toujours à l’autre bout du monde et le confinement forcé nous en a offert chaque jour. La pandémie qui frappe le monde depuis plus d’une année maintenant, nous a appris deux choses : que l’arrêt brutal de nos activités de croissance ininterrompue offre à la nature la possibilité de respirer, et que rester chez soi nous apprend le sens du voyage. Virus créateur de paradoxes formateurs qui régénère le monde en l’attaquant. Premier paradoxe : ce virus qui attaque les voies respiratoires, par effet domino, donne au monde naturel la possibilité enfin de respirer et de vivre un printemps où l’air et l’eau se purifient (même si la pollution accumulée ne peut pas disparaître totalement en si peu de temps) et où les oiseaux se reproduisent librement et sans peur. Deuxième paradoxe : un animal d’une espèce protégée tué et/ou manipulé1 par les humains et le monde animal peut enfin vivre parce que les humains se retrouvent en cage. Troisième paradoxe : enfermés, nous voyons enfin le monde qui est à notre fenêtre et que nous ignorions, nous découvrons le sens de la liberté. Beaucoup de fenêtres s’ouvrent sur du béton, pourrait-on rétorquer. Mais même celles-là laissent apercevoir le ciel si on lève les yeux et si on les baisse, des plantes appelées par les humains « mauvaises herbes » et qui poussent entre les dalles de béton ou dans les fissures du goudron. Nous pouvons choisir de ne voir que le béton et voir en ces végétaux seulement de mauvaises herbes. Nous pouvons aussi nous laisser interpeller par les nuages qui passent et les plantes qui profitent de l’absence humaine, pour réinvestir le territoire colonisé par les humains. Louis Albertini, agronome, raconte comment il profite du confinement pour déambuler dans les rues de Toulouse et recenser les plantes spontanées qui profitent de l’absence humaine pour apparaitre dans les interstices :

À Toulouse, dans la succession de trottoirs dallés ou cimentés bordés de murs, peu hospitaliers aux plantes, qu’elles soient annuelles ou vivaces, celles-ci, avec leur force de caractère, ont décidé de fêter le printemps en installant leurs graines dans les peu accueillantes fentes et petites anfractuosités horizontales ou murales. Dans ces réceptacles, la terre est d’autant plus précieuse qu’elle est rare.

En mars-avril, l’essor des plantes au hasard de ces creux et fentes disséminés dans les rues du quartier Daurade-Assézat fait qu’un jardin spontané diffus s’offre aux yeux du promeneur curieux qui sait tourner son regard vers le sol ; en retour, les jeunes plants le saluent en lui présentant leur végétation printanière souvent brillante et parfois leur floraison aux couleurs vives.2

Si nous ne résistons pas trop à l’appel du printemps, à l’appel de la nature, tout un monde naturel s’offre à notre découverte. Ce virus, en nous enfermant, peut libérer nos regards, peut libérer nos sens. Confinés, nous entendons et nous voyons le printemps qui arrive et, faute de pouvoir aller rejoindre les montagnes et les collines en fleurs, nous laissons le parfum des fleurs et le chant des oiseaux entrer en nous. Même dans un petit appartement, il y a toujours une fenêtre. C’est elle qui nous ouvre le monde en ouvrant notre regard.

Parce qu’un animal en un seul point du monde — pangolin ou chauve-souris ou tout autre animal — puisque la seule certitude autour de ce virus qui nous réunit, c’est que nous ne savons rien sinon que c’est un geste humain lié à un animal qui aurait généré la pandémie —, a transmis un virus au monde entier et que le monde entier se retrouve enfermé, ensemble, chacun comprend que nous sommes tous dans le même village, dans le même bateau, dans la même arche. Un geste destructeur en un point précis du globe et le globe entier souffre. La réciproque est vraie. Le monde humain s’arrête et le monde non humain revit. Notre emprisonnement libère ce monde que nous condamnions sans le voir et il régénère/guérit nos yeux aveugles qui découvrent alors le monde enchanté dans lequel nous vivions sans le voir. Et, autre paradoxe de cet étrange épisode de l’histoire humaine, en devenant statiques, nous découvrons la force du mouvement. Nous comprenons, en ne voyant plus d’avions dans le ciel, que notre jardin, notre fenêtre ouverte, nous offrent des voyages enchanteurs. « La ville-monde » (Mathis, Pépy 2017 : 33) nous offre ses jardins où le végétal devient « une thérapie pour la ville malade de l’âge industriel » (Mathis, Pépy 2017 : 33).

1. Marcher pour ressentir la nature

« Pourquoi la nature en ville ? », écrivent Charles-François Mathis et Emily-Anne Pépy (Mathis, Pépy 2017 : 17). Pour « exercer le corps » (177) en marchant ou en courant dans les parcs, et « cultiver l’esprit » (184) en découvrant des espèces de plantes que des scientifiques nomment pour les présenter au passant, sans doute. Mais aussi pour apprendre à regarder et à comprendre la cohabitation de l’humain, de l’animal non humain, du végétal, de l’eau ou de la pierre qui, dans la ville, tracent un sentier de conscience.

Bien sûr la nature en ville est plus souvent une réappropriation humaine du monde naturel qu’une nature sauvage. Thierry Paquot et Chris Younès écrivent :

Ainsi la « nature urbaine », par exemple, n’est-elle pas un stock de parcs et de jardins, d’arbres plantés le long d’un boulevard, de squares et de plates-bandes fleuries, de coulées vertes et d’espaces verts (ou bruns et rouges à l’automne), d’animaux domestiqués et d’insectes et d’oiseaux, mais tensions, tressaillements, entremêlements, excroissances rhizomiques, flux d’énergie, rythmes. Canaliser la nature, l’ordonner, la discipliner, consiste en définitive à la dénaturer. C’est précisément ce que les humains font, et plus encore en ville. Nous touchons là le problème crucial des relations entre humains et vivants. (Paquot et Younès 2010 : 11)

Mais si la nature en ville est en partie le reflet culturel de la pensée humaine, il reste une vraie nature sauvage qui habite les villes : plantes spontanées, oiseaux, papillons et autres insectes, vols d’oiseaux migrateurs qui passent au-dessus des villes. Il reste une nature sauvage en ville et la marche permet d’observer ce monde naturel sauvage qui vient s’imbriquer dans le monde naturel reconstruit par les humains. Marcher pour prendre conscience du monde à travers son corps. Ecouter ce que dit Michel Serres : « Etudiez, apprenez, certes, il en restera toujours quelque chose, mais surtout, entraînez le corps et faites-lui confiance, car il se souvient de tout sans poids ni encombrement » (Serres in Maggiori 2019).

Ann McCrary Sullivan, dans son recueil de poèmes, Ecology II: Throat Songs from the Everglades, célèbre la beauté de la nature à travers l’attention qu’elle y porte. Elle voit la vie de la nature dans l’absence de silence : « J’ai marché sur plus de trois kilomètres et je suis entrée dans le silence humain / Qui n’est pas silencieux — les lithobates grylio (grenouilles-cochons) font entendre leur coassement grave / Et les insectes bourdonnent, vrombissent, vibrent »3. C’est le mouvement de la marche qui lui permet de pénétrer un « silence / Qui n’est pas silencieux » et de chanter le chant de la vie, une vie représentée par les nombreux sons produits par les animaux, un silence habité de chants qui s’oppose au vrai silence, celui qui éradique la musique de la nature, comme ces chants de crapauds disparus, évoqués par Leslie Marmon Silko. Dans Sacred Water, l’écrivaine pueblo laguna parle du silence qui suit le chant des crapauds, signe vivant d’un changement dans la nature. Elle se souvient du chœur des crapauds, ce chant rugueux de la nuit qui enchante l’obscurité : « Longtemps, j’ai eu de nombreux crapauds de Sonora à taches rouges autour de la mare d’eau pluviale derrière ma maison […]. Des centaines de crapauds chantaient toute la nuit dans un magnifique chœur aux harmonies complexes »4. Mais la belle évocation du chœur des crapauds fait bientôt place à un silence provoqué par la contamination de la terre. Silko, en décrivant ainsi le nouveau silence de sa terre pueblo, pense à l’Ukraine contaminée de Tchernobyl. Les crapauds sont le lien vivant qui insère le local dans le monde. Toute contamination, en affectant une population précise, affecte le monde :

Les chœurs de multitudes de crapauds que l’on entendait toute la nuit avaient cessé. La catastrophe du réacteur nucléaire de Tchernobyl eut lieu peu de temps après et peut-être qu’elle affecta aussi la population de crapauds. L’été dernier, la mare contenait de nouveau des têtards, descendants des crapauds à taches rouges qui avaient survécu aux retombées radioactives et aux garçons avec le chien. Les chœurs que l’on entendait toute la nuit n’ont pas encore repris ; les crapauds ont besoin de quelques années de plus pour se remettre5.

Ces sons de la nature qui lui font entendre la vie du monde la conduisent à la conscience des blessures infligées au monde du vivant par la technologie humaine. La marche ouvre les sens et l’esprit à cette attention au monde traduite par l’écoute du chant des crapauds dans une mare derrière la maison de Silko, une attention que seul un mouvement ralenti peut générer. Marcher est le meilleur moyen de sentir la nature à travers tous nos sens grâce au contact direct du corps, des pieds avec le sol. Thoreau, dans son essai Walking, explique la relation profonde qu’il établit entre le marcheur et la nature. Il explique « l’art de marcher » en évoquant le mot saunterer (le promeneur) :

Au cours de ma vie, je n’ai rencontré qu’une ou deux personnes qui comprenaient l’art de la marche, c’est-à-dire l’art de se promener, qui avaient en quelque sorte le génie de la balade, de ce qu’on désigne du terme de sauntering6, mot dont l’étymologie est fort jolie : au Moyen Âge il y avait des gens sans travail qui erraient à travers la campagne en demandant la charité sous le prétexte qu’ils se rendaient à la Sainte Terre (en français dans le texte) si bien qu’à la vue de l’un d’eux, les enfants s’exclamaient : « Tiens, voilà un Sainte-Terrer », un Saunterer, un pèlerin en route pour la Terre Sainte.7

L’étymologie du mot n’étant en fait pas connue, sinon qu’il renvoie à des mots plus anciens dans diverses langues, germanique, islandaise, etc., désignant tous le fait d’errer, Thoreau choisit une étymologie suggérée par le poète, lexicographe et traducteur du dix-huitième siècle, Samuel Johnson. Samuel Johnson a-t-il inventé cette étymologie ? En tout cas, Thoreau y a vu une sorte de poésie sacrée, associant le marcheur à la Terre Sainte dans la bouche des enfants, ce qui donne encore plus de force à l’association. Et peut-être que, en choisissant cette étymologie non avérée, Thoreau suggérait une double interprétation. Le marcheur qui avance sur le chemin de la Terre Sainte ne pourrait-il pas être le marcheur qui avance sur le chemin de la conscience que la Terre est sacrée ? La racine du mot est peut-être fausse mais comme le dit la traductrice dans sa note, « elle vient à point pour donner une dimension sacrée à la marche » (83). Thoreau révèle l’acte de marcher comme un éveil à la conscience du monde. C’est aussi ce que ressent Linda Hogan dans Dwellings où, dans un chapitre intitulé, comme l’essai de Thoreau, « Walking », elle évoque sa rencontre avec une fleur de tournesol et les métamorphoses de la fleur observées durant ses promenades. Elle découvre les diverses étapes de la vie de la fleur et tout l’écosystème qu’elle représente lorsque les insectes tournent autour d’elle. Sur le chemin, où elle voit un cheval mort et la fleur solaire entourée d’insectes, elle a conscience du cycle de la vie et de la mort dans le langage de la nature : « la langue d’or du tournesol ou les langues de ses citoyens, les insectes »8. Sa marche lui permet de comprendre progressivement le langage du monde non humain, « langage intérieur [qui] les traverse, dans l’espace et la séparation, en des manières que nous ne pouvons pas expliquer dans notre propre langage »9. C’est le mouvement de la marche qui lui permet d’être en connexion avec le monde du vivant, comme le promeneur de Wordsworth ou le saunterer de Thoreau. Elle montre que la condition pour entendre le langage de la Terre, c’est d’être « prêt à attendre et à recevoir », comme l’écrit John Hay dans The Immortal Wilderness, dont elle cite les mots : « Il y a des occasions où vous parvenez à entendre le langage mystérieux de la Terre, dans l’eau, ou dans le murmure des arbres, émanant des mousses, suintant dans les courants sous-jacents du sol, mais vous devez être prêts à attendre et à recevoir »10. Ce langage de l’eau ou des arbres, on l’entend peut-être en apprenant d’abord à voir cette nature urbaine qui nous est si routinière qu’elle en est invisible jusqu’à ce qu’un de ses éléments, touffe d’herbe entre des dalles ou oiseau qui picore sur un trottoir, nous la rende visible.

2. L’oiseau invisible qui vous apprend à voir : les pigeons dans la ville

En lisant ce texte de Linda Hogan, je pensais aux fleurs de tournesol qui tous les ans poussent sous ma fenêtre, semées là par les pigeons qui viennent me rendre visite tous les matins et à qui j’offre en échange un repas fait de graines de tournesols. Ils restent quelques instants et repartent dans les parcs de la ville après avoir métamorphosé un jardin pour l’avenir, en y ajoutant quelques fleurs de tournesol qui à leur tour, accompagneront la vie d’insectes qui iront polliniser d’autres fleurs et permettront ainsi à la vie de poursuivre son chemin au cœur de la ville. Comme le montre Nathanael Johnson dans son livre Unseen City: The Majesty of Pigeons, the Discreet Charm of Snails & Other Wonders of the Urban Wilderness, les pigeons font partie de ce merveilleux urbain qu’on ne sait pas toujours déceler au premier coup d’œil.

L’intérêt de Nathanael Johnson pour les pigeons est né de ce qu’il considérait d’abord comme un total manque d’intérêt, le fait de voir ces oiseaux « invisibles dans leur omniprésence »11, de voir en eux quelque chose de « fondamentalement inintéressant »12. Passant dans un premier temps de l’indifférence au dégoût et au rejet, au désir de mettre une distance entre les oiseaux et lui, il en vient ensuite à une attention à l’autre qui va le faire passer de la non-observation de l’oiseau dans la rue à son étude dans les livres. En faisant des recherches pour comprendre d’où vient la déformation des pattes de nombreux pigeons, c’est en les découvrant dans les textes qu’il apprend à voir les oiseaux réels qu’il a croisés des multitudes de fois :

Je passai les quelques jours suivants à chercher dans les piles de livres de bibliothèques poussiéreuses, des renseignements sur les pattes des pigeons. Tandis que je parcourais ces livres, je trouvai des quantités de choses fascinantes que je n’avais pas cherchées. Ce fut une révélation, par exemple, que de lire les simples descriptions de l’apparence d’un pigeon, parce que cela me montrait clairement que, en fait, je n’avais jamais vu ces oiseaux — pas réellement, pas d’une manière significative. Si on m’avait demandé de les décrire, je n’aurais pas pu dire grand-chose de plus que : gris et moches. Mais lire les descriptions dans ces livres, c’était comme si vous voyiez une voisine mal fagotée portant une robe de grand couturier aux Oscars. Je les voyais d’un œil neuf, revêtus d’une prose formelle. Le pigeon biset n’est pas juste gris mais ‘gris tourterelle’ avec ‘des reflets irisés d’un violet profond sur le cou, qui varient selon l’angle de la lumière’, ‘une barre médiane noire épaisse’ et ‘les axillaires et les tectrices sous les ailes sont d’un blanc brillant’13.

Et l’auteur découvre quelque chose de fondamental : « Comme je poursuivais ma lecture, cherchant encore la solution au mystère des pattes déformées, mais y trouvant une distraction agréable, je vis ce que je vois toujours lorsque je suis confronté à la réalité du monde du vivant : la nature sans fard est bien plus merveilleuse que nos artifices romantiques »14. Il prend conscience de ce « charme du sensuel »15 dont parle David Abram, cette magie de la beauté vivante qu’un premier rejet purement réactif avait masquée. Le rejet initial l’empêchait de « regarder » cette belle réalité et ce sont les livres qui lui apprennent à la voir. La littérature lui fait prendre conscience de cette nouvelle approche de la nature vivante dans la ville. L’écran apparent du texte devient loupe et à partir de cette prise de conscience, il va savoir détecter le réel, et simplement voir. Et à son tour, il va transmettre à sa fille et aux lecteurs les informations qui leur permettront de connaître ces oiseaux qu’il a commencé par ignorer puis par rejeter avant simplement d’apprendre à les regarder.

Apprendre à regarder, apprendre à écouter, c’est ce que nous enseigne la nature dans la ville. Cet apprentissage est aussi multiple que les méthodes d’apprentissage des langues. Cette langue-là est celle de la nature. Il y a ceux qui sont guidés dès l’enfance par leurs parents qui leur apprennent simplement à regarder, à voir l’apparemment invisible, comme le fait Nathanael Johnson avec sa fille ; ceux qui découvrent dans les livres ce qui leur était invisible jusque là, comme Nathanael Johnson l’a découvert pour les pigeons ; ceux qui se laissent porter de façon animale par le souffle du vent, les odeurs, les traces, les couleurs, les éléments les plus infimes, qui prennent le temps de s’arrêter, de regarder. L’apprentissage peut partir d’une intentionnalité du sujet mais très souvent, cette langue de la nature demande davantage une acceptation qu’une intentionnalité. L’acceptation de ne pas chercher à contrôler le monde à l’entour, mais seulement l’écouter et le regarder. Comprendre le monde en sachant reconnaître, écouter, regarder quelques-uns de ses habitants, animaux ou végétaux.

Analyser la nature en ville à travers des textes littéraires ne signifie pas rester dans sa tour d’ivoire, se promener uniquement dans les pages des livres, et mettre un voile pudique sur sa propre expérience concrète de la rencontre entre la nature et la ville à travers la marche ou le regard. L’écocritique l’a bien compris, et les auteurs que cette philosophie littéraire analyse — car c’est tout autant une philosophie littéraire qu’une théorie de lecture — l’ont compris avant qu’elle n’existe. Henry David Thoreau, John Muir, Aldo Leopold et tant d’autres partent toujours de leur propre rencontre avec la nature.16 Mais avant d’entreprendre ce va-et-vient entre textes littéraires, théorie et expérience sensible personnelle, j’aimerais expliciter ce qu’est ce mode d’expression et de réflexion que l’on nomme « recherche narrative »17, expression inventée par Scott Slovic en 2008. Voici comment il explique la démarche :

Pour moi, l’aspect crucial de ce déplacement vers l’engagement de l’auteur dans le thème étudié par l’écocritique n’est pas tant l’existence explicite du moi de l’auteur, l’aspect autobiographique (c’est l’auteur qui souligne), que l’insertion audacieuse d’une histoire (c’est l’auteur qui souligne) dans ce qui a été présenté comme un mode de langage théorique et/ou analytique : ‘la critique littéraire’. J’ai cherché à mettre l’accent sur la signification du récit dans le petit essai où j’ai forgé le terme ‘recherche narrative’ (Slovic 2008 [1994]). Dans cet essai, intitulé « Ecocritique : Récit, valeurs, communication, contact », j’avance que « l’écocritique devrait raconter des histoires, devrait utiliser le récit comme stratégie constante ou intermittente de l’analyse littéraire. […] Nous ne devons pas réduire notre recherche à un jeu aride, hyper-intellectuel, dépourvu de parfums et de saveurs, dépourvu d’expérience réelle. Faites se rencontrer le monde et la littérature ensemble, et puis rapportez de quelle manière ils sont liés, comment leurs schémas s’entrecroisent”18.

Ce sont ces liens, ces connexions, ces interactions et ces schémas entrecroisés que j’aimerais souligner à travers ce voyage entre littérature et observation de la nature dans le monde urbain ou dans le monde construit par l’être humain. La ville est-elle seulement la grande métropole ou les cités reconnues comme telles ? N’y a-t-il pas une démarche d’urbanisation dans le plus petit hameau ou dans le château construit au sommet d’une colline ?

Au milieu du printemps, une nuit, j’allais faire rentrer un de mes chats. Le chat n’était pas là. A la place, j’ai vu arriver un vol d’oiseaux blancs, comme phosphorescents, qui remontaient vers le nord. Puis un second vol dans le silence de la nuit. Les bruits urbains sont revenus avec un avion dans le ciel et une voiture dans la rue. Puis de nouveau le silence. Et un nouveau vol, plus petit, puis un quatrième. Quelques instants après, une chauve-souris virevoltait autour du lampadaire. Puis en faisant le tour du jardin, je croisais quelques hérissons qui étaient là comme toutes les nuits. Un membre d’une espèce compagne, un chat, compagnon du quotidien, avait révélé, dans sa connexion avec sa compagne humaine qui le cherchait, la vie sauvage de la nature. Le compagnon du quotidien avait suggéré que tout est connecté ; il avait généré la conscience du vol d’oiseaux migrateurs au-dessus de la ville.

Regarder la vie de la nature au milieu de la ville, c’est partir en voyage, suivre ce vol d’oiseaux qui revient vers le nord pour l’été, mais aussi partir dans les lieux que raconte le jardin à travers ses plantes ou suivre l’eau qui part de la montagne à l’océan ou de l’Atlantique à la Méditerranée. Transparence voyageuse…

3. L’eau et les arbres, ligne de fuite du béton

Dans la ville, il y a les oiseaux et les chauves-souris dans le ciel, les hérissons sur la terre ferme, des millions d’insectes, et puis il y a l’eau, essentielle pour la ville. Comme l’écrit Jean Pelletier, « [l]e thème de la ville saisie dans ses relations avec l’eau est un des plus féconds de la géographie urbaine. L’eau est présente dès l’origine des cités, non seulement en déterminant souvent leur naissance (pont, gué, force motrice, navigation…) mais dans les aspects variés de son utilisation par l’homme : ressource naturelle mise à contribution pour l’alimentation, l’hygiène, les loisirs, l’industrie et les transports ; mais aussi élément générateur de contraintes, obstacle à franchir, champ d’inondation ; et enfin élément riche de potentialités par les facilités de communication intra-urbaines ou extérieures qu’il offre souvent » (Pelletier 1990 : 233).

Je partirai du Canal du Midi, ce lien d’eau qui relie deux mers, la Méditerranée et l’Océan, en traversant des villes et des villages, en traversant Toulouse, « ma » ville. Je connais ce canal depuis quasiment ma naissance, c’est à peine à quelques encablures de lui que je suis née, ma mère le longeait pour rejoindre sa petite pharmacie dans l’Aude à Salles-sur-L’Hers, je passe régulièrement sur sa rive gauche, sur sa rive droite et au-dessus de lui. Si je fais ce petit détour autobiographique, c’est pour dire que je connais cette ligne d’eau vivante et belle depuis toujours et pourtant, jamais je ne l’avais vue ainsi. C’est l’œil écocritique acéré de Scott Slovic qui m’a révélé un autre point de vue, et « mon » canal du Midi toulousain est ainsi arrivé d’Amérique pour me raconter une autre histoire (fig. 1). Quand j’ai vu cette photo, mon œil a dû s’adapter pour faire comprendre à mon esprit ce qu’il était en train de regarder. La première chose que je voyais, c’était une gigantesque serrure, une serrure sans porte ou alors un œil bionique. Et puis mon regard s’est adapté, ajusté à l’étrange forme et mon esprit a enfin vu ce que l’œil du photographe Scott Slovic avait repéré : une étrange beauté naturelle presque totalement cachée et révélée à la fois par une structure de béton. Le tunnel de béton gris fermé sur un monde noir au premier plan s’ouvre sur ce canal enchanté de lumière bleutée où se reflètent les arbres tandis que l’herbe verte dessine presque un jardin à la française sur ses bordures claires.

Fig. 1 - Canal du Midi à Toulouse.

Fig. 1 - Canal du Midi à Toulouse.

© Scott Slovic.

Le béton qui barre la vue de nature s’ouvre en même temps sur cette nature qui relie et où dans le lointain on aperçoit un discret petit pont. La ville et l’eau, c’est une histoire vitale. Pour être habitable, le lieu urbain doit impérativement se bâtir autour de l’eau, souvent d’une rivière. La rivière, c’est elle qui va faire de la ville un jardin intermittent, comme ces roseaux dans cette rivière urbaine de Madrid, ou une rivière au cœur d’Uppsala, les arbres du canal du Midi, un fleuve au Brésil reliant nature et ville, ou tous les écosystèmes qui entourent le confluent de l’Ariège et de la Garonne, à quelques kilomètres à peine du centre-ville de Toulouse. L’eau, elle, offre la vie à tous ces habitants non humains que l’on rencontre au détour d’une promenade. Le jardin, lui, est cet espace apparemment réduit que notre conscience agrandit aux dimensions du monde, il est ce qui nous rappelle « notre maison du monde », selon les mots de Michel Serres. C’est parfois la montagne à la porte de la ville ou un espace sauvage proche du centre ville, comme le confluent à côté de Toulouse ou le vallon de Ramade, pas très loin, où une riche biodiversité côtoie un petit ruisseau au cœur du bois, ou parfois simplement l’éblouissement d’un tulipier à un carrefour urbain.

4. Jardins botaniques : de Shakespeare à Linné

Parfois, c’est la littérature qui entre dans la ville par le biais de ses jardins comme tous ces jardins de Shakespeare aux États-Unis, qui regroupent les plantes apparaissant dans les pièces du dramaturge anglais. À New York, à Central Park19, à Evanston, Illinois20 ; à Golden Gate Park à San Francisco21 — qui est le décor du film de Charles Chaplin In the Park (1915) —, des amoureux des plantes et du théâtre de Shakespeare en même temps, ont reconstitué son jardin imaginaire et donné vie à son monde végétal métaphorique. Outre le plaisir du marcheur de se promener dans un jardin au cœur de la ville, les promeneurs qui marchent dans ces jardins littéraires trouvent une autre manière de découvrir des textes canoniques, en lisant le monde de la nature. La découverte par la marche établit une relation sensuelle entre les textes et la nature dans une toile vivante. Et ces espaces littéraires au cœur de la ville ont la fonction de tout jardin botanique : éduquer les promeneurs par la découverte des plantes, leur faire découvrir des écosystèmes et leur apprendre à préserver la nature et les espèces menacées. Parc naturel dans la ville ou très proche d’elle ou jardins botaniques, font entrer le monde, son histoire et le monde littéraire, dans l’espace urbain. Uppsala en Suède est une ville universitaire tout entière dédiée à Linné, ce naturaliste d’exception qui a eu tant d’importance dans les sciences de la nature : il est à la base du système de classification binominal des plantes, son système permettant aux botanistes du monde entier d’avoir un langage commun en matière de nomenclature. Et, même si le concept de biodiversité est récent, Linné, de par sa classification des espèces présentes dans le monde, a posé les jalons d’une conscience de la diversité des espèces, ce qu’est la biodiversité. Grâce à ses observations et à celles de ses correspondants, il a répertorié, nommé et classé la plus grande partie des espèces vivantes connues au dix-huitième siècle. Et à Uppsala, la ville où il a vécu et enseigné, où que l’on aille, on marche sur les pas du botaniste et marcher sur ses pas, c’est parcourir des jardins, découvrir des plantes, suivre ses voyages à travers un monde végétal qui vous parle de la passion de Linné avec tant de force que le végétal abolit le temps et que la maison et le jardin de Linné nous amènent au dix-huitième siècle dans cet itinéraire botanique, nous conduisent à la source de la conscience de la biodiversité.

5. La nature qui raconte l’histoire, qui se fait art ou philosophie

Parfois, nature et histoire sont liées : ainsi des canards au bord de l’eau donnent une vision plus douce du château d’Anne Boleyn et de son terrible époux Henry VIII : Hever Castle. Sur la commune d’Edenbridge, il apporte à la petite ville paisible une page d’histoire inscrite dans une nature vivante de jardins spectaculaires. Tant de jardins, offrant leurs chemins végétaux et leurs espaces aquatiques autour de belles constructions de pierres, adoucissent ainsi l’histoire humaine en rappelant que si ces châteaux peuvent évoquer les drames de l’histoire, les jardins montrent une contrepartie vivante de la beauté éternelle de la nature. L’histoire des hommes passe. Les horreurs peuvent s’accumuler, elles disparaissent dans la nuit du temps mais leur mémoire reste comme une mise en garde portée par la pierre. Un jour au pied du pog de Montségur, par une nuit froide de novembre, nous regardions le ciel étoilé et l’ombre du château sur son promontoire rocheux, ce château où tant d’hommes et de femmes avaient été brûlés, parce que leur foi était différente. Le château avait remplacé les maisons sur la colline, urbanisation médiévale qui s’intégrait aux formes de la nature. Et l’effacement par la violence avait succédé à la connexion entre le lieu construit et la terre. Je pensais à ces centaines de cathares et à l’horreur de leur exécution et, les pieds dans l’herbe et la terre froide, jardin sauvage de bord de route, je regardais le ciel étoilé. Mais au lieu de ressentir l’horreur ou la tristesse, c’est un sentiment de plénitude qui m’envahit, comme jamais je ne l’ai ressenti ailleurs. Comme si ce silence étoilé, les pieds sur la terre herbeuse et la tête tournée vers les étoiles, me montrait juste la beauté absolue et l’inclusion lumineuse de ces hommes et de ces femmes dans cette montagne et dans ces étoiles. Un chemin de montagne et un jardin d’étoiles m’ont traduit une autre histoire. Je pensais à l’horreur, mais la beauté du monde ce soir-là, dans ce lieu précis, par une nuit noire et silencieuse, avec ma sœur de cœur, écrivait une autre route à suivre. Union du local et du cosmique. C’est ce que voit N. Scott Momaday dans les jardins de l’Alhambra à Grenade en unissant la réalité des jardins et le filtre littéraire du récit de voyage :

De nuit, le palais prend une douce luminescence. Les tours brillent d’un doux éclat, dominent et empiètent sur les ombres. La lune apporte une touche de magie à toutes les facettes, les jointures, les rainures et les angles. Des milliers de formes complexes se reflètent dans le scintillement des bassins. La lumière diffuse filtre à travers la dentelle des entrelacs, donnant naissance à un kaléidoscope de motifs superposés. Dans le salon des Ambassadeurs, le sol carrelé qui semblait dépourvu de couleurs pendant le jour se tapisse de teintes profondes et délicates. Les jardins sont paradisiaques sous la lune. De nuit, il émane de l’Alhambra une radiation éthérée semblable à l’aura des étoiles.22

La lumière naturelle de la nuit métamorphose les lieux et l’histoire mêlée de l’Espagne et du monde arabe, de la colonisation et de l’art méditerranéen, devient un tableau enchanté dessiné par la nature : le palais se réinvente en se dématérialisant au cœur de l’eau des bassins des jardins dans la lumière de la lune. Et la graine que l’écrivain lit dans le nom de la ville espagnole le ramène à la fois à l’histoire de l’Espagne, à l’occupation arabe et à la colonisation des Amérindiens par les Espagnols qui avaient apporté en Amérique « des graines et des épées »23, la vie et la mort. Les grenadiers qu’il voit sur une route d’Arizona lui racontent la même histoire que les jardins de l’Alhambra à Grenade, celle de la colonisation, qu’une graine raconte dans le jardin merveilleux d’un palais d’Espagne éclairé par la lune.

Parfois l’histoire s’inscrit sous forme de monument au cœur des arbres ou d’arbre monument comme à Vitoria-Gasteiz au Pays Basque espagnol. Dans la ville, un séquoia est devenu sculpture. L’arbre mort est devenu art vivant dans le jardin d’un palais (fig. 2). Une autre sculpture faite à partir d’un tronc d’arbre, accueille les étudiants dans le hall de la faculté des lettres de l’Université du Pays Basque.

Fig. 2 - Sequoia multicentenaire transformé en sculpture. Vitoria-Gasteitz, Espagne.

Fig. 2 - Sequoia multicentenaire transformé en sculpture. Vitoria-Gasteitz, Espagne.

© Françoise Besson.

Là, c’est l’arbre lui-même qui se change en œuvre d’art, ailleurs, à Martres-Tolosane, un arbre est devenu le cœur d’une sculpture faite de céramique et sculpture lui-même ; il vit d’une vie naturelle et artistique grâce à l’imagination de l’artiste potier Sylvian Meschia, qui fait aussi de l’ensemble de bâtons de pluie peints au cœur du jardin, l’œuvre d’art vivante24. Le jardin s’enchante du monde de l’art qui le transforme et lui fait parler une langue autre où la nature s’unit à l’art pour raconter une histoire. Et parfois, l’œuvre d’art est la nature elle-même comme ces jardins paysagers créés par l’homme et donnant pourtant une vision enchantée de la nature, tel Sheffield Park, créé par Capability Brown et qui, dans une photographie de l’écrivain voyageur et montagnard Kev Reynolds, révèle, à travers l’union des couleurs de l’automne dans les arbres et de leurs reflets dans l’eau, une peinture vivante qui parle de la beauté du monde25. Le jardin raconte ; la nature sur les campus universitaires réunit jardins de nature et jardins du savoir. Un moine bouddhiste sur un pont sur le campus de l’université de Pékin, dans une photographie de Scott Slovic, raconte peut-être la sagesse ultime qui consiste à sonder au cœur de la rivière et dans le bois des arbres l’écriture du monde à la racine de tous les savoirs.

6. Animaux des villes qui racontent le monde

La ville offre aussi des rencontres animales comme nous l’avons vu avec les pigeons décrits par Nathanael Johnson, et qui réunissent les villes du monde. Ces animaux racontent une histoire en ré-enchantant le monde de pierre et de béton des villes, comme les macareux de Reykjavik sur une île qui leur est dédiée, Puffin Island, qui se trouve à quelques centaines de mètres du cœur de Reykjavik, la capitale islandaise, ou encore les capivaras et les uruburus au Brésil, qui racontent la vie sauvage dans les villes ou tout à côté. Dans leur livre, Wild New York. A Guide to the Wildlife, Wild Places and Natural Phenomena of New York City, Margaret Mittelbach et Michael Crewdson présentent tous les animaux — écureuils, reptiles, tortues, amphibiens, mouettes et autres oiseaux, poissons, etc.— qui peuplent la ville de New York. Tout un monde sauvage habite l’espace urbain et leur présence, en nous montrant la vie sauvage près de nous, transforme la perception que l’on a d’un monde bruyant et artificiel, qui retrouve là une magie vivante. Les villes sont aussi le lieu d’habitation des espèces compagnes : chats des rues ou des jardins d’Athènes, de Beyrouth et d’ailleurs ; chiens des rues de Turquie et de Grèce. Les chats errants révèlent les failles de nos sociétés tout en montrant un regard autre sur le monde : d’un côté, un monde qui se débarrasse de ceux qui sont à la marge, humains et non-humains, qui parfois se rejoignent, comme ce chat blessé et recueilli à Londres par un musicien des rues, comme le raconte James Bowen dans son livre autobiographique A Street Cat Named Bob.  Séparés, le musicien et le chat étaient invisibles pour tout le monde. À partir du moment où ils ont uni leurs destinées et se sont mutuellement aidés, ils fascinaient le monde en devenant visibles à ses yeux. L’animal perdu est un révélateur, révélateur de la misère, révélateur de l’individualisme, et d’un autre côté, il est révélateur de vie. Dans un face-à-face entre un chien des rues à Izmir en Turquie et un chien des rues à Athènes, qui semblent se faire face au-delà du temps et de l’espace, il y a toute une histoire (fig. 3 et 4).

Fig. 3 (à gauche) et 4 (à droite) - Chien à Izmir, Turquie ; Chien à Athènes, Grèce.

Fig. 3 (à gauche) et 4 (à droite) - Chien à Izmir, Turquie ; Chien à Athènes, Grèce.

© Scott Slovic (pour la figure 3) ; © Françoise Besson (pour la figure 4).

Le chien turc couché sur le socle de la statue d’un personnage de l’histoire turque et le chien grec couché sur les marches d’une église sont étrangement semblables dans l’histoire qu’ils racontent. Chiens perdus sans famille, ils semblent s’emparer de l’histoire et des institutions pour raconter la rue telle qu’ils la vivent, à l’écoute du monde.

7. Le monde au cœur d’un jardin

Et puis il y a simplement tous ces jardins du monde, qui racontent l’histoire de chacun et en même temps portent en eux le monde, à travers les plantes qu’ils contiennent et les graines transportées par les oiseaux ou les hommes, ces jardins qui sont un monde planète où les distances s’abolissent. Thoreau parle des transferts de plantes dans son beau texte « The Dispersion of Seeds » :

Les écureuils contribuent à la dispersion des graines de pins rigides. Je remarque chaque automne, particulièrement au milieu d’octobre, une grande quantité de brindilles ou de plumets de pins rigides qui de toute évidence ont juste été rongés et laissés sous les arbres. Ils sont épais d’un à deux centimètres et ont souvent trois ou quatre branches. J’en ai compté cette année vingt sous un arbre, et on en voyait dans tous les bois de pins rigides. C’est clairement l’œuvre des écureuils. […] Pendant des années, celui qui voyage quotidiennement le long de ces routes — non, le propriétaire lui-même — ne remarque pas qu’il y a des pins qui poussent là, et il se demande encore moins d’où ils viennent ; mais finalement son héritier prend conscience qu’il est possesseur d’une plantation de pins blancs, longtemps après que le bois d’où venait la graine a disparu.26

L’activité animale des écureuils et des oiseaux façonne et métamorphose les lieux. Thoreau raconte l’histoire toute simple d’un pigeon qui mange des graines avant de partir en voyage et d’être tué très loin du lieu où il a pris son dernier repas, là où les graines qui lui ont permis de vivre et de faire ce voyage vont retourner à la terre à travers sa mort et vont donner naissance à un bois là où l’arbre n’existait pas avant la mort du pigeon ; cette histoire parle de vie et de mort, de vie dans la mort ; c’est ce que raconte le bois nouveau auquel le pigeon, en mourant, a donné vie :

Pigeons, sittelles et autres oiseaux dévorent les graines du pin blanc en grandes quantités, et si le vent seul ne suffit pas, il est aisé de voir comment les pigeons peuvent remplir leur jabot de graines de pins et puis se mettent en route beaucoup plus vite qu’une locomotive, pour être tués par centaines dans une autre partie du comté et planter ainsi le pin blanc là où il ne poussait pas auparavant.27

Thoreau offre une histoire de vie et de mort racontée conjointement par un pigeon et une graine. La mort de centaines de pigeons devient régénération de la nature à travers la naissance d’un bois, dans un cycle où la mort de centaines d’animaux n’est qu’une étape qui va faire revivre la nature végétale ailleurs. La vie d’un bois nouveau est créée par la mort de centaines de pigeons qui, pour survivre dans leur voyage, avaient mangé des quantités de graines dans le bois d’où ils étaient partis. Leur voyage a été interrompu par un geste du monde humain, celui des chasseurs. La tragédie animale crée un bois. Ré-enchantement dans la tragédie même, comme si la nature nous montrait que rien n’est jamais certain, ni le voyage du pigeon jusqu’à sa destination qu’il n’atteindra jamais, ni l’espace désertique que sa mort va reboiser. La mort brutale du pigeon fait germer la terre comme un hommage qu’elle lui rend dans une leçon de biologie. Comme ce bois des États-Unis évoqué par Thoreau, des jardins racontent partout la vie du monde et son espace.

Ainsi dans un jardin de Toulouse, se côtoient de nombreuses espèces venues de partout : un pin du Canigou, sauvé lorsqu’il ne faisait que quelques centimètres et arrivait à peine à survivre sur un rocher dans la montagne, sauvé par ma mère, planté par mon père, qui raconte notre histoire et son histoire ; sous son ombre s’est reconstitué un sous-bois, tout un écosystème au cœur de la ville, qui raconte les Pyrénées. Face à lui, un grand araucaria chante le Brésil. Il est arrivé sous forme de graine dans la valise de mon père qui a semé la graine. Elle a germé dans son jardin de Toulouse, dans la terre de Toulouse et a donné le grand araucaria où s’abritent les tourterelles turques de Toulouse, face à une pierre à strates venue de l’Ossau. D’autres graines racontent le Brésil, comme ce lys qui est venu de là-bas, comme l’araucaria il y a plus de trente ans. Un hortensia raconte l’époque où, au Mirail, il y avait des petites maisons toulousaines, un ruisseau et un bois devenus université et terrain de football. Et prolongeant le voyage semé dans la terre de Toulouse par ceux qui ont créé ce jardin, les oiseaux poursuivent la création. Les étoiles bleues de la bourrache ont été semées par les oiseaux et côtoient les plantes semées par nos mains humaines. Mélange d’origines, métissage végétal qui raconte le monde. Pin du Canigou, lavande anglaise, redoutable raisin d’Amérique et séneçon du Cap, araucaria du Brésil, jacinthes des lacs de Rius dans le Val d’Aran en Espagne qui chaque année offrent leurs fleurs bleues à Toulouse pour me raconter les Pyrénées plantées par mon père dans son petit jardin de montagne au cœur du jardin des villes ; pierres de Gascogne, pierres des Pyrénées et pierres de la Rhune, dessinent un sentier qui à la fois se fait autobiographie et carte du monde. Autobiographie du jardinier, autoportrait de la nature, comme l’écrit Michel Baridon :

[Le jardin] Lui seul, en effet, nous peint le réel par ses éléments mêmes. Il crée son propre espace. Ses couleurs sont les vraies couleurs, ses formes sont les vraies formes, sa vie la vraie vie des arbres, des eaux, des fleurs et des feuilles. Le vent, quand il y passe, ne se change pas en courant d’air. Ni la lumière en éclairage. Il ne procède ni par assemblage de formes préalablement géométrisées comme l’architecture, ni par imitation, comme la peinture, mais par disposition directe des volumes et des teintes. Le grand, l’inépuisable paradoxe, c’est que cette simplicité, ce rapport direct au monde réel est l’effet d’une image double : dans un jardin, la nature fait son autoportrait, mais c’est l’homme qui conçoit le tableau. (Baridon 1998 : 5-6)

C’est aussi l’avis de Stanley Kunitz28, le poète américain amoureux des jardins :

Je pense que le jardinage, c’est une extension de notre propre être, quelque chose d’aussi profondément personnel et intime que l’écriture d’un poème. La différence, c’est que le jardin est vivant et qu’il est créé pour supporter simplement la manière dont un être humain entre dans le monde, vit, souffre, savoure et est mortel. La durée de vie d’une plante en fleur peut être si courte, si raccourcie par le changement des saisons, qu’elle semble être une parabole compressée de l’expérience humaine.

Le jardin est, en un sens, le cosmos en miniature, un monde condensé qui s’ouvre à vos sens.29

Tous les jardiniers voient, consciemment ou non, le jardin comme une métaphore de la vie et du cosmos. Jean-Pierre Le Dantec cite Michel Foucault qui, « [d]ans une conférence intitulée Des espaces autres, prononcée au Cercle d’études architecturales le 14 mars 1967 », où il avait « forgé un concept décisif pour la théorie de l’espace vécu et construit, disait : «  […] Il ne faut pas oublier que le jardin, étonnante création maintenant millénaire, avait en Orient des significations très profondes et comme superposées ; le jardin des Persans était un espace sacré qui devait réunir à l’intérieur de son rectangle quatre parties représentant les quatre parties du monde, avec un espace plus sacré encore que les autres qui était comme l’ombilic, le nombril du monde en son milieu (c’est là qu’étaient la vasque et le jet d’eau) ; et toute la végétation du jardin devait se répartir dans cet espace, dans cette sorte de microcosme » (Le Dantec 2011 : 13). Les jardins sont une création culturelle réalisée avec la nature comme matière première. Et à travers cette construction culturelle faite de nature, l’être humain cherche à retrouver l’univers dans son ensemble. Les jardins de Shakespeare sont une image vivante de la relation entre nature et culture, et singulièrement entre nature et écriture ; c’est ce qu’exprime Stanley Kunitz lorsqu’il écrit dans son livre ultime, publié alors qu’il avait 100 ans et était passé près de la mort deux ans plus tôt avant de vivre un vrai « renouveau » : « On pourrait dire aussi que le jardin est une métaphore des poèmes que l’on écrit dans une vie et que l’on donne au monde avec l’espoir que ces poèmes dans lesquels vous avez accompli votre vie seront équivalents à la fleur qui prend racine dans le sol et devient partie du paysage ».30

Cultiver son jardin ou marcher dans un jardin, n’est-ce pas la définition du philosophe selon Michel Serres qui pense qu’est philosophe celui qui « […] a fait ‘les trois tours du monde’ : visité la banquise, vu séismes et volcans, traversé des déserts, en se gorgeant ‘de la dure beauté de la planète’, puis, ‘désespéré mais patient’, tenté le ‘tour du savoir’, et, enfin, entrepris, sans espoir d’achèvement, le ‘tour des hommes’ » (Maggiori 2019) ? Le jardin permet peut-être ces trois tours du monde : les plantes qu’il contient racontent leurs voyages et dessinent la carte de la planète ; elles tracent dans la terre l’histoire des écosystèmes et du cycle de la vie dans un « tour du savoir » fondateur. Dans Wild New York. A Guide to the Wildlife, Wild Places and Natural Phenomena of New York City, les auteurs parlent des écosystèmes de la ville et écrivent : « New York, c’est là où les écomondes entrent en collision »31. Ce « tour du savoir » se fait par la connaissance des cycles du vivant. Et par le travail des humains qui les ont semées, plantées, qui ont travaillé la terre qui allait les accueillir, qui les ont nommées en latin et dans les langues du monde, les plantes font aussi le « tour des hommes ». Dans Biogée, Michel Serres, dans un dialogue entre le philosophe et le personnage du Taiseux, Noé, écrit : « Pourrai-je un jour déchiffrer cet appel de la terre ? Écoute sa voix. Notre terre parle, tu la sens, elle nous raconte quelque chose, comme faisait ta mère, le soir, quand tu ne t'endormais pas, elle dit ce qu'elle sait » (Serres 2013 : 12). Marcher dans un jardin, toucher la terre du jardin, le bois des arbres, nous apprend à écouter la terre, à entendre sa voix. Les mots de Michel Serres sont essentiels : « comme faisait ta mère, quand tu ne t’endormais pas »…Terre-mère qui raconte, comme une mère raconte une histoire, lit un conte à son enfant, pas seulement pour qu’il dorme, mais pour enchanter sa nuit. La terre qui nous parle, si on accepte de l’entendre, ré-enchante notre nuit. Le monde urbain nous réapparaît comme le monde enchanté qu’il est lorsque nous savons lire le monde dans ses cartes végétales, dans le chant de ses oiseaux et dans le travail incompris de ses insectes. Et dans cet espace urbain, les jardins racontent le monde, racontent la vie, nous racontent dans notre relation à la terre. Ils nous rappellent ce que nous dit Michel Serres : « Nous n’avons point quitté les arbres, nous les habitons toujours » (Serres 2011 : 28).

Je voudrais remercier l’évaluateur/évaluatrice anonyme qui a bien compris la démarche écocritique utilisée dans cet article. Je le/la remercie pour ses pistes judicieuses qui m’ont beaucoup aidée à approfondir ma réflexion.
Je voudrais aussi remercier le second évaluateur qui, en ne comprenant pas la démarche, m’a donné l’occasion d’expliciter ce qu’est la « recherche narrative », expression connue depuis 2008, date à laquelle Scott Slovic l’a inventée. Cette technique et approche philosophique, beaucoup pratiquée outre-Atlantique depuis cette date, l’était déjà par nombre d’écrivains environnementaux depuis le dix-neuvième siècle. Elle est moins connue en France et je suis heureuse qu’une réaction d’incompréhension puisse permettre de la clarifier et de faire avancer les choses.
Je voudrais remercier Flora Khermouch, aujourd’hui dans un jardin d’étoiles, qui m’a un jour fait découvrir virtuellement le jardin de Shakespeare à Central Park à New York.
Toute ma gratitude va à Scott Slovic pour le chapitre qu’il avait écrit sur la recherche narrative et qu’il m’a envoyé et pour les photos qu’il m’a permis de reproduire dans cet article.
Et je voudrais dédier cet article à Jean-Michel Ristorcelli, qui a accompagné sa genèse et est parti aujourd’hui dans d’autres jardins.
Enfin, je voudrais remercier de tout cœur Bénédicte Meillon et les organisateurs des magnifiques colloques qui se sont tenus à Perpignan en 2016 et en 2019, qui font tant avancer les choses, lentement peut-être, mais sûrement. Merci à elle et aux directrices de ce numéro, Marie-Pierre Ramouche, Amélie Chevalier et Rachel Bouvet, pour leur humanité, leur énergie et leur pouvoir de persuasion.

Bibliographie

Abram, David, The Spell of the Sensuous, Perception and Language in a More-Than-Human World [1996], New York: Vintage Books, 1997.

Albertini, Louis, « À Toulouse, le jardin printanier épars du quartier Daurade – Assézat, à l’époque du confinement », in Françoise Besson et Marcel Delpoux (dir.). Quand la terre s'exprime: de la matière créatrice à la planète blessée. Toulouse: Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, à paraître en 2022.

Baridon, Michel, Les Jardins, Paris : Robert Laffont, 1998.

Bowen, James, A Street Cat Named Bob. Londres : Hodder and Stoughton, 2012.

Buckley, P.A. et Walter Sedwitz, Urban Ornithology: 150 Years of Birds in New York City, Ithaca : Comstock Publishing Associates, 2018.

Hay, John, The Immortal Wilderness, New York : W.W. Norton & Company, 1989.

Hogan, Linda, Dwellings, a Spiritual History of the Living World, New York et Londres : W.W. Norton & Company, 1995.

Johnson, Nathanael, Unseen City: The Majesty of Pigeons, the Discreet Charm of Snails & Other Wonders of the Urban Wilderness, Emmaus : Rodale Books, 2016.

Kunitz, Stanley et Genine Lentine, The Wild Braid. A Poet Reflects on a Century in the Garden. Photographies de Marnie Crawford Samuelson. New York, Londres: W.W. Norton and Company, 2005.

Le Dantec, Jean-Pierre, Poétique des jardins, Arles : Acte Sud, 2011.

MacCrary Sullivan, Ann, Ecology II: Throat Songs from the Everglades, Cincinati : WorldTech Editions, 2009.

Maggiori, Robert, « Mort de Michel Serres, penseur de la nature », Libération 2 juin 2019, https://www.liberation.fr/france/2019/06/02/mort-de-michel-serres-penseur-de-la-nature_1731100

Mathis, Charles-François et Emily-Anne Pépy, La ville végétale. Une histoire de la nature en milieu urbain (France, XVIIe-XXe siècle), Ceyzérieu : Champ vallon, 2017.

Mittelbach, Margaret et Michael Crewdson, Wild New York. A Guide to the Wildlife, Wild Places and Natural Phenomena of New York City, New York : Random House Value Publishing, 1999.

Momaday, N. Scott, « Granada : a Vision of the Unforeseen », The Man Made of Words, New York : St Martin’s Press, 1997.

Momaday, N. Scott, « Grenade : vision de l’inattendu », L’homme fait de mots, traduction de Danièle Laruelle, coll. Nuage Rouge, Monaco : Editions du Rocher, 1998.

Paquot, Thierry et Chris Younès, Philosophie de l’environnement et milieux urbains, Paris : Éditions La Découverte, 2010.

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Smith, David C., « Walking as Spiritual Discipline : Henry David Thoreau and the Inward Journey », Soundings: An Interdisciplinary Journal, Vol. 74, n° ½ (printemps/été 1991), University Park : Penn State University Press, pp. 129-140.

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Thoreau, Henry David, Marcher & Une promenade en hiver [2007], traduction de Nicole Mallet, préface de Michel Granger, Marseille : Le Mot et le Reste, 2014.

Zapf, Hubert, Handbook of Ecocriticism and Cultural Ecology, Berlin : De Gruyter, 2016.

Ressources électroniques

Sur les zones d’ombre des origines du Covid-19

Entretien avec Etienne Decroly, « Sur l’origine Sars CoV-2, ‘on tente d’expliquer les zones d’ombre’ », Reporterre, 24 novembre 2020, https://reporterre.net/Sur-l-origine-Sars-Cov2-on-tente-d-expliquer-les-zones-d-ombre

Sur les jardins de Shakespeare

https://www.centralpark.com/things-to-do/attractions/shakespeare-garden/

https://www.gardenconservancy.org/open-days/garden-directory/shakespeare-garden

https://goldengatepark.com/garden-of-shakespeares-flowers.html

Sur Sheffield Park

https://www.nationaltrust.org.uk/sheffield-park-and-garden

Sur Sylvian Meschia

https://www.meschia.com/%C3%A9v%C3%A9nements/

Notes

1 Rien n’est certain et il y a de nombreuses zones d’ombre sur l’origine de ce virus. Mais si l’hypothèse initiale du pangolin générateur de la pandémie a été infirmée, il reste que l’attention a été attirée sur la destruction d’espèces protégées qui pourrait, par un enchaînement de faits, provoquer des maladies. Quant à la chauve-souris, Etienne Decroly — directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (CNRS/Aix-Marseille Université), membre de la Société française de virologie — explique que « [j]usqu’ici, il n’y a jamais eu de passage direct de la chauve-souris à l’humain responsable d’épidémie, et un tel passage était considéré comme très peu plausible […] et que [e]n général, il faut donc un hôte intermédiaire, un animal pour faire la transition. Cet animal a été la civette (un petit carnivore) dans le cas du Sars-CoV-1, et le dromadaire dans le cas du Mers-CoV, pour citer deux coronavirus récemment passés de la chauve-souris à l’Homme » (Entretien avec Etienne Decroly, « Sur l’origine Sars CoV-2, ‘on tente d’expliquer les zones d’ombre' », Reporterre, 24 novembre 2020, https://reporterre.net/Sur-l-origine-Sars-Cov2-on-tente-d-expliquer-les-zones-d-ombre, consulté le 26 mars 2021. Retour au texte

2 Louis Albertini, « À Toulouse, le jardin printanier épars du quartier Daurade – Assézat, à l’époque du confinement », in Françoise Besson et Marcel Delpoux (dir.). Quand la terre s’exprime : de la matière créatrice à la planète blessée. Toulouse: Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, à paraître en 2022. Retour au texte

3 I have walked two miles into human silence / Retour au texte

Which is not silent—pig frogs make their low groan / And insects buzz, whirr, vibrate », « Impossible » (Sullivan, 2009 : 25), ma traduction.

4 « For a long time, I had a great many Sonoran red-spotted toads around the rain water pool behind my house [...] Hundreds of toads used to sing all night in a magnificent chorus with complex harmonies » (Silko 1993 : 63), ma traduction. Retour au texte

5 « The night-long choirs of multitudes of toads ceased. The Chernobyl nuclear reactor disaster occurred not long afterward and may also have affected the toad population. Last summer the pool had polly-wogs again, the descendants of the red-spotted toads which had survived radioactive fall out and the boys with the dog. The night-long choirs have not resumed yet; the toads need a few years more to recover » (Silko 1993 : 66), ma traduction). Retour au texte

6 Une note de la traductrice précise : « Sauntering, saunterer : étymologie erronée que Thoreau avait indirectement trouvée chez Samuel Johnson. Elle vient à point pour donner une dimension sacrée à la marche et surdéterminer la flânerie qu’il affectionne » (Mallet in Thoreau 2014 : 83). Retour au texte

7 « I have met with but one or two persons in the course of my life who understood the art of Walking, that is, of taking walks—who had a genius, so to speak, for SAUNTERING, which word is beautifully derived "from idle people who roved about the country, in the Middle Ages, and asked charity, under pretense of going a la Sainte Terre," to the Holy Land, till the children exclaimed, "There goes a Sainte-Terrer," a Saunterer, a Holy-Lander. [...] », (Thoreau 2012 : non paginé, première page de l’essai). Traduction de Nicole Mallet (Thoreau 2014 : 21). Retour au texte

8  « the sunflower's golden language or the tongues of its citizens [the insects] » (Hogan 1995 : 157), ma traduction. Retour au texte

9 « […] inner language [that] passes among them, through space and separation, in ways we cannot explain in our language » (Hogan 1995 : 157), ma traduction. Retour au texte

10 « There are occasions when you can hear the mysterious language of the Earth, in water, or coming through the trees, emanating from the mosses, seeping through the undercurrents of the soil, but you have to be willing to wait and receive » (Hay, in Hogan 1995 : 15), ma traduction. Retour au texte

11 « invisible in their omnipresence » (Johnson 2016 : 1), ma traduction. Retour au texte

12 « fundamentally uninteresting » (Johnson 2016 : 1), ma traduction. Retour au texte

13 «  I spent my next few days in dusty library stacks looking for information about feet. As I paged through these books, I found a lot of fascinating stuff I hadn't been looking for. It was a revelation, for example, to read the simple description of a pigeon's appearance, because it made it clear that I'd actually never seen the birds--not really, in any meaningful way. If you'd have asked me to describe them, I couldn't have told you much more than: gray and gross. But reading the descriptions in these books was like seeing the grubby neighbor girl in a designer gown at the Oscars. I glimpsed them anew, dressed up in formal prose. The rock pigeon is not just gray, but "dove gray," "with deep purple iridescence at the neck that varies with the angle of the light," a "bold black median bar," and "axillaries and underwing coverts of brilliant white." (Johnson 2016 : 4-5), ma traduction ; c’est moi qui souligne. Retour au texte

14 « As I read on, still seeking the solution to the mystery of the ugly feet but pleasantly diverted, I saw what I always see when confronted with the reality of the living world: Unvarnished nature is far more wondrous than our romantic artifice » (Johnson : 2016, 6), ma traduction, c’est moi qui souligne. Retour au texte

15 « Spell of the sensuous », qui est le titre de son livre. Retour au texte

16 Je voudrais remercier l’évaluateur anonyme qui a bien compris la démarche et a évoqué « la manière dont expérience sensible et narrative se conjuguent, se nourrissent pour transform[er] notre perception du monde ». En me suggérant de développer ce point plus explicitement, il m’a permis de comprendre pourquoi d’autres pouvaient, au mieux, avoir des doutes, au pire, ironiser, sur ce type de démarche, pourtant au cœur de la pensée écocritique, qui est peut-être encore trop méconnue en France. C’est ce que Scott Slovic a nommé « narrative scholarship » (« recherche narrative ») et qu’utilisent tous les écrivains, chercheurs, penseurs environnementaux. La réflexion sur la relation de l’être humain avec le monde non humain ne peut pas se couper de sa propre expérience à l’intérieur du monde. Retour au texte

17 « Narrative scholarship », Scott Slovic 2008 [1994] : 28), ma traduction. Retour au texte

18 « For me, the crucial aspect of this shift toward authorial engagement with the subject matter at hand in ecocriticism is not so much the explicit existence of the authorial self, the autobiographical (c’est l’auteur qui souligne) aspect, as the bold insertion of story (c’est l’auteur qui souligne) into what has been presented as a theoretical and/or analytical mode of language: ‘literary criticism.’ I sought to emphasize the significance of storytelling in the small essay where I coined the term ‘narrative scholarship’ (Slovic 2008 [1994]). In this piece, titled “Ecocriticism: Storytelling, Values, Communication, Contact,” I argue that “[e]cocriticics should tell stories, should use narrative as a constant or intermittent strategy for literary analysis. […] We must not reduce our scholarship to an arid, hyper intellectual game, devoid of smells and tastes, devoid of actual experience. Encounter the world and literature together, then report about the conjunctions, the intersecting patterns”(2008, 28)». Scott Slovic, « Narrative Scholarship as an American Contribution to Global Ecocriticism » (in Zapf 2016 : 319). Retour au texte

19 Je voudrais remercier Flora Khermouch, qui m’a fait découvrir ce jardin virtuellement. Le parcourir virtuellement ou, quand la pandémie se sera éloignée, réellement peut-être, l’évoquer, c’est un peu marcher avec elle, dans ses pas. https://www.centralpark.com/things-to-do/attractions/shakespeare-garden/, consulté le 25 octobre 2020. Retour au texte

20 https://www.gardenconservancy.org/open-days/garden-directory/shakespeare-garden, consulté le 25 octobre 2020. Retour au texte

21 https://goldengatepark.com/garden-of-shakespeares-flowers.html, consulté le 25 octobre 2020. Retour au texte

22 « In the night the palace becomes softly luminous. The great towers shine low, and loom and impend upon the shadows. The moon touches magic to all the facets and seams and grooves and angles. A thousand intricate shapes shimmer in pools. The soft light pours upon the courtyards and filters through the lacework to effect kaleidoscopic patterns on patterns. In the Hall of the Ambassadors the tiled floor, which seemed colorless in the day, is carpeted with deep and delicate hues. The gardens are paradisal in the moonlight. There emanates from the Alhambra at night an ethereal radiation like the aura of stars » (Momaday 1997 : 153) ; traduction de Danièle Laruelle (Momaday 1998 : 182-183). Retour au texte

23 « Perhaps they bore seeds as well as swords » : « Peut-être apportèrent-ils des graines en même temps que des épées » (Momaday 1997 : 149), ma traduction. Retour au texte

24 https://www.meschia.com/%C3%A9v%C3%A9nements/, consulté le 20 octobre 2020. Retour au texte

25 On peut aussi voir des photos de ce parc sur le site du National Trust : https://www.nationaltrust.org.uk/sheffield-park-and-garden, consulté le 26 octobre 2020. Retour au texte

26 « Squirrels also help to disperse the pitch-pine seed. I notice every fall, especially about the middle of October, a great many pitch-pine twigs or plumes, which have evidently just been gnawed off and left under the trees. They are from one-half to three-fourths of an inch in thickness, and often have three or four branches. I counted this year twenty under one tree, and they were to be seen in all pitch-pine woods. It is plainly the work of squirrels. […] For many years the daily traveller along these roads—nay, the proprietor himself—does not notice that there are any pines coming up there, and still less does he consider whence they came; but at last his heir knows himself to be the possessor of a handsome white-pine lot, long after the wood from which the seed came has disappeared » (Thoreau 1993 : 23-24), ma traduction. Retour au texte

27 « Pigeons, nuthatches, and other birds devour the seed of the white pine in great quantities, and if the wind alone is not enough, it is easy to see how pigeons may fill their crops with pine seed and then move off much faster than a locomotive to be killed by hundreds in another part of the county, and so plant the white pine where it did not grow before ». (Thoreau 1993 : 23-24), ma traduction. Retour au texte

28 Stanley Kunitz (1905-2006). Retour au texte

29 « I think of gardening as an extension of one's own being, something as deeply personal and intimate as writing a poem. The difference is that the garden is alive and it is created to endure just the way a human being comes into the world and lives, suffers, enjoys, and is mortal. The lifespan of a flowering plant can be so short, so abbreviated by the changing of the seasons, it seems to be a compressed parable of the human experience. Retour au texte

The garden is, in a sense, the cosmos in miniature, a condensation of the world that is open to your senses ». (Kunitz, Lentine 2005 : 14), ma traduction.

30 « You might say, as well, that the garden is a metaphor for the poems you write in a lifetime and give to the world in the hope that these poems you have lived through will be equivalent to the flower that takes root in the soil and becomes part of the landscape » (Kunitz, Lentine 2005 : 14), ma traduction). Retour au texte

31 « New York City is where ecoworlds collide » (Mittelbach, Crewdson 1999 : 41), ma traduction. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Françoise Besson, « Voyager dans un jardin et y découvrir le monde : l’univers enchanté du quotidien urbain », Textes et contextes [En ligne], 16-1 | 2021, publié le 15 juillet 2021 et consulté le 29 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3092

Auteur

Françoise Besson

Professeur émérite, CAS, A 801 (membre honoraire), Université Toulouse Jean Jaurès, 59 rue Maurice Bécanne, 31400 Toulouse

Droits d'auteur

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