De 1975 à 2013, le Roi Juan Carlos s’est adressé à la nation espagnole à chaque fin d’année, au moment de Noël. Au cours de ses 39 adresses radiotélévisées, dénommées « Mensajes de Navidad », il a transmis maints messages, souvent orientés vers la cohésion nationale et la fortification de la jeune démocratie espagnole. Cette très longue période sépare son intronisation en 1975, à la mort du Caudillo, et son abdication en 2014 en faveur de son fils, désormais désigné comme le roi Felipe VI. Bien évidemment, les quatre décades que traverse cette série de discours ont connu bien des chocs, des tensions, et aussi des changements profonds de la société espagnole, de son économie, de ses mœurs et tout simplement de ses citoyens. Alors que beaucoup a déjà été dit à propos de la Transition politique espagnole dont s’emparent déjà les historiens, les mots du roi ont toujours une haute signification. Dans une certaine mesure, qu’il faudrait d’ailleurs apprécier avec précision, les discours annuels du roi battent au rythme du pays et les mots qu’il choisit veulent refléter l’état d’esprit des Espagnols. Le roi d’Espagne déclare lui-même1:
Je tente d’éviter qu’il y ait un fossé entre mon discours et la réalité. Je souhaite que chaque espagnol puisse croire que mes mots lui sont adressés personnellement. Et comme ce discours sera écouté par un entrepreneur, un paysan, un Grand d’Espagne et un ouvrier, comme on le disait avant, il est important qu’il soit clair, précis, serein et bien élaboré […] je veux que mes discours soient le reflet de ma personnalité. (De Vilallonga 1993 : 248)
Alors que l’Espagne était peu ouverte et largement dépendante de son agriculture et du tourisme en 1975, ce pays représente aujourd’hui la quatrième économie de l’Union européenne, tenant ses engagements et attirant toujours d’importants investissements étrangers dans de nombreuses activités modernes. Pour ce qui est de la période récente, l’année 2008 a marqué une rupture, comme dans d’autres pays comparables, en cassant la croissance antérieure et mettant à la rue des centaines de milliers de personnes privées d’emploi et donc des revenus de leur travail. Comment le roi a-t-il investi lui-même ces dimensions de la vie nationale ? Qu’en est-il des mots de l’économie et du social ? Ce sont les mots choisis par Juan Carlos pour dire l’économique et le social qui seront décryptés ici.
1. Matériel et méthodes : un corpus textuel exploité statistiquement
Les 39 messages adressés par le roi d’Espagne forment une série chronologique homogène par son cadre d’énonciation, toujours identique : c’est la raison pour laquelle il est possible de réunir l’ensemble de ces discours en un corpus textuel (corpus Navidad) et de les comparer les uns aux autres selon leur date d’émission. Cette longue durée de 1975 à 2013 suggère de s’interroger sur les notions de diachronie et de synchronie : existe-t-il des évolutions ou des ruptures sémantiques, lexicales, thématiques mais aussi des continuités ou des permanences ? L’analyse proposée ci-dessous porte sur le lexique choisi par le roi, à l’exclusion des expressions corporelles, des intonations, et des autres aspects propres à la communication. La méthode d’analyse lexicale retenue est statistique : un traitement lexicométrique des formes lexicales permet de recenser exhaustivement toutes les formes, leur fréquence d’apparition, leur contexte lexical gauche et droit et de procéder à des traitements statistiques usuels de ces formes. Le logiciel sélectionné est Lexico dans sa version 5, produit par le laboratoire SYLED (université Sorbonne Nouvelle Paris 3).
2. Une longue série chronologique
L’ensemble des messages adressés par le roi en fin d’année forme un corpus regroupant 39 discours qui présente les caractéristiques quantitatives suivantes:
Corpus.
Occurrences | Formes | Hapax |
50582 | 6413 | 3379 |
On remarque l’importance relative des ‘hapax’, ces formes qui sont à usage unique (fréquence = 1), puisqu’elles représentent plus de la moitié du nombre total de formes. Cela révèle une grande richesse lexicale et un nombre plutôt modéré de répétitions (fréquences = ou >2).
L’examen des 39 messages successifs, année par année, montre un ensemble relativement homogène : le nombre de formes est compris entre 500 et 900, celui des occurrences entre 900 et 1500 et le lexique est diversifié, comme l’indique le nombre élevé d’hapax.
De plus, il obéit à une partition annuelle qui est celle de l’année. Le tableau suivant présente les caractéristiques quantitatives de tous les discours annuels du corpus Navidad.
3. Polarisation du discours selon la période
L’analyse factorielle des correspondances (AFC) qui prend ici en compte tous les mots du corpus Navidad offre une intéressante approche statistique des formes sélectionnées par le roi : ce calcul compare la fréquence observée pour chaque forme, dans chaque message annuel, avec celle qui serait attendue si chaque forme était choisie exactement selon la même fréquence moyenne pour toutes les années.
Le résultat obtenu ci-dessous montre une forte polarisation en groupes d’années qui, forment une figure en V autour de l’axe vertical et de l’axe horizontal.
Quels regroupements nous apparaissent graphiquement, et comment les interpréter ? L’AFC dispose les années auxquels les adresses de Noël sont énoncées par le roi d’Espagne en les rapprochant si leur lexique respectif est proche, et au contraire en les éloignant dans le cas inverse. La distance entre ces lexiques annuels est grande par exemple entre ceux qui furent énoncés au début du règne, dans les années allant de 1975 à 1993 – à droite sur l’axe horizontal –, et ceux qu’il a prononcés au cours des années 2000, de 2002 à 2010, à gauche sur le même axe. Dans ce cas, la différence lexicale s’impose spontanément : des formes lexicales appartiennent spécifiquement aux discours d’une période ou plutôt d’une autre, l’axe horizontal étant celui du temps.
Toutefois, onze discours annuels sont dans un positionnement intermédiaire, plus proches du centre de l’axe horizontal et relativement éloignés des deux autres groupes de discours identifiés ci-dessus. De plus ce troisième ensemble est situé au bas de l’axe vertical, ce qui l’oppose visiblement aux discours des années 2000 et à ceux des années 70 et 80.
L’histogramme des valeurs propres des axes factoriels (ci-dessous) montre que l’axe horizontal est relativement prééminent : l’axe chronologique explique 7,9% de la position des discours ; viennent ensuite d’autres axes factoriels qui n’expliquent qu’une plus faible proportion de cette position, le deuxième axe – vertical – représentant 4,4% de l’information lexicale. La somme des axes synthétisés par l’analyse statistique du lexique atteint 52% environ.
L’analyse statistique sur une longue période montre ainsi que les discours du roi d’Espagne se différencient les uns des autres selon le lexique utilisé à différentes périodes, mais aussi selon d’autres critères qu’il convient d’explorer.
L’axe du temps est le premier niveau d’explication ce qui n’est guère étonnant. Ce qui l’est davantage, c’est de constater que l’ordonnancement des discours royaux, les uns par rapport aux autres, ne suit pas un cours linéaire – 1975, puis 1976, puis… jusqu’à 2013. Au contraire, une certaine alternance apparaît comme si le roi avait souhaité, au cours de l’année N, émettre un message qui reprenne un lexique plus ancien et déjà usité auparavant, durant les années N-n, et non pas selon l’ordre linéaire auquel nous sommes habitués. Ces distorsions apparentes de l’ordre linéaire de la série chronologique 1975-2013 valent la peine qu’on s’interroge. Face à ce phénomène, on devrait en effet émettre l’hypothèse que le roi d’Espagne énonce chacun de ses messages en choisissant avec soin ses mots : il peut vouloir insister sur tel ou tel aspect en reprenant un mot ou une formule déjà utilisée non pas l’année antérieure mais au cours d’une période plus ancienne et qui lui paraît pertinente à rappeler, ou au contraire reprendre un mot et une formule déjà employée tout en changeant leur signification grâce à un contexte discursif nouveau. L’existence d’une série chronologique ne doit pas tromper le lecteur-auditeur des discours du roi : Juan Carlos fait appel à son propre ‘dialogisme’ en se référant parfois à un message déjà énoncé antérieurement, en utilisant partiellement ou totalement le lexique utilisé antérieurement, et modifie, complète ou corrige ce message antérieur ou choisit simplement de l’intégrer de nouveau aux messages de l’année en cours. Comme on le sait, Mikhaïl Bakhtine (1978 : 114) a développé cette notion de dialogisme comme un référentiel important pour comprendre les relations des textes entre eux ou au sein même d’un texte :
Chaque mot sent la profession, le genre, le courant, le parti, l’œuvre particulière, l’homme particulier, la génération, l’âge, le jour et l’heure. Chaque mot sent le contexte et les contextes dans lesquels il a vécu sa vie sociale intense ; tous les mots et toutes les formes sont habités par des intentions.
L’AFC nous fait voir les choix lexicaux du roi d’Espagne à travers la distance lexicale plus ou moins grande entre ses discours annuels, et c’est bien sûr le travail de l’analyste du discours que de parvenir à interpréter correctement une telle distance.
4. Lexique spécifique selon la période
Pour apprécier l’évolution du lexique royal, la statistique des spécificités est bienvenue : on compare ici la fréquence de chaque forme, ou éventuellement groupe de formes, dans chacun des messages annuels ; la fréquence est-elle strictement proportionnelle à la fréquence moyenne de l’ensemble de la série 1975-2013 ou est-elle plus ou moins importante selon les années ? Si la fréquence est supérieure à la moyenne globale au cours d’une ou plusieurs années, cette forme, ou ce groupe de formes, sera caractérisée par une spécificité positive (et vice-versa).
Parmi toutes les formes extraites de cette série, grâce au logiciel Lexico 5, on sélectionne celles qui sont susceptibles de concerner le champ économique ou le champ social. Ce filtre est opéré manuellement – à la lecture – et requiert bien évidemment une vérification grâce aux différents contextes dans lesquels ces formes lexicales sont utilisées.
Cette liste lexicale n’est pas très fournie – une quarantaine de formes distinctes sont ‘spécifiques’ pour certaines périodes. Au regard d’un corpus de 39 discours successifs, au lexique relativement riche et diversifié, on dispose ainsi d’une vision économique et sociale concentrée sur quelques notions seulement. Quelles sont-elles ? On peut les examiner sous l’angle chronologique, nous plaçant ainsi sous couvert de l’émetteur, le roi lui-même.
Les formes dont la spécificité est positive pour chacune des trois périodes considérées qui sont distinguées sont les suivantes, avec la fréquence totale de la forme F et la spécificité positive S+ :
5. Première période : les années 1975-1993
Les mots à consonance économique et sociale qui sont utilisés par le roi d’Espagne avec une répétition particulière sont peu nombreux : 5 formes spécifiques positives seulement.
‘esperanza’ et ‘Europa’ sont les formes notables de cette entrée dans la démocratie avec un coefficient de spécificité 4. Suivis des formes ‘trabajo’ et ‘empresa’ qui constituent un couple. Enfin, une forme moins attendue, ‘transformación’, qui désigne le changement global à la fois politique, mais aussi économique et social que connaît l’Espagne.
5.1. ‘esperanza’ (Fréquence = 46, spécificité = 4+)
Figure 4 : Extraits de la concordance de la forme ‘esperanza’-Corpus Navidad- Période 1.
un futuro que podamos compartir sin miedo , con | esperanza | y con razón y en el que tengan cabida todos los derechos , |
nuestra capacidad de ilusión y mirar al porvenir con la | esperanza | que radica en nuestras propias fuerzas ¶ |
¶ Miremos todos hacia delante con decisión y con | esperanza | , con sentimientos de concordia y de unidad . ¶ |
¶ De la solidaridad y de la | esperanza | compartidas , nace la unión . ¶ |
¶ Esta solidaridad y esta | esperanza | , como antorchas de nuestro espíritu colectivo , se encienden |
, en la consolidacíón de la paz , en la | esperanza | creciente de lograr para España un destino mejor y más próspero |
Les contextes de cette forme singulière mettent en évidence deux significations principales : d’un côté, le nouveau cours politique est présenté comme le creuset d’un avenir radieux, sur tous les registres, y compris économique ; de l’autre, la solidarité entre les Espagnols et notamment au sein des familles souligne d’une tonalité chrétienne et plus traditionnelle cet engagement du roi pour le projet du pays.
D’abord, le roi considère que la démocratie qui se met en place et la ‘paz’ sont un gage de l’avenir (futuro, porvenir). La forme ‘esperanza’ est accolée à des formes tout à fait distinctes que le roi rapproche pourtant : la ‘razón’, ‘sin miedo’, ‘con decisión’, ‘el optimismo’. Une formule surtout réunit sa pensée : «en la consolidación de la paz , en laesperanza creciente de lograr para España un destino mejor y más próspero.»
Il fait ici un lien direct entre la paix intérieure retrouvée, et le destin du pays qui sera ‘mejor y más próspero’. Il affirme que la volonté et l’espérance apporteront la prospérité. Que faut-il entendre par ce dernier terme ? Bien sûr l’amélioration des richesses disponibles qu’inclut le qualificatif ‘próspero’ mais le projet est plus large : le roi énonce pour tous ses concitoyens un ‘destino mejor’ ce qui constitue un projet global ; ce projet politique, économique et social est national grâce à ‘España’ ; il porte sur l’avenir à travers les formes ‘esperanza’ et ‘destino’ et il est réaliste car le verbe ‘lograr’ et le qualificatif ‘creciente’ donnent à l’ensemble un caractère non pas hypothétique mais au contraire présent et vérifiable. Dans ce projet global, la dimension économique apparaît inséparable d’une conception sociale et politique : le roi veut montrer aux Espagnols que la nouvelle vie démocratique, plus libre et plus pacifique apporte une récompense multiforme, politique, économique et sociale.
Les contextes plus récents, ceux des années 80 et début 90, associent dans un même ensemble la ‘esperanza’ et la ‘solidaridad’ : ce dernier terme apporte incontestablement avec lui des significations sociales, humanistes, philosophiques même. «De la solidaridad y de laesperanza compartidas, nace la unión.» «Esta solidaridad y esta esperanza, como antorchas de nuestro espíritu colectivo, se encienden».
Ces deux extraits sont explicites: les deux notions sont indissociables pour constituer la nation espagnole et celle-ci procède de son esprit collectif. Que faut-il entendre par ‘solidaridad’, outre l’allusion que fait le roi à la solidarité propre à la famille ?
Le roi d’Espagne rappelle étroitement les conceptions inscrites dans l’encyclique papale De Rerum Novarum, signée par Léon XIII le 15 mai 1891, dans laquelle il se prononce pour la première fois sur l’évolution économique et le sort des ouvriers et des pauvres, comme celui des patrons et des riches, dans une société de ‘concorde’ :
Ce qui fait une nation prospère, c'est la probité des mœurs, l'ordre et la moralité comme bases de la famille, la pratique de la religion et le respect de la justice, c'est un taux modéré et une répartition équitable des impôts, le progrès de l'industrie et du commerce, une agriculture florissante et autres éléments du même genre, s'il en est que l'on ne peut développer sans augmenter d'autant le bien-être et le bonheur des citoyens. […] Les pauvres au même titre que les riches sont, de par le droit naturel, des citoyens, c'est-à-dire du nombre des parties vivantes dont se compose, par l'intermédiaire des familles, le corps entier de la nation. […] La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c'est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. C'est pourquoi on l'appelle publique, parce qu'elle réunit les hommes pour en former une nation. […] La religion ainsi constituée comme fondement de toutes les lois sociales, il n'est pas difficile de déterminer les relations mutuelles à établir entre les membres pour obtenir la paix et la prospérité de la société.
Ces citations extraites de l’encyclique sociale du pape Léon XIII montrent l’inspiration dans laquelle puise le roi d’Espagne : sa conception de la solidarité familiale et sociale et de l’inclusion des pauvres et des exclus est très semblable, ainsi que sa compréhension d’une inégalité utile et donc limitée.
5.2. ‘Europa’ (Fréquence = 50, Spécificité = 4+)
Figure 5 : Extraits de la concordance de la forme ‘Europa’-Corpus Navidad- Période 1.
responsablemente a una causa digna : la construcción de una | Europa | unida , más justa , próspera y solidaria , abierta al mundo |
¶ En este afán , os convoco a todos , pues el futuro de | Europa | es y será , porque así lo hemos querido , nuestro propio futuro |
Otros de la propia | Europa | , de la que formamos parte por decisión democrática , por vocación |
Estamos en Europa y en ella vamos a seguir porque somos | Europa | , porque Europa nos necesita y en ella nos integraremos cada vez más |
La pertenencia a | Europa | enriquece nuestra identidad nacional . ¶ |
no es sólo en el ámbito económico en donde se le plantean a | Europa | los nuevos desafíos . También en las esferas política y social |
nuestra atención prioritaria en el exterior : | Europa | , Iberoamérica y el Mediterráneo . ¶ |
capacidades , con una España sólida y cohesionada , en una | Europa | dinámica y solidaria . ¶ |
Cette première période est, rappelons-le, celle de l’intégration de l’Espagne dans l’Union Européenne qui fut officialisée en 1986 : il est bien logique à cet égard que le roi apporte son point de vue. Son argument en faveur de l’intégration de son pays en Europe porte à la fois sur un rôle supposé de lien que l’Espagne incarnerait avec l’Amérique latine et sur une communauté de valeurs ; il s’appuie aussi sur ce qu’il désigne comme un ‘enrichissement de l’identité nationale’ et sur le fait que la portée de l’intégration européenne n’est pas seulement de nature économique mais aussi sociale et politique.
En résumé, le roi d’Espagne donne la plus haute importance au mouvement d’intégration européenne de l’Espagne parce qu’il y voit un parallélisme des projets : comme en Europe communautaire qui se bâtit un futur de cohésion, de solidarité et de dynamiques plurielles, l’Espagne est entrée dans un mouvement intense de transformations inspirées par la cohésion et la solidarité ; la prospérité en résultera.
Comme précédemment avec la forme ‘esperanza’, le roi s’approprie le terme ‘Europa’ pour développer un registre diversifié dans lequel l’économique est partie prenante d’une dynamique globale.
5.3. ‘empresa’ (Fréquence = 8, Spécificité = 3+) et ‘trabajo’ (Fréquence = 45, Spécificité = 3+)
Figure 6 : Extraits de la concordance des formes ‘empresa’ et‘trabajo’-Corpus Navidad- Période 1.
responsabilidades , como se hace en la actividad laboral de cada | empresa | , hemos de practicar en el sostenimiento de un quehacer constante |
un compromiso histórico - de una gran familia . De una gran | empresa | . De un destino que nos une a todos en esta España nuestra. |
en todos los emprendedores ; en la pequeña y mediana | empresa | que sostiene el tejido productivo de la Nación ; en los trabajadores |
necesitados de nuestra sociedad , la creación de puestos de | trabajo | , el ahorro productivo y su inversión , la reestructuración |
Conozco vuestra voluntad de | trabajo | y el esfuerzo que estáis realizando , que me hacen sentirme |
ofrece grandes oportunidades de acceso a los frutos del | trabajo | y de la técnica en grados insospechados hace tan sólo unos años |
En el que nos entreguemos de verdad a nuestro | trabajo | , como única forma de superar las dificultades económicas que |
a la acción creadora , al profundo compromiso social del | trabajo | , a estimular nuestra imaginación como pueblo que ha madrugado |
vuestra personal capacidad , sin encontrar un puesto de | trabajo | . No estaremos en condiciones de avanzar hacia la modernidad |
por su precaria situación económica , por una falta de | trabajo | contra la que hemos de luchar sin descanso , por los problemas |
El derecho al | trabajo | , la cultura abierta y - plural , el bienestar económico y laboral |
otras virtudes que han sido motor del progreso humano . ¶ El | trabajo | y la solidaridad , la ilusión y la honradez , el diálogo y la |
Se trata de dos factores fundamentales que , junto al | trabajo | sacrificado de todos , permitirán aumentar nuestra competitividad |
Les deux formes sont visiblement polysémiques. Le roi utilise ces deux formes dans un premier sens, très convergent, correspondant à l’engagement dans un projet collectif : c’est bien entendu ce sens-là qui est privilégié dans la séquence bien ponctuée «un compromiso histórico de una gran familia. De una granempresa. De un destino que nos une a todos en esta España nuestra.» comme dans celle-ci qui appelle la séquence «Conozco vuestra voluntad detrabajo y el esfuerzo que estáis realizando».
Toutefois, le sens commun et universel en économie de marché apparaît aussi : «en todos los emprendedores ; en la pequeña y mediana empresa que sostiene el tejido productivo de la Nación ; en los trabajadores…» et «a la acción creadora , al profundo compromiso social del trabajo, a estimular nuestra imaginación como pueblo que ha madrugado». Ici, ce sont bien l’activité créatrice, la responsabilité personnelle ainsi que le tissu économique qui sont mentionnés. On peut noter avec intérêt l’expression à tonalité philosophique de ‘profundo compromiso social del trabajo’ : elle confère à la notion de ‘trabajo’ une vertu qui n’est en rien spécifique à la catégorie sociale des travailleurs mais concerne l’ensemble des personnes qui s’engagent dans une activité créatrice et productive, intégrée dans un circuit collectif, que ces personnes soient salariées, indépendantes ou propriétaires d’entreprises.
Le manque d’emplois est mentionné – autre sens donné à ‘trabajo’: «vuestra personal capacidad, sin encontrar un puesto de trabajo. No estaremos en condiciones de avanzar hacia la modernidad». On comprend que cette formule aborde le chômage sous un angle collectif, celui de la bonne utilisation de ‘vuestra personal capacidad’ et du progrès économique – ‘la modernidad’ – et non celui de la privation personnelle d’emploi ou, encore moins, celui d’une discussion sur la politique économique à conduire.
Enfin, plus étonnamment, c’est encore la forme ‘trabajo’ qui porte à elle seule le combat de la compétitivité, c’est-à-dire de l’intégration de l’Espagne dans l’économie mondialisée : «Se trata de dos factores fundamentales que, junto al trabajo sacrificado de todos, permitirán aumentar nuestra competitividad».
5.4. ‘transformación’ (Fréquence = 5, Spécificité = 3+)
Figure 7 : Extraits de la concordance de la forme ‘transformación’-Corpus Navidad- Période 1.
Porque estamos inmersos en un proceso de | transformación | y de cambio en todos los órdenes , complejo y difícil , |
no hubieran creído que ibamos a conseguir una | transformación | profunda , sin venganzas ni violencias , sin odios ni tensiones |
Os pido que continuemos avanzando en el intento de | transformación | de nuestra Patria . |
- por la difícil prueba de una profunda | transformación | política , económica y social . |
he vivido con ilusión la | transformación | esperanzada de España , |
De façon très claire, le roi d’Espagne emploie le mot ‘transformación’ pour désigner le formidable changement global – il le décrit comme politique, économique et social – qu’il a engagé pour son pays. Les qualificatifs associés sont aussi troublants, s’agissant d’un énonciateur aussi remarquable que le roi : ‘un proceso complejo y difícil’, ‘el intento de transformación’, ‘la difícil prueba de una profunda transformación’, ‘con ilusión de transformación esperanzada’. Tous ces qualificatifs soulignent combien l’enjeu est important et les obstacles élevés et dangereux. Dans ce registre, l’économique et le social sont des dimensions étroitement mêlées à l’aspect politique.
En résumé, durant les vingt premières années de son règne, le roi Juan Carlos distille un vocabulaire économique et social assez consistant et profondément orienté vers la réussite de la transition politique qu’il conduit. Ce vocabulaire est clairement inspiré d’une philosophie chrétienne sociale, celle que le pape Léon XIII a mentionnée dans son encyclique De Rerum Novarum à la fin du 19ème siècle ; toutefois, le roi est aussi dans son époque : bien conscient des trois défis que sont la mondialisation, l’intégration européenne et la modernisation indispensable de la société et de l’économie espagnoles, le roi rappelle avec force que les leviers pour réussir consistent à se projeter collectivement et de réaliser des progrès ensemble, à tous les niveaux (personnel, entrepreneurial mais aussi collectif et solidaire), sans distinction. Le roi adopte un lexique conforme à son analyse des besoins du pays dans une vision qu’on pourrait dire proche de l’économie politique des économistes classiques : les acteurs de l’économie sont aussi ceux de la vie sociale et civile, ce sont tous les espagnols.
6. Deuxième période : les années 1994-2001 et les trois dernières années de règne
Tableau 4 : Formes sélectionnées à spécificité positive (S+) période 2.
Formes spécifiques | F | f | S |
sociedad | 125 | 75 | 13 |
desarrollo | 47 | 23 | 4 |
económica | 40 | 21 | 4 |
social | 66 | 30 | 3 |
crisis | 51 | 22 | 3 |
política | 44 | 21 | 3 |
socialmente | 5 | 4 | 3 |
economía | 20 | 10 | 2 |
Les formes concernées par l’économique et le social illustrent la tension entre le développement (desarollo) et la crise économique (crisis económica) survenue en 2008 dans tout l’Occident.
6.1. ‘sociedad’ (Fréquence = 125, Spécificité = 13+)
Figure 8 : Extraits de la concordance de la forme ‘sociedad’-Corpus Navidad- Période 2.
familia que es célula matriz y natural de la | sociedad | , y la que configura nuestro ser nacional |
Establecer una | sociedad | democrática avanzada , y |
Los esfuerzos que la | sociedad | española debe realizar para cubrir satisfactoriamente un período |
Los últimos quince años han sido un excelente ejemplo de cómo una | sociedad | puede recuperar la democracia de la manera más pacífica y constructiva |
Nunca la | sociedad | española había gozado de un período tan largo de convivencia |
un factor desintegrador de la | sociedad | . Son particularmente inquietantes el paro de larga duración |
el más amplio consenso de la | sociedad | , que incluya a las fuerzas políticas , los empresarios y |
La sociedad española hoy es una | sociedad | que estimula la creación y expresión libre de las ideas , |
la ejemplaridad de los comportamientos y el diálogo con la | sociedad | . |
La aparición y desarrollo de nuevas enfermedades obliga a la | sociedad | a redoblar sus esfuerzos para mejorar las condiciones de vida |
, especialmente de empleo estable , pues ninguna | sociedad | puede considerar que su desarrollo es completo si una parte |
España aspira a construir una | sociedad | económica y socialmente avanzada . |
hemos conseguido entre todos hacer de España una | sociedad | cada vez más libre , más igualitaria y justa , más equilibrada |
Nuestra | sociedad | tiene ante sí un desafío reciente , como es el de la inmigración |
factores destacados en la consecución del bienestar de la | sociedad | , |
En una | sociedad | de progreso y solidaridad como la española , |
Al mismo tiempo , la | sociedad | española reclama erradicar las causas de pobreza , marginación |
Una | sociedad | solidaria y de progreso , como la española , debe comprometerse |
merecen nuestros jóvenes , en su afán por conseguir una | sociedad | cada vez más equitativa . Más y mejor empleo , protección |
Por eso resulta tan importante que la | sociedad | en su conjunto asuma la trascendencia del momento |
un horizonte de dignidad y estabilidad , y al conjunto de la | sociedad | una expectativa de prosperidad . Estabilidad y prosperidad |
Gracias también a la | sociedad | civil que ha demostrado una solidaridad verdaderamente ejemplar |
Realismo para reconocer que la salud moral de una | sociedad | se define por el nivel del comportamiento ético de cada uno |
También lo es de los agentes económicos y sociales y de la | sociedad | en su conjunto a través de sus estructuras organizativas . |
La forme ‘sociedad’ tient un rôle important dans le discours de fin d’année du roi d’Espagne. Cela est vrai non seulement en raison de sa haute fréquence (F=125) et de son caractère bien spécifique (S=13+), mais surtout eu égard aux différentes significations que lui attribue le roi et qui en font sans aucun doute un des éléments clé des messages qu’il souhaite délivrer aux Espagnols.
De façon remarquable, ‘sociedad’ est personnalisée à la fois par son contexte et même par la préposition ‘a’ qui l’introduit dans l’expression «los valores que definen a unasociedad democrática, para el ejercicio de la convivencia y el desarrollo». Cette personnalisation caractéristique est renforcée par le qualificatif ‘civil’ dans l’expression «Gracias también a la sociedad civil que ha demostrado una solidaridad verdaderamente ejemplar» : on sait en effet que la philosophie politique anglo-saxonne confère à l’existence d’une société civile active la vertu de faire vivre la démocratie par ses propres citoyens, contrairement aux traditions étatistes et juridiques françaises ou contractualistes allemandes. Une telle ‘société civile’ se caractérise par des traits particuliers tels que tous ceux qu’énonce le roi d’Espagne pour sa société : ‘democrática avanzada’, ‘que estimula la creación y expresión libre de las ideas’, ‘económica y socialmente avanzada’, ‘cada vez más equitativa’,’ se define por el nivel del comportamiento ético de cada uno’, etc.
Ainsi le roi considère-t-il que la société espagnole a atteint un niveau de maturité et d’efficience qui garantit aux institutions démocratiques et constitutionnelles une grande pérennité et une véritable efficacité. Cette séquence logique allant d’une société civile active à des institutions démocratiques stables serait sans doute inversée selon la tradition française, par exemple.
En outre, le roi persiste dans une approche chrétienne sociale déjà évoquée dans les messages des 20 premières années de son règne puisque la ‘sociedad’ est, selon lui, ‘cada vez más libre, más igualitaria y justa, más equilibrada’, ‘de progreso y solidaridad’, et ‘reclama erradicar las causas de pobreza, marginación’. La recherche de cet équilibre interne entre richesse et pauvreté et la responsabilité éthique dévolue à chacun pour obtenir cet équilibre se réfère bien à la tradition résumée par le pape Léon XIII dans son encyclique De Rerum Novarum.
Pour l’illustrer, le roi insiste en particulier sur le caractère pernicieux du chômage : «un factor desintegrador de la sociedad. Son particularmente inquietantes el paro de larga duración».
Finalement, le terme ‘sociedad’a une signification-clé pour cet énoncé de fin d’année : il s’agit bien pour le roi de maintenir actif le lien ouvert entre les familles qui se réunissent à ce moment et les dynamiques d’équilibre auxquelles le roi fait référence.
6.2. ‘desarrollo’ (Fréquence = 47, Spécificité = 4+)
Figure 9 : Extraits de la concordance de la forme ‘desarrollo’-Corpus Navidad- Période 2.
los bienes generales , sin cuyo | desarrollo | es imposible el progreso . |
los obstáculos y las dificultades que presenta hoy el total | desarrollo | armónico y solidario de nuestra empresa colectiva . |
por lograr nuestro mejor | desarrollo | hacia la modernidad . |
deben ser un estímulo para nuestro propio | desarrollo | y progreso . |
que encontramos en esta institución tan necesaria para el | desarrollo | en armonía del ser humano . |
la incidencia deseada en la vida de cada ciudadano y en el | desarrollo | armonioso y equitativo de nuestra sociedad , debemos aprovecharlos |
referencias éticas son imprescindibles para el pleno y feliz | desarrollo | del hombre y de la sociedad . |
inculcando a nuestros jóvenes son los más adecuados para su | desarrollo | personal y si no podemos hacer más para que nuestros hijos no |
El considerable | desarrollo | económico y social de España en estos veinte años , |
para el ejercicio de la convivencia y el | desarrollo | de la acción política en libertad y pluralismo . |
Cette forme est posée comme un processus évolutif et se voit attribuer une signification particulièrement intéressante dans la formule «referencias éticas son imprescindibles para el pleno y feliz desarrollo del hombre y de la sociedad» : le processus combine ainsi l’homme et la société ; dans d’autres contextes, c’est le ‘ser humano en armonía’ qui est appelé, ou encore ‘la modernidad’, c’est-à-dire le progrès ; celui-ci est souligné en ce qui concerne l’économique et le social pour les 20 années qui viennent de s’écouler depuis 1975. La vision transmise par le roi est celle d’un optimisme confiant dans la marche en avant de l’Espagne et de tous les Espagnols, désignés comme des personnes humaines, non des citoyens ou des travailleurs. Cette confiance dans le progrès et la modernisation renoue avec une conception positiviste que l’on peut comprendre à en juger par le succès de l’intégration de l’Espagne dans l’économie mondiale moderne et le bénéfice des fruits de cette croissance.
6.3. ‘crisis económica’ (Fréquence = 16, Spécificité = 3+)
Figure 10 : Extraits de la concordance du syntagme nominal ‘crisis económica’- Corpus Navidad- Période 2.
El terrorismo, la |
crisiseconómica |
de las sociedades industriales y su trágica secuela |
Es cierto que en nuestro entorno la |
crisis económica |
está poniendo en entredicho muchos de los logros conseguidos |
las graves consecuencias sociales que ha generado la |
crisis económica |
. |
Desafíos que van desde la lacra del terrorismo, la |
crisis económica |
o el cambio climático , hasta las pandemias o el narcotráfico |
En 2009 la grave |
crisis económica |
ha llevado a que el desempleo sea la principal preocupación |
Junto a la |
crisis económica |
, me preocupa también enormemente la desconfianza |
España continúa sufriendo los efectos de una |
crisis económica |
y financiera de una duración y magnitud desconocidas |
Es indiscutible que la |
crisis económica |
que sufre España ha provocado desaliento en los ciudadanos |
Le syntagme ‘crisis económica’ est répété et ses deux éléments constitutifs ont une spécificité positive remarquable dans la série chronologique qui va de 1975 à 2013. On sait que la crise économique en question, apparue aux USA à l’été 2007, s’est brutalement déployée dans le monde occidental à partir de l’été 2008 avec des faillites bancaires. L’Espagne a vu sa croissance économique brusquement interrompue avec un impact particulièrement marqué en termes de chômage et de baisse de revenus.
Le roi souligne systématiquement la gravité de cette crise : non seulement pour ses effets sociaux et économiques mais, plus profondément, sur les risques tragiques qu’elle est susceptible de créer pour la société espagnole elle-même ; il la place en effet au rang du terrorisme, des pandémies mondiales, des effets néfastes du réchauffement climatique…Ces associations sont fortes : d’un côté elles exonèrent, pour une large partie du moins, les Espagnols de la responsabilité de cette crise, de même qu’on ne pourrait leur attribuer la responsabilité principale des autres maux évoqués ; et de plus la comparaison avec ces désastres mondiaux confère à la crise l’aspect dévastateur que pouvaient avoir les fléaux d’autrefois sur des sociétés fragiles.
C’est bien pourquoi les discours du roi d’Espagne y prennent garde et nomment le danger auquel il s’agit de faire face : «Es indiscutible que lacrisis económica que sufre España ha provocado desaliento en los ciudadanos».
En résumé, au cours des années 1994-2001 et 2011-2013, le roi a développé de façon cohérente son approche philosophique de l’économique et du social, en combinant un registre chrétien social, toujours bien présent, et un autre, inspiré de la philosophie politique anglo-saxonne, celui de la société civile, active et juste.
7. Troisième période : les années 2002-2010
Tableau 5 : Formes sélectionnées à spécificité positive (S+) période 3.
Formes spécifiques | F | S |
bienestar | 57 | 5 |
esfuerzos | 47 | 5 |
modernización | 13 | 4 |
progreso | 66 | 4 |
dinamismo | 5 | 4 |
competitividad | 5 | 3 |
cooperación | 34 | 3 |
oportunidades | 31 | 3 |
económicas | 19 | 3 |
Europea | 28 | 3 |
crecimiento | 19 | 3 |
económicos | 13 | 3 |
innovación | 9 | 3 |
pobreza | 9 | 3 |
transformaciones | 6 | 2 |
moderna | 9 | 2 |
europea | 20 | 2 |
Cette période 3 est celle de l’optimisme et de la croissance, avec aussi des croissances sectorielles vertigineuses – immobilier par exemple -, puis de la rupture brutale survenue en 2008 en Espagne comme dans l’ensemble de l’Occident. En Espagne, la chute a été particulièrement douloureuse : réduction forte du PIB, explosion du chômage, émigration de nombreux jeunes, y compris bien formés et diplômés, réduction des salaires, y compris dans la fonction publique, réduction de nombreuses prestations sociales. Comment le roi l’aborde-t-il ?
Il met en avant trois notions : une conception du progrès et du bien-être qui passe par une équité interne de la société ; l’équité est la deuxième notion mise en avant avec la priorité donnée à ‘l’égalité des opportunités’, y compris en particulier au bénéfice des exclus, des pauvres, des marginaux, des jeunes sans emploi ou sans diplôme, etc. ; enfin l’insistance sur les moteurs essentiels de la modernisation à poursuivre qui sont à la fois économiques, mais aussi techniques, sociaux et culturels : l’innovation, l’effort, la compétitivité et, bien entendu l’Europe, donc la croissance économique elle-même, résultant des évolutions précédentes et impliquant une solidarité interne.
7.1. ‘bienestar’ (Fréquence = 57, Spécificité = 5+)
Figure 11 : Extraits de la concordance de la forme ‘bienestar’-Corpus Navidad- Période 3.
una España próspera y en orden, donde el fin supremo de su | bienestar | y de su grandeza , se sobreponga a intereses particulares y |
El derecho al trabajo , la cultura abierta y plural , el | bienestar | económico y laboral , la igualdad de oportunidades , |
Ce que Juan Carlos signifie par ‘bienestar’ est évidemment bien plus large que le seul pouvoir d’achat ou la consommation. Il explicite sa vision ample en associant ce terme à ‘España’ et à ‘su grandeza’ : le pays est donc personnifié, ce qui est un trait permanent de tous ses discours. Pour caractériser en quoi consiste le ‘bienestar’, Juan Carlos n’hésite pas à en décrire le contexte grâce aux associations qu’il effectue : celles-ci se réfèrent, comme nous le savons déjà, à une vision sociale chrétienne et attentive : ‘derecho al trabajo’ entendu comme le droit à l’emploi, ‘cultura abierta y plural’, et la fameuse ‘igualdad de oportunidades’ qu’il développe largement (cf. §7.3). Ainsi le ‘bienestar’ est-il simultanément ‘económico y laboral’, l’avoir et l’être, le pouvoir d’achat et les conditions de travail, la progression et la reconnaissance professionnelles.
7.2. ‘progreso’ (Fréquence = 66, Spécificité = 4+)
Figure 12 : Extraits de la concordance de la forme ‘progreso’-Corpus Navidad- Période 3.
Promover el | progreso | de la cultura y de la economía para asegurar a todos una digna |
para defender los valores de libertad y | progreso | que son connaturales de su propia personalidad secular . |
deben ser un estímulo para nuestro propio desarrollo y | progreso | . Nuestra participación en un marco político y económico como |
empiezan a respirar el aire de la democracia y el | progreso | . Que ese progreso alcance a cuantos permanecen aún en la pobreza |
a fondo en beneficio del empleo , del crecimiento y del | progreso | para todos . |
en condiciones de pobreza y permanezcan al margen del | progreso | económico y social . |
con una economía en | progreso | que nos proporciona mayor bienestar y unas instituciones capaces |
tenemos una responsabilidad específica en la construcción del | progreso | colectivo y en la defensa de los valores éticos que lo sostienen |
acercarnos a los que han tenido menos oportunidades de | progreso | , a aquellos que sufren la enfermedad o la marginación social |
mantener ese rumbo animados por una visión solidaria del | progreso | económico , mejorando las condiciones de vida de todos , perfeccionando |
ve para la construcción europea , factor básico para nuestro | progreso | , modernización y cohesión . La ampliación de la Unión Europea |
Gestionar nuestro | progreso | con visión de futuro exige redoblar esfuerzos en educación , |
esperanza en el futuro , con el aval de tres décadas de | progreso | y modernización en torno a nuestra Constitución . |
Cette notion est à la fois fréquente et spécifique au cours de la période considérée : on doit le souligner car peu de dirigeants européens continuent d’utiliser ce terme et de se référer à cette notion, tant les crises économiques, internationales et politiques ainsi que les maux de notre société comme le chômage de longue durée et le mal-logement ont pu remettre en cause le crédit qu’avait le mot ‘progrès’ jusqu’au début des années 1980. Qu’en est-il pour le roi d’Espagne ?
Les deux formules suivantes mettent tout d’abord en relief le contenu humaniste que lui confèrent les discours du roi Juan Carlos : «para defender los valores de libertad y progreso que son connaturales de su propia personalidad secular» et surtout l’extraordinaire «empiezan a respirar el aire de la democracia y elprogreso». Ainsi ‘el progreso’ serait une valeur et pourrait se respirer !
Les deux derniers contextes marquent ensuite une association entre ‘el progreso’ et ‘el futuro’ soit pour appuyer les efforts en matière d’éducation, soit pour valoriser les 30 ans qui se sont déroulés depuis l’approbation de la Constitution de 1978 : dans ces assertions, le roi signifie donc combien ‘el progreso’ est pour lui une orientation globale de toute la société espagnole.
Toutefois, on trouve aussi de nombreuses fois la référence au progrès économique et social, ce qui est la signification habituelle la plus attendue : notons alors que son emploi est toujours associé à une conditionnalité : «a fondo en beneficio del empleo, del crecimiento y del progreso para todos». Cette conditionnalité concerne le chômage, la pauvreté, l’exclusion, et toutes les inégalités injustifiées et délétères pour la société espagnole.
7.3. ‘igualdad de oportunidades’ (Fréquence = 31, Spécificité = 3+)
Figure 13 : Extraits de la concordance du syntagme nominal ‘igualdad de oportunidades’-Corpus Navidad- Période 3.
el bienestar económico y laboral , | la igualdad deoportunidades | , la extensión de las atenciones sociales , |
mejorando la educación de nuestros jóvenes , extender la | igualdadde oportunidades | , abrir el paso a la investigación , la ciencia |
los marginados y cuantos reclaman disfrutar de mayor | igualdadde oportunidades | . |
Una España que asegurela efectiva | igualdad de derechos yoportunidades | para todos , la plena equiparación |
Le syntagme ‘igualdad de oportunidades’ est une marque caractéristique de la vision sociale et économique du roi d’Espagne : pour lui, les ‘marginados’, et tous ceux qui ‘reclaman disfrutar de mayor igualdad de oportunidades’ doivent être entendus car il s’agit là d’un levier essentiel d’équité entre les membres de la société ; le roi ne conteste donc pas les inégalités et ne réclame pas une égalité entre tous – il explique ailleurs que l’inégalité correspond aux différences de talents et d’efforts –, mais plutôt une possibilité réelle pour chacun de profiter des progrès – éducation, technologies, richesses, croissance, etc. La ‘igualdad de oportunidades’n’est donc pas exactement l’égalité des chances à la française, même si elle s’en rapproche : l’autodétermination et la liberté soutenues par le Constitution de 1978 sont essentielles ; encore faut-il savoir en profiter, ce qui suppose des supports particuliers pour que certains, défavorisés au départ, voient leurs efforts récompensés comme les autres.
7.4. ‘pobreza’ (Fréquence = 9, Spécificité = 3+)
Figure 14 : Extraits de la concordance de la forme ‘pobreza’-Corpus Navidad- Période 3.
la sociedad española reclama erradicar las causas de | pobreza | , marginación y exclusión social , proteger y asistir a menores |
ciudadanos que viven en España por debajo del umbral de la | pobreza | , en contraste con las que avalan nuestro sostenido crecimiento |
debe comprometerse con todo empeño en la lucha contra la | pobreza | , la marginación o la exclusión social. |
Reforcemos la lucha contra la | pobreza | , la marginación o la exclusión social. |
No me refiero sólo a la lucha contra la | pobreza | y la exclusión , sino a continuar profundizando en las medidas |
la sociedad española reclama erradicar las causas de | pobreza | , marginación y exclusión social , proteger y asistir a menores |
ciudadanos que viven en España por debajo del umbral de la | pobreza | , en contraste con las que avalan nuestro sostenido crecimiento |
debe comprometerse con todo empeño en la lucha contra la | pobreza | , la marginación o la exclusión social. |
Reforcemos la lucha contra la | pobreza | , la marginación o la exclusión social. |
No me refiero sólo a la lucha contra la | pobreza | y la exclusión , sino a continuar profundizando en las medidas |
En lien avec le syntagme ‘igualdad de oportunidades’, la ‘lucha contra la pobreza’et ses réalités associées – la marginación o la exclusión social’ – sont une des priorités de ‘la sociedad española’.
7.5. ‘modernización’ (Fréquence = 13, Spécificité = 4+)
Figure 15 : Extraits de la concordance de la forme ‘modernización’-Corpus Navidad- Période 3.
porque ha contribuído a la | modernización | de nuestra economía , a aumentar la prosperidad del país , al |
con el avance y el progreso , con el perfeccionamiento y la | modernización | de nuestra sociedad y con la ampliación de la esfera de la justicia |
y sin el esfuerzo de todos , no podría explicarse ni la | modernización | vivida por España , ni la envidiable estabilidad política , |
Unidos hemos alcanzado una | modernización | sin precedentes en nuestra Historia. |
la integración europea , pieza esencial de nuestra propia | modernización | , cuando se acaba de firmar en Lisboa un nuevo Tratado |
esperanza en el futuro , con el aval de tres décadas de progreso y | modernización | en torno a nuestra Constitución . |
La ‘modernización’ est un processus constant que l’Espagne a intégré comme un objectif et une valeur; c’est ce que signifie fortement la formule ‘esperanza en el futuro, con el aval de tres décadas de progreso y modernización en torno a nuestra Constitución.’ Notons que ce processus de longue durée porte aussi bien sur l’économie que sur la société et le fonctionnement politique et institutionnel.
Quels sont les leviers économiques identifiés par le roi pour réaliser cette ‘modernización’ ?
7.6.‘competitividad’ (Fréquence = 5, Spécificité = 3+)
Figure 16 : Extraits de la concordance de la forme ‘competitividad’-Corpus Navidad- Période 3.
investigación e innovación , que son pilares básicos para elevar la | competitividad | , mantener el desarrollo y ampliar nuestro bienestar. |
a crecer de forma sostenible , necesitamos más eficiencia y | competitividad | , más innovación tecnológica , y elevar la educación |
permitirán aumentar nuestra | competitividad | y productividad y , por ello mismo , nuestro progreso y bienestar |
mejorar en productividad y | competitividad | , en educación e innovación ; y volver a situar a nuestra economía |
por la investigación y la innovación , para mejorar la | competitividad | y contribuir así a la creación de empleo . |
La ‘competitividad’ est évidemment un registre essentiel dont le roi affirme qu’il conditionne la possibilité de réussir la modernisation : les processus économiques associés par le roi sont la ’productividad’, la ‘eficiencia’, ‘investigación e innovación, que son pilares básicos para elevar la competitividad’, la ‘innovación tecnologica’, la ‘educación’.
En termes économiques, ces différents registres se réfèrent à l’investissement en capital matériel ou en capital humain.
7.7. ‘innovación’ (Fréquence = 9, Spécificité = 3+)
Figure 17 : Extraits de la concordance de la forme ‘innovación’-Corpus Navidad- Période 3.
redoblar esfuerzos en educación , así como en investigación e | innovación | , que son pilares básicos para elevar la competitividad , |
necesitamos más eficiencia y competitividad , más | innovación | tecnológica , y elevar la educación y |
a que apuesten decididamente por la investigación y la | innovación | , para mejorar la competitividad y contribuir así a la creación |
Comme vu ci-dessus, la ‘innovación’ est vue comme un des ‘pilares básicos para elevar la competitividad’. L’innovation est entendue comme technique ou humaine, et associée à la création, à la recherche et à l’éducation.
7.8. ‘esfuerzos’ (Fréquence = 47, Spécificité = 5+)
Figure 18 : Extraits de la concordance de la forme ‘esfuerzos’-Corpus Navidad- Période 3.
en una hora que necesita, precisamente , de gigantescos | esfuerzos | colectivos. |
nuevas enfermedades obliga a la sociedad a redoblar sus | esfuerzos | para mejorar las condiciones de vida de las personas que las |
nuestro progreso con visión de futuro exige redoblar | esfuerzos | en educación, así como en investigación e innovación , que |
deben llevar a las distintas Administraciones a redoblar | esfuerzos | para atender las carencias de muchas personas. |
Y , finalmente, redoblar | esfuerzos | para que España vuelva a crecer y a crear empleo. |
Tampoco podemos escatimar | esfuerzos | a favor de la igualdad de oportunidades, de los más pobres |
En todas las personas que han asumido grandes sacrificios y | esfuerzos | a lo largo de este año : trabajadores asalariados, autónomos |
y administraciones públicas debemos volcar nuestros mejores | esfuerzos | y energías en apoyo de los desempleados y de sus familias. |
La forme ‘esfuerzos’ est utilisée au pluriel et elle est associée soit à la recherche de l’équité – ‘para atender las carencias de muchas personas’ – ou à contribuer à la croissance économique – ‘para que España vuelva a crecer y a crear empleo’. L’important pour le roi d’Espagne est que ces ‘esfuerzos’ sont collectifs.
7.9. ‘crecimiento’ (Fréquence = 19, Spécificité = 3+)
Figure 19 : Extraits de la concordance de la forme ‘crecimiento’-Corpus Navidad- Période 3.
Después de un período de prosperidad y | crecimiento | , nos enfrentamos hoy con una situación de recesión y crisis |
los logros conseguidos en los pasados años de prosperidad y | crecimiento | . |
debemos aprovecharlos a fondo en beneficio del empleo , del | crecimiento | y del progreso para todos . |
La economía española ha seguido experimentando un | crecimiento | sostenido ; |
pobreza , en contraste con las que avalan nuestro sostenido | crecimiento | económico . |
Por otro lado , en un país con una envidiable trayectoria de | crecimiento | , las fluctuaciones económicas deben llevar a las distintas |
tan pronto como sea posible , a la senda del | crecimiento | económico y de la creación de empleo ; |
Sin un | crecimiento | adecuado no crearemos empleo . |
Austeridad y | crecimiento | deben ser compatibles . |
Le résultat de ces efforts collectifs, engagés dans différents registres favorables à l’investissement, c’est le ‘crecimiento económico’. On note l’insistance pour associer la croissance et la création d’emploi, cette dernière forme utilisée au singulier comme une catégorie générique. La dernière formule ‘Austeridad y crecimiento deben ser compatibles’ signale que la croissance économique relève d’un processus global, complexe et historique, alors que la ‘austeridad’ est seulement une politique, temporaire probablement : à cause de cette distinction importante entre les deux notions, il n’y a pas en effet de contradiction ; toutefois, le roi prend soin de souligner que ces deux notions ‘deben ser compatibles’, suggérant ainsi que certains pourraient penser l’inverse.
8. Conclusions
Le roi d’Espagne met en avant un riche vocabulaire économique et social, tout au long de ces 39 messages successifs de ‘Fin de Año’. Ce qui donne à ce lexique sa richesse, ce n’est pas sa diversité puisqu’il comprend quelques dizaines de formes seulement en 39 messages annuels, mais c’est qu’il se réfère assez clairement à une vision politique et sociale qui est en même temps humaniste, sociale chrétienne, européenne et inspirée par l’optimisme et la volonté. Retenons par exemple ces notions complexes et si significatives de ‘bienestar’ et de ‘progreso’ : le roi les met en avant pour donner à ses messages une grande force et une inspiration élevée ; on peut alors faire l’hypothèse que les messages royaux visent principalement à alimenter la réflexion de ses concitoyens en leur fixant un cap, indépendamment de la conjoncture économique, sociale et politique qui, elle, serait du ressort du gouvernement du moment.
Une série si longue – 39 ans – ne peut manquer de faire voir des évolutions : en effet, nous l’avons souligné, trois périodes se démarquent de façon assez différenciée dans le lexique lui-même. Quelles que soient ces modifications et ces insistances lexicales, la vision du roi se complète, s’enrichit mais ne se contredit pas : elle apparaît au contraire d’une grande cohérence. Il y a manifestement la recherche d’un équilibre permettant la ‘convivencia’ entre les efforts nécessaires pour moderniser le pays, en particulier son économie, et ceux que le roi réclame pour protéger les personnes défavorisées et leur permettre de profiter d’une ‘igualdad de oportunidades’.
Cette longue série chronologique a permis au roi d’Espagne de faire écho à ses propres discours, dialoguant avec lui-même en quelque sorte, mais aussi se référant comme nous l’avons vu à une pensée sociale chrétienne qui date de la fin du 19ème siècle et n’a pas perdu de son actualité dans la vision qu’il ne cesse de dessiner, année après année. Comme l’affirme le roi lui-même dans ses conversations avec José Luis de Vilallonga (1999 – 247) :
Quand le roi s’adresse à tous les espagnols, il le fait en toute liberté […] dans ce que je dis, il n’y a d’ingérence de personne. Et je pense que les gens savent maintenant que ce que dit le roi c’est ce que pense le roi.2
Cette série illustre-t-elle ce qu’est la diachronie ? Revenons à Ferdinand de Saussure (1985 : 140) : « La linguistique diachronique étudiera les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux ».