1. Objectif et contexte de la recherche
1.1. Un objectif de recherche qui s’inscrit dans la diachronie de l’émergence
Le travail dont il est question ici tire son origine d’une thématique de recherche menée sur la diachronie de l’émergence et de l’innovation et dont l’objectif est de décrire les conséquences, pour les lexiques spécialisés, de l’apparition de nouveaux domaines scientifiques et de la survenue d’innovations et de progrès dans des domaines existant déjà. Ces recherches en diachronie ont porté jusque-là majoritairement sur le lexique médical, en anglais et en français (voir par exemple Dury, 2016), et il m’a semblé intéressant, dans cet article, d’étudier les termes et les concepts médicaux d’un autre point de vue, c’est-à-dire en observant la place qu’ils occupent dans des domaines de spécialité extérieurs à la santé, ici le domaine du textile, et en évaluant l’impact qu’a sur le lexique de ces autres domaines le développement de champs d’application ou de spécialités nouvelles en médecine. L’exercice n’est pas tout à fait nouveau et d’autres chercheurs se sont penchés sur le rapprochement et la fertilisation conceptuels et terminologiques croissants entre domaines scientifiques de plus en plus éloignés les uns des autres ; c’est le cas par exemple de Bordet (2013), qui souligne le ‘brouillage’ que provoquent ces rapprochements entre domaines et pour qui il y a une « créativité actuelle des sciences et des techniques, fondée sur le croisement et les interférences de domaines jusqu’ici cloisonnés » (Bordet 2013 : 1). De la même façon, Resche, dans un article de 2013, montre comment les sciences économiques ont emprunté des termes et des concepts provenant du domaine de la biologie et plus récemment de ceux des neurosciences et des sciences cognitives.
L’intérêt consiste ici à étudier, en corpus, la terminologie du textile, un domaine qui attire encore peu l’attention des linguistes mais qui constitue l’un des axes de recherche privilégié du Centre de Recherche en Terminologie et Traduction (CRTT), et à observer dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) les termes et les concepts issus du domaine médical « imprègnent » la terminologie du textile. Cette problématique d’« imprégnation » a été évoquée par Condamines et Picton dans un article de 2014, dans lequel elles la définissent linguistiquement comme étant « le glissement […] de la terminologie vers le lexique général » (Condamines et Picton 2014 : 168). L’étude présentée ici reprend et détourne cette notion d’imprégnation en l’appliquant au glissement, parfois diffus et imperceptible, qui se produit d’une terminologie spécialisée vers une autre terminologie spécialisée. Cette imprégnation de la terminologie du textile par des concepts et des termes médicaux est décrite ici par le terme de ‘médicalisation’, car les résultats extraits du corpus montrent que son ampleur est importante. Elle se manifeste en outre à des niveaux différents du lexique, comme nous le verrons plus loin : un niveau ‘immédiat’ avec une augmentation importante du nombre et de la fréquence d’emploi de termes médicaux dans le corpus, et un deuxième niveau plus diffus, plus discret, avec par exemple l’emprunt de formants typiquement médicaux.
1.2. Le développement des textiles médicaux
Le rapprochement disciplinaire entre l’univers du textile et celui de la santé a été rendu possible grâce au développement récent de la recherche sur les textiles techniques et notamment sur les textiles techniques dits médicaux. Cette recherche est portée par un secteur d’application, la santé, dont les besoins sont de plus en plus importants et de plus en plus larges. Pour Bartels (2011) :
A partir des tissus en coton courants, les textiles médicaux connaissent un développement rapide depuis les dernières décennies. Ces progrès touchent presque tous les secteurs textiles : des nouveaux composants biodégradables de fibres textiles ont permis la mise au point de nouveaux types d’implants, les machines textiles nouvelle génération permettent la création de tissus tridimensionnels, et les finitions à base d’ions d’argent réduisent efficacement la prolifération bactérienne1. (Bartels 2011 : xxiv)
La présence de fibres textiles dans le domaine médical englobe des applications vastes et hétérogènes, qui vont d’une utilisation visant à assurer l’hygiène et le confort des patients et des praticiens, à l’emploi lors d’interventions chirurgicales et post-chirurgicales autour du patient, de matériaux textiles introduits dans le corps humain2. On distingue généralement trois grands domaines d’application de ces textiles médicaux3 :
- Les textiles utilisés dans les dispositifs d’aide à la personne et de maintien à domicile (par exemple tapis anti-chutes, vêtements adaptés pour les personnes âgées et/ou handicapées, revêtements spéciaux pour fauteuils, etc.),
- Les textiles hospitaliers pour la protection et l’hygiène (par exemple masques et vêtements aux propriétés antimicrobiennes à destination du personnel médical, draps, matelas anti escarres, etc.),
- Les dispositifs médicaux textiles à proprement parler (par exemple fils de suture, pansements, textiles compressifs, prothèses utilisées dans la chirurgie des tissus mous, implants et stents à base de textiles, etc.).
S’y ajoutent, depuis quelques années, deux nouvelles catégories de textiles innovants :
- Les textiles dits ‘intelligents’ (textiles avec capteurs intégrés utilisés à des fins de surveillance et de détection de signaux physiologiques anormaux, simulateurs de certaines fonctions, d’aide au mouvement, etc.),
- Les texticaments (textiles microencapsulés permettant la délivrance de médicaments dans le corps).
La présence de chacun de ces domaines d’application se discerne dans le corpus étudié et contribue à l’imprégnation, à la médicalisation du lexique du textile, y compris dans les toutes dernières années du corpus, avec les textiles innovants porteurs de médicaments ou de capteurs électroniques.
2. Le corpus à l’étude
Le corpus, unilingue, anglais, utilisé pour cette publication a été compilé pour les besoins d’une recherche diachronique sur la terminologie du textile, dont les premiers résultats sont présentés ici. La totalité des articles et des résumés retenus provient d’une même source, la revue internationale Textile Research Journal4, qui publie, depuis 1931, des articles de recherche portant sur les fibres et les matériaux textiles. Mon choix s’est porté sur cette revue, d’une part parce que les experts du domaine consultés m’ont indiqué qu’elle faisait référence en matière de recherche textile et d’autre part parce qu’elle offre la possibilité de constituer un corpus qui couvre une période chronologique suffisamment longue (ici 77 ans) pour observer le plus précisément possible l’ampleur éventuelle prise par la médicalisation de ce lexique.
La revue publie chaque année entre 12 et 20 numéros, chacun contenant une dizaine d’articles : le corpus à l’étude a été construit en ne conservant pour chaque année, et à partir de 1947, que la totalité des articles publiés dans les numéros médians (par exemple, pour l’année 1970, seuls les 11 articles du numéro 6 ont été conservés). Pour la partie du corpus couvrant les années 1931 à 1946, les articles ne sont disponibles que sous forme d’images qu’il n’est pas possible d’exploiter informatiquement ; en revanche, les résumés des articles parus à partir de 1940 ont pu être obtenus sous format HTL auprès de la maison d’édition et ont été intégrés dans le corpus, avec les titres, et les mots clefs. L’ensemble du corpus a été analysé grâce au concordancier Antconc, développé par Laurence Anthony5, sauf les articles publiés entre 1940 et 1946, qui ont été exploités manuellement, le comptage des fréquences d’occurrences des termes médicaux et de leurs cooccurrents ayant été réalisé également manuellement. Le corpus compte 2 125 607 mots au total, chaque année à partir de 1947 contenant entre 30000 et 40000 mots ; la toute première partie du corpus (entre 1940 et 1946), ne contenant que des résumés, est de taille plus restreinte, avec 96 647 mots. Le tableau ci-dessous reprend le détail du nombre de mots par décennie (sauf pour la dernière et la première colonne qui couvrent respectivement 6 et 15 ans). Tous les résultats présentés dans cet article ont été pondérés pour compenser la taille inégale des données compilées pour chaque année et sont exprimés en valeur relative.
Le corpus a été divisé en années pour permettre une analyse très fine de phénomènes particuliers, mais des regroupements par 10, 15 ou 20 ans ont été faits pour comparer la partie la plus ancienne du corpus avec la partie la plus récente, notamment dans le but d’obtenir des informations globales sur l’évolution à l’œuvre dans le corpus. Certains de ces résultats chiffrés sont reproduits ci-dessous lorsqu’ils permettent d’illustrer mon propos ; une autre partie des résultats présentés dans les lignes qui suivent s’appuie sur l’étude détaillée des contextes et des cooccurrents, eux-aussi extraits du corpus.
3. La médicalisation de la terminologie du textile : résultats extraits du corpus
3.1. Une première génération de termes médicaux
Les données extraites du corpus montrent que quelques termes médicaux ou issus de spécialités apparentées au domaine médical (par exemple ici la biologie cellulaire) sont déjà utilisés dans la partie la plus ancienne du corpus (1940-1950). Ces termes, qui constituent pour ainsi dire une première génération d’emprunts au domaine médical6, sont basés notamment sur l’analogie entre cellules végétales et cellules de l’organisme et entre fibres végétales et fibres musculaires7. Ainsi, les quatre extraits qui suivent montrent que les fibres végétales utilisées pour produire des textiles se décomposent en cellules, elles-mêmes constituées de parois et de membranes, qu’elles peuvent subir des élongations et tout comme le muscle cardiaque, qu’elles peuvent être endommagées par des mouvements anormaux liés à une fibrillation :
1. It is shown by microdissection that the striated appearance of the cortical cells8 is due to the presence of many fibrils which can be separated with microneedles. Near the center of each cell is a nucleus which has a granular structure. (40-509)
2. The deterioration from outdoor weathering of experimental wool fabrics differing in fiber fineness was measured by breaking strength, elongation at break, and crease recovery. (61-70)
3. Evidence of severe fibrillation has been established not only by optical and electron microscopic techniques, but also through alkali swelling tests and Micronaire readings. (61-70)
4 Lyocell fibers have extraordinay textile properties, but they show a distinct tendency to fibrillate in the wet state. (71-80)
Le corpus étudié montre également que les recherches sur le textile font appel de façon intensive à des concepts et à des techniques issus du domaine de la chimie et ce particulièrement dans la première partie du corpus, de 1950 à 1980 (les segments temporels plus récents faisant ressortir par contraste l’influence accrue des biotechnologies, du génie des matériaux et des nanotechnologies), et que de ce fait, quelques autres termes à caractère médical pour décrire le traitement (chimique) des fibres et leur greffe sur d’autres supports ou avec d’autres matières sont en usage dans le corpus dès les premières années compilées :
5. In the present investigation, the silk was treated with an ethereal solution of the methylating agent diazomethane. (40-50)
6. Fabrics cured with a conventional catalyst and the fabrics cured with gluconic acid had very little or no recurability. (61-70)
7. Polyester fabrics were grafted with acrylic acid to vary their surface energies while changing their bulk properties as little as possible. (61-70)
Bien que la présence numérique de ces emprunts soit constante sur les 77 années étudiées (le terme elongation par exemple, apparait encore 37 fois dans les articles publiés en 2017), la place qu’ils occupent dans le corpus est relativement discrète (le terme fibrillation par exemple apparait 3 400 fois dans l’ensemble du corpus, alors que le terme cellulose compte plus de 40 000 occurrences) et ils appartiennent à un stock sans doute ancien10, mais réduit (une dizaine au total) de termes empruntés à la langue médicale. Ils ne participent pas de ce fait directement à l’imprégnation de la terminologie du textile évoquée dans cet article, qui se manifeste de façon visible dans le corpus exploré à partir des années 2000 tout particulièrement, et qui provoque une modification notable du lexique à différents niveaux.
3.2. Une médicalisation qui se manifeste à différents niveaux
3.2.1. L’imprégnation ‘directe’ du lexique
Le premier constat global issu de l’exploration du corpus concerne l’augmentation du nombre de termes médicaux utilisés dans les articles compilés ainsi que l’élargissement des spécialités médicales auxquelles la terminologie du textile emprunte des termes. Ainsi, si l’on compare la liste des 15 termes apparaissant le plus fréquemment, en valeur relative, dans chacun des deux premiers segments du corpus (1940-1950 et 1951-1960) avec la liste des termes les plus fréquents relevés dans chacun des deux derniers (1991-2000 et 2001-2017), on distingue nettement la part croissante occupée par des termes médicaux à partir de 2000, qu’ils aient un rapport avec l’infectiologie (antibacterial, antimicrobial, staphylococcus), la neurologie (neural), ou encore les appareils de diagnostic (tomography, x-ray) ; la pharmacologie est également source d’emprunts de nombreux articles publiés à la fin des années 1990 mentionnant l’utilisation de liposomes dans le traitement des textiles :
Ce premier constat est corroboré par l’examen des tables des matières de la revue Journal of Textile Research depuis 1940, car il fait également apparaître la place de plus en plus importante occupée par le domaine médical et son lexique dans cette revue qui publie en moyenne, depuis sa création, 12 numéros par an (et entre 18 et 20 numéros par an depuis 2008). En effet, seulement 4 articles dont les titres et ou les résumés ont un lien direct avec le domaine médical et/ou utilisent des termes médicaux ont été publiés entre 1940 et 1960, alors que par comparaison, 262 articles répondant aux mêmes critères ont été publiés depuis 2000, dont seulement 43 pour la seule année 2017.
Si la fréquence d’occurrences des termes médicaux augmente sensiblement dans le corpus étudié à partir de la fin des années 1990, le nombre de termes utilisés et leur variété s’accroit également. Ainsi, dans les dix premières années du corpus, seule une dizaine de termes apparentés au domaine médical est utilisée 11 (il s’agit des termes ou des familles de termes déjà évoqués ici comme appartenant à une première génération d’emprunts, c’est-à-dire fibril(s), fibrillation, cortical cell (s), cell membrane (s), cell wall(s), nucleus, elongation, treatment/treat/treated, cure/cured et graft/grafted). Ces mêmes termes apparaissent dans la décennie se situant à peu près en milieu de corpus (entre 1970 et 1980), et dans la décennie suivante (1981-1990), au cours de laquelle seul le terme plasma fait son entrée dans le corpus, avec 12 occurrences en 1989 et 10 en 1990. Par contraste, dans la période couvrant les années 1991 à 2000, on peut relever 17 termes médicaux, dont huit n’étaient pas présents jusque-là dans le corpus (il s’agit des termes organ, antimicrobial, neural, endotoxin, cholesterol, liposome, cutaneous, ray, antibiotic) ; et le segment chronologique le plus récent (2001-2017) contient 67 termes médicaux dont 49 n’étaient pas utilisés dans les segments précédents.
L’augmentation du nombre de termes médicaux dans le corpus ainsi constatée reflète bien le développement des textiles techniques à usage médical depuis une vingtaine d’années et correspond à l’intensification des recherches menées à leur sujet : il s’agit là d’une médicalisation du lexique ‘directe’, les nouveaux besoins dénominatifs liés au développement de la recherche et de la commercialisation de ce type de textiles se traduisant par l’emprunt massif de termes issus du domaine ciblé. Cette imprégnation directe du lexique se manifeste notamment par l’introduction de termes désignant les applications possibles du textile dans le domaine médical, comme en témoignent les contextes 9 à 12 ci-dessous :
9. Textile cardiovascular prostheses are woven or knitted structures made of synthetic filaments which present particular mechanical properties linked to the nature of yarn interlacing and the wavy form of their walls. (07)
10. Polydioxanone weft-knitted stents can be used for treatment of intestinal obstruction and stenosis. (10)
11. Orthopaedic textile inserts for pressure treatment of hypertrophic scars. (16)
12. Based on the testing results, two suitable spacer fabrics were finally selected as the basis for wound dressing material. (17)
Elle se manifeste également par l’utilisation de termes décrivant les qualités ou les propriétés médicales que peuvent offrir les nouvelles fibres textiles, comme dans les contextes 13 à 16 suivants :
13. Durable antimicrobial finishing of nylon fabrics with acid dyes and a quaternary ammonium salt. (02)
14. The blood repellency of dual finished nonwoven fabrics is superior to that of dual finished cotton. (07)
15. Untreated acrylic fabric showed no antimicrobial behavior, whilst dyed and copper mordanted fabrics possessed considerable antimicrobial properties. (08)
16. The dyed fabrics showed an excellent antibacterial function (99.9% reduction) against Staphylococcus aureus and Klebsiella pneumonia. (10)
Ces emprunts qui servent à désigner les propriétés et les applications des textiles médicaux s’accompagnent de l’emprunt d’une série d’autres termes médicaux qui permettent de contextualiser leur application (preclinical, postoperative, hospitalization, patient, immunoreaction, diagnosis, mortality, etc.).
La médicalisation du lexique se repère également dans les changements de cooccurrents de ces termes médicaux au fil du temps : ainsi, l’étude des cooccurrents à droite des adjectifs antimicrobial et antibacterial montre bien que les propriétés antibactériennes et antimicrobiennes des fibres textiles, d’abord décrites comme des qualités extérieures ajoutées aux fibres textiles (voir par exemple les contextes 13, 15 et 16 ci-dessus où les deux adjectifs apparaissent en compagnie de finishing, properties, activity, function), sont désignées comme des qualités intrinsèques de la fibre textile à partir de 2010 dans le corpus, puisqu’il y est fait mention de coton antibactérien, de nylon antimicrobien, etc. comme dans les trois extraits suivants :
17. Emulsion polymerization of N-halamine polymer for antibacterial polypropylene. (15)
18. The inhibition rate was about 90% after 30 times of washing, suggesting its potential application in antibacterial textiles. (16)
19. Morphology and mechanical properties of antimicrobial nylon. (17).
De la même façon, l’étude en diachronie des changements de cooccurrents pour les deux termes cell et tissue montre bien le développement, dans la toute dernière partie du corpus, de la médecine régénérative et de l’ingénierie tissulaire. Ainsi, le tableau ci-dessous donne une vue d’ensemble des cooccurrents à droite les plus fréquents, en valeur relative, pour chacun de ces deux termes, dans les trois premières décennies du corpus et dans les trois dernières : on constate, dans les deux cas, la place prépondérante occupée, dans les deux dernières colonnes, par les cooccurrents regeneration, growth, ou encore scaffold, des termes utilisés par ailleurs dans le cadre de la médecine régénérative pour décrire la réparation d’organes et de tissus lésés ou malades :
3.2.2. Une imprégnation plus diffuse du lexique
Cependant, d’autres informations extraites du corpus pointent vers l’existence d’un autre niveau d’imprégnation lexicale du textile qui se traduit notamment par une densification terminologique des contextes au fil du temps, comme on le constate dans les extraits 20 à 23 ci-dessous : le terme cell s’utilise par exemple dans des contextes discursifs de plus en plus techniques et d’une complexité médicale de plus en plus marquée :
20. Both types of frictional change are the result of degradation of the material inside the cells, which makes the scales, when wet, softer and less elastic than the scales of untreated fibers. (49)
21. Experimental evidence confirms the existence of a fixed cell configuration of completely-relaxed weft-knitted wool fabrics. (51)
22. Bio-inert polymers lack the functional motifs for specific bioactivity; however, functionalization of the scaffolds can provide biological functions to actively induce tissue regeneration and promote cell adhesion by targeting specific cell interactions. (13)
23. They thought that at lower concentration chitosan may have bound to the negatively charged bacterial surface to disturb the cell membrane and cause dell death due to leakage of intracellular components, as well as impede mass transfer across the cell barrier. (15)
L’imprégnation diffuse du lexique se manifeste également par l’utilisation de termes médicaux dans des articles portant sur des textiles qui ne sont pas médicaux et qui ne sont pas développés à des fins médicales ou pour le milieu médical. En d’autres mots, les termes médicaux sont de plus en plus employés dans des contextes du corpus qui, eux, ne le sont pas. On trouve par exemple, dans les informations extraites des cinq dernières années, de nombreux contextes qui font mention de la coagulation des fibres textiles (extraits 24 à 26 ci-dessous) :
24. Since very little research has been published on the wet-spinning process, this article is a contribution to understanding the coagulation phenomenon in cotton. (16)
25. Coagulation activity tests showed that both fibrous membranes did not activate coagulation at all. (16)
26. The high χc in the outer layer probably resulted from the release of both copper and ammonia from the fiber during coagulation. (17)
De la même façon, de nombreux contextes récents font mention de tests in vitro et in vivo appliqués aux fibres textiles, ces dernières faisant également l’objet d’examens radiologiques et nucléaires pour mesurer leur résistance, leur souplesse, etc., comme le montrent les extraits suivants :
27. In the case of the in-vivo essay, a single washing cycle of eucalyptol β-CD-treated fabric showed tick repellent activity. (12)
28. A simple method of labeling wool in vitro with a known amount of 14C has been developed. (15)
29. Radiological examinations were performed to obtain a clearer interpretation of the surface and internal detail of the fibres obtained as a result of the swelling treatment. (11)
30. X-ray computed tomography (CT) was employed to measure the parameters of the internal structure of the multi-component yarns making up rope. (16)
Enfin, l’exploration du corpus permet également de constater que la médicalisation du textile se produit aussi par l’utilisation accrue, dans les trois dernières années du corpus, non pas de termes médicaux, mais de formants traditionnellement utilisés dans le domaine médical : on trouve ainsi 18 occurrences, en valeur relative, du terme cottonscopy dans les articles publiés en 2017 (il y a 6 occurrences du même terme pour l’année 2016), et 13 occurrences du terme cottonscan (4 occurrences extraites pour 2016) :
31. Fiber maturity and fineness was accurately and precisely measured with a cottonscopy (16)
32. Staining with Acid Blue I and examination by cottonscopy provided a quantitative assessment of penetration of nonoxidized THPOH-HNa into yarns and fibers. (17).
33. X-ray photoelectron spectroscopy and cottoscan characterizations demonstrated that high density of metallic AgNPs were uniformly distributed on the fiber surface. (17)
34. Cottonscan images showed that there were no changes on the surface of the fabrics after treatment. (17)
L’utilisation de scan dans la formation de nouveaux termes relatifs aux fibres textiles est considérée ici comme participant à la ‘médicalisation’ de cette terminologie, car une grande partie des contextes dans lesquels il apparaît (c’est également le cas pour scanning et scanner) indique clairement le lien avec le domaine de la santé, comme on peut le constater ci-dessous :
35. With this method, a garment is put on a dummy and a seam is scanned by a 3D laser medical scanning system.
36. Forty-one relative measurements (i.e., ratios and angles) were constructed from 66 raw measurements (circumferences, depths, widths, etc.), extracted from 478 scans, using hospital-developed Matlab® programs.
37. We propose an effective algorithm based on subdivision surface representation for reconstruction of the human body from the data of a two-view body scanner.
L’apparition des termes cottonscopy et cottonscan dans le corpus, outre le fait qu’elle indique un degré de médicalisation important du lexique textile, montre également l’existence d’une véritable terminologie d’interface, telle qu’elle a été décrite par Humbley en 2006 et aussi par Resche en 2013, traduisant une interpénétration grandissante entre ces deux domaines spécialisés.
La médicalisation lexicale du domaine du textile à l’œuvre dans le corpus étudié s’accompagne également visiblement d’un rapprochement conceptuel entre ces deux domaines, un rapprochement qui se traduit par une imprégnation plus diffuse de la terminologie : en effet, une partie des connaissances et des savoirs propres au domaine de la santé ont été adoptés par les experts du textile, puis ont été partagés, diffusés, intégrés dans leur propre communauté, et appliqués de façon croissante, non plus seulement aux fibres textiles à usage médical, mais à toutes les recherches portant sur les fibres textiles.
Conclusions et perspectives futures de recherche
L’article présenté ici avait pour objectif d’étudier en corpus le degré d’imprégnation du lexique textile par les termes et les concepts issus du domaine médical, et les différentes conséquences, pour ce lexique, du développement des textiles médicaux. Les résultats issus du corpus ont montré que la médicalisation de la terminologie du textile se manifeste à différents niveaux, d’abord par l’augmentation importante du nombre de termes liés à la santé qui apparaissent dans le corpus à partir de 2000, ainsi que par l’accroissement de leur fréquence d’occurrences, mais aussi par la densification terminologique des contextes au fil du temps. Ils montrent également qu’un deuxième niveau d’imprégnation se produit, avec l’utilisation accrue de termes médicaux pour décrire des textiles qui ne le sont pas et surtout, par la création de nouveaux termes hybrides, à l’interface des deux domaines et en partie formés avec des suffixes typiquement médicaux. Une étude plus poussée de la néologie présente dans le corpus au fil des années serait sans doute tout à fait utile : une analyse des termes bioactive textiles, drug eluting textiles ou encore drug delivery textiles par exemple, qui apparaissent dans les trois dernières années du corpus, permettrait en effet de compléter les informations déjà collectées sur la médicalisation du lexique textile. De la même façon, l’aspect comparatif a été mis de côté pour l’instant mais mériterait d’être intégré dans une telle recherche : la médicalisation du lexique textile s’est-elle produite au même rythme en français ? Les phénomènes d’imprégnation lexicale sont-ils identiques ? Les termes créés à l’interface des deux disciplines sont-ils aussi nombreux ? Autant de points qui constituent des pistes de recherche futures à explorer, autant de problématiques de travail qui confirment, s’il est encore besoin de le faire, la richesse et l’importance de la perspective diachronique dans les langues de spécialité.