Les recettes de cuisine en anglais du Moyen Âge à nos jours : évolutions structurelle, syntaxique et lexicale

  • Recipes in English from the Middle Ages to the Present: Structural, Syntactic and Lexical Developments

Abstracts

Les recettes de cuisine appartiennent au genre des textes procéduraux, c'est-à-dire des textes qui « ont en commun de dire de faire et de dire comment faire en prédisant un résultat et en incitant à l'action » (Adam 2001). Elles ont évolué au fil du temps, de leur naissance au Moyen Âge jusqu’à nos jours. Quelles sont leurs caractéristiques structurelles et linguistiques et ont-elles grandement évolué depuis leur origine ?
A partir de l’étude d’un corpus diachronique de recettes de cuisine en langue anglaise et des recherches de Carroll (1999), Fisher (1983), Görlach (1992), Nordman (1994) et Taavitsainen (2001), nous cherchons à dégager les évolutions structurelles et linguistiques des recettes. Il y a quelques siècles, elles étaient moins normalisées, puis une structure type est apparue vers le XIXe siècle, devenant une caractéristique de ce type de texte. Les recettes anciennes présentent des quantités souvent peu précises et de longues phrases qui ne facilitent pas la lecture. Les textes modernes tendent vers plus de concision, de clarté et de précision avec un verbe à l’impératif par phrase (à chaque nouvelle action à exécuter), la présence soutenue d'ellipses (Culy 1996 ; Brown / Yule 1983) et l'utilisation de termes parfois empruntés à d'autres langues comme le français ou l'italien.

Cooking recipes belong to the genre of procedural texts, that is to say texts “whose common point is to explain what to do and how to do it, predicting a result and inciting people to act”1 (Adam 2001). They have evolved throughout times, from their birth in the Middle Ages until now. What are the structural and linguistic characteristics of cooking recipes from the Middle Ages to today and have they evolved much since their origin?
Analyzing a diachronic corpus of cooking recipes written in English and taking into account the researches carried out by Carroll (1999), Fisher (1983), Görlach (1992), Nordman (1994) and Taavitsainen (2001), we try to characterize the structural and linguistic evolutions of recipes. They were less standardized a few centuries ago and a typical structure appeared around the XIXth century that became characteristic of this type of text. In old recipes, the quantities were not precise and the sentences were particularly long, which often made the recipe unclear and hard to understand. Modern texts are characterized by more concision, clarity and precision, with the use of an imperative verb form per sentence (each time a new action has to be performed), the large number of ellipsis (Culy 1996; Brown / Yule 1983) and the use of terms sometimes borrowed from other languages such as French or Italian.

Outline

Text

Introduction

Selon Taavitsainen (2001), « les recettes sont un genre procédural bien défini avec un but d’écriture clair. Elles indiquent comment préparer un médicament, un plat ou des produits courants comme de l’encre. »2. La recette appartient donc au genre des textes procéduraux, qui, selon Adam (2011 : 19), « ont en commun de dire de faire et de dire comment faire en prédisant un résultat et en incitant à l´action ». Ces textes négligés méritent d'être étudiés car savoir les rédiger peut être utile pour de nombreux professionnels et amateurs. De nos jours, les recettes sont facilement accessibles à tous : elles se trouvent évidemment dans les livres de cuisine mais également dans des programmes télévisés, sur internet, dans les journaux, les magazines, les films et les romans (Floyd / Forster 2003 : 1) alors qu’à leur origine, elles étaient plus difficiles d’accès. Gorläch (1992 : 746) explique que leur naissance remonte au Moyen Âge et qu’à cette époque, les recettes en langue française dominaient ; celles en anglais étaient peu nombreuses et proches du langage oral, sous la forme de mémorandum, ou étaient incomplètes. Il écrit que l'histoire des recettes a une influence sur leur structure et leur contenu actuels, d’où notre question de recherche : comment les recettes de cuisine se sont-elles construites et reconstruites sur une diachronie longue ?

D’abord, nous présentons notre méthodologie fondée sur une étude de corpus. Dans une seconde partie, nous nous concentrons sur l’évolution structurelle de la recette du Moyen Âge à aujourd’hui, puis nous étudions ses évolutions syntaxique et lexicale majeures.

1. Présentation de la méthodologie d’étude

Avant de présenter notre étude de corpus, nous nous intéressons aux recherches existantes sur les recettes de cuisine.

1.1. Apport des recherches existantes

Il existe malheureusement peu de travaux sur l’histoire des recettes de cuisine en anglais, et ceux existants ont quinze ans ou plus : Carroll (1999), Fisher (1983), Floyd (2003), Görlach (1992) et Taavitsainen (2001). Ils évoquent l’évolution structurelle des recettes au niveau diachronique mais pas leur évolution linguistique. Bender (1999), Cotter (1997), Dale (1989), Klenová (2010), Massam et Roberge (1989) et Nordman (1994) ont réalisé une étude linguistique des recettes contemporaines et non des recettes anciennes, d’où l’intérêt de notre recherche. Culy (1996), en s’intéressant aux ellipses des recettes de leur création à nos jours, est le seul à s’être penché sur le niveau linguistique avec un angle diachronique. Nous nous basons sur ce que disent ces auteurs pour construire notre étude diachronique des recettes aux niveaux structurel et linguistique.

Dans son article, Görlach (1992) se penche sur l’origine des recettes en Angleterre et en France : les premières recettes étaient alors imprécises et d’agencement variable, certaines présentaient même des rimes. Vers 1500, l´oral est remplacé par des traditions écrites ; les conventions du genre sont établies et popularisées aux XVe et XVIe siècles, ne touchant plus exclusivement les cuisiniers, mais aussi les femmes au foyer. Après 1660, avec l´arrivée du rationalisme, courant de pensée qui place la raison au centre de tout, de plus en plus de livres utilisent un système précis, ce qui suggère davantage de cohérence et d´exhaustivité dans le traitement des recettes. Görlach (1992 : 756) explique que leurs contenus et leurs fonctions sont désormais bien définis : les conventions de ce genre ont été standardisées tôt dans son histoire, ce qui a fait que sa structure a peu changé entre sa création et aujourd´hui.

Nordman (1994 : 43) étudie les recettes contemporaines. Elle désigne par « minilecte » la catégorie de discours à laquelle appartiennent les recettes de cuisine et les place à la limite entre les textes de langue spécialisée et ceux de langue générale3. Elle parle de « minilectes », en raison de leur vocabulaire restreint, d’une syntaxe formalisée et d’une structure type4. En outre, Gläser (1990 : 29 cité dans Nordman 1994 : 43) souligne le fait que les recettes de cuisine de tous les pays ont la même structure, bien que chacune présente des spécificités du lieu, résultant d’un développement historique essentiellement similaire dans les différents pays européens5. Quelles évolutions structurelle, syntaxique et lexicale les recettes ont-elles connues au cours de leur histoire ? Une étude de corpus peut nous aider à répondre à cette interrogation.

1.2. Présentation du corpus et de l’étude

Nous avons créé manuellement un corpus diachronique composé de trois sous-corpus :

  • le corpus 1 contient 8015 mots et se compose de 123 recettes datant du Moyen Âge (entre les XIIIe et XVe siècles), provenant de manuscrits numérisés sur les sites <www.godecookery.com>, <www.medievalcuisine.com> et <medievalcookery.com>,
  • le corpus 2 contient 8127 mots et se compose de 82 recettes des XVIe et XVIIe siècles, provenant de manuscrits numérisés sur les sites <www.godecookery.com> et <medievalcookery.com>,
  • le corpus 3 contient 8134 mots et se compose de 40 recettes des XXe et XXIe siècles, provenant de sites internet professionnels (<http://www.cooksrecipes.com>) ou amateurs (<allrecipes.com> ; <www.cooks.com>).

Nous avons décidé de ne pas étudier de recettes des XVIIIe et XIXe siècles car les sources originales ne sont pas numérisées et sont difficiles d’accès. De plus, lorsque les recettes de cette époque sont retranscrites sur internet, elles sont adaptées pour être lues et réalisées par un public contemporain.

Notre corpus est de petite taille selon les critères des linguistes, ce qui est adapté à une analyse qualitative et non quantitative selon Lauren et Nordman (1996). Les petits corpus spécialisés sont adaptés à l’étude des genres selon Koester (2010 : 67) : «  les corpus spécialisés plus petits donnent un aperçu des structures langagières utilisées dans des contextes particuliers. Avec un petit corpus, le créateur du corpus est souvent également l’analyste et, par conséquent, le contexte lui est particulièrement familier. »6 Nous avons veillé à ce que les textes soient variés et évoquent diverses recettes (hors d’œuvres, soupes, plats de viande, plats de poisson, sauces, desserts, biscuits) pour ne pas tirer de conclusions erronées d´un corpus dans lequel les textes auraient toujours le même thème. Les trois sous-corpus sont de taille similaire afin de les comparer facilement. Les textes choisis sont rédigés en anglais et proviennent d´auteurs dont la langue maternelle est l´anglais (il est nécessaire de s´assurer de ses sources dans la mesure du possible pour ne pas avoir une traduction ou un texte émanant d´un non-natif). Nous utilisons le concordancier Winconcord pour étudier notre corpus et nous suivons la méthodologie de Bhatia (1993).

Ce dernier explique qu´il est essentiel, en premier lieu, de décrire les auteurs rédigeant un genre particulier et son contexte de production avant d’étudier les niveaux structurel puis linguistique. Pour notre étude linguistique, nous faisons appel à différentes écoles telles que la grammaire méta-opérationnelle, la Théorie des Opérations Énonciatives ou la psychosystématique du langage. Ce cadre, qui peut être qualifié de « sémantico-syntaxe et énonciation », permet d´avoir un regard très ouvert linguistiquement. Les résultats obtenus aideront à dégager les caractéristiques linguistiques et extralinguistiques récurrentes de ces textes. Si nous nous penchons sur la dimension sociopragmatique des recettes, nous observons que la communication se fait entre l´auteur (un cuisinier professionnel - de tout temps - ou amateur - de nos jours) et le lecteur (professionnel ou amateur). Klenová (2010) indique que deux parties sont au cœur de la communication : celui qui parle / le locuteur7 (l´auteur de la recette) et celui qui reçoit / le destinataire8 (le lecteur de la recette). L´auteur a davantage de connaissances et d´expérience que le lecteur dans le domaine de la cuisine, mais ils partagent implicitement un certain nombre de connaissances sur le sujet. L’auteur présuppose que le lecteur possède les bases de la cuisine, ce qui se reflète dans le lexique qu´il mobilise. Cette idée se retrouve dans les propos de Kittredge (1982 : 113 cité dans Nordman 1994 : 43) : « les recettes sont produites par des spécialistes. Certaines connaissances spécialisées sont également requises chez le destinataire, au moins en ce qui concerne la terminologie (chapelure, épaissir). Certaines recettes peuvent nécessiter davantage de connaissances spécialisées que d’autres. »9 Nordman (1994 : 49) mentionne l´existence d´une relation de subordination entre l´auteur et le lecteur : « Les recettes contenant des instructions sous forme d’impératifs sont composées par un narrateur énonçant des consignes au cuisinier dans l’ordre dans lequel le travail doit être réalisé. Nous sommes alors dans une relation de supérieur à subordonné. »10 Le  fait que les participants de la communication ne se connaissent pas entraîne une distance sociale qui les divise et qui est reflétée dans le langage utilisé dans la recette. Selon Kraus (cité dans Klenová 2010 : 13411), les recettes sont rédigées de manière factuelle, impersonnelle et sans émotion12 (il fait référence à celles provenant de livres). Rares sont les passages où l´auteur parle de lui-même : ils n´existent que dans les recettes actuelles écrites par des amateurs et précèdent la liste des ingrédients, dans les commentaires de l´auteur. Ceci nous amène à parler de l’évolution de la structure de la recette.

2. Evolution structurelle de la recette de cuisine du Moyen Âge à aujourd’hui

La structure et la longueur moyenne de la recette de cuisine ont évolué entre le Moyen Âge et aujourd’hui.

2.1. Longueur des recettes

La longueur moyenne des recettes du corpus 1 est de 65 mots, 99 mots pour le corpus 2 et 203 mots pour le corpus 3. Leur longueur s’accroît car les recettes deviennent plus précises : ceci est lié au changement de public cible de ce genre. En effet, à son origine, la recette était destinée uniquement à des cuisiniers professionnels qui possédaient déjà de nombreuses connaissances dans le domaine, les auteurs se reposaient donc sur ces connaissances partagées. De nombreux éléments étaient passés sous silence comme le temps de cuisson ou la réalisation de certaines actions : ils n’étaient pas indiqués car évidents pour l’auteur et le lecteur. Fisher (1983 : 4) évoque par exemple une recette pour une tourte au hareng dans un livre de 1669 : aucune croûte n´est mentionnée, ce qui implique que l´auteur faisait confiance au cuisinier qui devait savoir que toute tourte en comprend une au-dessus et une en dessous. L’augmentation de la longueur de la recette est également liée à l’évolution de sa structure.

2.2. Structure des recettes

Du Moyen Âge au XVIIe siècle, la structure de la recette est la suivante :

  • un titre du type For to make …13(expression qui disparaît aux XVIe-XVIIe siècles), To rost capon or goose14ou simplement un nom seul,
  • un bloc de texte donnant les instructions à suivre.

Aucune quantité n’est indiquée au Moyen Âge, les quantités apparaissent dans le corps du texte aux XVIe et XVIIe siècles. Il n’y a pas d’illustration montrant l’image du plat.

De nos jours, les recettes comprennent les éléments suivants :

  • un titre (un groupe nominal pour désigner le plat et non une structure du type to make),
  • la liste des ingrédients,
  • la partie procédurale,
  • une photographie ayant une fonction de séduction (elle incite le lecteur à sélectionner cette recette) ainsi qu’une fonction descriptive (elle montre à quoi le plat doit ressembler en phase finale de réalisation).

Une structure type qui n'existait pas dans les textes anciens est apparue. Cotter (1997 : 59) indique que la recette de cuisine, sous la forme que nous connaissons (une liste d´ingrédients et une partie avec des instructions sur la façon de les utiliser), n´a été codifiée qu´en 1896 avec la publication de The Boston Cookbook15. Auparavant, les ingrédients n´étaient pas systématiquement inclus dans une liste avant les instructions, mais mentionnés lors de leur utilisation, ce qui peut parfois être observé dans certaines recettes contemporaines.

Dans le corpus 3, les titres sont elliptiques : Cotter (1997 : 59) explique que l´expression how to make a16est implicite de nos jours, contrairement à l´époque de la Renaissance où les recettes indiquaient noir sur blanc To make a17. La tendance actuelle est d´utiliser des structures elliptiques, mais des éléments sont tout de même indiqués. Fisher (1983), citée par Cotter (1997 : 60) explique par exemple que le titre n´est pas composé d´un seul mot comme cake ou bread, mais de plusieurs comme Golden Sponge Cake ou Greek Honey Bread18. Dans le corpus 3, les titres sont composés d’un à quatre noms, avec ou sans adjectifs qualificatifs comme dans Easy Meatloaf, Grilled Mongolian Pork Chops, Quick and Easy Chicken Noodle Soup ou Peanut Butter Cup Cookies19. Ils peuvent contenir des structures en of (Cold Cream of Cucumber Soup), des génitifs (World’s Best Lasagna), des structures en with (Osso Buco with Risotto Alla Milanese) ou en all(a) (Spaghetti alla Carbonara)20. Nous constatons que, de nos jours, les titres des recettes de cuisine sont toujours des groupes nominaux complexes, de différentes formes, qui désignent le nom du plat à réaliser. Le lectorat contemporain reconnait directement la structure caractéristique d’une recette, avec laquelle nous sommes tous familiers, il est donc inutile de préciser « how to make a » dans le titre. Pour se différencier des autres recettes, le titre doit fournir un maximum de précision sur le type de plat à réaliser, d’où l’emploi de groupes nominaux complexes.

Dans les recettes actuelles, une partie « liste des ingrédients » est présente et leurs quantités sont données de manière plus précise alors que ce n’était pas le cas, ou de manière non systématique, dans les recettes anciennes. Dans quel ordre les aliments apparaissent-ils dans la liste des ingrédients ? Est-ce du plus au moins utilisé comme sur l´emballage ou l’étiquette d´un produit du commerce ? Selon Nordman (1994 : 46), deux solutions sont possibles pour l’organiser : (1) l´ingrédient mentionné en premier sera utilisé en premier ou (2) les ingrédients apparaissent par ordre d´importance. Nordman (1994 : 46) conclut que, dans les recettes de son corpus de langue nordique, la deuxième possibilité est majoritairement choisie alors que dans celles de notre corpus de langue anglaise, la première est privilégiée. C´est pour cette raison que, si une demi-tasse de sucre est utilisée en début de recette et une tasse et demie de sucre vers la fin, le sucre sera mentionné deux fois dans la liste des ingrédients (c´est le cas dans la recette 13). Lorsque la recette comporte plusieurs parties (réalisation d´une crème, puis d´une génoise par exemple), la liste des ingrédients peut, elle aussi, en contenir plusieurs. C´est le cas pour la liste d´ingrédients de la recette 21 qui comprend trois parties : fruit (pour le mélange de fruits), cream (pour la réalisation d´une crème) et shortcakes (pour la réalisation de petits gâteaux).

La partie procédurale en tant que telle est une liste des étapes de la procédure, c´est-à-dire une liste d´actions à exécuter, présentée de manière séparée (Burnham & Anderson 1991). Dans les recettes de cuisine du corpus, et probablement en général, seules les actions à effectuer sont décrites ; elles ne présentent pas de commentaires ou d´explications sur leur but. Il est rare de trouver des avertissements (des actions à ne pas effectuer) contrairement aux autres types de textes procéduraux (présentés par Heurley 2001/2 : 31) : on ne trouve qu’un seul exemple de la structure en do not21dans les instructions du corpus. Les étapes peuvent être numérotées : en général, le numéro change lorsqu´un récipient différent est utilisé pour une préparation.

Les recettes actuelles sont donc plus longues car l’auteur fait moins appel à la connaissance partagée dans les instructions, mais également parce que les ingrédients sont répétés (ils apparaissent dans la liste des ingrédients et dans le corps du texte). De plus, le contenu des recettes a évolué, car de nouveaux ingrédients, ustensiles et techniques sont apparus en Europe. Selon Görlach (1992 : 745), la fonction de la recette de cuisine n´a pas changé à travers les siècles, contrairement aux ingrédients, aux ustensiles et au public. Les techniques de préparation n´ont pas évolué jusqu´à l´invention du four à micro-ondes et du congélateur (Görlach 1992 : 756). Fisher (1983 : 1) est d´accord sur ce fait : « La raison pour laquelle il y a eu des changements dans une recette de base comme celle pour le pain blanc par exemple est inextricablement liée à l’histoire de l’homme et au progrès. » 22 Il écrit que les méthodes pour faire une bonne soupe aux lentilles ou une miche de pain de qualité n´ont que très peu varié depuis leur première mention. Seule la façon d´écrire la recette elle-même a évolué afin de s´adapter à notre vitesse de lecture et à nos conditions actuelles de préparation et de réalisation. Le fait que la longueur moyenne des recettes augmente au cours de leur histoire alors que la longueur moyenne des phrases diminue semble paradoxal. En effet, dans les corpus 1 et 2, chaque recette est composée d’une seule longue phrase alors que dans le corpus 3, il y a presque autant de phrases que de formes verbales : la longueur moyenne des phrases du corpus 1 est de 19 mots, 42 mots pour le corpus 2 et seulement 10 pour le corpus 3. Nous pouvons trouver deux explications à ce phénomène :

  • entre le Moyen Âge et le XVIIe siècle, le rôle des éléments de ponctuation n’était pas encore bien défini et le point final était peut-être sous employé ;
  • le nombre croissant d’ellipses présentes au sein de la partie procédurale explique la diminution du nombre de mots par phrases, ce qui nous amène à étudier le niveau linguistique des recettes de cuisine.

3. Evolutions syntaxique et lexicale de la recette de cuisine du Moyen Âge à aujourd’hui

Les textes modernes vont vers plus de clarté, de concision et de précision. Par conséquent, les principales évolutions linguistiques des recettes de cuisine sont liées au nombre croissant d’ellipses et d’emprunts linguistiques.

3.1. Nombre d’ellipses

Dans les recettes actuelles, une nouvelle phrase commence à chaque nouvelle action à exécuter. Elle débute par un verbe d’action à l’impératif, mode qui a toujours été préféré depuis l’origine des recettes car il permet de véhiculer un ordre, de pousser à effectuer une action. L’action à réaliser est l’élément le plus important, alors que l’objet de l’action ou l’article qui introduit un ingrédient (qui a déjà été présenté dans la liste des ingrédients) l’est moins. Le sens de la phrase passe par le verbe et non par le complément (qui est la préparation que l’on vient de faire) ou les articles (qui ne sont que des outils grammaticaux) : ces deux derniers types d’éléments sont donc de plus en plus élidés.

En général, en anglais, un verbe est suivi par son complément qui ne peut disparaître, comme le mentionne Bender (1999 : 1). Elle donne pour exemple :

« (1) Sandy prepared the deep-fried tofu and Kim devoured Ø 23 ».

Elle précise que la disparition du complément d´objet (ou l´anaphore zéro) est possible dans certains contextes comme dans :

« (2) Roll each piece in kuzu or cornstarch and set Ø aside 24 ».

L´ellipse du complément d´objet, désignée par le terme « objet nul25 » dans l´article de Bender (1999) est plus ou moins présente dans les recettes, en fonction du livre de cuisine. Selon Culy (1996 : 92), les recettes de cuisine présentent régulièrement cette anaphore zéro en objet direct comme dans « Beat Ø until stiff 26 », un phénomène qui n´existe pas dans les autres variétés de textes communément étudiés. À l´origine, les recettes de cuisine ne contenaient que peu d´ellipses de l´objet. Görlach (1992 : 748) indique qu´au Moyen Âge, dans les recettes, plus de 90 % des verbes transitifs étaient accompagnés d´un objet, que ce soit un nom entier ou le pronom it, him, them. Ce type d´ellipse était très inhabituel et restreint à un objet placé entre deux verbes ou après les verbes serve, messe, dresse27 [sic] donc à la fin des recettes. Carroll (1999 : 31) cite une étude menée par Butler, Hieatt et Hosington (1996) spécifiant que, dans les recettes du XIVe et XVe siècles, seulement 4,3 % des verbes apparaissent sans complément d´objet contre 56,7 % de nos jours, selon l´analyse de Culy (1996 : 96). Dans notre étude, nous remarquons que la fréquence de it (complément d’objet pour désigner la préparation en jeu) baisse grandement dans le corpus 3 : 4,2% dans le corpus 1 et 4,3% dans le corpus 2 contre 0,1% dans le corpus 3. Ce type d’ellipse est donc devenu de plus en plus courant après le XVIIIe siècle, en particulier pendant la période entre 1830 et 1880 (Ferguson 1994 : 20). Cette idée est confirmée par Culy (1996) qui a examiné la langue de livres de cuisine du XVe siècle à nos jours. Pourquoi le nombre d’ellipse du complément d’objet a-t-il augmenté ? Dale (1989 : 1) explique qu´une entité peut changer au cours d´une recette, puisqu´elle subit différents processus : les aliments peuvent être pelés ou coupés en morceaux, leur structure peut être modifiée en passant d´un ensemble d´ingrédients séparés à une masse. Chaque transformation crée une nouvelle entité : en passant de « carottes à carottes râpées à masse de carottes râpées à mélange de la masse de carottes râpées avec des concombres en tranche »28, il est difficile de trouver un terme permettant de nommer le produit résultant. Le plus simple est de désigner le nouveau mélange obtenu par it ou d´élider le complément d´objet. Bender (1999 : 12) écrit : « s’il y a une variable libre au niveau sémantique, interprétez-la comme un pronom de troisième personne et essayez de comprendre le contexte comme un cas d’instruction donnée » 29. Les compléments d´objet nuls sont un appel au lecteur qui doit comprendre que l´auteur désigne le mélange venant d´être réalisé. Massam et Roberge (1989 : 135) expliquent que le vide de l´objet n´a pas besoin d´avoir un antécédent linguistique précis, parce que sa référence semble être définie en fonction du contexte. Peu de verbes rendent impossible une ellipse de l´objet : selon Massam et Roberge (1989 : 135), les verbes de perception et les verbes de cognition comme like (aimer) ne la permettent pas. Ces auteurs écrivent qu´en anglais, l´ellipse apparaît seulement dans les phrases impératives où le sujet n´est pas exprimé. Il est difficile de savoir si elle est liée à la présence de l´impératif ou à l´absence de sujet explicite. Culy (1996) a cherché à définir les facteurs entraînant l´ellipse du complément d´objet dans les recettes. Sa méthode est la suivante (1996 : 92-95) : il étudie la source (le style et l´âge de la recette), les formes verbales (impératif, participe passé, infinitif), le type d´objet venant après le verbe (« le produit fini, presque fini, en cours de création »30 et le reste, ce qui inclut les ingrédients, les ustensiles, le matériel, le four…), l´écart entre l´occurrence qui précède et l´occurrence analysée31, ainsi que la fonction grammaticale (sujet, objet ou objet d´une préposition) de l´antécédent (la dernière occurrence du référent). Selon Culy (1996 : 100-105), la forme du verbe n’a que peu d’impact sur la présence d´une anaphore zéro qui est plus conditionnée par des facteurs stylistiques, sémantiques et pragmatiques que syntaxiques. Il cite dans son analyse une étude de Sadock (1974) sur le langage des étiquettes et conclut que les recettes sont syntaxiquement similaires en ce qui concerne les anaphores zéro. Il pense qu´elles ont lieu simplement lorsqu´il n´y a pas de sujet apparent dans la proposition, ce qui semble être le cas dans les recettes de cuisine : les impératifs, les infinitifs et les participes n´ont pas de sujet apparent. Cependant, les recettes anciennes ne contiennent que très peu d´ellipses de l´objet. Il en conclut que le choix entre l´anaphore zéro et le pronom dans les livres de cuisine moderne dépend du style de l´auteur. Le facteur stylistique est donc le plus déterminant de l´anaphore zéro. Le second facteur le plus influent est le type d´objet, ce qui indique que la sémantique joue un rôle majeur dans les choix syntaxiques ou discursifs. Son hypothèse est que l´anaphore zéro a d´abord été introduite à la fin de la recette, pour faire référence au produit fini, puis a fait son chemin vers le début. Tous les objets désignant le produit (qu´il soit fini, presque fini ou en cours de réalisation) favorisent l´emploi de l´anaphore zéro. Les autres types d´objets (matériel, ingrédients…) l´excluent. Le dernier facteur ayant une influence est l´écart entre l’exemple qui précède et l’exemple analysé, au niveau discursif. Si l´antécédent est proche, l´anaphore zéro est préférée à la répétition (l´antécédent pouvant aussi être une anaphore zéro). Notre corpus confirme ces observations. Le type d´objet influe sur la catégorie d´anaphore employée (facteur 2) : le produit formé est désigné par une anaphore zéro alors que le nom des ustensiles est répété s´ils doivent être à nouveau utilisés comme dans la recette 21 où bowl (bol) est répété alors que le produit obtenu ne l´est pas : Sprinkle the gelatin over the water in a large heatproof glass or metal bowl. Let soak for 5 minutes. Place bowl over a pan of simmering water, stirring often until dissolved.32 La distance entre l´objet et l´antécédent influe (facteur 3) : un antécédent proche entraîne une anaphore zéro comme dans Heap rhubarb over this mixture. Sprinkle with remaining sugar and flour. Dot with small pieces of butter. Cover with top crust33 (recette 22) où rhubarb n´est pas répété alors qu´un antécédent éloigné entraîne une répétition comme dans Reserve 3 / 4 cup flour mixture. Press remaining mixture firmly and evenly on bottom of lightly sprayed 8-inch square baking pan. Bake in preheated 375 F oven 12 to 15 minutes or until mixture is lightly browned at edge. Remove from oven and spread with fruit. Sprinkle with reserved flour mixture (...)34 (recette 32) où flour mixture est répété. Klenová (2010) s´est demandé s´il n´y avait pas un lien entre la présence de l´anaphore zéro en anglais et celle en français, car les deux langues étaient en contact proche et se sont beaucoup influencées mutuellement. Elle laisse la question en suspens.

Selon Görlach (1992) et Carroll (1999 : 31), le nombre d´ellipses du complément d´objet a augmenté de siècle en siècle pour devenir une des caractéristiques des recettes modernes. Nous observons dans nos corpus qu’il en est de même pour les ellipses des articles : a, an et the,dont l’ancienne forme est Þe, ont une fréquence de 7,3% dans le corpus 1, 8,4% dans le corpus 2 et 5,7% dans le corpus 3. Cette idée est confirmée par les écrits de Kittredge et Lehrberger (1982 : 114 - 115). Dans le corpus 3, de nombreuses ellipses de a / an (In Ø bowl35 - recette 2) et the (Remove Ø pork from Ø marinade36 - recette 3) sont présentes. En anglais courant, a / an sont utilisés pour présenter et mettre au premier plan un référent inconnu alors que the relègue au second plan un référent connu. Cependant, pour introduire un nouvel élément dans le corpus 3, a / an ne sont pas toujours utilisés. Par exemple, dans Preheat oven to 350 degrees F (175 degrees C)37 (recette 12), le pronom possessif your aurait pu apparaître devant oven ou l´article défini the habituellement employé dans une anaphore liée au contexte (l´environnement de la cuisine implique la présence d´un four). Oven (four) n´est pas un nom à fonctionnement indénombrable ; par conséquent, il n´y a aucune raison d´utiliser l´article zéro, l´article défini the est donc élidé. Le même type d´ellipse est présent dans then Ø fill cake38 : le gâteau est sous les yeux de l´utilisateur, l´article défini the aurait donc dû apparaître devant cake, mais il n´est pas présent. Ces ellipses sont nombreuses et donnent un style télégraphique aux recettes en les rendant plus courtes mais tout de même compréhensibles, ce qui permet au lecteur de réaliser le plat plus rapidement. L´article défini peut disparaître devant les ingrédients évoqués dans la liste des ingrédients, puisqu´ils ont déjà été introduits (mais cet article n´est pas systématiquement effacé) ou lorsqu´il précède ce qui est évident et n´a pas besoin d´être spécifié comme oven, pan (casserole), mixture (mélange), dough (pâte), etc. Les ellipses des articles sont plus fréquemment présentes dans les recettes professionnelles (une ellipse tous les neuf mots) que dans celles émanant d´amateurs (une ellipse tous les 23 mots). Les professionnels, qui connaissent mieux les règles du genre, cherchent à être le plus concis possible. Les ellipses permettent une lecture plus rapide de la recette sans perdre les éléments essentiels du sens véhiculés par les verbes d’action, d’où leur nombre croissant.

3.2. Importance des emprunts

Les recettes doivent être claires et détaillées pour faciliter leur réalisation, d’où l’émergence d’un lexique spécialisé caractéristique ainsi que le recours croissant aux emprunts translangues. L’emprunt est une notion relative selon Deroy (1956 : 9) : « il ne se conçoit évidemment que par rapport à une langue définie, c’est-à-dire, rappelons-le, à un système de signes linguistiques arbitraires en usage à un moment donné dans une société donnée. Il est un élément étranger introduit dans ce système et défini par opposition à l’ensemble des éléments antérieurs. » Lorsque l’on veut être précis, il vaut mieux emprunter un mot de la langue source qui n’a pas d’équivalent dans la langue cible pour éviter une perte de sens lors de sa traduction. A l’origine des recettes, il n’y avait que peu d’emprunts. En effet, lorsque l’on regarde les titres des recettes de cuisine du corpus 1, on ne trouve qu’un seul mot emprunté : Bry, qui désigne le fromage français que l’on trouve dans la région de la Brie, mais dans la recette, le mot Bry est remplacé par chese ruayn. Le site internet (<www.godecookery.com>) sur lequel le manuscript du Moyen Âge est numérisé indique : « la recette originale implique l’utilisation de Brie ; cependant, le fromage ruayn aussi appelé rewen ou rowen dans d’autres sources médiévales, était un fromage d’automne, réalisé après que le bétail se sera nourri de la seconde pousse. »39 Le mot français apparaît donc uniquement dans le titre de la recette et non dans la partie procédurale. Au Moyen Âge, les mentalités étaient plutôt orientées vers une fermeture culturelle et un refus de l’étranger, d’où certainement le peu d’emprunts linguistiques dans le corpus 1. Dans le corpus 2, neuf titres contiennent des mots étrangers ou des références à des pays étrangers (To make an Italian Pudding, To make Marble Paste called the Italian Chippe, To make French Macaroones, To make a good Spanish Olio…40). Bien que plus fréquentes que dans le corpus 1, ces références sont faites avec précaution : les mots étrangers sont mis « à la sauce anglaise » comme pour macaroones au lieu de ‘macarons’. On parle alors d’adaptation : le mot « subit l’empreinte personnelle du groupe emprunteur, prend un « facies » local. » (Deroy 1956 : 13). Quand un mot étranger est employé, ceci est clairement annoncé comme dans To make Marble Paste, called the Italian Chippe. L’ouverture vers l’étranger se fait progressivement : « L’objet emprunté ne se fixe dans un groupe différent du sien que s’il rencontre un milieu favorable. » (Deroy 1956 : 13). Le corpus 3 témoigne d’une ouverture culturelle nettement plus importante puisqu’on y trouve de nombreux mots et structures d’origine étrangère (le plus souvent empruntés au français et à l’italien), en moyenne 2 par recette, particulièrement lorsque le plat est étranger comme pour l'Osso Bucco dans la recette Osso Bucco with Risotto alla Milanese ou lorsqu’un ingrédient est typiquement étranger (creme fraiche) : l’emprunt répond alors à « un certain besoin » comme l’indique Deroy (1956). Le mot étranger est repris tel quel (souvent sans les accents écrits, qui ne sont pas présents sur les claviers anglo-saxons), sans adaptation, d’où un mélange d’anglais et d’autres langues dans le corpus 3. Les mouvements d’échange linguistique se sont faits dans les deux sens : les termes cake, cheesecake, brownies… ont été exportés (on ne parle pas d’American Gâteau par exemple). La présence d’un terme étranger dans une recette annonce quelque chose de différent, un voyage culinaire. L’ouverture sur l’extérieur permet un enrichissement des langues et le terrain est plus favorable à l’enrichissement de nos jours qu’au Moyen Âge, même si, selon Deroy (1956 : 23), le contact forcé des guerres peut parfois faciliter l’introduction de termes étrangers dans la langue. Dans le corpus 3, des structures entières sont copiées comme cream of celery (copiée du français ‘crème de celeri’) au lieu de celery cream ou l’emploi de à la pour donner un caractère français et certainement rattacher le plat à la bonne cuisine française. On observe certaines mutations grammaticales dans le corpus 3 comme le passage de nom à verbe pour Puree, qui vient du nom français ‘purée’, et est utilisé comme un verbe dans les recettes anglaises (Puree soup in a food processor41) ou pour Saute dans Saute garlic and onions in olive oil42. Deroy (1956 : 13) écrit à ce sujet : « une technique compliquée, en revanche, apparaît étonnamment empruntable ». Les emprunts sont devenus si fréquents qu'ils ne se trouvent pas uniquement sous la plume de cuisiniers professionnels mais également chez les cuisiniers amateurs. Dans le corpus 3, les professionnels emploient en moyenne 2 mots d'origine étrangère par recette (1 tous les 120 mots, que ce soit dans le titre, la partie ingrédients ou la partie procédurale) et les amateurs en utilisent environ 1,4 par recette (1 tous les 131 mots). Les professionnels étant plus à même de connaître des plats d'origines variées, il est logique qu'ils utilisent davantage de mots d'origine étrangère. Cependant, selon Deroy (1956 : 9), il est parfois difficile de savoir s’il s’agit d’un emprunt ou non : les langues empruntent non seulement des mots (qu’elles adaptent d’ailleurs et défigurent souvent), mais aussi des significations, des tours syntaxiques et des procédés stylistiques dont on ne peut pas toujours démontrer l’origine purement étrangère et qui demeurent comme accrochés dans la marge de la création linguistique. La part de l’invention, plus que celle de l’emprunt, est difficile à estimer et, dans bien des cas, parler d’emprunt, c’est n’envisager qu’une face ou qu’une partie d’un phénomène complexe dont on néglige, inconsciemment ou par une convention tacite, les autres aspects.

Conclusion

Les recettes de cuisine entre le Moyen Âge et nos jours ont évolué vers plus de clarté, de concision et de précision. La structure que nous connaissons actuellement (titre, liste des ingrédients et partie procédurale) est apparue au XIXe siècle et permet un repérage clair et rapide des éléments de la recette. Les instructions sont plus concises grâce à l’augmentation du nombre d’ellipses des compléments d’objet et des articles : leur omission permet plus d’efficacité dans la lecture et donc dans la réalisation de la procédure, l’essentiel du sens étant véhiculé par les verbes d’action à l’impératif et non par ces éléments grammaticaux. Taavitsainen (2001) indique qu´un des points communs à toutes les recettes est la séquence de courtes phrases juxtaposées. Brown et Yule (1983 : 175-176) parlent d’ailleurs du « langage écrit elliptique des recettes » 43. Les quantités des ingrédients et les instructions sont devenues de plus en plus précises au fil du temps. Le lexique a gagné en spécialisation grâce à l’augmentation du nombre d’emprunts translangues : on ne passe plus par un processus de traduction ou d’adaptation qui est synonyme de perte de sens. On peut imaginer qu’à l’avenir, les recettes de cuisine comprendront encore davantage d’ellipses des compléments et des articles, peut-être même des ellipses d’autres éléments grammaticaux comme les prépositions, et présenteront de plus en plus d’emprunts, liés au contexte de mondialisation des échanges, y compris culinaires. L’emprunt est un témoin d’évolution : selon Deroy (1956 : 9), l’emprunt « dérange l’équilibre momentané du système linguistique. Il est naturellement une cause importante de l’évolution des langues et, par conséquent, un fondement de la diachronie. » Cette étude pourrait être prolongée suivant différentes pistes : se concentrer sur l’évolution diachronique des recettes dans d’autres langues que l’anglais ou bien voir si on remarque le même type d’évolution linguistique dans d’autres textes procéduraux comme les manuels d’utilisation d’appareils.

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Notes

1 Notre traduction. Return to text

2 Notre traduction de Recipes are a well-defined procedural genre with a clear writing purpose. They give instructions on how to prepare a medicine, a dish or some household utility like ink. Return to text

3 Recipes belong to the category of minilects and can be classified as LSP texts, but as a category on the borderline between LSP and general language. Return to text

4 Recipes are minilects in the sense that they are limited as regards their vocabulary, that they usually have a highly formalized syntax and that they structurally often conform to a certain conventional pattern. Return to text

5 The modern minilect of recipes is the result of a historical development which has been basically similar in different European countries. Return to text

6 Notre traduction de Smaller specialised corpora give insights into patterns of language used in particular settings. With a small corpus, the corpus compiler is often also the analyst, and therefore usually has a high degree of familiarity with the context. Return to text

7 Notre traduction de the addressor. Return to text

8 Notre traduction de the addressee. Return to text

9 Notre traduction de Recipes are produced by specialists. A certain amount of special knowledge is also required of the receiver, at least as far as the terminology is concerned (breadcrumb, thicken). Some recipes may demand greater special knowledge than others. Return to text

10 Notre traduction de Recipes which contain instructions in the form of imperatives are composed by a narrator who distributes directions to the cook in the order in which the work proceeds. We are then faced with a superior-subordinate relationship. Return to text

11 Klenová n’ayant pas donné la référence exacte liée à la pensée de Kraus, un linguiste tchèque, nous ne pouvons pas l’inclure dans notre bibliographie. Nous savons uniquement que la référence à Kraus est citée dans Rettigová (1986 : 23), ouvrage que nous n’arrivons pas à nous procurer. Return to text

12 On remarque la tendance opposée de nos jours chez les « celebrity chef » comme Jamie Oliver qui placent l’émotion au centre de leur discours. Return to text

13 Pour faire…. Return to text

14 Pour rôtir un chapon ou une oie. Return to text

15 Farmer, Fannie, The Boston Cooking-School Cook Book, Little, Brown & Company, 1896. Return to text

16 Comment faire un/une… Return to text

17 Pour faire un/une… Return to text

18 Gâteau éponge doré, Pain au miel grec. Return to text

19 Pain de viande facile, Côtes de porc mongoles grillées, Soupe aux nouilles et poulet rapide et facile, Cookies cup au beurre de cacahuète (dans les recettes françaises, Cup Cookies n’est pas traduit, les deux mots sont seulement inversés afin de placer le nom tête en premier, certainement pour que le lecteur sache dès le premier mot quel plat est évoqué). Return to text

20 Soupe froide de concombre à la crème, Meilleures lasagnes au monde, Osso Bucco avec riz à la Milanaise, spaghetti à la carbonara. Return to text

21 Ne pas. Return to text

22 Notre traduction de The reasons for the gradual changes in a basic recipe such as one for wheat bread, for instance, are inextricably tangled with man´s history and assumed progress. Return to text

23 Sandy prépara le tofu bien grillé et Kim Ø dévora. (Phrase elliptique incorrecte grammaticalement en anglais comme en français). Return to text

24 Roulez chaque morceau de kuzu ou de fécule de maïs et laissez Ø de côté. Return to text

25 null object. Return to text

26 Battez Ø jusqu’à durcissement. Return to text

27 Formes du Moyen Âge : servez, servez, préparez. Return to text

28 Notre traduction de Carrots to grated carrots to mass of grated carrots to mix of the mass of grated carrots with sliced cucumbers. Return to text

29 Notre traduction de If there is a free variable in the semantics, interpret it like a third person pronoun and try to understand the context as an instance of giving instructions. Return to text

30 Notre traduction de finished product, almost done, working on. Return to text

31 Lookback, selon le terme de Culy (1996.) Return to text

32 Immergez (Répartissez) la gélatine dans l’eau d’un grand verre résistant à la chaleur ou d’un bol en métal. Laissez tremper pendant 5 minutes. Placez le bol sur une casserole d’eau frémissante, en remuant régulièrement jusqu’à dissolution. Return to text

33 Versez la rhubarbe sur ce mélange. Saupoudrez avec le sucre et la farine restants. Parsemez de petites noisettes de beurre. Recouvrez avec la croûte supérieure. Return to text

34 Réservez 90 g de mélange à la farine. Versez (Broyez) et égalisez le reste du mélange dans un moule carréde 20 cm de côté légèrement beurré (fariné). Faites cuire dans un four préchauffé à 200°C pendant 12 à 15 minutes ou jusqu’à ce que le mélange soit légèrement doré sur les bords. Retirez du four et recouvrez de fruits. Saupoudrez avec le mélange de farine préalablement mis de côté (…). Return to text

35 Dans Ø bol. Return to text

36 Retirer Ø porc de Ø marinade. Return to text

37 Préchauffez le four à 350°F (175°C). Return to text

38 Ensuite, fourrez Ø gâteau. Return to text

39 Notre traduction de The original recipe implies that Brie cheese is to be used; however, "chese ruayn," also called "rewen" or "rowen" in other Medieval sources, was Autumn cheese, made after the cattle had fed on the second growth.  Return to text

40 Pour faire un gâteau italien, Pour faire une pâte marbrée appelée le Chippe italien, Pour faire des Macaroones (macarons) français, Pour faire une bonne Olio (huile d’olive) espagnole. Return to text

41 Mixez la soupe à l’aide d’un robot ménager. Return to text

42 Faites revenir l’ail et les oignons dans l’huile d’olive. Return to text

43 Notre traduction de the elliptical written language of a recipe. Return to text

References

Electronic reference

Margaux Coutherut, « Les recettes de cuisine en anglais du Moyen Âge à nos jours : évolutions structurelle, syntaxique et lexicale », Textes et contextes [Online], 13-2 | 2018, 18 December 2018 and connection on 23 November 2024. Copyright : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=2236

Author

Margaux Coutherut

MCF, Université Paris 8, 2 Rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis – margaux.coutherut [at] univ-paris8.fr

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