La vision de la femme dans le Corbacho d’Alfonso Martínez de Toledo

  • The Vision of Women in Alfonso Martínez de Toledo’s Corbacho

Résumés

La femme n’inspire pas de vision nuancée chez les auteurs médiévaux. Elle est admirée à l’extrême ou critiquée sans modération. Le texte biblique suggérait déjà ce type de vision binaire en opposant Ève à la Vierge. L’amour courtois poussera l’admiration vouée à la femme jusqu’à la diviniser. Par réaction, un mouvement misogyne se mettra en place, récupérant tous les clichés véhiculés par une longue tradition. Ces lieux communs sont tellement admis de tous que la démonstration n’est plus à effectuer. C’est bien ce que suggère la structure des chapitres de la deuxième partie du Corbacho. Martínez de Toledo s’emploie à dresser un portrait moral type qui laisse supposer que la femme est un être synthétique sans nuances. La caricature consiste à considérer que les défauts recensés chez l’une d’elles sont applicables à l’ensemble des femmes sans exception.

Los autores medievales no transmiten una visión matizada de la mujer. Se la admira sin reservas o se la critica sin moderación. Este tipo de visión binaria ya venía sugerida en el texto bíblico con la figura de Eva opuesta a la de la Virgen. El amor cortés irá hasta divinizar a la mujer. Como reacción a tal divinización vio la luz un movimiento misógino que no hizo más que recuperar los clichés vehiculados por una larga tradición. Tales ideas estaban tan admitidas que no era necesario demostrarlas. La estructura misma de los capítulos de la segunda parte del Corbacho da buena cuenta de ello. Martínez de Toledo hace de la mujer un retrato moral tipo, sintético y sin matices. La caricutura consiste en considerar que los defectos de una mujer, mencionados a modo de ilustración, se aplican a todas las mujeres sin excepción.

Plan

Texte

Introduction

Les auteurs du Moyen Âge se répartissent entre détracteurs et défenseurs de la femme. Il est déjà caricatural en soi que ces positions diamétralement opposées puissent être défendues en prenant appui sur des exemples ou des situations similaires. Le grossissement ou l’exagération sont au nombre des principes de l’écriture caricaturale. Tout est question de dosage, de charge modérée ou excessive comme le suggère le terme même de caricature issu « de l’italien caricare, en rapport avec la surcharge, l’art d’exagérer et de déformer » (Nicou 2001 : 428). Le grossissement des traits peut être placé au service de l’éloge ou de la satire. Le principe même de la caricature est d’ores et déjà perceptible. Eloge ou satire, défenseurs ou détracteurs, admiration ou misogynie. La caricature ne tolère pas la nuance et s’applique à grossir les traits en penchant systématiquement pour un extrême. Alfonso Martínez de Toledo s’inscrit plus particulièrement dans une mouvance misogyne. La deuxième partie de son œuvre intitulée Arcipreste de Talavera ou Corbacho (1438) est intégralement consacrée aux vices et aux défauts féminins. En effet, la caricature exige que soient considérés les défauts de la personne visée par le caricaturiste. Pour Fabrice Pinatel, la caricature est « une représentation déformée du réel qui se nourrit des défauts physiques, moraux et intellectuels de ceux qu’elle prend pour cible » (Pinatel 1993 : 19). Dans la pure tradition médiévale, Martínez de Toledo se réapproprie les arguments misogynes les plus courants. Cette tendance prend appui sur une longue tradition qui trouve ses racines dans le corpus biblique. La confrontation des extrêmes comme principe caricatural conduit parfois à de brusques revirements de points de vue. Nous observerons, à ce titre, comment le processus d’idéalisation de la femme opéré dans la tradition de l’amour courtois est en grande partie à l’origine du courant misogyne. Par ailleurs, le traitement caricatural de la femme, entièrement basé sur la juxtaposition de clichés, induit un mode d’écriture spécifique que nous analyserons.

1. Le jeu caricatural des extrêmes

1.1 L’autorité biblique

Texte fondateur, s’il en est, la Bible oriente considérablement la vision de la femme chez les auteurs du Moyen Âge. Les références constantes aux Écritures n’ont pu qu’imposer une perception particulière de la femme. Les personnages féminins recensés dans la Bible ne sont pas systématiquement dotés de la même prééminence. Deux d’entre elles s’imposent par-dessus tout. Il s’agit d’Ève et de la Vierge. Ces personnages n’envahissent pourtant pas les pages de l’Ancien ou du Nouveau Testament. On ne leur cède, d’ailleurs, que très peu la parole. Elles font pourtant figure de personnages de premier plan. Elles apparaissent dans les textes d’ouverture des deux Testaments et assument dans les deux cas une maternité sans laquelle le texte ne pourrait se poursuivre. Ève est à l’origine de la descendance humaine, Marie donne naissance au fils de Dieu. Cette fonction vitale est à l’origine de la fascination qu’exerce la femme. Sa nature féminine et sa fonction de génératrice de vie l’entourent d’un mystère qui la grandit en la rendant à la fois attrayante et inquiétante. Toutefois, si Ève et Marie deviennent mères, la comparaison ne doit pas aller au-delà. Au contraire, il semble qu’absolument tout les oppose au point qu’elles se transforment en extrêmes qui ne peuvent ni ne doivent se rejoindre. Cette opposition systématique ainsi que l’absence de nuance dans l’élaboration de ces deux personnages bibliques suggèrent l’absence de nuance liée au grossissement caricatural. Ève est à l’origine de la perte de l’humanité, alors que Marie favorise la rédemption en donnant naissance au fils de Dieu. Ève reste étroitement associée à la tentation et au péché, alors que la Vierge constitue l’intercesseur idéal pour accéder au salut de l’âme. Ève doit assumer la responsabilité de l’expulsion du paradis terrestre dans lequel la vie était harmonieuse et l’avènement du Christ, événement associé à la Vierge, donne un espoir de récupération de ce qui a été perdu dans un processus d’inversion de l’histoire de la Genèse. Dans l’imaginaire médiéval, d’ailleurs, l’espace symbolique du jardin de la Genèse et celui de l’annonciation sont étroitement liés. À tel point que les représentations iconographiques mettent parfois en regard les deux épisodes comme dans le cas de l’Annonciation de Giovanni di Paolo. Marie, assise et auréolée, reçoit la visite de l’archange, alors que sur la gauche, dans un espace qui semble communiquer avec celui de la scène centrale, Adam et Ève sont expulsés de l’Eden. Dans son édition des Milagros de Nuestra Señora, Michael Gerli apporte le commentaire suivant : « Más que en el mismo Jesús, se percibía en la virginidad de su madre la prueba fidedigna del derrocamiento de la ley natural post-edénica. En su castitad, según los santos Padres, María triunfaba sobre la maldición de Adán y Eva » (Gerli 1992 : 37). Le rapport est bien flagrant entre les deux personnages, mais ce rapport, si marqué soit-il, ne peut s’exprimer que par une opposition radicale excluant toute nuance. Nous en avons déjà relevé certains aspects. La liste pourrait aisément être complétée. Ève est responsable du caractère mortel de l’homme, tandis que l’âme, dont le salut est favorisé par l’intercession de la Vierge, est éternelle. De nouvelles dichotomies se mettent ainsi en place : vie terrestre et vie spirituelle, mortalité et éternité. Ève ne peut donner la vie que par le contact charnel. La Vierge reste immaculée. D’où les nouvelles oppositions : impureté et pureté, contact de la chair et virginité. Enfin, Ève, contrairement à Marie, est condamnée à donner le jour dans la douleur.

Cette absence de nuance qui oppose point par point Ève et la Vierge conditionne les auteurs médiévaux qui se montreront incapables de nuancer leurs propos. Il n’échappe pas aux détracteurs de la femme que le texte biblique fournit des arguments de poids pour des démonstrations visant à établir que la femme ne peut éviter le péché. Si la première femme commet le premier péché, c’est bien parce que sa propre nature la pousse à agir ainsi. En effet, tant qu’Ève ne fait pas son apparition dans la Genèse, l’harmonie est totale puisque « Dieu créa l’homme à son image » (Genèse 1, 27). Dieu se montre d’ailleurs pleinement satisfait de sa création : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Et voici que cela était très bon » (Genèse 1, 31). Toutefois, cette harmonie ne sera que de courte durée, et c’est bien à la femme que revient la pleine responsabilité de cette rupture : « La femme vit que l’arbre était bon à manger, qu’il était agréable aux yeux, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir l’intelligence. Elle prit de son fruit et mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il mangea » (Genèse 3, 6). En quelques mots, toute la faiblesse de la femme est mise en évidence. Elle se laisse aller à l’orgueil en aspirant à plus de clairvoyance, elle n’oppose pas la moindre résistance à la tentation, elle se laisse séduire par ce qui est beau, elle désobéit en toute connaissance de cause et entraîne Adam dans son sillage. La responsabilité est donc écrasante et la tradition littéraire ne se privera pas d’exploiter de telles faiblesses. Il est d’ailleurs caractéristique que l’Archiprêtre de Talavera s’applique à associer systématiquement ses personnages féminins aux péchés capitaux. La reine du premier exemplum est orgueilleuse et cupide : « una reina era muy honesta con fingimiento de vanagloria, que pensava aver más firmeza que otra... » (Martínez de Toledo 1998 : 146). Ses grands airs ne la rendront pas pour autant invincible. Sa faiblesse finale conduit le narrateur à conclure de la sorte : « E la reina pensó en sí, e vido que avía mal dicho, e conosçió entonçe que a dádivas non ay azero que resista, quanto más persona que es de carne e naturalmente trahe consigo la desordenada cobdiçia » (Martínez de Toledo 1998 : 147). Immédiatement avant l’intégration de l’exemplum, la femme avait déjà été qualifiée d’avare en guise de mise en bouche : « digo primeramente que las mugeres comúnmente por la mayor parte de avariçia son doctadas » (Martínez de Toledo 1998 : 146). La femme, en tant que pécheresse est assimilée à Ève : « E non me maravillo ser en las fembras esta mácula, pues naturalmente les viene de nuestra madre Eva » (Martínez de Toledo 1998 : 183). Dans une logique implacable, certains excès de la femme lui font perdre la faveur de la Vierge : « enemigas de la Virgen María » (Martínez de Toledo 1998 : 197). La femme constitue, par conséquent, un support idéal pour la représentation caricaturale. La quantité écrasante de faiblesses ou de vices qui la caractérise en fait un sujet de choix pour les auteurs médiévaux désireux d’exercer leur plume dans le domaine de la caricature puisque cette dernière prend appui sur les défauts. Or la femme semble tous les réunir. Ceci la transforme en cible idéale car « tous les personnages ridicules de la comédie, des farces, des fabliaux, des contes, des histoires drôles ou du cinéma […] sont chargés au départ ou chemin faisant de toutes les disgrâces et de tous les défauts de la terre » (Emelina 1996 : 61).

1.2. Amour courtois et culte marial

Dans le traitement qu’il réserve à ces deux personnages féminins, le texte biblique ne tolère pas de nuance. Tout oppose Ève et Marie, à tel point d’ailleurs que l’une s’impose comme le pendant de l’autre. La Vierge reste l’unique perspective de réhabilitation suite à la condamnation provoquée par Ève. Les deux traditions littéraires de l’amour courtois et du culte marial s’inscrivent précisément dans cette logique d’opposition caricaturale des extrêmes. Même si l’amour courtois ne prétend pas trouver ses sources dans la Bible, les deux courants littéraires considèrent et idéalisent les deux femmes dont nous venons de souligner le caractère antagonique. La femme de l’amour courtois est bien la femme mortelle, séduisante, en quête de plaisir. La poésie mariale, pour sa part, chante la Vierge et voit en elle l’intercesseur idéal qui doit conduire au salut de l’âme.

Le premier théoricien de la mariologie médiévale est Anselme de Canterbury. Dans ses écrits du xiie siècle, il pose comme principe de base que la maternité divine de Marie constitue le support fondamental des prérogatives de la Vierge. C’est ce phénomène mystérieux qui implique la pureté, la virginité, la sainteté ainsi que le pouvoir d’intercession de Marie. Ces principes resteront d’actualité tout au long du Moyen Âge. Saint Bernard, au milieu du xiie siècle, consolide ces théories en affirmant la grandeur de la divine maternité, le rôle fondamental de la Vierge comme médiatrice. Selon lui, Dieu souhaite que rien ne puisse s’obtenir sans l’intermédiaire de Marie. Les nuances apportées au fil du temps par les divers théoriciens n’entament en rien ces aspects essentiels associés au caractère de la Vierge. La question de la maternité divine et sa fonction rédemptrice n’ont jamais été remises en cause. Face aux théories sur la mariologie, se met en place un courant littéraire qui va contribuer à la diffusion encore plus rapide du culte marial. Entre 1227 et 1275 apparaissent les plus importantes collections de miracles dont les Milagros de Nuestra Señora de Gonzalo de Berceo et les Cantigas de Santa María d’Alphonse X. La tradition littéraire est solidement ancrée et perdure jusque dans la première moitié du xve siècle. Le mystère théologique de Marie continue d’être chanté jusqu’à en oublier, paradoxalement, le Christ. Cette persistance plonge ses racines dans la tradition médiévale initiée par Saint Bernard. Au contraire, dans la seconde moitié du xve siècle, un changement radical se produit en matière de thématique. La poésie religieuse se consacre désormais pleinement au Christ ou au mystère de la rédemption. La poésie mariale est extrêmement codifiée. Le thème des joies de la Vierge s’organise systématiquement autour des sept épisodes les plus glorieux de la vie de Marie. L’Annonciation, la Conception, l’Adoration, la Résurrection, l’Ascension, la venue de l’Esprit Saint et l’Assomption constituent autant de passages obligés pour le poète. L’ordre est, en principe, immuable. Il faudra attendre le xve siècle pour que des variantes viennent intégrer cette structure mécanique. Le Marquis de Santillane, par exemple, complétera les sept joies terrestres de la Vierge par sept joies célestes. Ce qu’il convient de retenir dans le cadre de ce travail, c’est que l’admiration vouée à la Vierge est la manifestation d’une ferveur intense qui est absolument incompatible avec le sens de la nuance. La perfection qui émane de la Vierge reste indiscutable et place cette dernière à l’une des extrémités de la chaîne. Cela implique nécessairement, dans le mode de pensée médiéval, qu’un autre extrême doit faire face à la perfection mariale. C’est à cette autre extrémité que se situe la femme qui séduit, que l’on courtise et à laquelle on aspire à accéder. L’amour courtois exploitera largement ce pendant dans une production littéraire également fort codifiée. Observons enfin, avant de considérer le courant littéraire de l’amour courtois, que l’admiration sans fin débouche sur des excès qui causent la perte de ce qui a été élaboré. C’est ainsi que le culte marial avait contribué à l’effacement de la figure du Christ. Cette dérive sonnera le glas de la poésie mariale et orientera la poésie religieuse dans une autre direction. Nous verrons qu’un phénomène semblable se produit dans le domaine de l’amour courtois.

La courtoisie dont est issu le mouvement littéraire correspond à un véritable art de savoir-vivre. Les concepts de loyauté et de politesse constituent des valeurs fondamentales auxquelles s’ajoute progressivement une certaine forme d’élégance morale dont bénéficiera la femme. Il est incontestable que la courtoisie suppose une prédisposition marquée à l’amour. En effet, amour et courtoisie vont systématiquement de pair. La dame occupe généralement une position plus élevée que son prétendant. Un long parcours se présente pour le prétendant amoureux qui doit apporter la preuve qu’il mérite effectivement l’amour de sa dame. Le chemin est long et parsemé d’obstacles. La dame ne se livre pas facilement et ses exigences sont de plus en plus élevées. Les épreuves se multiplient et le prétendant n’a d’autre choix que de se soumettre pleinement à la dame sous peine de perdre la perspective d’une issue favorable. La dame décide librement d’accorder ou de refuser ses grâces. L’amour courtois désigne un art d’aimer extrêmement codifié, lui aussi. C’est également au xiie siècle que l’amour courtois trouve son expression littéraire la plus élaborée. L’amant courtois établit avec sa dame un véritable rapport vassalique. Il se doit, à ce titre, de se plier sans hésitation à sa volonté voire à ses caprices dans l’attente des faveurs qu’elle pourra prodiguer ou refuser. La dame reste parfaitement libre du dénouement qu’elle donnera à l’entreprise de séduction. C’est ce qui fait la force de ce rapport basé sur le bon-vouloir de la femme dans une société où le mariage relève davantage de la négociation sociale que de l’union mutuellement consentie :

La femme, magnifiée par le mariage chrétien, mais en tant que mère – d’où l’essor du culte marial –, est plus que jamais un objet d’échange économique ou politique. On l’épouse pour prendre possession de ses domaines ou de sa fortune, dans la société aristocratique, pour faire des enfants et pour travailler la terre, dans les milieux paysans. La femme subit le mariage comme elle subit le viol, le cas échéant, ou bien alors, pour survivre, elle doit se résigner à accepter le mariage [...]. L’amour courtois, en tant que doctrine, prétend remédier à tout cela en proposant une nouvelle définition du couple, celui-ci ne pouvant exister que sur un accord mutuel entre deux êtres. [...] Cependant, dans la mesure où il rompt avec la légalité inhérente au mariage, cet amour se colore d’éléments sulfureux : le couple ainsi formé, qui se passe du mariage, ne peut être qu’un couple infernal, et un amour qui ne serait que platonique ne peut échapper au péché d’intention, lequel péché, dans la casuistique chrétienne, est aussi grave que le péché par acte. (Markale 1987 : 69-70)

L’amant courtois s’efface littéralement devant la dame qui lui permet, en réalité, d’évoluer favorablement sur le plan de la vertu. « [La femme] est devenue l’objet d’un désir qui élève le soupirant au-dessus de lui-même et le mène à la perfection morale conçue par elle » (Zink 1994 : 335). Le côté paradoxal de ce type de relation s’explique par le fait que le désir ne peut se préserver que tant qu’il n’est pas atteint. Accéder au désir risque d’anéantir définitivement le désir. C’est pour cette raison que l’amour tend logiquement vers cet assouvissement tout en le retardant car il menace inévitablement le désir. Ceci explique les exigences parfois excessives de la dame qui peuvent déboucher sur la souffrance du prétendant. Toutefois, ce dernier voit dans cette forme de souffrance une possibilité d’accéder au plaisir que représente la femme difficilement accessible. C’est en ce sens que l’amour conduit au surpassement de soi. L’objectif principal en est la transcendance des deux amants. Les épreuves que surmonte le prétendant finissent par le situer dans une position d’égalité par rapport à une dame qui lui était supérieure. En permettant à l’homme de se surpasser et de progresser, la femme de l’amour courtois apporte un changement considérable. Elle assiste l’homme au lieu de le pervertir. Elle s’éloigne, en ce sens, de façon radicale de la tentatrice biblique. Toutefois, l’absence absolue de nuance favorise les positions extrêmes et engendre, de ce fait, un glissement vers le traitement caricatural du personnage féminin. L’admiration inconditionnelle sert de point commun aux deux extrêmes que constituent la poésie mariale et l’amour courtois. La Vierge et la dame sont magnifiées, idéalisées, vénérées. La Vierge offre une perspective de salut et la dame offre une perspective de plaisir. Une fois encore, les extrêmes se font face : bonheur spirituel et bonheur terrestre, salut de l’âme et plaisir de la chair, éternité et mortalité. Jean Markale va jusqu’à considérer que la dame de l’amour courtois et la Vierge Marie des invocations de la liturgie chrétienne ne font, en définitive, qu’une seule et même personne :

Et il est frappant que le triomphe du culte de la Vierge Marie coïncide avec le triomphe de la dame de l’amour courtois. Tout se passe comme si une même conception de la femme, c’est-à-dire un être humain dans toute sa plénitude et doué de tous ses moyens, de toutes ses fonctions, avait été présentée sous deux formes en apparence contradictoires, en réalité complémentaires, l’une épurée de son contexte charnel, sur un plan supérieur et transcendantal, l’autre également transcendée, mais vouée au plan profane, c’est-à-dire, au sens étymologique, demeurée devant le temple. En première analyse, on retrouve la distinction classique entre sacré et profane. (Markale 1987 : 17)

2. Le processus de renversement

Nous avons, pour le moment, considéré l’absence de propos nuancés et le principe de confrontation des extrêmes. Or, ces procédés induisent à leur tour un trait caractéristique de la caricature : le renversement radical. Les extrêmes conduisent immanquablement aux limites, et le franchissement de ces dernières suscite en principe une réaction de repli, un mouvement inverse visant à recadrer un courant ou une idéologie dans des limites acceptables, plus conformes à la morale. Le mouvement est alors radicalement inverse, comme si un sursaut de dernière minute faisait prendre conscience des risques ou des ambiguïtés impliqués par la tendance à l’excès. Nous avons déjà signalé, à propos de la poésie mariale, que la vénération de la Vierge avait atteint un tel essor que le personnage du Christ en venait à occuper une position de second plan. La poésie religieuse du xve siècle se chargera de redonner au Christ la place qui lui revient. Dans le domaine de l’amour courtois, la vénération excessive vouée à la dame finit par inquiéter. La réaction qui en sera la conséquence débouchera sur la production littéraire d’un courant très fortement marqué par la misogynie.

2.1. La déification de la dame

Accorder à la femme le pouvoir de modifier et de parfaire la nature de l’homme constitue, d’ores et déjà, une première entorse par rapport à l’orthodoxie. Dieu a créé l’homme et ce dernier est ce qu’il est car le Créateur en a décidé ainsi. Considérer que la femme est en mesure de modifier, voire de bonifier la création de Dieu, heurte la sensibilité des moralistes qui voient dans de tels propos une dérive hérétique. Modifier l’œuvre divine n’est pas tolérable et prétendre y parvenir revient à pécher par orgueil. Luis Galván souligne cette puissance attribuée à la femme : « En el sistema del amor cortés y sus secuelas, la mujer es un motivo para el ascenso humano y espiritual, y para ingresar en el nivel superior, espiritual » (Galván 2005 : 471).

Par ailleurs, en devenant la maîtresse du jeu, la femme acquiert une position de supériorité vis-à-vis de l’homme, qui est difficilement compatible avec le texte fondateur de la Bible. Ce qui dérange, c’est que le prétendant accepte son sort et reconnaît à la femme tout pouvoir dans un rapport complexe qui relève pleinement d’un rapport vassalique. Ce rapport bouscule la tradition biblique qui, au contraire, soumet la femme à l’homme : « Je multiplierai ta peine et tes grossesses, c’est dans la peine que tu enfanteras des fils ; vers ton mari se portera ton désir et lui dominera sur toi » (Genèse, 3, 16)

C’est à nouveau Jean Markale qui souligne le caractère suspect de ce courant littéraire :

Si l’on analyse en effet les événements qui ont conduit à la formulation de l’amour courtois, on rencontre immanquablement des courants dont l’orthodoxie est plus que suspecte. C’est d’abord la grande tradition des troubadours occitans [...], laquelle se trouve teintée de catharisme et de souvenirs datant de l’époque wisigothique. C’est ensuite la persistance des éléments celtiques [...]. Et c’est aussi, chose essentielle, le rôle d’Aliénor d’Aquitaine et de Chrétien de Troyes au xiie siècle : la deux fois reine, de France et d’Angleterre, a cristallisé autour d’elle non seulement les fantasmes des troubadours, mais aussi les légendes d’origine celtique qui prenaient corps à travers son étonnante personnalité, et Chrétien de Troyes, véritable créateur du roman courtois, était un juif converti héritier d’une longue tradition kabbalistique. (Markale 1987 : 24)

L’adoration extrême ainsi que l’idéalisation absolue du personnage de la dame de l’amour courtois conduisent parfois à assimiler la femme à un personnage divin. Les célèbres déclarations de Calixte dans la Celestina de Fernando de Rojas en sont un exemple flagrant :

(Calisto) Comienço por los cabellos. ¿Vees tú las madexas del oro delgado que hilan en Aravia? Más lindas son y no resplandeçen menos; su longura hasta el postrero assiento de sus pies; después crinados y atados con la delgada cuerda, como ella se los pone, no ha más menester para convertir los hombres en piedras. […] Los ojos verdes, rasgados, las pestañas luengas, las cejas delgadas y alçadas, la nariz mediana, la boca pequeña, los dientes menudos y blancos, los labrios colorados y grossezuelos, el torno del rostro poco más luengo que redondo, el pecho alto, la redondeza y forma de las pequeñas tetas, ¿quién te la podría figurar? que se despereza el hombre quando las mira. La tez lisa, lustroza, el cuero suyo escureçe la nieve, la color mezclada, qual ella la escogió para sí. […] Las manos pequeñas en mediana manera, de dulce carne acompañadas, los dedos luengos, las uñas en ellos largas y coloradas, que pareçen rubíes entre perlas (Rojas 1991 : 100-101).

C’est cette admiration aveuglante qu’il ressent face à Mélibée qui le pousse à se déclarer mélibéen plutôt que chrétien. La chose est exprimée de façon encore plus claire lorsque Calixte déclare à son valet Sempronio : « Por Dios la creo, por Dios la confesso, y no creo que hay otro soberano en el cielo aunque entre nosotros mora » (Rojas 1991 : 95). Bien sûr, la démarche de l’auteur relève clairement de la parodie. Mais qu’un des aspects parodiés soit précisément le processus de déification de la dame est révélateur du changement de mentalités.

2.2. Le sacrement du mariage

Dans un contexte où l’union matrimoniale relevait essentiellement de la négociation et était surtout perçue comme une possibilité de choix pour consolider un lignage, l’application des principes de l’amour courtois n’était guère envisageable. De fait, l’orientation clairement misogyne de Martínez de Toledo le conduit à ne présenter que des cas de couples dont les rapports ont cessé depuis longtemps d’être harmonieux. Ce retournement misogyne concerne donc en premier lieu le couple marié, contrairement à l’amour courtois qui ne peut envisager le mariage. L’union matrimoniale peut, en effet, relever d’un pacte entre familles motivées par un même projet politique ou, le plus souvent, économique. Le caractère officiel de ce type d’union exclut tout effort de séduction ainsi que toute volonté de dépassement de soi. La volonté de l’épouse n’est plus prise en considération et le devoir conjugal est une formule qui révèle parfaitement que les rapports s’imposent à la femme. Le mariage exclut donc catégoriquement ce que Charles Baladier présente comme un « renoncement à la promptitude sauvage, effrénée ou honteuse du commerce charnel au profit de l’établissement patient d’un rapport qui donne la primauté à l’expression [...] » (Baladier 1999 : 165). L’amour courtois suggère un idéal qui n’est concevable qu’en dehors des liens du mariage. Mieux encore, le statut d’épouse de la femme ne constitue nullement un obstacle à l’application des principes de l’amour courtois si cette dernière est sollicitée par une tierce personne. Certes, la dame reste libre d’accepter ou pas les sollicitudes du prétendant, mais l’argument du mariage ne sera en aucun cas considéré comme un motif de rejet valable puisque l’amour courtois est incompatible avec le mariage. Les deux situations ne sont absolument pas comparables. L’amour suppose une liberté des sentiments, alors que le mariage reste avant tout une institution sociale, parfois motivée par des projets économiques. De même que le mariage peut exister sans amour, l’amour peut exister en dehors du mariage. Quelques lignes du Corbacho soulignent clairement cette incompatibilité entre amour et mariage :

Dime, ¿qué es lo que le fallesçe a aquella que buen marido rico e de honra e de linaje tiene, que non le fallesçe sinón lo que busca, mala postrimería o mal acabamiento? Dígote que esta tal, que es obligada de querer, amar e honrar a su marido, pero esta tal verás que se envuelve a las vezes en otros malos baratos –conviene a saber, envolverse con otro más hazino e cuitado e mezquino– e desonra a sí e a su marido (Martínez de Toledo 1998 : 198)

En s’interrogeant sur ce qu’il prétend ne pas comprendre, Martínez de Toledo apporte la vraie réponse : l’épouse est tenue d’aimer et les sentiments authentiques s’accommodent mal de telles contraintes.

Idéalisation excessive, statut privilégié par rapport à l’homme, incompatibilité avec l’un des sacrements, autant de caractéristiques qui finiront par rendre suspects les principes codifiés de l’amour courtois.

En el siglo XV, sin embargo, la paganización del catolicismo en el amor cortés creó para muchos pensadores un caos de valores, puesto que en los medios literarios la moralidad cristiana y la preeminencia de Dios se relegaban a un lugar secundario frente a la pasión y el sofisticado arte de la seducción simbolizado en el rito del amor y la apoteosis de la mujer. No es de extrañar, por consiguiente, que a partir del momento de mayor identificación del erotismo con la religión y la dama con Dios comience a desarrollarse una concertada corriente literaria paralela en que se formula un estereotipo femenino negativo –uno que busca combatir y contradecir las blasfemias y transgresiones doctrinales del amor cortés. Para el Arcipreste de Talavera, capellán de don Juan II y testigo del ambiente hipererotizado de su corte, la mujer no es un dios, sino una arpía locuaz que atormenta al hombre (Gerli 1981 : 81)

Comme le souligne Gerli, l’amour extrêmement codifié avait largement adopté la forme d’un rite. Or, Muriel Carduner-Loosfelt apporte dans un de ses articles – qui ne concerne certes pas une œuvre médiévale – la précision suivante sur la ritualisation du processus de séduction : « Le rapport amoureux ne pouvant s’inventer que dans une conquête toujours recommencée, la séduction s’inscrit en permanence et de façon obsessionnelle dans une ritualisation caricaturale […] » (Carduner-Loosfelt 2001 : 75). Martínez de Toledo, en livrant de la sorte la femme à la caricature, transforme cette dernière en un simple stéréotype.

3. La caricature misogyne

3.1. L’émergence d’un phénomène latent

La voie s’ouvre donc pleinement au courant misogyne. Ce dernier ne constitue pas une nouveauté. Selon les Pères de l’Eglise, les appâts de la femme l’ont toujours dotée d’un pouvoir de séduction qui la transforme en source de tentation et en véritable agent du péché. D’ailleurs l’Église a stigmatisé une telle conception de l’amour. Le phénomène s’amplifie et finit par porter un coup d’arrêt au mouvement courtois. C’est bien de caricature que parle Charles Baladier à propos de ce courant littéraire : « L’amour courtois est décrit par beaucoup d’auteurs comme étant principalement l’affaire d’un amant éperdu face à une femme qui se dérobe indéfiniment, au point qu’on se demande par quel miracle elle en vient, un beau soir, à céder. C’est là presque une caricature » (Baladier 1999 : 160).

L’excès a bel et bien trouvé ses limites, mais la réaction n’en demeure pas moins excessive et caricaturale. Cette tendance misogyne était latente et déjà perceptible dans le texte qui s’était fixé comme objectif de codifier les règles de l’amour courtois. La preuve en est que dans la seconde partie du Traité de l’amour courtois, André le Chapelain semble faire volte-face et explore la tradition des clichés :

Vient alors la seconde partie du livre. L’amour y est décrit comme la cause de tous les vices et de tous les crimes. Appelant à la rescousse l’arsenal théologique [...], André se livre à toutes les variations possibles sur la femina nulla bona. La femme est avare, inconstante, hypocrite, menteuse, ivrognesse, luxurieuse et nul ne saurait s’en accommoder sans avoir à en pâtir (Dictionnaire du Moyen Âge 1999 : 62)

En effet, la femme fascine mais inquiète simultanément. Elle peut même devenir effrayante. Bien après notre auteur, Francisco de Quevedo ne manquera pas de souligner cet aspect. Pour lui, la femme est toujours un peu sorcière et même les diables ont du mal à lui faire face. « […] les diables de l’enfer les repoussent aussi : ils ont peur d’elles, car elles en savent plus long qu’eux, et elles tentent de les séduire » (Mas 1957 : 59).

André le Chapelain tire systématiquement profit de la longue tradition antiféministe des clercs qui, elle-même, prenait appui sur les maximes d’auteurs anciens ou sur les proverbes. Une fois de plus, la nuance ne trouvera pas sa place dans ce type de discours et un bref extrait nous permettra d’ores et déjà d’en apprécier la portée caricaturale :

Toutes les femmes, d’ailleurs, ne sont pas seulement avares de nature ; elles sont aussi curieuses et médisent de leurs pareilles ; elles sont voraces, esclaves de leur ventre, volages, inconstantes dans leurs paroles, désobéissantes, rebelles aux interdits ; elles sont souillées par le péché d’orgueil et elles convoitent la vaine gloire ; elles sont menteuses, intempérantes, bavardes, elles ne respectent aucun secret ; elles sont luxurieuses à l’extrême, portées à tous les vices et elles n’ont enfin aucune affection véritable pour les hommes. (André le chapelain 1974 : 196)

En effet, la généralisation de principe (« Toutes les femmes »), la structure d’insistance (« ne sont pas seulement [...] elles sont aussi »), ainsi que l’effet d’accumulation constituent autant de traits d’écriture qui relèvent pleinement de la caricature. Martínez de Toledo y aura systématiquement recours. D’ailleurs, l’auteur du Corbacho semble s’être clairement inspiré des exemples transmis par son prédécesseur comme le confirment les exemples qui suivent. La reine prétentieuse qui clame à qui veut l’entendre qu’elle ne cédera en aucun cas aux avances d’un homme – fût-il d’une richesse éblouissante – et qui, mise à l’épreuve, finit évidemment par laisser transparaître sa faiblesse, n’est pas sans rappeler ces lignes d’André le chapelain :

Il n’y a pas une femme, fût-elle illustre par sa naissance ou par ses hautes charges, fût-elle très riche, dont l’argent ne puisse rompre la pudeur et que ne puisse séduire un homme cousu d’or, aussi vil et aussi humble soit-il ; aucune femme ne se trouve jamais assez riche, de même qu’un ivrogne n’estime jamais avoir assez bu ; et même si la terre et les eaux étaient particulièrement entièrement transformées en or, elles pourraient difficilement apaiser la cupidité d’une femme (André le chapelain 2002 : 196)

Parfois l’emprunt est à peine adapté :

E por tanto tomó ponçoñas confaçionadas, e mezclólas con del mejor e más odorífero vino que pudo aver, por cuanto a ella non le amargava buen vino, e púsolo en una ampolla de vidrio, e dixo: « Si yo esta ampolla pongo donde ella la vea, aunque yo le mande « cata que non gustes desto », ella como es muger, lo que le yo vedare aquello más fará e non dexará de bever dello por la vida, e así morirá ». Dicho e fecho: el buen hombre sabio tomó la ampolla e púsola en una ventana donde ella la viese. E luego dixo ella: « ¿Qué pones aí, marido? ». Respondió él: « Muger, aquesta ampolla, pero mándote e ruego que non gostes de lo que dentro tiene; que si lo gustares luego morrás, así como nuestro Señor dixo a Eva. » [...] E aún non fue a la puerta, que ella luego tomó la ampolla [...] Dio con ella a la boca e bevió un poco, e luego cayó muerta. (Martínez de Toledo 1998 : 176)

L’exemple est à replacer dans le contexte matrimonial (« marido » / « muger ») et donne nettement l’avantage à l’homme qualifié de sage (« buen hombre sabio »), puisque son épouse apparaît comme excessivement curieuse (« ¿qué pones aí? ») et désobéissante (« lo que yo vedare aquello más fará »). La caricature tient également au fait que les défauts de l’épouse sont attribués à sa nature de femme (« ella como es muger »). La référence biblique (« como nuestro Señor dixo a Eva ») inscrit la faiblesse de la femme dans la tradition la plus ancienne qui soit. L’insistance avec laquelle le mari souligne que l’issue est parfaitement prévisible (« aquello más fará » ; « non dexará ») relève de la même intention. Le très bref délai qui sépare la formulation de l’interdit et la transgression (« E aún non fue a la puerta, que ella luego tomó la ampolla ») vient parachever le tout. L’épouse reproduit de la sorte le péché originel et surpasse Ève en ajoutant à la désobéissance un penchant fatal pour le vin (« non le amargava buen vino »). La reproduction de quelques lignes du Traité de l’amour courtois prouve que la tradition remonte à loin :

J’ai lu aussi qu’il était une fois un homme d’une très grande sagesse qui abhorrait sa femme ; ne voulant pas la tuer de sa propre main pour éviter de commettre un crime, et sachant que celle-ci tentait volontiers de faire ce qu’on lui interdisait, il prépara un vase très précieux et y versa du vin excellent et du meilleur bouquet mélangé à du poison ; il dit alors à sa femme : « Ma très chère épouse, prends bien garde de toucher à ce vase et ne t’avise point de goûter de ce breuvage, car il s’agit d’un poison mortel. » Mais la femme méprise cette interdiction : il était à peine éloigné qu’elle osa boire le breuvage défendu et le poison la tua. (Le chapelain 1974 : 199-200).

Les femmes du Corbacho ne sont pas épargnées. Aucune vertu ne leur est attribuée. En revanche, les défauts sont légion. Jean Emelina, dans le travail déjà mentionné, considère que la parodie, l’absurde, l’ironie et la caricature reposent sur le principe de la coprésence d’une norme et d’une anomalie (Emelina 1996 : 95). L’anomalie explicite correspond chez Martínez de Toledo au comportement de la femme. Cette anomalie suppose une norme implicite que le lecteur associe symétriquement à l’homme. Dans l’exemple présenté ci-dessus, l’homme élabore un plan qui lui permet de tuer sa femme, violant ainsi l’un des commandements. Il n’en est pas blâmé pour autant. L’empoisonnement de l’épouse est présenté comme la conséquence logique, voire méritée, de sa désobéissance. Les défauts de la femme ne se limitent pas à ce simple aspect. En effet, elle n’est pas fiable et la parole qu’elle engage éventuellement ne peut nullement être considérée comme un engagement ferme et définitif : « si con vergüenza promete, sin vergüenza lo revoca » (Martínez de Toledo 1998 : 170). L’incapacité à tenir parole est doublée d’une incapacité à tenir sa langue. La femme parle trop et son indiscrétion maladive peut se révéler lourde de conséquences : « su deseo de las mugeres non es otro sinón secretos poder saber, descobrir e entender » (Martínez de Toledo 1998 : 173) ; « siempre están fablando, librando cosas agenas » (Martínez de Toledo 1998 : 195) ; « La muger ser murmurante e detractora, regla general es dello » (Martínez de Toledo 1998 : 154). Elle a très facilement recours au mensonge pour se défendre ou pour diffamer un ou une adversaire : « non es muger que mentiras non tenga muy prestas e non disimule la verdad en un punto » (Martínez de Toledo 1998 : 187). Ce portrait moral peu flatteur n’est finalement que peu de chose comparé aux dangers auxquels la femme expose son entourage. Elle est une source constante de tentation. Elle a pleinement conscience du pouvoir de ses charmes et sait les exploiter efficacement : « Pues, las señales que saben fazer del ojo estas son diversas: que mirando burla del ombre, mirando mofa al ombre, mirando falaga al ombre, mirando enamora al ombre, mirando mata al ombre, mirando muestra saña, mirando muestra ira echando aquellos ojos de través » (Martínez de Toledo 1998 : 168). Elle sait se rendre responsable du déshonneur des autres : « la muger se atreve muchas vezes a desonrar, maltractar e difamar a algunos » (Martínez de Toledo 1998 : 181), déshonneur qui passe fréquemment par l’adultère comme le suggère l’accumulation des quatre exempla du chapitre X. La présentation de la femme dans le Corbacho ne serait pas complète si la descendante directe d’Ève n’était pas mise en rapport avec les péchés capitaux. La dérive adultère mentionnée plus haut renvoie clairement à la luxure. Jacob Ornstein précise à ce sujet : « la imputación de lujuria siempre ha sido argumento favorito entre los misóginos » (Ornstein 1941 : 229). L’orgueil, l’envie, et la cupidité constituent, selon l’auteur et la tradition dans laquelle il s’insère, les principales faiblesses de la femme. Cette remarque nous permet de souligner l’un des aspects les plus constants de la caricature. Cette dernière n’est jamais gratuite et elle se prétend instructive. Elle met en garde le lecteur en dévoilant des dangers redoutables. La question de l’objectivité ne se pose pas dans ce domaine. Au contraire, le principe de la caricature incite à grossir les traits, à amplifier les défauts afin de les rendre plus visibles. Le lecteur ainsi informé saura se protéger de la menace féminine. La même remarque pourrait être formulée à propos de la caricature iconographique, car comme le signale Marielle Silhouette : « Par l’exagération des défauts, la caricature en peinture dévoile les faiblesses et les folies de la nature humaine » (Silhouette 2001 : 18).

Dans le Corbacho, l’aspect physique ne vient nullement compenser le portrait moral de la femme. Au contraire, les seules références à l’aspect de la femme mettent en avant un penchant immodéré pour le culte de l’apparence : « En las faldas rastrando, e en las mangas colgando, e otros arreos desonestos que ellas trahen, non ponen cobro [...] » (Martínez de Toledo 1998 : 152) ; « Pero después de todo esto comienzan a entrar por los ungüentos ; ampolletas, potecillos, salseruelas donde tienen las aguas para afeitar ; unas para estirar el cuero, otras destiladas para relumbrar; tuétanos de ciervo o de vaca o de carnero » (Martínez de Toledo 1998 : 158) ; « cuentas, corales, alfójar enfilado, collares de oro e de medio partido e de finas piedras acompañado, cabelleras, azerufes, rollos de cabellos para la cabeça » (Martínez de Toledo 1998 : 159).

Qu’il s’agisse de toilettes, de fards ou de parures, le reproche est systématiquement le même. De telles préoccupations détournent radicalement d’un comportement adapté. L’énumération de bijoux relevée à la page 159 et partiellement reproduite ci-dessus correspond à l’inventaire type de ce que l’on peut retrouver dans les coffres d’une femme. Or, l’énumération commence par le constat d’une carence. Ces coffres ne renferment aucun livre de prières, aucune vie de saint. La mise en regard des deux domaines est significative. Au lieu de se consacrer à la prière ou de s’inspirer de la vie exemplaire des saints, la femme tourne radicalement le dos à ces préoccupations d’ordre spirituel et s’enlise définitivement dans le monde superficiel de l’apparence. Par ailleurs, en s’appliquant à modifier son apparence, la femme modifie l’œuvre du Créateur, ce qui n’est pas sans prétention. Elle donne, par la même occasion, la preuve de sa légèreté morale. La parure et les fards ne sont, finalement, qu’une variante du mensonge :

La parure est mensonge, les fards surtout, qui rendent trompeuse jusqu’à la peau même. Lombroso consacre un chapitre entier au « mensonge chez les femmes », une caractéristique « physiologique » de leur caractère qu’il lui paraît inutile de démontrer. « Les fards, les teintures de cheveux, beaucoup d’objets de toilette », écrit-il, « ne sont, au fond, que des mensonges en action » (Dottin-Orsini 1993 : 69).

Aucun de ces arguments ne prend forme pour la première fois sous la plume de Martínez de Toledo. Le discours sur la femme est, en ce sens, caricatural puisqu’il s’est figé dans la tradition et qu’il relève avant tout du cliché. D’ailleurs, l’auteur ne prétend nullement renouveler la matière et s’enorgueillit, au contraire, de s’inscrire dans le prolongement d’une lignée prestigieuse : « E aun desto fabló Juan Bocaçio [...] aunque non tan largamente; e otros muchos han escripto e escrivieron, yo non digo de ser entre ellos nombrados » (Martínez de Toledo 1998 : 159).

3.2. L’écriture de la caricature

L’ensemble des chapitres réunis dans la deuxième partie du Corbacho s’organise selon un schéma structurel mécanique. Un titre annonce le vice ou le défaut abordé dans le chapitre présenté. Puis, une formule d’ouverture apparaît dès les premières lignes. La facture de cette formule est identique sur l’ensemble du corpus. En fin de chapitre, une formule bilan met un terme à la démonstration. Entre les deux formules, s’intègre l’exposé de l’auteur, parfois agrémenté d’exempla enchâssés. La formule d’ouverture constitue la toute première phase de la démonstration. Or, son ton catégorique et sa facture indiquent clairement qu’il n’y a rien à démontrer. Le lecteur doit être convaincu de ce qu’affirme le titre avant même d’entreprendre la lecture du chapitre. Il y a donc bien caricature de la démarche argumentative, dans la mesure où les arguments ne débouchent pas sur une affirmation catégorique rendue viable par la démonstration. L’affirmation est admise dès le début, avant même l’intégration de l’exposé. L’effet produit par cette démarche inversée revient à considérer que les défauts présentés sont admis de tous. La formule introductive pose catégoriquement et définitivement les faits comme nous l’observons dans les exemples relevés : « La muger ser murmurante e detractora, regla general es dello » (chapitre II) ; « Seer la muger tomadora, usurpadora a diestro e a siniestro, poner en ello dubda sería grand pecado » (chapitre III) ; « Envidiosa ser la muger mala dubdar en ello sería pecar en el Espíritu Santo » (chapitre IV) ; « La muger mala en sus fechos e dichos non ser firme nin constante maravilla non es dello » (chapitre V) ; « La muger ser sobervia, común regla es dello » (chapitre VIII). Dans tous les cas, ces formules correspondent à la toute première ligne du chapitre. Le défaut est envisagé comme le propre de la femme. Le type de défaut reste syntaxiquement très proche de la femme afin de souligner le lien étroit établi entre les deux. L’infinitif suggère une dimension intemporelle indiscutable. Le reste de la formule s’applique à rappeler au lecteur qu’il n’existe aucune autre interprétation possible des faits. Le ton se fait même menaçant puisque ne pas partager le point de vue annoncé revient à commettre un péché. Que l’on ne s’y trompe pas, l’auteur ne considère pas devoir démontrer en apportant la preuve de ce qu’il avance. Son objectif relève davantage de la mise en garde contre un danger déjà identifié et connu de tous. La distance qu’il établit par rapport à la femme transforme même le narrateur en juge. Il se prononce sur un comportement qu’il rejette et qu’il méprise. Cette distance est indispensable à la caricature. L’auteur, par le biais du traitement caricatural qu’il lui réserve, juge la femme sans le moindre ménagement et la condamne sans nuance. Ainsi, « la caricature démasque et dégrade les êtres qu’elle déforme ; elle rappelle les punitions par contumace, exécutées publiquement en effigie » (Kaenel 2001 : 82). La conclusion des chapitres reprend presque mot pour mot la première ligne du chapitre. Ce procédé dote le texte d’une structure circulaire qui suggère l’enfermement. La femme est telle que l’auteur nous la présente et il est impossible de porter sur elle un regard autre : « Estas y otras maneras de fablar tienen las mugeres; de las otras murmurar, detraer e mal fablar, e quexarse de sí mesmas, que fazer otra cosa imposible les sería » (chapitre II, p. 156) ; « Por donde se concluye que la muger a diestro e a siniestro tomar para que ella tenga [...] general regla es dello » (chapitre III, p. 160) ; « Pues concluir podemos que por estas cosas e otras que las mugeres dizen, fablan e detractan, que solo envidia es la promovedora dello » (chapitre IV, p. 167) ; « Así que, en conclusión, en dar, prometer e en las otras cosas, como dicho es, la muger no es dubda ser toda variable » (chapitre V, p. 170) ; « Por ende se concluye por lo susodicho de grand sobervia seer la muger doctada » (chapitre VIII, p. 183).

Rien n’est donc à démontrer puisque tout a déjà été dit, et c’est bien parce que tout a été dit qu’il serait illusoire de tout vouloir reproduire dans cette deuxième partie du Corbacho. L’auteur ne manque jamais de le rappeler en précisant qu’il pourrait multiplier les exemples en la matière : « non puede ser dellas escripto nin dicho la meitad que dezir o escrevir se podría por el hombre » (Martínez de Toledo 1998 : 145) ; « Destos enxiemplos mil millares se podrían escrevir » (Martínez de Toledo 1998 : 179) ; « Contarte he un enxiemplo, e mill te contaría » (Martínez de Toledo 1998 : 188).

L’intégration de phrases proverbiales apporte une caution supplémentaire qui s’inscrit pleinement dans la logique globalisante adoptée par le courant misogyne. Le proverbe constitue une forme d’autorité qui ne renvoie pas à un prédécesseur prestigieux ayant traité la question, mais à l’ensemble de la communauté. Ces formules issues de la sagesse populaire apportent à l’exposé le poids d’une tradition admise par tous. Chaque situation de la vie génère une série de proverbes adaptée. Or, les situations étant diverses et parfois contradictoires, certaines de ces phrases proverbiales se contredisent également : « Oveja que bala, bocado que pierde » // « El que no llora no mama ». Ce n’est donc pas le contenu qui fait la force du proverbe, mais bien plutôt sa facture basée sur le parallélisme syntaxique, les jeux d’opposition, l’équilibre rythmique, les sonorités : « dar coçes contra el aguijón es poca discreçión » (Martínez de Toledo 1998 : 165). Le commentaire du narrateur se laisse parfois contaminer par ce type de formulation. À la fin du chapitre XII, le narrateur recommande de se tenir à l’écart de la femme et conclut que l’homme capable de suivre ce conseil n’en vivra que moins dangereusement : « bivirá más seguro ; desto yo le aseguro » (Martínez de Toledo 1998 : 196).

La principale spécificité de l’écriture caricaturale de Martínez de Toledo réside dans la combinaison qu’il établit régulièrement entre le procédé d’accumulation et le principe de la généralisation. L’accumulation de vices et de défauts prétend offrir un bilan permettant de faire le tour de la question. Plus les détails s’enchaînent, plus le portrait de la femme qui se dégage du texte se dote de la prétention d’être applicable à l’ensemble des femmes. Nous constaterons également, dans le fragment cité ci-dessous, que le principe de l’accumulation est parfaitement compatible avec le recours à l’opposition, autre procédé caractéristique de la caricature : « mugeres » / « hombre » ; « dezir » / « escrevir » ; « pecado » / « virtud » ; « grande » / « estado pequeño » :

Por quanto las mugeres que malas son, viçiosas e desonestas o enfamadas, non puede ser dellas escripto nin dicho la meitad que dezir o escrevir se podría por el hombre, e por quanto la verdad dezir non es pecado, mas virtud, por ende, digo primeramente que las mugeres comúnmente por la mayor parte de avariçia son doctadas; e por esta razón de avariçia muchas de las tales infinitos e diversos males cometen: que si dineros, joyas preçiosas e otros arreos intervengan o dados les sean, es dubda que a la más fuerte non derruequen e toda maldad espera que cometrá la avariçiosa muger con defrenado apetito de aver, así grande como de estado pequeño. (Martínez de Toledo 1998 : 145-146)

Ce même procédé est appliqué dans les passages élaborés au discours direct. Le narrateur cède fréquemment la parole à la femme et cette démarche présente un double intérêt. Le lecteur a le sentiment de pouvoir accéder à un témoignage rapporté qui étaie le contenu du chapitre et découvre, parallèlement, une plus grande variété d’écriture qui le stimule dans la poursuite de la lecture de l’ensemble. Or, ces passages au discours direct sont élaborés selon le principe de l’accumulation globalisante. Le narrateur envisage tout ce que peuvent formuler les femmes dans une situation donnée. La juxtaposition des différentes variantes permet de déboucher sur un discours type attribuable à la femme en général :

Dice la fija a la madre, la muger al marido, la hermana a su hermano, la prima a su primo, la amiga a su amigo: « ¡Ay, cómo estó enojada! Duéleme la cabeça; siéntome de todo el cuerpo; el estómago tengo destemprado estando entre estas paredes. Quiero ir a Los Perdones; quiero ir a Sant Francisco; quiero ir a misa a Santo Domingo; representación fazen de la Pasión al Carmen; vamos a ver el monasterio de Sant Agustín, ¡O qué fermoso monasterio! Pues pasemos por la Trenidad a ver el casco de Sant Blas; vamos a Santa María, veamos cómo se pasean aquellos gordos, ricos e bien vestidos abades; vamos a Santa María de la Merced, oiremos el sermón. » Todos estos caminos e otros semejantes, segund sus tierras, mueven a fin de ser vistas e miradas. E, lo peor, que algunas non tienen arreos con que salgan, nin mugeres nin moças con que vayan, e dizen: « Marica, veme a casa de mi prima que me preste su saya de grana. Juanilla, veme a casa de mi hermana que me preste su aljuba, la verde, la de florentín. Inesica, veme a casa de mi comadre que me preste su crespina e aun el almanaca. Canalinilla, ve a casa de mi vezina que me preste su çinta e sus arracadas de oro. Francisquilla, ve a casa de mi señora la de Fulano, que me preste sus paternostres de oro. Teresuela, ve en un punto a mi sobrina que me preste su pordemás, el de martas forrado. Menciyuela, corre en un salto a los alatares o a los mercaderes; tráeme solimad e dos onçillas de çinamomo, o clavo de girofre para levar en la boca. » Estas cosas e otras demandan prestadas, segund más e menos, la que lo non tiene, e segund es su estado, unas de más, otras de menos. (Martínez de Toledo 1998 : 184-185)

Conclusion

Que l’auteur fasse le choix d’admirer ou de critiquer la femme, son choix est systématiquement guidé par la fascination que cette dernière ne manque pas d’exercer. La fonction vitale de la femme fascine et impressionne par-dessus tout. Sa capacité à donner la vie et à séduire engendre par la même occasion une grande crainte. Cette fascination stimule les auteurs mais les prive de leur capacité à nuancer leurs propos. L’influence de la Bible, qui plaçait face à face et dans un rapport d’opposition la Vierge et Ève, a largement orienté cette vision binaire. La littérature aura tendance à se positionner par rapport à ces extrêmes. La Vierge est adulée, la femme de l’amour courtois est vénérée. À l’inverse, les auteurs antiféministes ne voient dans la femme qu’une source de péchés et de tentation. Or, les extrêmes conduisent au franchissement des limites et ce franchissement implique, par réaction, des renversements radicaux. La femme magnifiée et divinisée de l’amour courtois finit par prendre des allures bien peu orthodoxes. Ce sont précisément ces excès qui vont favoriser le développement d’un courant misogyne dans lequel s’inscrit Martínez de Toledo. Si ce courant se développe avec force en réaction au culte de l’amour dans la littérature courtoise, ses arguments ne constituent aucunement un apport nouveau. Les exemples et arguments se perdent dans le temps et sont parfois véhiculés par la tradition de la parémiologie, preuve que cette vision de la femme est fortement ancrée dans les mentalités. En bouleversant le principe de la démonstration, c’est-à-dire en annonçant en guise de préambule ce qui devrait constituer la conclusion de l’exposé, Martínez de Toledo suggère que la démonstration n’est plus à faire. Cette vision caricaturale de la femme faible, pécheresse, trop bavarde, hypocrite et dangereuse est une chose établie. Son objectif est de mettre en garde les jeunes imprudents, mais il ne prétend pas apporter d’arguments nouveaux. Les clichés s’accumulent, les exempla également. L’aspect le plus caricatural de l’écriture de notre auteur reste sa volonté globalisante. Un grand nombre de variantes sont exposées à la suite afin de déboucher sur un comportement ou sur un discours féminin type applicable non pas à une femme en particulier, mais à la femme en général. Certains textes médiévaux peuvent parfaitement dénoncer la cupidité de tel ou tel personnage masculin. Les critiques formulées s’appliqueront alors au personnage en question. La démarche est très différente lorsqu’il s’agit de dénoncer les défauts de la femme. Le vice existe à l’état latent chez la femme car ses défauts découlent de sa nature féminine. Les défauts de l’une sont donc applicables à toutes. Comme le souligne Mireille Dottin-Orsini : « Il y a des hommes, tous différents, et face à eux, ce type unique, cette synthèse, la Femme. En analyser une suffit pour connaître le groupe, et toutes les nuances physiques, psychologiques, sociales ne sont qu’illusion d’optique » (Dottin-Orsini 1993 : 29). En signalant des anomalies explicites liées au comportement féminin, Martínez de Toledo avance implicitement que la norme est nécessairement masculine. En effet, la caricature implique un sentiment de supériorité de la part de celui qui la pratique. « La caricature […] n’a de cesse de déformer, d’enlaidir l’Autre pour mieux le rejeter et retourner ses caractéristiques négatives en faire-valoir de soi […] » (Diez 2001 : 164). Le traitement caricatural de la femme est ainsi placé au service de la transmission d’une norme que l’auteur souhaite consolider avec la plus grande efficacité. Dans une telle logique et dans un tel projet, la femme fait définitivement figure d’anomalie.

Bibliographie

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Référence électronique

Gilles Del Vecchio, « La vision de la femme dans le Corbacho d’Alfonso Martínez de Toledo », Textes et contextes [En ligne], 3 | 2009, publié le 01 juin 2009 et consulté le 22 novembre 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=163

Auteur

Gilles Del Vecchio

CELEC, Centre d’Etude sur les Littératures Etrangères et Comparées (EA 3069), Université Jean Monnet, Saint-Étienne / Faculté Arts Lettres Langues, 33 rue du 11 Novembre 42023 Saint-Étienne

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