Introduction
A l’image de la période humaniste, qui opère un tournant des sociétés face à la conservation de la mémoire collective en généralisant la trace écrite, la dernière décennie du XXème siècle illustre la montée en puissance de l’information numérique, dépassant ainsi par sa quantité volumétrique l’information papier.
Les moyens et techniques de consommation contemporains offrent aux humains, bénéficiant de revenus suffisants, un nouveau confort de vie relationnel. Le réseau Internet et l’informatique revendiquent leur intégration dans la catégorie des biens essentiels1. Plus vite, plus loin et plus démocratiquement procédural, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) ont désorganisé les procédures de mise en contact interpersonnelles ; les utilisateurs de ces outils technologiques ont saisi rapidement les avantages d’un système en cours de réorganisation et de sécurisation, une contrainte en image de soi et en temps. D’une lettre officielle, affichant d’éventuelles faiblesses comportementales, il est aujourd’hui admis jusque dans les sphères diplomatiques, l’utilisation pragmatique d’un courrier électronique. D’une participation physique à un mouvement de contestation ou de revendication idéologique, les groupes de pression ont répandu l’usage individuel et institutionnel des pages dites personnelles sur l’Internet2.
Le monde entier est virtuellement à la portée de chaque femme et homme, par le truchement de l’outil Internet. Pour subvenir à la pratique encore exponentielle de l’outil informatique, la communauté scientifique et les services d’archives de toute échelle, réunissent leurs forces pour conserver les données pensées, essentielles à une future compréhension de notre monde. Il ne faut cependant pas omettre que dans une phase encore considérée comme expérimentale et innovante, l’investissement humain et financier en la matière, présente un coût considérable que nul n’est censé ignorer.
Au sein de cette ère nucléaire, une problématique alarmante et simpliste pourrait scléroser toutes les prétentions. En effet, il s’agit de se demander quels seraient les éléments résiduels de notre patrimoine, conservés sous la forme électronique, après le passage d’une onde électromagnétique ?
Dans une optique plus réaliste et moins éphémère, cette étude vise plus particulièrement à recentrer les grands efforts entrepris dans la conservation des archives numériques afin d’éviter toute concurrence inconsciente en la matière. Les acteurs locaux, régionaux, français et européens ont bien évidemment procédé à une planification des besoins et des manques dans le domaine.
Les sphères publiques et privées mettent à plat leurs objectifs, dans un souci encore fébrile de transfert de compétences, ceci en raison du fait que le résultat n’est pas encore trop souvent perçu comme étant « gagnant - gagnant ».
Les nouvelles contraintes posées, notamment en ce qui concerne la notion d’archive, de durabilité, de conservation, de stockage ou même de surabondance de données, au regard de la pratique et du législateur face aux libertés fondamentales, nous tenterons d’observer les cadres et méthodes lancés par les bibliothèques, les institutions, les centres d’archives et les laboratoires de recherche. Il convient de noter que ces programmes sont inscrits généralement dans une optique de transparence, de communication ou de gestion. Enfin, nous aborderons les problèmes liés aux supports, à la pratique, aux plans logiciels et aux transferts de compétences. Impliquant une problématique de coût, d’indépendance, d’interdisciplinarité, de pluridisciplinarité, de vulgarisation et d’extrapolation de compétences face au regard inquisiteur de la société, nous pourrons conclure à un risque réel de pertes d’archives, dont le processus est déjà amorcé.
I. Vers un tout numérique : mémoire virtuelle légitimée
De nouvelles définitions
Avant l’An 2000, date d’entrée de l’électronique dans le droit français, l’écrit n’existe que sous sa forme « papier », en référence à l’Edit3 de François Ier de 1539. Le principe de « la copie fidèle et durable », apparaît en 1980 avec la prise en compte de la photocopie ou encore de la télécopie. L’adaptation du droit de la preuve aux TIC est appliquée en mars 20004. La loi du 21 mai 20045, accorde enfin une réelle confiance dans l’économie numérique.
Il semble nécessaire tout autant que pertinent de rappeler que le terme Anglo-saxon d’ « archive » vise ce qui en France est considéré comme étant des archives définitives ; l’usage rapporte aux archives visées à une destruction dans le temps, le terme de records. Cette prise en compte des perceptions linguistiques, tend à préférer le terme « d’archive numérique » à celui « d’archive électronique » ; basé sur une constatation que ces informations sont codées6 en « zéro » et « un ». Les conventions populaires établies sur ce type de données illustrent le côté éphémère des terminologies.
Selon la loi n° 79-18 du Code du Patrimoine, « les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçues par toute personne physique ou morale, et par tout service public ou privé dans l’exercice de leur activité. La conservation de ces documents est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche »7. Le terme « archivage » recouvre ainsi le procédé dynamique qui permet de mettre en œuvre la conservation d’éléments matériels. En revanche, le terme de « stockage » renvoi à l’idée d’un état statique des éléments conservés8. La notion de durabilité dans l’archivistique, illustre le temps d’utilisation d’un bien sans oublier la lisibilité de ce document9 mais également son exploitabilité. En effet, exploiter un document se définit par rapport à son intelligibilité, sa lisibilité, c’est pourquoi, il ne faut pas prétexter le rejet d’un document temporairement illisible, simplement parce qu’il est crypté. Ainsi en est-il lorsque le service est en manque de la clé cryptographique nécessaire à sa lecture.
L’Union européenne intègre dans sa définition de l’archive, le principe que ces documents représentent une partie significative du patrimoine culturel d’importance européenne10 ; visant ainsi les institutions à opérer la transparence face au public. L’exploitation des archives, contribue donc à l’amélioration de la connaissance de la culture et de l’histoire des peuples européens. Les propos pouvant passer pour de bonnes intentions sans volonté agissante, a été mesurée par David Nelken11 : « Ce que nous connaissons des autres cultures juridiques, au-delà des modèles scolastiques identifiés par le droit comparé, est encore une affaire de chance : il y a, par exemple, plus de littérature et de débats en langue Anglaise sur la culture juridique japonaise, que sur nos voisins de l’Union européenne comme la France, l’Allemagne ou encore l’Italie ». Cette complication nécessitant d’enquêter sur les processus d’influence mutuelle, s’étend à d’autres domaines que le droit.
En effet, les acteurs constatent que les documents créés numériquement n’ont plus d’équivalents papier. C’est pourquoi, de nouveaux documents entrent en concurrence avec les traditionnels fac-similés scannés. Preuve en est, la loi du 13 mars 200012, qui instaure une coexistence, voire même, le règlement des conditions de démantèlement de documents papiers13.
Les attributs d’ordre patrimonial en France
Dans le droit français, les archives sont considérées comme des biens meubles. Afin d’intégrer au mieux la documentation numérisée ou crée électroniquement, le législateur a rattaché des protections complémentaires.
- la protection des logiciels. Le logiciel est ici vu comme une œuvre de l’esprit dans la loi de 1985.
- la protection des bases de données14.
L’objectif étant de protéger le producteur de base de données en tant que recueil d’œuvres mais également la mise en ligne de documents provenant de groupements pouvant intéresser la recherche scientifique15. Cependant, comment régler alors l’accessibilité autrement qu’en définissant ce que le producteur peut interdire et ce qu’il ne peut interdire16.
Or, les critères permettant de résoudre ce dilemme revêtent des imprécisions. C’est pourquoi, la protection de la propriété intellectuelle, en concurrence avec la mise en ligne de données s’avère délicate. En d’autres termes, comment vérifier l’acquisition ou l’aliénation illicite ?
Afin d’éviter une monopolisation du patrimoine mondial par certains réseaux privés17, l’Union européenne a adopté un compromis entre les auteurs et les consommateurs du réseau Internet. Le système est applicable dès la fin 2002 par les Etats Membres. En effet, le système permet notamment l’autorisation de copies privées, définissant le réseau Internet comme une interface monde, défiant les principes classiques de la protection de données. L’Internet est évincé du domaine privé. La directive communautaire du 25.10.98 abolit la distinction entre fichiers publics et privés. Or, pour protéger son administration et éviter une atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données, le Nouveau Code Pénal français a instauré des clauses dans le cadre de la sûreté nationale ; jouer sur la conscience des tenants et des aboutissants18.
En l’absence d’une législation mondiale en ce qui concerne le réseau Internet, aucune limitation de la liberté d’expression en ligne n’est prévue. De plus, depuis 1997, en permettant à des tiers connectés au réseau de visiter ses pages, le fournisseur d’accès favorise l’utilisation collective de sa reproduction.
Avant toute interprétation documentaire, il convient d’évaluer la portée inconsciente du message en temps et en espace. Un auteur ne peut pas avoir complètement conscience de la portée des outils permettant d’accéder au contenu de son message. Afin de réprimer l’auteur, c’est à dire, d’éviter tout amalgame mais également sa responsabilité, le droit français, depuis 2001, a étendu à l’Internet le délai de prescription des infractions en matière de presse, valable dès le jour du premier acte de publication.
Pour authentifier l’originalité et la validité d’un acte ou d’un document sous forme numérique, le domaine informatique s’est doté du procédé sécurisé de la signature électronique.
En ce qui concerne la signature électronique, vise-t-elle à faciliter les procédures ? A cet égard, les juristes avertis, se sont interrogés sur la validité du processus, notamment en ce qui concerne la garantie de la preuve face à la création d’un faux. Par ailleurs, la question s’est posée également de savoir si le signataire a réellement donné son consentement et pris conscience des différents éléments notifiés par le support informatique ?
L’application juridique de ces nouveaux éléments au niveau des bibliothèques a restructuré les besoins de conservation des ouvrages notamment dans le cadre du dépôt légal. D’une part, avant la codification des textes législatifs, la conservation à long terme prévoyait quatre exemplaires dont deux destinés aux échanges.
D’autre part, la nécessaire évolution issue de la prise en compte du numérique a demandé une harmonisation du traitement des documents selon leur type. Enfin, il a été instauré un contrôle croisé des stocks et des demandes, notamment dans le cadre des attributions à visée patrimoniale19.
Dès lors, deux exemplaires suffisent : un dans une bibliothèque du réseau et un à la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
La réforme du dépôt légal permet la livraison de fichiers numériques se substituant à la livraison papier ; un avantage pour les affiches de grands formats ou encore la presse quotidienne à éditions multiples.
II. De la volonté de relier la somme des connaissances
Distinction d’un contenu et d’un contenant
Les archives numériques présentent des éléments de convergence avec les archives classiques. L’aspect éphémère du contenant n’est pas exclusif. Il convient néanmoins d’inclure de nouvelles métadonnées comme par exemple la provenance du document et l’histoire technique de la publication. Ceci permet notamment en cas de détérioration du document, de reconstituer une mise en forme fidèle sinon de restaurer le maximum d’information. Les données électroniques révèlent une intervention plausible sur le contenu20. Il convient cependant de ne pas omettre la gestion des droits d’accès, à inclure dans un fichier joint au document à destination du public. Les systèmes informatisés de gestion, intégrés aux bibliothèques offrent d’une part une vision et d’autre part une maîtrise des acquisitions, du catalogue, du système de recherche d’information ou encore du prêt aux usagers.
Comme l’indiquait déjà Maria Pia RINALDI MARIANI21, la communauté européenne a organisé une impulsion permettant une action concertée pour la gestion et l’archivage de données électroniques22, non seulement pour garantir la sauvegarde des données23, mais également leur disponibilité tout comme leurs conditions d’accès. L’obsolescence technologique pousse à réfléchir sur les documents dans la totalité des phases de leur vie, depuis les normes d’archivage et de stockage, jusqu’aux nouveaux et futurs supports de stockage à prévoir.
L’initiative de l’Europe électronique24 est en grande partie un succès. Nombreux sont les avantages, tels que l’augmentation de la concurrence au sein des fournisseurs d’accès au réseau Internet, offrant à la fois la Toile dans les écoles, le haut débit à destination des étudiants et de la Recherche, une croissance du commerce électronique et une mise à disposition des administrations en ligne25.
La France a déjà entamé une mise en réseau des différentes bibliothèques du territoire. Une des missions fondamentales de la BNF est de recenser les complémentarités des différentes collections susceptibles d’intéresser la recherche. 2.4 Millions de notices des fonds anciens des bibliothèques sont à disposition sur la toile ; pour un fond global estimé à 7 Millions dans l’avenir. L’informatisation des catalogues des manuscrits des bibliothèques publiques de France serait disponible dès 2006. L’outil majeur de cette mise en réseau développé depuis 1997, est la bibliothèque numérique GALLICA. Elle comprend 70000 volumes imprimés en mode image, 1200 volumes en modes texte, 70000 images fixes et 500 documents sonores. La BNF lance également un plan de numérisation massive de la presse, consultable sur GALLICA. Aux termes de la charte documentaire de cette bibliothèque numérique, trois domaines sont bien couverts : l’histoire, la littérature et les sciences. Le Ministère de la Culture gère la base répertoriant les projets en cours. En ce qui concerne la Direction du Livre et de la Lecture, elle souhaite rendre plus de visibilité aux projets intéressants le patrimoine écrit, afin d’esquisser un rapprochement avec les projets de la sous direction des bibliothèques du Ministère de l’Education Nationale. Deux axes de coopération sont esquissés. D’une part, le regroupement virtuel des corpus complémentaires26 et d’autre part, la coopération documentaire entre la BNF et des équipes de spécialistes pour permettre un accès plus fin aux documents27.
Pour participer à ce chantier de mise en commun des sources, chaque chercheur et laboratoire peut répertorier ses volumes comme suit28 :
Ce système de recensement est à rapprocher de la grille d’évaluation des documents utilisée dans les centres d’archives départementales29. Cependant, cette pratique demande une réflexion en amont qui n’est pas, à ce jour, réalisée dans tout l’hexagone. En effet, si les bordereaux de versement apparaissent en version électronique, facilitant un standard procédural, ils ne sont pas tous établis au niveau des créateurs du document. Ainsi, afin de retrouver la trace des archives, il convient de se plier à la logique du producteur.
Pour les publications numériques natives acquises ou déposées, les bibliothèques subissent les standards du marché. Les publications sont des applications informatiques plus ou moins propriétaires.
Les axes de travail au niveau européen
Le rapport du groupe d’experts sur les problèmes en matière d’archives réuni à Luxembourg en 1994, soulignait la nécessité d’action concerté pour la gestion et l’archivage de documents électroniques afin d’obtenir une conservation définitive des archives. Cette notion implique non seulement la garantie de sauvegarde des DLM, mais surtout la garantie de leur disponibilité.
En décembre 1996, un forum multidisciplinaire fut organisé à Bruxelles dans le but de réfléchir sur les différentes phases de vie des documents électroniques dont : les normes, standards pour l’échange ou encore les nouveaux supports pour le stockage.
Depuis 1999, l’Union européenne a décidé de réaliser, un modèle de référence pour la gestion des documents électroniques, ainsi qu’un programme de formation au niveau européen de la gestion des données électroniques : E-TERM30.
Afin de créer un système de référence au niveau de l’Europe, il convient de souligner que, depuis les débuts de la construction européenne l’exemple américain est incontournable. Les organes communautaires31, comme la Commission européenne32, se sont inspirés des critères standard pour le management des applications logicielles concernant les documents numériques établis, comme le rappelle John P. STENBIT33, à Washington D.C.34. Ce standard est autorisé à l’utilisation publique35. A cet effet, un guide de procédure sur la gestion des archives numériques fut publié en mars 2000. Il permet d’abord de définir les bases fonctionnelles du Record Management Application (RMA). Ensuite, il définit les interfaces système requises et les critères de recherche supportés par les RMA ; la description des précautions minimales nécessaires, basées sur les règles du National Archives & Records Administration (NARA).
Ainsi, nous pouvons citer un exemple de mise en commun de données informatiques, dans l’interconnexion des casiers judiciaires européens. La volonté des Ministres français, allemand, espagnol et belge de la Justice, consiste à faciliter l’accès aux antécédents pénaux des ressortissants. Le projet institutionnel reste cependant une initiative volontaire et limitée aux quatre pays concernés.
Des projets ambitieux qu’il reste à appliquer
Les témoignages des centres d’archives illustrent que pour leurs financeurs, les archives numériques sont un outil de communication. L’institution affiche sa modernité, et dans un soucis pratique, la copie numérique est un marchepieds avant d’accéder à l’archive originale. Dans l’hypothèse où le document est perdu ou supprimé, le service propose alors une copie sur microfilm, et non l’original. L’archive numérique est dans ce cas, considérée comme étant un tampon de conservation. Cependant, se pose un problème pratique : un simple rayon dans une salle de stockage d’archives, peut aisément représenter 30 km de documents, soit 4 tétra octets de données à numériser.
En 2001, le service des archives du Conseil de l’Europe (CdE) rapporte que fréquemment de nombreux documents et archives courantes, sont accessibles dans les services avant leur transfert au service d’archive36. Il convient alors de renforcer la politique européenne sur l’accès aux archives. C’est pourquoi, une réforme de classification a été décidée, puisque la distinction entre les documents officiels, internes ou les documents administratifs, demeure obsolète. Ainsi, tous les documents vont tendre à devenir des documents officiels. La Recommandation propose une nouvelle définition du « document officiel »37 : « Toute information enregistrée quelque soit sa forme, envoyée ou reçue et conservé par les autorités publiques et reliées à n’importe quelle fonction administrative ou publique, à l’exception des documents en préparation. ».
Depuis lors, la Suède comptabilise les « courriers électroniques officiels » en tant que documents officiels.
Par ailleurs, le CdE a pu constater qu’un original électronique n’est pas instinctivement conservé. En effet, le service d’archive observe passivement la destruction de l’archive, puisque dès qu’une copie est imprimée, le producteur de l’archive croit alors que la copie est l’original. Afin d’enrayer ce processus de destruction, les services du CdE sont sensibilisés avec notamment l’instauration d’un « correspondant archives ». L’institution doit plus particulièrement respecter les règles de protection de l’environnement et les imputations budgétaires liées au coût du papier. En effet, pour envisager une sauvegarde stable du papier imprimé, il faut en outre le désacidifier. Cependant, certains estiment de « bonne foi », qu’archiver, c’est éliminer. Pour mettre un terme à ces déviances, la capacité de stockage des logiciels de gestion des messages électroniques a été améliorée. En effet, celle-ci est passée de 50Mb à 250Mb avec en outre une adjonction de dossiers communs (public folders) à tous les employés. Mais cette pratique oblige à devoir faire le « ménage » dans les ordinateurs. C’est la raison pour laquelle, deux voies de recours s’offrent au service d’archive : la migration ou l’émulation des données. La première initiative a été de mettre à disposition sur le réseau, un tableau de gestion pour maîtriser le volume de documents d’un service, puis d’inciter ces derniers à la sauvegarde des messages électroniques sur CdRom.
Pour établir les évolutions futures, les services d’archives ont mis en place une grille de recensement des différentes applications utilisées au sein de leur organisation. A cet effet, les besoins propriétaires ont été définis : le format des documents ; le logiciel de création des documents ; le système d’exploitation du logiciel ; le support de conservation ou encore le support de lecture. L’administration française, comme par exemple, au sein des services de la Ville de Paris38, au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), pour chaque Direction et ambassade ont adopté cette gestion. Cependant, il convient de souligner que le MAE a développé en interne, une base de données pour la gestion des archives courantes : ARCHIBAL39. Or, il faut en outre relever, pour une réflexion basée sur le long terme, que cette base de donnée peut engendrer une difficulté de conservation liée à son autonome efficacité. En effet, ARCHIBAL peut éliminer de la base de donnée ; les documents ayant atteint une date de péremption électronique. Si cette option est en général appréciable, nous sommes tout de même confrontés à une sélection instinctive des archives par la machine. En ce qui concerne le Ministère des Affaires Sociales, travaillant de concert avec le Centre d’Etudes Contemporaines, les bases de données sont sauvegardées sur des Cd Roms, avant de les migrer vers des cassettes DLT (format «.txt»). Pour assurer la conservation des sites Internet ministériels, le service des archives du MAS fut sollicité. Son intervention est annuelle ou lors d’un changement du gouvernement.
Pour Louis Faivre d’ARCIER40, un archivage pérenne n’est possible qu’en évitant les documents de type Word ou Excel sur les sites Internet, car leurs formats sont « propriétaires » ; il faudrait privilégier en contre partie le « format ouvert » comme par exemple le format « pdf ».
Il convient de garder en mémoire que, l’accès aux documents numériques s’opère grâce à une chaîne d’éléments matériels et logiciels. La garantie optimale de l’accessibilité d’un document semble être la description de la syntaxe de son format. Ceci permet à un programmeur d’écrire un logiciel interprétant ce format. Cette option n’est envisageable que si les industriels autorisent l’accès au format, d’une part, et si d’autre part, les générations futures continuent d’utiliser un format d’écriture binaire composé de «zéro» et de «un». A ce jour, seules les plate-formes UNIX permettent une identification automatique des formats. S’il existe des listes de formats complets, le problème réside dans la mise à jour des bases de données41.
Ainsi semble-t-il qu’il n'existe aucune garantie que l’information sera toujours disponible dans le futur.
En effet, la question est de déterminer ce qu’il faut choisir, lire voire conserver ? Pertinences et reflets des réalités contemporaines, il faut désormais prendre en compte la sauvegarde des sites Internet, dont la particularité est d’être re-modelable en cas de censure ou de poursuites judiciaires.
Pour illustrer ce propos, deux exemples de sauvegarde de sites Internet peuvent être cités. D’une part, le projet Occasio42, programme Néerlandais réalisé par l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam, en coopération avec la Fondation Antenna, permettant de sauvegarder des documents dont le risque de disparition est grand, comme les pages personnelles, et rendre ces archives accessibles aux chercheurs grâce au réseau Internet ; soit l’information est conservée en l’état, soit elle est mise à plat en format « .txt ». En outre, il reste possible de déposer une requête de sauvegarde.
D’autre part, dans le cadre de l’Internet Archive43 depuis 1996, un système de sauvegarde automatique de la majorité des sites Internet de la planète, offre la possibilité de retrouver en l’état, une page du Web et son contenu, quelque soit le thème, la langue et le format utilisé par ses auteurs. Le principe est étonnant, bien que l’on puisse aisément déceler des failles de sauvegarde, notamment en ce qui concerne les sites dits « homonymes ». Le concept de cet « aspirateur de sites Web » fut instauré lors du lancement de la nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie44, financée en partie par l’Organisation des Nations Unies45.
Ces exemples illustrent les multiples initiatives, et leur importance au regard des principes de mise en commun des connaissances. Néanmoins, un phénomène de concurrence entre les lieux de conservation s’est instauré et la majorité des professionnels de l’archivage estiment leurs initiatives dispersées. La Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires et d’Institutions a recensée lors de son dernier congrès46 : 90.000 bibliothèques au sein de l’Union européenne sur un total de 250.000 bibliothèques réparties dans le monde.
III Du désir d’interconnexion à la résistance individualiste
Les accessoires d’une rectification comportementale
Le XXème siècle est la pierre angulaire des civilisations. En effet, celui-ci est propice à la recherche de la compréhension de soi à travers les autres. La Révolution individualiste des années 1960-1970 a permis la mise à disposition d’outils nécessaires à la « maîtrise » de son temps. Face à la compréhension du passé et aux projections du futur, les populations conservent une dépendance sur le présent ; conscience du temps qui s’écoule, mais pas de l’instant présent47.
Les utilisateurs d’archives sont conscients que les dossiers sont souvent emplis de correspondances. Certes, les lettres sont généralement protocolaires, répétitives, mais révèlent les causes et les conséquences d’action ou de non action, liées en outre à des justifications : doutes, intérêts supérieurs, oublis, raisons financières, impératifs hiérarchiques… Or une interrogation demeure, en ce qui concerne les courriers électroniques que les chercheurs désireront analyser dans trente ans ? Avec le principe de la correspondance électronique, la connexion avec l’interlocuteur est quasi immédiate. La disponibilité semble plus ouverte avec les autres personnes, allant même jusqu’à créer un bouleversement de la hiérarchie pyramidale. En outre, la rétention d’information est moins évidente pour la hiérarchie intermédiaire et même les secrétariats. Or, la réorganisation des services pose un problème concret ; où les services de ressources humaines doivent-ils travailler avec les services informatiques afin de transférer l’adressage des courriers, d’éviter une surabondance, de jongler entre des serveurs, et enfin de rapatrier les courriers via des logiciels « image » de l’adresse électronique personnelle vers l’adresse.
La pratique quotidienne de gestion des courriers électroniques, s’oriente vers l’autodestruction des données afin d’éviter toute saturation de stockage.
Au CdE, le service d’archive constate l’expansion du nombre d’intervenants dans la sauvegarde et la sélection des données. En effet, pour sensibiliser le personnel sur le comportement à adopter, ce service est épaulé par le service des ressources humaines. Il s’avère que les services producteurs d’archives sensibles préfèrent conserver ces documents avec eux, plutôt que de les confier aux services d’archives. Par ailleurs, les employés ne sont pas tous avertis que les services d’archives sont garants des documents en leur possession. Nous pouvons constater également que l’initiative d’information ne suffit pas. Les archivistes du CdE savent qu’un élément leur manque pour dépasser le stade de la sensibilisation ; une instruction officielle du Secrétaire Général. Il semble donc primordial qu’une coopération intersectorielle soit mise en place entre tous les acteurs de la création de documents. Dès lors, les archivistes ont décidé de réaliser un manuel de bonne conduite face aux archives et de pratique du classement48. Cette initiative a été saluée par les services d’archives européens lors de leur rencontre à Prague, en particulier par les membres du Parlement européen. Il reste toutefois à régler le problème du turn over dans les services, car les nombreux stagiaires et nouveaux membres du personnel, nécessitent une relance constante de la sensibilisation.
Le transfert de compétences entre les sphères publiques et privées
Ne serait-ce que technologiquement et financièrement, les gouvernements ont bien conscience du rôle des entreprises privées. La difficulté majeure réside bien souvent à faire confiance à ces entités autonomes. Cependant, il existe un rapport de concurrence entre les collectivités et l’industrie tertiaire face à la rentabilité de l’offre de services. L’enquête auprès des services d’archives départementales, a mis en évidence que des archives peuvent disparaître afin de gagner du temps ou de la place. Tel est le cas de la numérisation de plans de cadastres, où la pratique révèle qu’un nouveau plan sauvegardé, écrase les précédentes versions. Logique qui dépasse les archivistes, mais qu’ils doivent respecter, tant qu’une directive hiérarchique ne modifie pas le processus.
Pour pallier à ces pratiques, les services publics ont fait appel à des sociétés privées pour sous-traiter la tâche de numérisation.
Jusque dans les récentes années, les documents étaient donc archivés en interne. Le service doit respecter les protocoles techniques garantissant l’identification et l’intégrité des données, pour ne pas rejeter la valeur de certification juridique exposée précédemment. L’archivage est sécurisé au sein même de l’institution, mais les versions peuvent être dérivées ou rectifiées de leur original, sous le contrôle de l’utilisateur. La modification d’un original est facilitée au niveau procédural.
De manière croissante, il est fait appel à l’archivage en externe, nécessitant l’intervention d’un tiers dans la gestion technique des archives numériques. Notamment depuis la mise en place du protocole ASP (Application Service Providing). S’il est vrai que les entreprises proposaient déjà leurs services pour le scannage et l’indexation de documents, celles-ci accordent désormais des services de maintenance de l’équipement, mais également la gestion d’archives électroniques. Cette pratique nécessite des règles particulières, puisque les données ne sont plus sous le contrôle direct de l’administration concernée. Les entreprises ont appliqué les fruits de leur propre expérience : éviter l’espionnage industriel en sécurisant les serveurs, éviter également la fuite d’informations provenant des employés, eux-mêmes, notamment dans le cadre de l’autoformation avec des revendications « diplômantes49 ». Une génération d’utilisateurs du réseau d’Internet s’est servie du flou existant. Aujourd’hui, les sociétés privées proposent une plus ample sécurisation des données. La démarche mise en place par l’entreprise est, premièrement de vérifier que l’émetteur de données est bien un client. Dans le cadre d’une télétransmission, le bon état des éléments est contrôlé. Deuxièmement, l’entreprise accuse la réception des éléments archivables. Troisièmement, l’archivage peut-être complété d’une certification électronique50. Une société spécialisée dans l’archivage ne délivre pas de certificats, elle les utilise et fournit uniquement un service. Pour faciliter les procédures, l’entreprise peut bénéficier à la demande du client, de la présence d’un certificateur ; un tiers horodateur faisant reconnaître l’état d’un message à un moment déterminé.
Le principal risque pour les archives numérisées réside au niveau technique. L’entreprise peut être à la pointe de la technologie. Cependant, il n’empêche que dans le cadre d’une télétransmission, il existe un risque de perte, lié au transfert d’un volume important de données. En outre, il convient d’ajouter que les sociétés informatiques ont acquis une expérience dans la délivrance de « certification ». Semblable à la certification « qualité », un technicien informatique peut ainsi obtenir l’agrément de certification en respectant un canevas pré-établi.
La pratique de certification en intervention technique sur une architecture PC/Mac/Linux ou logicielle, se pratique couramment dans les villes de France, en plaçant les candidats devant un ordinateur pour répondre à des Questions à Choix Multiples sur plusieurs séances. Ainsi, il convient de constater qu’il existe un rapport de confiance avec les entreprises de certification que le quotidien peut altérer. Depuis 2004, les grands groupes prennent du recul avec les institutions, et mettent en réseau leurs propres banques d’archives. La globalisation des services liés à l’Internet permet aujourd’hui de proposer des moteurs de recherche combinant les sources disponibles sur le réseau et les données de l’ordinateur personnel. Une fois généralisée, cette pratique risque d’orienter non seulement les choix de connaissances, mais également les formats d’utilisation et de sauvegarde. L’actualité internationale présente une précarité accrue des choix opérés par les institutions, souvent contraintes à s’associer à l’un des grands groupes informatiques.
Obsolescence des supports de conservations d’archives
La conservation des supports de sauvegarde est en elle-même problématique. En effet, lors de nos premiers travaux au service d’archive du CdE, nous avons pu constater qu’il était nécessaire de consulter des archives vidéos et sonores concernant les pères fondateurs de la construction européenne. Seulement, pour ces documents uniques, le système de lecture était devenu obsolète et le support à bandes, dégradé avec le temps. Le constat était donc que la consultation des archives n’était pas envisageable : une seule et unique lecture était praticable avant l’autodestruction du document. De plus, ce type d’opération nécessite un coût exorbitant pour que le transfert ne soit pas un échec.
Actuellement, le support le plus répandu est le disque laser enregistrable (CD-R). En raison des errements liés à l’encodage, il convient de souligner que les variables risque/coût et les variables risque/temps, rendent le support fragile sur le long terme. Dans quelques années, la manipulation d’archives stockées sur CDR, imposera l’utilisation de gants dans un environnement idoine afin d’éviter le risque de rayure. La possibilité de perte des données est réduite, en conservant une autre copie interdite à la consultation publique. Notons qu’un CDR de type « Gold » permet une stabilité du support évaluée à environ 30 années. Les industriels et les services d’archives sont conscients de la durée de vie des supports. En outre, la durée de récupération d’une information, est variable de trois à cinq années sur un support magnétique comme le DAT ou le DLT. En ce qui concerne les supports optiques, CD ou DVD, il convient d’emblée de tenir compte du couple formé par le graveur (lecteur) et son support ; dépendant également de savoir si le disque est « pressé » (récupération entre 5 et 10 ans) ou « gravé » (récupération entre 20 et 25 ans). Par conséquent, les services concernés doivent inclure cette variable en raison de la fréquence des migrations entre les supports.
L’alternative de stockage est principalement concentrée sur les serveurs de masse. Ce sont généralement deux serveurs reliés en parallèle, mais destinés à la conservation d’archives. Si « physiquement » cette pratique est la plus sûre, les praticiens craignent de ne pouvoir retrouver l’information. Cela oblige à créer des index pour retrouver l’accès à l’information. En outre, la pratique révèle la fragilité des disques dépassant 40 giga octets de capacité de stockage. La fiction, les enquêtes policières et les informaticiens diligents, indiquent que les informations ne sont jamais perdues, même après plusieurs formatages du disque, sous la condition que le disque soit physiquement en état. Cependant, la société de consommation préfère compter sur la prévention ; la multiplication des sauvegardes pour anticiper les défaillances physiques d’outils destinés à être jeté à moyen terme. Il existe des laboratoires informatiques, généralement basés en Angleterre, permettant la récupération de données depuis un disque dur. Ce type d’intervention, en milieu stérile (au minimum 1000 €), est généralement pris en charge par les compagnies d’assurance. Ces laboratoires offrent une garantie de prestation, mais pas de résultats.
Les demandes publiques sont de plus en plus insistantes auprès des entreprises afin de « casser » les codes source, et autres systèmes propriétaires. Confronté à ce phénomène, nous pouvons observer dans le commerce destiné au grand public et aux professionnels, le développement de logiciels permettant de transférer des données en format ouvert « .Pdf » vers le format propriétaire Word.
Conclusion
Au sein d’une société consciente de son environnement et de sa nécessaire préservation.
Eu égard aux problèmes croissants rencontrés dans la maîtrise des langues, les nouvelles technologies semblent être une réponse adéquate aux malaises de notre vie. Chacun désir laisser sa trace, comme modeste contribution au patrimoine de l’humanité. Les humains sont conviés à utiliser de manière croissante leur téléphone portable, mais par essence, cet appareil ne conserve pas encore, les détails des dialogues entrepris. Cela ne s’applique pas seulement à la conversation téléphonique, mais également pour toutes les options annexes. Combien d’utilisateurs sauvegardent leurs messages envoyés ou reçus par l’intermédiaire d’un téléphone portable ? C’est un portail de l’éphémère, un jardin secret où les archives n’ont pas lieu d’exister.
Avec l’idée de mettre en réseau toutes les connaissances acquises sur la planète, la nouvelle arme de dissuasion internationale sera de pouvoir effacer cet ensemble de données en quelques secondes.
La principale difficulté auxquels sont confrontés les archivistes est de ne pouvoir réaliser l’impact des pratiques de gestion des documents dans les administrations. Si une partie de la tâche concerne les services d’archives, le reste doit être partagé avec tous les acteurs.
Au final, nous observons de nouvelles migrations et des pertes induites de données, la modification des comportements et des habitudes, l’obsolescence des standards proposés, le verrouillage des systèmes par voie de licence et l’instauration de nouveaux formats déroutant les projections de sauvegarde. Sans stéréotypes élaborés par les institutions, les hésitations des services d’archives comme celles des utilisateurs vont se cristalliser et freiner, le phénomène entrepris.
Franck DUBOIS
Doctorant - Département d’Histoire -
Centre Georges Chevrier - Institut d’Histoire Contemporaine - UMR CNRS 5605
Université de Bourgogne