La conscience de la vanité chez Montaigne

DOI : 10.58335/shc.78

Résumé

L’apostrophe biblique de la vanité du monde, qui ouvre le livre de Qohélet, l’Ecclésiaste, a traversé l’histoire des idées et de la pensée philosophique du Moyen Age jusqu’au XXème siècle. L’omnia vanitas sert comme une devise pour signifier une évaluation négative et défiante non pas vis-à-vis de Dieu, de la nature et de la totalité des êtres, car elle semble se référer plutôt aux actions éphémères de la vie humaine : les ambitions, les richesses, les affaires, les divertissements, les croyances passagères, les présomptions de grandeur et de savoir, l’attachement aux biens du monde dont l’homme fait preuve chaque jour ne sont que vanité. Aux origines de la modernité, l’un des auteurs qui a médité constamment sur la question soulevée par cet apophtegme scripturaire est Michel de Montaigne : tout au long de ses Essais, il n’a jamais cessé de questionner les implications de l’idée de caducité, d’évanescence et de fadaise. A bonne école avec Montaigne nous avons essayé de le suivre autour d’une matière complexe, insaisissable et en permanente métamorphose comme celle de l’homme, sans la prétention d’envisager le thème de la vanité et de l’éphémère dans l’intégralité des Essais, mais en se bornant à l’exploration d’un des plus longs chapitres du troisième livre et du recueil entier – « De la vanité » – où l’on trouve la réflexion la plus approfondie de Montaigne sur l’argument. Cette exploration, à son tour, n’a pas prétendu analyser toutes les matières abordées par Montaigne dans ses longues digressions, mais s’est limitée à l’étude des figures du voyage et de la maladie, dont la portée philosophique a permis d’éclairer le sens de sa conscience de la finitude.

Plan

Texte

« Ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes
la matiere de mon livre :
ce n’est pas raison que tu employes ton loisir
en un subject si frivole et si vain.
(Au Lecteur)
Nous embrassons tout,
mais nous n’étreignons que du vent.
(Des Cannibales, I, 31, A, 2031) »

« Vanité des vanités […] tout n’est que vanité ». Ces mots de l’Ecclésiaste (Qoh. I, 2) servent comme une devise pour signifier une évaluation négative et défiante non pas vis-à-vis de Dieu, de la nature et de la totalité des êtres – car comment pourrait-on attribuer aux Saintes Ecritures un jugement blasphème, selon lequel les œuvres de Dieu seraient vaines ? –, ni par rapport à l’homme, conçu par la Bible2 comme une créature privilégiée, mais ils semblent se référer plutôt aux actions de la vie humaine : les ambitions, les richesses, les affaires, les divertissements, les croyances passagères, les présomptions de grandeur et de savoir, l’attachement aux biens du monde dont l’homme fait preuve chaque jour ne sont que vanité. Une vanité qui ne se situe donc pas sur le plan cosmologique, mais sur le plan anthropologique : ce sont les œuvres de l’homme qui, comparées aux œuvres divines, apparaissent vaines. C’est, du moins, l’interprétation accréditée par S. Augustin, lequel, comme d’autres pères de l’Eglise, n’hésitait pas à reconnaître la raison de la vanité de l’existence humaine dans le péché d’Adam : la vanité étant un produit, une conséquence, la punition pour le péché, la condition de l’homme dans le monde ne peut qu’être constitutivement marquée par le signe de la vanité.

Toutefois, un tel châtiment n’est pas pérenne et l’homme n’est pas condamné à être enfermé ad aeternum dans la prison d’un monde où tout est vain :

« A cette vanité, un homme très sage [Qohéleth] a consacré tout ce livre pour la décrire, et cela pour rien d’autre que pour nous faire désirer cette vie qui ne connaît pas la vanité sous le soleil de ce monde, mais qui possède la vérité sous celui qui a fait ce soleil. En cette vanité donc n’est-ce pas par un juste et légitime jugement que l’homme se fait vain, devenu semblable à elle ? Aux jours de sa vanité, se qui compte surtout c’est qu’il résiste ou se soumette à la vérité […], non pour acquérir les biens de cette vie ou en éviter les maux qui passent en s’évanouissant, mais en raison du jugement à venir par lequel seront donnés aux bons des biens et aux mauvais des maux, qui resteront sans fin […] L’homme n’est pas en effet re-formé à l’image de la vérité tant qu’il reste dans la ressemblance de la vanité. »3

Tout le raisonnement d’Augustin est régi par l’opposition entre la vanité de la cupiditas mundi d’un côté, et la vérité libératrice, rédemptrice et salvifique du Christ, de l’autre4 : le but que poursuit le philosophe chrétien vise à inciter l’homme à prendre conscience de sa finitude et de son insuffisance non pas pour l’accepter et s’y abandonner, mais afin de se détacher du monde changeant et de s’élever au Dieu immuable.

Pour sonder la permanence et la résonance de l’apostrophe biblique, avec la batterie de ses commentaires dans l’histoire des idées et de la pensée philosophique à partir de la genèse de l’humanisme jusqu’au XXème siècle, il suffit d’évoquer les vers de Pétrarque, “Miser chi speme in cosa mortal pone […] Tutti tornate a la gran madre antica, e il vostro nome appena si ritrova”5 ; la formule « Nihil nisi divinum stabile est. Coetera fumus »6 dont on ignore l’auteur mais qui figure inscrite aux pies du S. Sébastien du Mantegna, fait à Venise en 1490 ; les réflexions pascaliennes7 au sujet de la condition vaine et misérable de « l’homme sans Dieu », ressemblées dans la liasse intitulée « Vanité » des Pensées8; l’interprétation que les peintres du XVII siècle ont donné à cet avertissement à considérer la fugacité de la vie et le caractère éphémère de toute entreprise ou geste exécutés au cours de l’existence sur terre, par l’insistance sur certains éléments récurrents, comme les têtes de mort,9 les clepsydres10, les fruits en décomposition11 ou les bougies consommées par la flamme12 : des éléments souvent intégrés par la maxime Memento mori ou associés aux mots mêmes de l’Ecclésiaste ; et encore, au début du XX siècle, il nous semble pertinent de rappeler la conception négative et dysphorique de Ed. von Hartmann, lequel, séduit par Schopenhauer, résume ainsi son analyse savante des efforts de l’homme pour atteindre le bonheur : « Le résultat de la vie individuelle est tel […] que l’on en juge comme Qohélet : ‘Tout est vain’, c’est-à-dire illusoire, néant »13.

Aux origines de la modernité, l’un des auteurs qui a consacré une attention constante à la question soulevée par cet apophtegme scripturaire est Michel de Montaigne : tout au long de ses Essais, il n’a jamais cessé de questionner les implications de l’idée de caducité, de finitude et de vanité14 et il ne faut pas être surpris s’il n’emploie jamais le mot « éphémère » dans ses œuvres, car dans le lexique de Montaigne c’est presque toujours le terme « vanité » qui désigne et notifie cette idée. Il convient de rappeler tout d’abord que, parmi les nombreuses sentences inscrites sur les poutres de sa Librairie, la maxime biblique « Per omnia vanitas » ne manquait pas ; mais il convient de rappeler, surtout, que Montaigne a consacré un ‘essai’ tout entier à la question de la vanité, qui se trouve dans le Livre troisième : il s’agit du chapitre neuvième qui s’intitule précisément « De la Vanité ».

Or, s’interroger sur la vanité chez Montaigne équivaut à prendre en examen une question de sa pensée qui ne se laisse pas circonscrire aisément, car elle peut concerner plusieurs ordres distinctes :

l’ordre moral, quand les actions vaines se caractérisent par leur caractère ambitieux, orgueilleux, présomptueux, orienté vers la gloire15 ou chargé de surestime : « la vanité de son ambition » (I, 42, A, 267) ; « présomption et vanité » (II, 17, A, 634), écrit Montaigne, qui en rie avec Démocrite ;

l’ordre rhétorique, lorsque dans les essais « De la vanité des paroles » (I, 51) et « Des vaines subtilitez » (I, 54) toute oratoire pompeuse est mise en ridicule;

l’ordre anthropologique, dans l’Apologie de Raimond Sebond (II, 12) qui se configure comme une mise en lumière impitoyable et organique des défauts, des limites et des incongruités non seulement du jugement humain et de son prétendu savoir – « cet amas de science » n’est « rien que vanité » (II, 12, A, 500) – , mais également de l’homme en tant qu’homme, selon les paroles de saint Paul que Montaigne récupère et paraphrase dans l’ouverture de son essai le plus cité: « de toutes les vanitez, la plus vaine c’est l’homme ; que l’homme qui présume de son sçavoir, ne sçait pas encore que c’est que sçavoir ; et que l’homme, qui n’est rien, s’il pense estre quelque chose, se seduit soy mesme et se trompe ». (II, 12, A, 449).

Notre objectif consistera à suivre l’essayiste autour d’une matière complexe, insaisissable et en constante métamorphose comme celle de l’homme. A bonne école avec Montaigne on « essayera » de le suivre dans ses digressions continuelles, dans ses « variations et escapades », dans son « allure poetique à sauts et à gambades » sur le chemin de ses méditations, de ses observations disparates, de la diversité changeante de ses états de conscience, de ses modes de penser qui ne suivent apparemment aucun schéma, aucun plan, aucune méthode, aucune organisation ou ordre discursif, mais tendent à se remettre indéfiniment en question par des expériences particulières toujours nouvelles ; et on essayera de le suivre sans la prétention d’envisager le thème de la vanité dans l’intégralité des Essais, tâche qui exigerait moins la rédaction d’un article que celle d’une thèse, mais en se bornant à l’exploration d’un des plus longs chapitres du troisième livre et du recueil entier – « De la vanité »16 – où l’on trouve la réflexion la plus approfondie de Montaigne sur l’argument. Cette exploration, à son tour, ne prétendra pas analyser toutes les matières abordées par Montaigne dans ses longues digressions (sa manière de composer, son sentiment sur l’état de la France17, son opinion sur l’administration des affaires publiques18), mais se limitera à l’étude des figures du voyage et de la maladie, dont la portée philosophique permet de préciser et d’éclairer le sens de sa conscience de la vanité.

1) Ambivalence du voyage comme métaphore : vie et vanité.

a) Voyage et vie

De même qu’il est impossible de faire un résumé des Essais, bien qu’il ait été plusieurs fois tenté, de même il est très difficile de faire un résumé du chapitre neuf du troisième livre. Si chaque essai, comme on l’a dit souvent, représente une peinture19 que Montaigne dessine de son moi, soit qu’elle vise « à la commodité particuliere de mes parens et amis »20, soit qu’elle vise à saisir les caractères les plus généraux de ce moi, selon l’idée que « chaque homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition »21, nul essai pourrait mieux conforter et renforcer cette thèse que celui consacré à la vanité. En ce lieu, Montaigne travaille à l’autoportrait de son moi par des confidences sur sa personne, ses goûts, ses humeurs, son écriture et ses habitudes au point que l’expérience personnelle de l’auteur prend le pas sur les fréquentes citations livresques. Il s’agit d’une expérience personnelle et psychologique intrinsèquement plurielle, inconstante et sans cesse in fieri, comme se portant par un mouvement sinueux de pensées ramifiées : dans les premières lignes de l’essai il déclare représenter la « continuelle agitation et mutation de pensées » (III, 9, B, 946). Une telle dynamique fluctuante, fluide et itinérante s’accorde aussi bien à la trame22 de l’essai qu’à son noyau thématique principal : les souvenirs du voyage entreprit par Montaigne en 1580 que, en partant de son château gascon23, devait le conduire, après plusieurs déviations,24 jusqu’à Rome, et, tout à la fois, l’idée de voyage, la méditation sur le voyage, la métaphore de la vie comme voyage. En d’autres termes, le souvenir du voyage en Italie fournit l’excuse au récit d’un itinéraire moral et spirituel. Le voyageur et l’auteur tendent à s’identifier : « Mon style et mon esprit vont vagabondant de mesmes » (III, 9, C, 994).

Montaigne joue sur un contraste. D’une part la stabilité domestique et la gestion du ménage, pour lesquelles il avoue son inaptitude ; d’autre part, l’aventure du voyage, dont l’essence est le mouvement et sur lequel il se prononce ainsi :

« ce plaisir de voyager porte tesmoignage d’inquietude et d’irresolution. Aussi sont-ce nos maistresses qualitez, et praedominantes. […] Il y a vanité, dictes vous, en cet amusement. – Mais où non ? Et ces beaux preceptes sont vanité, et vanité toute la sagesse » (III, 9, B, 988)

La pratique du voyage et la méditation sur le voyage procèdent ensemble, parallèlement, comme se superposant dans les lignes de l’essai : le voyage ne fonctionne pas seulement comme un trait d’union entre la vie et la pensée ; il ne signale pas seulement l’étroite unité de la raison et de l’action, mais il se charge aussi d’une valeur métaphorique et symbolique précise, en figurant la vie et la vanité. Lorsque Montaigne apparente la vie et le voyage, son jugement ne se distingue pas de celui des grands hommes de l'antiquité pour qu’il n'y avait de meilleure école de la vie que celle des voyages; école où l’on apprend la diversité de tant d’autres vies, où l'on trouve sans cesse quelque nouvelle leçon dans ce grand livre du monde et où le changement d’air avec l'exercice sont profitables au corps et à l'esprit :

« le voyager me semble un exercice profitable. L’ame y a une continuelle exercitation à remarquer les choses incogneues et nouvelles ; et je ne sçache point meilleure escolle […] à former la vie que de luy proposer incessamment la diversité de tant d’autres vies, fantaisies et usances, et luy faire gouster une si perpetuelle varieté de formes de nostre nature ». (III, 9, B, 973-974)

Ce qu’il faut surtout retenir dans cette citation c’est le mot « exercice », car ce que cherche à atteindre Montaigne en voyageant n’est pas le loisir, ni le repos de l’âme, mais l’activité de la découverte, de l’apprentissage et de la formation de soi. Le but des voyages, à ses yeux, consiste moins à détendre l'esprit, qu’à l’étendre, à l’élever, à l’enrichir par des connaissances nouvelles, et à le guérir des préjugés nationaux. Autrement dit, il ne s’agit pas de considérer le voyage seulement comme une expérience de vie, mais aussi comme un genre d'étude auquel on ne supplée point par les livres, ou par le rapport à autrui, car le moi se trouve tout seul à juger des hommes, des lieux et des situations. Certainement séduit par les études d’ethnographie, par les récits des voyages des explorateurs du nouveau monde25 permettant d’étendre les témoignages sur la vie humaine, d’accéder à la connaissance des coutumes des civilisations lointaines, d’observer la variété des conduites de l’homme et la pluralité des cultures, des usances et des idées, Montaigne perçoit le principal but que tout bon voyageur devrait se proposer dans l’examen des moeurs, des coutumes, du génie des autres nations, de leur goût dominant, de leurs arts, de leurs sciences, de leurs manufactures et de leur commerce.

Ces considérations attestant l’importance capitale que le périgourdin attribue au voyage, conçu à la fois comme une pratique et comme une métaphore de la vie, ne font qu’évoquer un truisme ; mais ces considérations révèlent aussi que le moi de Montaigne se caractérise moins pour être narratif, réflexif, heuristique26 que pour être libre. Etre libre ne signifie pas avoir la maîtrise de ses pensées et le contrôle rationnel de ses inclinations, selon l’enseignement des stoïciens, mais reconnaître en soi un défaut de consistance, un quid de vanité et d’inanité inséparable de son être : «De m'en deffaire, je ne puis, sans me deffaire moy-mesmes » (III, 9, B, p. 1000). Une telle conscience de la vanité jaillit, de manière éminente, de l’exercice du voyage, révélateur d’une inclination générale et perpétuelle au mouvement : aussi bien le monde que sa vie, aussi bien son livre que son moi, aussi bien les croyances des hommes que son écriture participent tous de la même condition transitoire, n’étant que des êtres à l’intérieur d’une « ontologie mobiliste »27.

b) Voyage et vanité

Moins évidente et plus originale apparaît l’association du voyage et de la vanité. Son goût des voyages équivaut à une forme d’amour pour un monde qui est toujours en marche : en même temps, cette condition ontologiquement transitoire est la véritable marque du statut fade, éphémère et vain de la voie que l’homme parcourt sur terre. Y aurait-il une contradiction entre cette lucidité tragique et cet amour de la vie ? Autour de quels éléments communs peut-il établir une filiation entre voyage et vanité ? Et encore : Montaigne fait-il un éloge du vain ?

La pratique du voyage, on l’a vu, possède un double avantage : d’un coté, elle permet de saisir l’aspect plus essentiel de la vie qui est celui du passage28; d’un autre coté, il offre la possibilité à l’esprit de s’exercer « à remarquer des choses inconnues et nouvelles », c’est-à-dire de s’essayer avec ce qui est divers et varié . L’expérience du voyage s’avère ainsi l’occasion d’une réflexion sur le voyage conçu en tant que miroir mobile de la vie et l'opportunité de faire un véritable éloge de l’« inquietude » et de l’« irresolution » dérivant du « plaisir de voyager ». Mouvement et variété, donc, semblent configurer les dénominateurs communs au voyage et à la vanité.

Ce premier éclairage, toutefois, en requiert en autre : il s’agit de considérer que nul n’a insisté plus que Montaigne sur la perception du temps29 comme mouvement, devenir, passage ininterrompu. Si la philosophie de Descartes se déploiera au fil de l’ordre, la pensée de Montaigne est toute scandée au fil du temps :

« Je ne peins pas l’estre. Je peins le passage : non un passage d’aage en autre, ou, comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute […]. (Du Repentir, III, 2, B, 805)

La représentation du monde comme « branloire perenne »30 est une thèse fondamentale des Essais, exprimée de façon éminente à la fin de l’Apologie de Raimond Sebond où, par l’évocation de l’argument de l’héraclitéisme31 des apparences, l’essayiste dénonce aussi bien les limites et les lacunes de la connaissance, que la dissolution de l’objet dans la mobilité du sujet. Cet argument, déjà saisi et commenté par Platon32, qui faisait de l’idée de flux l’issue naturel du doute, semble devenir la raison culminante et décisive du pyrrhonisme de Montaigne:

« Finalement, il n'y a aucune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects. Et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne se peut établir rien de certain de l'un à l'autre, et le jugement et le jugé estans en continuelle mutation et branle. ». (Apologie de Raimond Sebond, II, 12, A, 601)

Dans l’essai De la vanité, cependant, la réflexion sur la mutabilité n’est point de l’ordre de la connaissance, mais de l’ordre de l’agir: Montaigne ne vise plus à rabaisser la présomption anthropocentrique, l’orgueil rationaliste et la vaine conviction de tous ceux qui croient pouvoir accéder à des certitudes inébranlables et à des vérités absolues, mais il s’engage aussi bien à décrire sa vie en voyage, en mouvement, libre d’outrepasser les frontières du connu pour explorer l’inconnu, qu’à observer, juger, sonder son entreprise d’écrire33 autour d’un sujet vain comme la vanité : « Il n’en est à l’avanture aucune plus expresse que d’en escrire si vainement », proclame avec humour la première phrase du chapitre. Perdu, ou plus probablement absorbé, son sujet polémique, c'est-à-dire l’homme célébrant le culte de sa raison, l’objet dominant de l’essai sur la vanité se dédouble dans un moi libre, vivant, « subject merveilleusement vain, divers et ondoyant » qui est en même temps un objet d’étude, d’observation et de narration:

« S’il faict laid à droicte, je prens à gauche ; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arreste […] Ay-je laissé quelque chose à voir derrière moy ? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne ceratine ni droicte ny courbe ». (III, 9, B, 985)

Le branle, la mouvance et la contingence intrinsèques à tout voyage sont acceptés, vécus et revendiqués par Montaigne comme autant de propriétés indissociables de la vie, « comme si pour lui la seule victoire sur le temps était d’exprimer le temps »34, écrira Merleau-Ponty.

De même que son moi, dit Montaigne, est consubstantiel à son livre, de même l’image du voyage en tant que passage est consubstantielle à la vie et apparaît comme spéculaire à l’image du fleuve : à l’instar de celle-ci, l’image du fleuve signifie l’unité de l’identique et du divers, comme l’attestent ces vers de son ami fraternel La Boëtie : « Toujours l’eau va dans l’eau, et toujours est-ce / Mesme ruisseau et toujours eau diverse », cités dans l’essai De l’Experience pour désigner le mouvement continuel et irrégulier de l’esprit, dont les idées se succèdent et se produisent l’une de l’autre. L’esprit / fleuve est toujours un, tandis que les idées coulent incessamment comme les eaux35.

Loin de vouloir supprimer certaines des modalités caractéristiques de l’agir humain, comme l’inquiétude, l’irrésolution et l’inconstance par la soumission de toute action au contrôle d’une raison organisatrice et dogmatique, Montaigne fait une remarque très importante :

« La vie est un mouvement matériel et corporel, action imparfaicte de sa propre essence, et desreglée ; je m’emploie à la servir selon elle ». (III, 9, B, 988 ).

Face au devoir être, conçu comme fixité abstraite, il privilégie l’être, conçu en tant que mouvement ; face aux règles de tout ordre contraignant, il privilégie la liberté désordonnée ; et face à tout idéal de perfection, il revendique pour la vie la qualité inéliminable de l’imperfection. Mouvement, imperfection, dérèglement qualifient donc la vie, que Montaigne choisie de « servir selon elle », à savoir d’en épouser la mouvance.

Tout en prenant à contre-pied la leçon stoïcienne du primat moral de la raison et de l’exigence d’une perfection à atteindre, Montaigne est néanmoins très loin de vouloir récuser le précepte de l’adéquation à la nature, du vivre selon la nature. En dépit de toute sagesse professée par les stoïciens, ce n’est pas la vie, selon Montaigne, qui doit se soumettre aux exigences d’une raison régulatrice, mais c’est désormais le moi qui doit s’employer à servir sa vie, « action imparfaicte et desreglée » : l’essayiste opère un renversement du rapport de force entre la vie et la raison, proposant une sorte de « docte ignorance », par laquelle le sage ne se qualifie point en vertu de son culte de la raison, mais à cause d’une nouvelle intelligence de la vanité du monde. L’éloge du voyage comme rapport à la temporalité et à l’altérité traduit un éloge de l’éphémère, du passager, du vain, de façon que le décalage vis-à-vis de la tradition théologique ne saurait être plus net : l’attitude de Montaigne n’est jamais celle du contemptus mundi et son aspiration semble correspondre beaucoup moins au désir augustinien d’attendre le « jugement à venir par lequel seront donnés aux bons des biens et aux mauvais des maux », qu’à constater la vanité du monde pour y adhérer consciemment. De ce point de vue, la maxime de l’Ecclésiaste, évoquée implicitement en ouverture de l’essai – « Ce que la divinité nous en a si divinement exprimé debvroit estre soigneusement & continuellement medité, par les gens d'entendement » (III, 9, B, 945) – ressemble beaucoup moins à une morose condamnation du monde, qu’à la constatation à la fois souriante et tragique de sa nature la plus essentielle : le vanitas vanitatum s’intègre au pyrrhonisme de Montaigne dont ne semble être qu’un argument a fortiori.36

2) La conscience de la mort.

a) La maladie comme leitmotiv de l’essai.

Par sa portée métaphorique et son statut polysémique, la figure du voyage permet à Montaigne d’établir une relation aussi bien à sa manière d’écrire, qu’à la pensée de la mort. Dès la première page et par deux questions, il associe ces deux thèmes :

Qui ne voit, que j'ay pris une route, par laquelle sans cesse & sans travail, j'iray autant, qu'il y aura d'ancre & de papier au monde? […] Et quand seray-je à bout de representer une continuelle agitation & mutation de mes pensees, en quelque matiere qu'elles tombent, puisque Diomedes remplit six mille livres, du seul subject de la grammaire? (III, 9, B, 945-946)

En déclarant qu’autant qu’il vivra il continuera d’écrire et s’interrogeant pour combien de temps il sera encore en situation d’écrire (« quand seray-je à bout »), Montaigne se demande implicitement combien de temps lui reste à vivre. La façon indirecte de se poser la question et la démarche capricieuse et désordonnée de ses pensées couvrent, dissimulent, retardent mais ne suppriment pas son désir de méditer sur le mal, la maladie et la mort : « Je m'esgare : mais plustost par licence, que par mesgarde. Mes fantasies se suyvent: mais par fois c'est de loing: & se regardent, mais d’une veuë oblique. » (III, 9, B, 994). Ainsi, s’il est vrai qu’il faut attendre plusieurs pages avant de rencontrer un discours plus élaboré, cohérent et ouvertement consacré au thème de la maladie, il est vrai aussi qu’on peut en trouver bien avant nombre de brèves allusions, comme la suivante, où il se démarque du stoïcisme :

« Je ne suis pas philosophe. Les maux me foullent selon qu'ils poisent: & poisent selon la forme, comme selon la matiere: & souvent plus. J'y ay plus de perspicacité que le vulgaire, si j'y ay plus de patience » (III, 9, C, 950),

ou comme cette autre, qui intervient à l’intérieur d’une réflexion d’ordre politique :

« Rien ne presse un estat que l'innovation: le changement donne seul forme à l'injustice, & à la tyrannie. Quand quelque piece se démanche, on peut l'estayer: on peut s'opposer à ce, que l'alteration & corruption naturelle à toutes choses, ne nous esloigne trop de nos commencemens & principes. Mais d'entreprendre à refondre une si grande masse, & à changer les fondements d'un si grand bastiment, c'est à faire à ceux qui pour descrasser effacent: qui veulent amender les deffauts particuliers, par une confusion universelle, & guarir les maladies par la mort » (III, 9, B, 958).

La pensée de la mort, de la décadence et de l’éphémère traversent en profondeur et comme un fil conducteur l’essai De la vanité. S’il ne faut pas oublier qu’une des causes, et peut-être même la cause principale, qui ont exhorté l’auteur à se mettre en route (et que son Journal de voyage en Italie37 documente), a été la recherche d’eaux salutaires afin de se soigner d’une maladie aux reins ; il ne faut négliger non plus d’évoquer son sentiment d’évanescence touchant les altérations et les perturbations de l’ordre politique, car il s’agit d’un malaise qui ne reste pas caché :

« Or tournons les yeux par tout, tout croulle autour de nous. En tous les grands estats, soit de Chrestienté, soit d'ailleurs, que nous cognoissons, regardez y, vous y trouverez une evidente menasse de changement & de ruyne » (III, 9, B, 961).

Néanmoins, ce malaise ne débouche ni dans le pur désespoir, ni dans un pessimisme, ni dans une lecture millénariste, catastrophiste ou apocalyptique de l’histoire, mais dans une plus lucide conscience « lucrétienne38 » de la naturelle corruption de toute chose, de la normale altération et ruine de ce qui est sur terre, d’une vanité commune à tout état et à toute forme politique. De façon paradoxale et selon le goût de l’équipollence des contraires, Montaigne tire de la constatation de la crise évidente de son « estat » un motif de consolation et d’espoir : tout en adoptant le registre de la médecine39, il déclare que « cette societé universelle de mal & de menasse » n’est pas nécessairement le signe d’une décadence mortelle, d’un déclin définitif, d’une maladie incurable, vu que « rien ne tombe, là où tout tombe » et vu que « La maladie universelle est la santé particuliere » (III, 9, B, 961).

Ce qui tout de même persiste comme une source d’inquiétude majeure et dont il ne convient pas de minimiser l’incidence chez Montaigne, c’est le cadre historique, politique et social de crise profonde dans lequel versait la France en 1586, ravagée par les contrastes religieux et la guerre civile :

« Je me suis couché mille fois chez moy, imaginant qu'on me trahiroit & assommeroit cette nuict là: composant avec la fortune, que ce fust sans effroy & sans langueur […] Les guerres civiles ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre chacun en echauguette en sa propre maison. ». (III, 9, B, 970-971)

Encore une fois on s’aperçoit que la présentation d’une « grande extremite », loin de préluder à une vision tragique sic et simpliciter, sert à illustrer la mentalité de Montaigne, certes trempée de mélancolie, d’amertume et d’inquiétude, mais en même temps récalcitrante à se plaindre ou à s’angoisser et toujours inclinée aussi bien à rechercher une solution – « Quel remede? » l’auteur se demande – qu’à saisir la complexité et les ressources possibles de la nature humaine :

« à une miserable condition, comme est la nostre, ç'a esté un tres favorable present de nature, que l'accoustumance, qui endort nostre sentiment à la souffrance de plusieurs maux. » (III, 9, B, 970).

En bref, à la ruine extérieure ou politique correspond une ruine intérieure ou physique. De cette « desolation » universelle découle un constat amère et ironique à la fois, d’où filtre bien sa vocation à rechercher ce qui dans le mal n’est pas mal, ce qui dans un cadre défavorable apparaît comme favorable: « Ce m’est faveur que la desolation de cet estat [La France] se rencontre à la desolation de mon aage ». (III, 9, B, 947)

b) La maladie et la mort comme phénomènes naturels.

Ces considérations introduisent un discours plus intime et une description plus introspective. L’évanescence des affaires du monde ne voile pas la condition de contingence dont tout homme participe inéluctablement. Montaigne ne tarde que quelques lignes à se demander : « quand seray-je à bout de representer une continuelle agitation & mutation de mes pensees » ? Il ne s’agit pas seulement de l’évocation du thème de la mort, mais de sa mort en particulier : un sujet sensible, qui est laissé en suspens pendant plusieurs pages, avant d’être soigneusement médité. Le sentiment de la mort émerge, filtre et se profile dès le début du chapitre comme un horizon de moins en moins lointain. Aucune créature ne bénéficie d’une situation d’extraterritorialité par rapport à la nature ; aucun être n’occupe une place privilégiée au point de pouvoir esquiver la naturelle corruption de toute chose. Le moi de Montaigne ne fait pas exception et il semble se définir, au fur et à mesure dans l’essai, comme une conscience de la temporalité, de la finitude et du transitoire : ses réflexions le conduisent, par des associations d’idées ininterrompues et éparpillées, de la reconnaissance de la vanité extérieure à un plus haut degré de conscience de participer de cette même vanité. Sans jamais répondre il élève, petit à petit, la question au niveau de la conscience, pour l’élaborer, la sonder, la vivre par un sentiment plus aigu : « Je sens la mort qui me pince continuellement la gorge, ou les reins ». (III, 9, B, 978). Tout en gardant son regard critique et son attitude d’investigation, il en parle d’un ton cordial, colloquial, frais comme il avait parlé de mille autre chose. Il raconte qu’il imagine souvent de mourir par des « morts courtes et violentes, la consequence que j’en prevoy me donne plus de consolation que l’effet de trouble » (III, 9, B, 971). Par un rapport réflexif à l’idée de la mort, il s’y éduque, s’y accoutume, s’y prépare : « Je ne m’estrange pas tant de l’estre mort comme j’entre en confidence avec le mourir » (idem). C’est moins la philosophie (souvent identifiée par Montaigne à celle de la « secte plus refroignée ») qui enseigne à mourir, qu’une intelligence patiente de la vanité se constituant d’expérience en expérience, de spectacle en spectacle, d’inquisition en inquisition, de réflexion en réflexion. « Comment40 mourir », « où41 mourir », « avec qui42 mourir » ce sont autant de questions qu’il envisage sans tristesse ni joie, par une description neutre, mais aussi souriante et confidentielle :

« Je me contente d'une mort recueillie en soy, quiete, & solitaire, toute mienne, convenable à ma vie retirée & privée. […] Cette partie n'est pas du rolle de la societé: c'est l'acte à un seul personnage » (III, 9, B, 979).

« Pourquoi la mort », « pourquoi la maladie », « pourquoi la souffrance ou le vieillissement » ce sont autant de questions que, en revanche, il ne se pose pas, car le domaine de son investigation n’est ni la métaphysique, ni la science, mais la vie. La posture à laquelle Montaigne reste fidèle n’est jamais celle du savant, mais celle de l’observateur, du « scrutateur sans cognoissance ». Rien d’étonnant, alors, si les idées du voyage et de la mort se croisent, convergent, se complètent réciproquement :

« Mais en tel aage, vous ne reviendrez jamais d'un si long chemin. Que m'en chaut-il? je ne l'entreprens, ny pour en revenir, ny pour le parfaire. J'entreprens seulement de me branler, pendant que le branle me plaist, & me proumeine pour me proumener » (III, 9, B, 977),

et aboutissent dans la représentation articulée de la conscience de la finitude, qui se manifeste en sa quintessence dans la maladie : « Je represente mes maladies, pour le plus, telles qu’elles sont […] ».

Le regard de Montaigne n’a rien de scientifique et la maladie n’est pas conçue comme un objet d’étude, mais comme un moment de la vie, dont en est « un grand lopin, & d'importance ». D’ailleurs, dans le chapitre XXXVII du deuxième livre, intitulé « De la ressemblance des enfants aux pères » Montaigne évoquait, a propos des maladies héréditaires, l’ancestrale scepticisme qu’il partageait avec sa famille vis-à-vis des médecins et des médicaments, en couvrant savoureusement de ridicule les guérisseurs de tout temps. Son intérêt ne s’attache ni à diaboliser les infirmités, ni a se réfugier dans les consolations de la religion, ni à s’engager à la recherche des secrets pour attendre la parfaite santé: la maladie et la mort ne sont conçues ni comme un scandale, ni comme un mystère obscène, ni comme l’emblème de l’absurde, mais comme des événements naturels, appartenant au cycle de la vie et auxquels il convient de s’y adapter, car il serait vain de vouloir y résister et insensé de vouloir s’y opposer.

Il ne faut pas s’étonner du fait que l’auteur des Essais place la mort dans l’ordre naturel du changement et de la transformation, du passage et du devenir, car à ses yeux rien ne se dérobe, ne se soustraie, n’échappe à cette contingence générale, à ce glissement perpétuel. La maladie et la mort ne sont que deux autres modalités d’une vanité qui est indissociable de l’être humain:

« Si les autres se regardoient attentivement, comme je fay, ils se trouveroient comme je fay, pleins d'inanité & de fadaise. De m'en deffaire, je ne puis, sans me deffaire moy-mesmes. Nous en sommes tous confits, tant les uns que les autres. Mais ceux qui le sentent, en ont un peu meilleur compte: encore ne sçay-je » (III, 9, B, 1000).

La spécificité de l’homme semble alors pouvoir résider dans la conscience attentive de l’ « inanité & fadaise » naturellement gravées en lui. Je dis bien « semble », car Montaigne lui-même achève sa pensée par un des syntagmes qui ont rendu célèbre le côté pyrrhonien de ses méditations : « encore ne sçay-je », dit il, exprimant l’impossibilité de sortir de l’opinion pour atteindre la vérité de l’idée. Tout en se conformant au statut de conjecture, d’opinion, de croyance, et tout en exprimant le sens profond du chapitre, cette réflexion sur la nature vaine de l’homme ne constitue ni une vérité objective ni une norme morale, car c’est moins une assertion qu’une observation. Ici réside aussi et malgré tout la cohérence de Montaigne, qui décrit sans prescrire, s’interroge sans répondre, scrute sans juger et « ne prétend pas instruire mais soumettre à examen les productions spontanées de son esprit »43.

En d’autres termes, « conscience de soi » n’équivaut pas à « connaissance de soi » mais renvoie plutôt à l’observation du spectacle changeant, oscillant et protéiforme de soi-même. Ce qui rend possible la contemplation d’un tel spectacle est la distance que l’esprit peut prendre vis-à-vis de sa vie, ou l’auteur vis-à-vis de son livre et le voyageur vis-à-vis de son chemin : l’action de « se regarder attentivement » n’est qu’un exercice de la conscience et, en tant que tel, requiert une distance critique du moi par rapport à autrui ou à lui-même en tant qu’autre. Il s’agit d’une conscience dont le statut ne ressortit pas à l’ordre théorique mais à l’ordre pratique, car être conscient ne signifie jamais, chez Montaigne, parvenir à une possession de soi-même, mais, il convient de le répéter, « se regarder attentivement », se scruter, s’étonner librement et continuellement devant soi-même, s’étudier et s’essayer jusqu’à se reconnaître paradoxal, inconnu, masqué ; jusqu’à se découvrir enveloppé par une opacité irréductible et jusqu’à reconnaître, enfin, non seulement la vanité de notre nature mais aussi la vanité de se reconnaître vain.

Conclusion

L’achèvement du chapitre et le récit de fin du voyage procèdent ensemble et comme parallèlement : l’auteur opère ses derniers ajouts44 et le voyageur franchit sa dernière étape, débarquant à Rome, la Ville Eternelle. Néanmoins, tirer des conclusions au terme d’un chapitre ainsi riche s’avère une tâche risquée et peut-être même inopportune.

C’est un risque car l’articulation ouverte de la pensée du périgourdin n’est pas linéaire et récuse toute clôture systématique : « Je ne trace aucune ligne certaine, ny droicte ny courbe » (III, 9, 985). En même temps, il est peut-être inopportun parler de conclusion, notion qui évoque l’idée de stabilité45 et de fixité, par rapport à un auteur qui voit et sent partout instabilité, errance et mouvance, et par rapport à un essai qui suit « un mouvement d’yvrogne46 titubant, vertigineux, informe, ou des joncs que l’air manie casuellement » (III, 9, 964). De ce point de vue, la question qu’il convient de se poser est moins « a quelle conclusion aboutit Montaigne ? », que « quel sens peut-on attribuer à la notion de vanité chez Montaigne ? ». A cette dernière question la sentence de l’Ecclésiaste, citée dès les premières lignes du texte, et l’évocation du précepte de l’oracle delphique, placée en péroraison, suggèrent une réponse univoque et solidaire. Le péremptoire « Tout n’est que vanité » de la première source semble conforté et fortifié par le « commandement paradoxe » de l’oracle de Delphes, esquissant une sorte de « métaphysique de l’éphémère »47 :

« Regardez dans vous, recognoissez vous, tenez vous à vous. Vostre esprit, & vostre volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez là en soy: vous vous escoulez, vous vous respandez: appilez vous, soustenez vous: on vous trahit, on vous dissipe, on vous desrobe à vous. Voy tu pas, que ce monde tient toutes ses veuës contraintes au dedans, & ses yeux ouverts à se contempler soy-mesme? C'est tousjours vanité pour toy, dedans & dehors: mais elle est moins vanité, quand elle est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chasque chose s'estudie la premiere, & a selon son besoin, des limites à ses travaux & desirs. Il n'en est une seule si vuide & necessiteuse que toy, qui embrasses l'univers: Tu es le scrutateur sans cognoissance: le magistrat sans jurisdiction: & apres tout, le badin de la farce ». (III, 9, B, 1001)

Invité à pratiquer la discipline du gnôthi seauton, à rentrer en soi-même pour se connaître, l’essayiste ne trouve que « misère et vanité », ne découvre qu’un mélange « d'inanité & de fadaise », tant « à l’intérieur » qu’« à l’extérieur ». L’étroite corrélation et solidarité entre l’enseignement biblique et le commandement delphique, entre l’ouverture et la clôture du chapitre est deux fois éclairante : d’une part, elle manifeste la cohérence discursive de l’essai, centrée sur l’unité thématique d’une vanité qui englobe tout et n’épargne rien; d’autre part, elle est également le signe de plusieurs paradoxes.

Le premier concerne la coïncidence de sagesse et ignorance, assurée par la convergence de l’enseignement biblique et de l’enseignement delphique ; le deuxième apparaît quand, arrivé à Rome, Montaigne est proclamé citoyen de la Ville Eternelle par une bulle que l’auteur lui-même n’hésite pas à classer, avec ironie, « parmy ses faveurs vaines » ; le troisième, le plus intéressant et significatif, est le paradoxe d’une conscience tragique48 qui ne maudit pas sa condition et ne prononce aucun cupio dissolvi, mais, en se souvenant des mots de l’oracle delphique au bout de son itinéraire morale, en transcrit le jugement net et dérisoire : « Tu es le scrutateur sans cognoissance: le magistrat sans jurisdiction : & apres tout, le badin de la farce ».

Or, l’assertion du caractère vide et nécessiteux de la nature humaine, dépourvue de savoir, de pouvoir et de consistance ontologique, représente-elle un jugement de valeur attribuable à Montaigne? Par l’affirmation de la radicale insuffisance épistémologique, éthique et ontologique de l’homme, serait-il devenu lui aussi dogmatique ?

A vrai dire, de même que le texte de la clôture ne légitime point l’identification de la voix de Montaigne à celle du dieu de Delphes, de même l’allusion à la formule de l’Ecclésiaste du début du chapitre n’exprimait aucun jugement de fait de la part de l’auteur, mais uniquement un avis personnel, un sentiment subjectif : « Ce que la divinité nous en a si divinement exprimé [il se réfère à la sentence de l’Ecclesiaste], debvroit estre soigneusement & continuellement medité, par les gens d'entendement ». En ce passage initial se trouve, il nous semble, l’indication meilleure permettant de comprendre le point de vue de Montaigne par rapport à la notion de vanité : l’auteur des Essais n’en fait ni l’objet d’un anathème lancé contre l’évanescence du monde, ni l’objet d’une apologie du transitoire. La vanité n’est donc ni l’emblème d’un pessimisme radical, ni le signe d’une acceptation apaisée et heureuse de l’inconsistance : elle demeure un message divin que Montaigne reçoit et assume comme tel, pour le méditer « soigneusement & continuellement ». Ainsi assumée et élevée à la conscience, on découvre que la vanité n’exprime autre chose qu’une manière ironique et amère de se sentir vivant, c'est-à-dire librement et lucidement en route vers la mort.

Luigi DELIA
Doctorant en Philosophie
Centre Gaston Bachelard sur l’Imaginaire et la Rationalité
Université de Bourgogne et Université de Bologne

Notes

1 Nos citations des Essais de Michel de Montaigne renvoient à l’édition de Pierre Villey, Paris, Quadrige PUF 1988. Nous indiquerons le tome en chiffres romaines [I], le chapitre en chiffres arabes [31], la couche correspondante [A] et la page en chiffres arabes [203]. Retour au texte

2 Nous faisons allusion au récit de Genèse I, 26 « [Dieu dit] faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et qu’il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre, et à tous les reptiles qui se remuent sous le ciel. ». Retour au texte

3 De civ. Dei XX, 3. Cf. L. Chevalier et H. Rondet, L’idée de vanité dans l’œuvre de S. Augustin, Revue des Etudes Augustiniennes, t. 3, 1957, p. 221-234 Retour au texte

4 « A contrario differunt inter se vanitas et veritas. Huius autem mundi cupiditas vanitas, sed Christus qui ex hoc mundo liberat veritas […] Si vita nostra ibi est ubi veritas, non est nostra vita sub sole, ubi vanitas. » (Enarr. In Ps. 118, s. 12,1, sur le v. 37). C’est une antithèse fréquente dans l’histoire de la pensée chrétienne celle du contraste entre l’amour du monde et l’amour de Dieu: ce qu’Augustin notifie par le couple antinomique vanitas/veritas, Pascal le désignera par le couple divertissement/joie. Retour au texte

5 Francesco Petrarca, Rerum vulgarium fragmenta : « Malheureux celui qui confie en les choses mortelles […] Vous tous retournerez à la grande mère ancienne, et votre nom on le retrouvera à peine. ». Retour au texte

6 « Il n’y a rien de stable que ce qui est divin. Tout le reste n’est que de la fumée ». Retour au texte

7 « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain en lui-même. Aussi, qui ne la voit excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir » (36). Cf. L. Martin, « Les traverses de la vanité », dans Les vanités dans la peinture au XVIIème siècle, Musée des Beaux-Arts, Caen, 1990, p. 21-30 Retour au texte

8 Blaise Pascal, Pensées, éd. Lafuma, t. 1, p. 6-19 Retour au texte

9 On se limite à évoquer deux tableaux: le Studio di teschi, de Ludovico Carracci, 1555-1619 (Bologna, Accademia Belle Arti) et la Grande Vanité, huile sur toile de Sébastien Stoskopff, 1597-1657 (Strasbourg, musée de l’œuvre Notre-Dame), où on lit dans le quatrain inscrit sur l’ardoise fixée au bahut : « Art, richesse, puissance et courage meurent, le monde et toutes ses œuvres périssent, l’Eternité vient après ce temps : Oh ! fous, fuyez la vanité ». Retour au texte

10 Juan Valdés Leal, 1622-1660, Allégorie du Temps et Allégorie de la Mort, 1672 (huiles sur toile, Séville, Hôpital de la Charité) ; Philippe de Champaigne, Allégorie du Temps (huile sur toile, Le Mans, Musée de Tessé) ; Jacopo Vignali, La gioventù sorpresa dalla morte (huile sur toile, Firenze, Galleria degli Uffizi). Retour au texte

11 Guido Cagnacci, 1601-1663, Allegoria della Vanitas e della Penitenza (Olio su tela. Cesena, Galleria dei dipinti antichi della Cassa di Risparmio). Retour au texte

12 George de La Tour, 1593-1652, Madeleine à la flamme filante (huile sur toile, Los Angeles County Museum of Art), et Madeleine au miroir (huile sur toile, Washington, National Gallery of Art). Retour au texte

13 Ausgewalhlte Werke, t. 8, Leipzig, 1904, p. 354 Retour au texte

14 « Ce que la divinité nous en a si divinement exprimé [Montaigne se réfère à la sentence de l’Ecclésiaste], debvroit estre soigneusement & continuellement medité, par les gens d'entendement » (III, 9, B, 945), écrit Montaigne au début du neuvième chapitre du troisième livre, intitulé De la vanité. Retour au texte

15 De ce point de vue, le début du chapitre 41 du Livre I « De ne communiquer sa gloire » est fort claire : « De toutes les resveries du monde, la plus receuë & plus universelle, est le soing de la reputation & de la gloire, que nous espousons jusques à quitter les richesses, le repos, la vie & la santé, qui sont biens effectuels & substantiaux, pour suyvre cette vaine image, & cette simple voix, qui n'a ny corps ny prise ». (I, 41, A, 255) Retour au texte

16 Dans sa note introductive à l’essai De la vanité, Pierre Villey a formulé une hypothèse de datation selon laquelle Montaigne aurait composé la majeure partie de l’essai en 1586 pour ensuite ajouter nombre d’additions. Retour au texte

17 « Non par opinion, mais en verité, l'excellente & meilleure police, est à chacune nation, celle soubs laquelle elle s'est maintenuë. Sa forme & commodité essentielle despend de l'usage. Nous nous desplaisons volontiers de la condition presente. Mais je tiens pourtant, que d'aller desirant le commandement de peu, en un estat populaire: ou en la monarchie, une autre espece de gouvernement, c'est vice & folie ». (III, 9, B, 956) Retour au texte

18 « Que ne feroy je plustost que de lire un contract, et plutost que d’aller secouant ces paperasses poudreuses, serf de mes negoces ? » (III, 9, C, 953-954) . Retour au texte

19 Il écrit dans l’avis au lecteur des Essais: « Je veus qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c’est moi que je peins » (Au lecteur I, p. 3). Il convient de rappeler aussi que le mot essai doit s’entendre dans son sens originel de goût de se mettre à l’épreuve, de s’expérimenter, de s’essayer de façon infatigable. Retour au texte

20 Selon ce que l’auteur avoue dans la préface des Essais, Au lecteur, I. p.3 Retour au texte

21 Cette pensée est annoncée dans le deuxième chapitre du troisième livre, intitulé « Du repentir ». Retour au texte

22 Françoise Charpentier, dans son article « L’apologie de la vanité » dans le Bulletin de l’Association d’étude sur l’Humanisme, la Réforme et la Renaissance, N. 21 du Décembre 1985, a justement écrit que : « Si l’on tente une sorte de synopse de l’essai, on verra se succéder dans une exposition six ou huit thèmes: la vanité; “mon livre”, questions d’écriture, discours de la méthode; les tables malades; le voyage, et, de façon connexe, le “mesnage”; la vie publique, “servir au publique”; et plus secrètement , en mineur dans certains développements : mon père ; les Anciens, Rome. Que l’on dispose ces motifs en colonnes : tout l’essai est fait de détours, crochets et retours par ces différents points d’attention. », p. 29. Retour au texte

23 De la vanité, III, 9, B, 951 Retour au texte

24 Paris, Plombières, la Suisse, l’Allemagne, Innsbruck et, traversé le Brenner, l’Italie, où, avant d’arriver à Rome, il passera par Vérone, Padoue, Venise, Ferrare, Bologne, Florence et Siène. Retour au texte

25 « Que l’on considere aussy –écrit Charron dans De la Sagesse – ce que la descouverte du monde nouveau, Indes orientales et occidentales nousa apprins […] Et qui doubte que d’icy à quelque temps il ne s’en descouvre encores d’aultres? » (II, 2, p. 306) Retour au texte

26 De ce point de vue les Essais offrent la peinture d’un moi « tousjour en apprentissage et en espreuve » (III, 2, B, 805) Retour au texte

27 L’expression « ontologia mobilista » a été employé par G. Gori dans son récent article, « Montaigne, Descartes e le vicissitudini dell’eraclitismo », dans Letture cartesiane, textes établies par M. Spallanzani, Bologna, 2003, pp. 17-45 Retour au texte

28 Sur l’homologie des notions de « voyage » et de « passage » chez Montaigne, nous renvoyons à l’article de G. Nakam « Voyage…, passage…, chez Montaigne », dans le Bulletin de l’association d’étude sur l’Humanisme, la Réforme et la Renaissance, n° 21, Décembre 1985, Spécial Montaigne, pp. 15-22 Retour au texte

29 On renvoie à l’étude de F. Joukovsky, Montaigne et le problème du temps, Paris, 1972 Retour au texte

30 « Le monde n’est qu’une branloire perenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les Pyramides d’Aegypte, et du branle public et du leur ». (Du Repentir, III, 2, B, 804-805). Comment ne pas saisir l’abîme infranchissable qui sépare cette représentation du monde comme branloire perenne, et la représentation géométrique de la nature codifiée cinquante ans plus tard par la science galiléenne et par la physique cartésienne ? Retour au texte

31 L’association de l’héraclitéisme et de la vanité accomplie par Montaigne en conclusion de son Apologie de Raymond Sebond, serait devenue le thème principal du livre du pasteur protestant Pierre Du Moulin, intitulé Héraclite, où la vanité et misère de la vie humaine, paru à Rouen en 1615. Parmi les études qui ont le plus remarqué l’héraclitéisme de Montaigne nous rappelons : M. Merleau-Ponty, « Lecture de Montaigne », dans Signes, Paris, 1960 ; H. Friedrich, Montaigne, Paris, 1968 ; A. Thibaudet, Montaigne, Paris, 1963 ; J. Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, 1982 ; M. Markoulakis, « Héraclite chez Montaigne », dans Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, 1982 ; F. Brahami, Le Scepticisme de Montaigne, Paris, 1997, pp. 67-70 Retour au texte

32 Cf. Platon, Cratile (402 a), « Héraclite affirme que tout passe et que rien n’est stable, et en comparant les choses existantes au flux d’une rivière, dit qu’on ne rentre pas deux fois dans la même rivière ». Retour au texte

33 Une étude sur la réflexion de Montaigne autour de sa manière d’écrire a été accompli par K. Sellevold, dont l’article « Le doute implicite : une lecture pragmatique de l’essai De la vanité (III, 9) », paru dans le Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, Juillet-Décembre 1996, s’achève de la manière suivante : « Le rôle du sens pragmatique dans De la vanité semble être de mettre en question le sens attribué normalement aux mots, non pour en établir des nouveaux, mais pour considérer des sens alternatifs. La combinaison des expressions subjectives ou dubitatives et des expressions modalisées permet précisément une telle considération. La façon dont Montaigne exploite les fonctions réflexives du langage semble ainsi manifester le statut philosophique des Essais, fondé sur le doute. » pp. 48-49 Retour au texte

34 M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, 1960, p. 329 Retour au texte

35 « Mon livre est toujours un. Sauf qu’à mesure qu’on se met à le renouveller, afin que l’acheuteur ne s’en aille les mains du tout vuides, je me donne loy d’y attacher (comme ce n’est qu’une marqueterie mal jointe), quelque embleme supernumeraire. » (III, 9, C, 964). Retour au texte

36 La lecture que Montaigne opère de l’Ecclésiaste apparaît comme une déclination pyrrhonienne du motif biblique de la vanité et ne semble trahir ni l’esprit ni la lettre du livre de Qohélet. De ce point de vue le passage suivant aurait pu être rédigé par Montaigne lui-même: « Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours ». (Ecclésiaste, I, 4) Retour au texte

37 Le Journal, retrouvé et publié au XIII siècle, a permis d’éclairer les étapes du voyage en Italie et de vérifier l’exactitude du récit de Montaigne. Retour au texte

38 Montaigne mentionne trois fois le De rerum natura de Lucrèce dans le chapitre. Une de ces citations est bien significative : « Stillicidi casus lapidem cavat ». (Lucr., I, 314). [« L’eau qui tombe goutte à goutte perce le rocher »]. Retour au texte

39 Le lexique de la maladie est omniprésent: par une métaphore scatologique Montaigne compare les Essais à « des excremens d’un vieil esprit » (III, 9, B, 946) ; ensuite, se définit « malade […] de curiosité » (III, 9, B, 999), estime son époque « un temps malade » (III, 9, B, 993), revendique le besoin de « compter les simptomes de nostre mal » (III, 9, B, 961) Retour au texte

40 « La mort a des formes plus aisées les unes que les autres, & prend diverses qualitez selon la fantasie de chacun. Entre les naturelles, celle qui vient d'affoiblissement & appesantissement, me semble molle & douce. Entre les violentes, j'imagine plus mal-aisément un precipice, qu'une ruïne qui m'accable: & un coup trenchant d'une espée, qu'une harquebusade: & eusse plustost beu le breuvage de Socrates, que de me fraper, comme Caton ». (III, 9, B, 983). Retour au texte

41 « Pour achever de dire mes foibles humeurs, j'advouë, qu'en voyageant, je n'arrive guere en logis, où il ne me passe par la fantasie, si j'y pourray estre, & malade, & mourant à mon aise. Je veux estre logé en lieu, qui me soit bien particulier, sans bruict, non sale, ou fumeux, ou estouffé ». (III, 9, B, 983). Retour au texte

42 « Au rebours de la superstition Romaine, où on estimoit malheureux, celuy qui mouroit sans parler: & qui n'avoit ses plus proches à luy clorre les yeux, j'ay assez affaire à me consoler, sans avoir à consoler autruy; assez de pensées en la teste, sans que les circonstances m'en apportent de nouvelles: & assez de matiere à m'entretenir, sans l'emprunter » (III, 9, B, 979). Retour au texte

43 A. Tournon, « Essai et provocation dans le IIIème Livre », dans Bulletin de l’Association d’étude sur l’Humanisme, la Réforme et la Renaissance, N. 21 du Décembre 1985, p. 6 Retour au texte

44 Selon la célèbre maxime : « J’adjouste, mais je ne corrige pas ». (III, 9, B, 963). Retour au texte

45 « L’humaine sagesse n’arriva jamais aux devoirs qu’elle s’estoit elle mesme prescrit et, si elle y estoit arrivée, elle s’en prescriroit d’autres au-delà, où elle aspirat tousjours et pretendit, tant nostre estat est ennemy de consistance. » (III, 9, B, 990) Retour au texte

46 L’image du mouvement d’ivrogne, déjà évoquée dans les débuts du Livre III, au chapitre Du repentir : « Je ne puis assurer mon objet, il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle » (III, 2, 805), complète et conforte celle du branle. En dépit de cette perspective centrée sur le manque d’assurance, la philosophie de Descartes fera de la quête de l’assurance une mission indispensable. Retour au texte

47 L’expression appartient à Géralde Nakam et se trouve dans son étude intitulé Le dernier Montaigne (Paris 2002) qui présente, entre autre, une analyse des derniers ajouts apportés par Montaigne entre 1588 et 1592, et une interprétation de la close de l’essai De la Vanité (ch. VII, pp. 164-192). Dans l’introduction de son livre, elle écrit : « A cette lucidité tragique [celle du dernier Montaigne] s’adjoint un amour de la vie approfondi. Mais la métaphysique de l’éphémère débouche parfois, non seulement sur la « nihilité » de l’homme, uniquement promis à la mort et à la terre, mais sur le néant du sens. Les voix qui s’entendent alors dans le texte de Montaigne sont celles de la Bible et de Lucrèce. […] Isaïe, l’Ecclésiaste, rejoignent étrangement le poète du De Natura rerum, et transforment encore en le complétant le puzzle des Essais. », p. 24. Retour au texte

48 Il s’agit de l’expression choisie par Marcel Conche pour désigner l’auteur des Essais, dans son article « La personnalité philosophique de Montaigne », dans Montaigne 1588-1988, RHLF sept. Oct. 1988, p. 1006 et suiv. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Luigi Delia, « La conscience de la vanité chez Montaigne », Sciences humaines combinées [En ligne], 1 | 2007, publié le 01 octobre 2007 et consulté le 21 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.78. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=78

Auteur

Luigi Delia

Doctorant en Philosophie, Centre Georges Chevrier UMR 5605