La mise en récit de la révolution dans El país bajo mi piel de Gioconda Belli : la résistance au service de l’identité

DOI : 10.58335/shc.254

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La romancière nicaraguayenne Gioconda Belli relate, dans ses mémoires, le parcours qui l’a progressivement menée de la révolution sandiniste à l’écriture. L’étude de ce récit permet de mettre en évidence l’existence de liens très forts entre l’engagement révolutionnaire et la construction de l’identité du sujet : les enjeux identitaires qui se cachent ainsi derrière toute forme de résistance apparaissent comme le fondement même de la révolution et de sa mise en récit.

L’Histoire du Nicaragua, dans la deuxième partie du XXe siècle, est celle de la lutte d’un peuple contre l’oppression d’une dictature vieille de plus de quarante ans. Le pays, gouverné depuis les années 30 par la famille Somoza, qui se transmet le pouvoir de génération en génération, vécut dans les années 70 une révolution communiste menée par le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale). Ce mouvement, créé par Carlos Fonseca en 1961, se présente comme l’héritier du guérillero Augusto César Sandino, qui lutta pour la souveraineté de son pays et contre les ingérences des Etats-Unis dans la politique nicaraguayenne, jusqu’à sa mort en 1934.1 Après des années de lutte clandestine, le FSLN parvient à mobiliser une grande partie de la population nicaraguayenne, exaspérée par la corruption et la répression du régime somociste. Plusieurs scandales, comme celui du détournement par le dictateur des fonds de l’aide humanitaire envoyée par la communauté internationale à la suite du violent séisme de Managua en 1972, ou encore l’assassinat en 1978 de Pedro Joaquín Chamorro, fondateur d’un parti d’opposition, précipitèrent l’insurrection finale et la chute de la dynastie des Somoza en 1979.

Après la victoire de la révolution sandiniste, le Nicaragua entra dans un processus de rénovation à tendance communiste, mis à mal, tout au long des années 80, par la politique du président des Etats-Unis, Ronald Reagan, qui soutenait financièrement les efforts armés de la Contre-révolution pour renverser le gouvernement marxiste nicaraguayen (annexe 1). En 1990, le candidat sandiniste et président sortant, Daniel Ortega, perdit les élections au profit d’une large opposition menée par Violeta Chamorro, dans un contexte fortement marqué par la fin de la Guerre froide et la radicalisation idéologique des dirigeants sandinistes. Ortega ne sera réélu qu’en 2006.2

Gioconda Belli, issue de la haute société nicaraguayenne, s’engage dès le début des années 70 dans le mouvement sandiniste. Dans ses mémoires intitulés El país bajo mi piel. Memorias de amor y de guerra (« Le pays sous ma peau. Mémoires d’amour et de guerre »), elle relate ce que fut sa vie dans le dernier tiers du XXe siècle : pendant la conspiration, au moment de la victoire de la révolution sandiniste, et enfin dans les années de radicalisation du processus révolutionnaire, années au cours desquelles elle prend progressivement ses distances avec le mouvement sandiniste. Son récit est l’occasion de retracer l’Histoire récente de ce petit pays d’Amérique centrale, mais aussi l’histoire personnelle de cette femme qui s’est peu à peu affirmée par la révolution et à travers une écriture subversive. Au fil des pages, ce que le lecteur découvre, c’est donc l’incroyable potentiel d’affirmation de soi que contient un engagement, qu’il soit politique ou littéraire, et la capacité de révolte qui se tapit dans l’écriture.

Nous verrons ainsi en quoi le récit de la révolution sandiniste dans El país bajo mi piel met en évidence des enjeux essentiellement identitaires : cette quête de sens acquiert une dimension d’autant plus problématique que la révolutionnaire (et narratrice) est une femme, qui vit et se révolte dans un pays encore dominé par des conduites sexistes. Nous nous pencherons enfin sur les liens très étroits qui unissent la révolution et la littérature, tant dans l’action proprement dite que dans la mise en discours de cette action.

L’affirmation du sujet : les enjeux identitaires de la révolution

Les mémoires de Gioconda Belli retracent le parcours qui l’a menée à s’engager dans la lutte contre la dictature, aux côtés des sandinistes. Cette trajectoire d’engagement politique est mise en relation avec la destinée personnelle et intime de l’auteur, et ce dès le sous-titre du livre : « mémoires d’amour et de guerre ». Ce lien très fort entre vie privée et vie publique, qui est souligné tout au long de l’ouvrage, n’a rien d’un lien de contingence purement fortuite ; bien au contraire, il s’agit pour l’auteur de montrer en quoi ces deux sphères en principe bien distinctes s’influencent et se conditionnent réciproquement. Ainsi, la révolution n’apparaît pas comme un phénomène dépendant de circonstances objectives ; elle est plutôt le résultat de facteurs subjectifs, psychologiques, qui poussent l’individu en quête d’identité à s’engager dans la lutte. C’est la thèse que soutiennent certains théoriciens de la révolution, comme Max Pagès.3 Ce rôle des « mobiles inconscients », et donc de la subjectivité, dans l’entrée en révolution est mis en évidence par Gioconda Belli dès le début de son livre, où elle présente sa décision de devenir sandiniste comme la conséquence directe d’une expérience intime. Le point de départ de sa participation à la révolution est en effet une transgression amoureuse : sa relation extraconjugale avec un « Poète » qui lui ouvre les yeux sur la réalité :

Cette transgression fut mon Big Bang personnel. Elle me fit remettre en question mes devoirs et reconsidérer mes droits, ce qui était ma vie et ce qu’elle pouvait être. Le désir de liberté s’étendit à tout l’univers. De ma vie de jeune mariée de la classe aisée, il ne resta que la superficie trompeuse et lustrée. En moi commencèrent les sept jours de la création, les volcans, les cataclysmes.4

A partir de ce cataclysme, de cette éruption volcanique qui constitue sa petite révolution personnelle, Gioconda Belli s’identifie de plus en plus à la révolution sandiniste. Mais si ses objectifs sont bien politiques, ses motivations en revanche restent attachées au domaine privé, et l’engagement de la jeune révolutionnaire est présenté comme un moyen d’affirmation de son identité propre. En suivant le chemin de la révolution, Gioconda Belli « coupe le cordon » avec sa mère, exprimant ainsi son besoin de se construire en tant que sujet autonome, libéré des contraintes familiales. L’ensemble de l’ouvrage s’attache ainsi à montrer en quoi la révolution, plus qu’un phénomène politique, est avant tout gouvernée par des enjeux subjectifs, ayant partie liée avec la recherche d’identité ; dans cette optique, les motivations personnelles de l’individu semblent avoir plus d’importance que les aspirations collectives. Le groupe joue donc ici un rôle de « faire-valoir » pour l’individu, qui cherche à satisfaire, dans le combat révolutionnaire, son besoin de valorisation et d’estime de soi :

Pour moi, le plus extraordinaire c’était le bonheur, la plénitude qui accompagnait l’engagement. La vie acquérait un sens irrévocable, un but, une direction. On ressentait une complicité absolue, un lien profond avec des centaines de visages anonymes, une intimité avec la multitude qui faisait disparaître tout sentiment de solitude ou d’isolement. Dans la lutte pour le bonheur de tous, le premier bonheur qu’on rencontrait, c’était le sien propre.5

Si l’entrée en révolution constitue un moyen d’affirmation de soi, le combat social oblige rapidement l’individu à repenser ses relations avec les groupes et, à travers elles, ses identités groupales. C’est ainsi que Gioconda Belli, issue d’une classe sociale très aisée, se trouve confrontée à un conflit intérieur : en passant d’un groupe dominant (la bourgeoisie nicaraguayenne) à un groupe dominé (le mouvement sandiniste), elle doit renoncer à tout un système symbolique qui sous-tend un vaste réseau de privilèges inconscients. La prise de conscience de cette perte de privilèges sur le plan symbolique, à un moment de son histoire où l’auteur est poursuivie et surveillée de très près par les services secrets de la dictature, déstabilise ses investissements identitaires ; Gioconda Belli se sent alors entre deux appartenances : plus tout à fait bourgeoise, pas encore vraiment sandiniste. Mais dans cet entre-deux, elle a l’intuition que la perte de privilèges est le prix à payer pour faire partie intégrante du groupe :

Les privilèges de ma classe – je venais de m’en rendre compte – comprenaient un sentiment d’invulnérabilité inconsciente. Les mauvaises choses arrivaient aux autres. Nous, en revanche, nous avions une vision plus agréable du monde depuis le berceau, et nous lui faisions confiance. Passer de l’autre côté supposait la perte de ce sentiment intériorisé de sécurité. […] Dans le fond, je me réjouissais d’être désormais comme les autres, de perdre les privilèges qui me séparaient d’eux ; ces privilèges qui me poursuivaient et me faisaient douter qu’un jour ils me considèrent comme une des leurs, autant que je le souhaitais.6

Au-delà de la recherche d’identité personnelle et du désir d’affirmation de soi, la révolution pose donc un problème de redéfinition des identités collectives. Cette vacance d’appartenance crée un sentiment d’insécurité affective que le sujet ne peut contrer qu’en se faisant accepter par son nouveau groupe d’identification. Ainsi, la participation à la révolution est présentée dans El país bajo mi piel à la fois comme l’effet et la cause d’enjeux identitaires : si l’individu choisit de se révolter dans le but de s’affirmer comme sujet, son engagement dans la révolution le conduit ensuite à repenser totalement ses relations avec les groupes et ses identifications collectives. La résistance et l’action révolutionnaire peuvent alors produire des expériences de dédoublement de soi. C’est ce que Gioconda Belli met en évidence lorsqu’elle narre l’entretien qu’elle eut avec ses employeurs, qui la soupçonnaient – à juste titre – de s’être ralliée au mouvement révolutionnaire :

J’eus une sensation de dédoublement. Une Gioconda froide, rationnelle, prit le contrôle tandis que l’autre, recroquevillée en moi, tremblait dans un coin. […]
- Moi ?, dit celle de chair et d’os, avec la tête de la surprise la plus authentique du monde. Moi, du Front Sandiniste ?7

Ce dédoublement de la personnalité est d’ailleurs présent dès le début des mémoires, où l’auteur fait état de la double vie qu’elle a été amenée à vivre :

J’ai été deux femmes et j’ai vécu deux vies. Une de mes femmes voulait tout faire selon les règles classiques de la féminité : se marier, avoir des enfants, être attentionnée, docile et nourricière. L’autre voulait les privilèges masculins : être indépendante, se suffire à elle-même, avoir une vie publique, voyager, avoir des amants.8

Si, comme nous l’avons vu, l’intimité influence la vie sociale, l’engagement collectif oblige également à repenser la vie privée. Ainsi, par ce double mouvement, la révolution se trouve au centre d’un processus essentiellement identitaire : l’individu choisit la résistance parce qu’il ressent un désir d’émancipation et d’affirmation de soi ; dans le même temps, l’appartenance au mouvement révolutionnaire amène le militant à reconsidérer ses identités collectives, jusqu’à parfois le pousser à un dédoublement de personnalité. Or ce dédoublement, qui peut se produire, comme nous l’avons vu, dans les sphères sociales telles que la famille ou la classe, affecte également l’identité sexuelle de l’individu. La question du genre (féminin ou masculin) est en effet un élément central dans le récit que Gioconda Belli fait de la révolution. Il nous faut donc maintenant nous pencher sur les reconfigurations de l’identité féminine opérées par la révolution sandiniste, et sur la place ambivalente de la femme dans un mouvement encore traversé de préjugés machistes et patriarcaux.

Une émancipation partielle : la place de la femme dans la révolution

Comme le souligne Rosaura Rodríguez, la révolution sandiniste a été pour les femmes « le prétexte, l'occasion d'entreprendre une recherche identitaire »9. Dans ce pays d’Amérique centrale dominé par la violence d’un pouvoir dictatorial et patriarcal jusqu’en 1979, certaines femmes nicaraguayennes avaient bien compris que leur lutte contre la dictature était aussi une lutte pour leur émancipation : en participant à la révolution, elles quittaient enfin l’espace privé pour investir le monde public.10 Ainsi, la démarche identitaire qui pousse l’individu à s’engager dans la révolution est d’autant plus marquée que cet individu est une femme, en quête d’émancipation. C’est pourquoi Gioconda Belli met en évidence, tout au long de ses mémoires, le lien très fort qui existe entre le devenir-femme et le devenir-révolutionnaire. La combattante qui entre dans la résistance le fait en effet depuis sa position de femme, et plus encore, de mère, puisque, comme le souligne Max Pagès, « la Révolution est un objet psychique maternel »11 : tandis que tombent les symboles paternels représentés par l’autorité et l’ordre social contre lesquels le révolutionnaire se soulève, la révolution est identifiée à des références maternelles ; elle est, comme l’explique Pagès, « Notre Mère à tous ». C’est pourquoi Gioconda Belli prête une signification très symbolique au fait que le cérémonial clandestin du serment, qui la fit entrer dans le mouvement sandiniste, ait eu lieu précisément alors qu’elle attendait un enfant, et avec une femme, enceinte elle aussi :

Le serment était très rhétorique mais il était beau, avec des mots grandiloquents et héroïques. On s’engageait pour la cause de la liberté, on promettait de lutter pour le peuple jusqu’au dernier souffle. Je dis les mots solennels rapidement et sans trop d’emphase, tentant d’adoucir le ton sentencieux, mais quand Leana me serra dans ses bras pour sceller le pacte, je fus émue en sentant son énorme ventre frôler le mien ; mes témoins avaient été deux enfants à naître.12

Dans cette perspective, la révolution devient une démarche maternelle, une sorte de dette morale envers les générations à venir, que les femmes, par leur proximité avec les puissances de reproduction de la vie, ressentent de manière plus prégnante. C’est la raison pour laquelle la révolution, dans El país bajo mi piel, est constamment évoquée à travers la métaphore de l’enfant13. Cependant, cette identité de mère dans la révolution n’a pas que des effets favorables ; la concurrence entre le rôle maternel et le rôle révolutionnaire peut même devenir source de doutes et de mauvaise conscience pour la mère qui, par son engagement politique, met en danger sa vie et donc celle de ses propres enfants :

Je n’avais pas peur pour la vie de mes filles, mais je craignais qu’elles se retrouvent seules. Avais-je le droit, en tant que mère, de prendre ces risques ? La question me poursuivrait pendant des années comme un doigt accusateur, le visage désapprobateur de ma mère.14

Cette mauvaise conscience ressentie par les femmes révolutionnaires est doublée du mépris des hommes pour celles qui se détournent de leur rôle d’éducatrice : c’est ce mépris qui conduisit le mari de Gioconda Belli, alors que cette dernière se trouvait en exil, à refuser de lui envoyer leurs enfants, prétextant qu’elle ne serait pas capable de s’en occuper en raison de ses agissements politiques. La participation des femmes à la révolution remet donc en cause leur vie personnelle, non seulement sur le plan de la filiation mais aussi sur celui de leur intimité, puisque leurs relations amoureuses sont également contrôlées. Ainsi, après le triomphe de la révolution, le gouvernement sandiniste ordonna à Gioconda Belli de se séparer de son compagnon d’alors, un journaliste américain, considérant que cette relation avec un ressortissant du pays ennemi présentait un danger pour la pérennité du processus révolutionnaire. Gioconda Belli vécut ce manque de confiance, malgré des années de lutte au sein du sandinisme, comme une déchirure identitaire :

Je ne pouvais pas croire ce qui m’arrivait. Toutes ces années dans le sandinisme. Depuis 1970. Et on se méfiait de moi. Je comprenais leur inquiétude, mais le simple doute me faisait mal. […] Je ne pouvais pas concevoir que la Révolution me mette à l’écart. Le sandinisme faisait partie de mon identité. D’un point de vue affectif, c’était ma famille, c’était tout autant moi que mon patronyme. Je ne pouvais pas supporter l’idée d’un possible ostracisme, ni qu’on me traite avec méfiance. Je ne cessais de ressasser. J’étais révoltée contre ces doutes injustes, et en même temps sidérée par la peur que mes amis, mes camarades, me rejettent.15

Il faudra toute la verve d’une amie révolutionnaire pour lui faire prendre conscience du caractère sexiste d’une telle directive, qui n’a jamais été imposée aux sandinistes de sexe masculin :

Elle parla sans s’arrêter. Comment pouvais-je accepter docilement ces arguments ? Ne m’étais-je pas rendu compte qu’on n’avait jamais contrôlé les fréquentations féminines d’aucun de nos camarades masculins ? Ne me rendais-je pas compte qu’ils se permettaient de coucher avec des étrangères, avec des journalistes, avec qui ils voulaient, même s’ils avaient des responsabilités plus importantes que moi ? Le chef de je ne sais quel service secret n’était-il pas marié avec une Américaine ? Et Untel ? Et je ne sais qui encore ? Tu ne vas pas me dire qu’après toutes ces années d’engagement, tu vas accepter docilement qu’ils se méfient de toi, qu’ils croient que juste parce que tu es une femme tu ne sais pas faire la différence entre la tête et les fesses ? La vérité, c’est que ce sont des machistes invétérés. Eux, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, mais Dieu nous garde d’oser en faire autant.
Je la regardai, honteuse de ne pas avoir eu l’idée moi-même, alors que je militais activement pour la lutte féministe, de voir les choses de cette manière. Pía avait raison. […] On ne pouvait pas ignorer que le pouvoir – même révolutionnaire – était une charge faite à la mesure des hommes.16

Ce contrôle de la vie privée des femmes à l’intérieur de la révolution nicaraguayenne révèle la persistance de conduites sexistes, au sein même d’un mouvement qui prétend bouleverser les rapports sociaux afin de tendre vers plus d’égalité ; les limites de l’émancipation des femmes dans les périodes révolutionnaires ont d’ailleurs été mises en évidence par certains politologues d’Amérique latine17. Les discriminations envers les femmes au sein de la révolution s’exercent dans tous les domaines : par le contrôle de leur vie amoureuse, de leur rôle de mère, mais aussi dans une certaine vision que les hommes se font du pouvoir, et qui les pousse parfois à des dérives, perçues comme des régressions au stade animal, telles que le harcèlement sexuel. C’est ainsi que Gioconda Belli interprète l’attitude qu’eut à son égard le Général Omar Torrijos, dirigeant du Panama à qui elle devait porter un message de la part du mouvement sandiniste, et qui lui fit des avances pour le moins pressantes :

Ce fut mon premier contact avec ce mélange explosif de pouvoir et de sexe qui monte à la tête des hommes. Le pouvoir leur donne une assurance qu’ils n’auraient peut-être pas autrement. Ils s’abandonnent à cette sensation enivrante et, le torse en avant, depuis l’arbre le plus haut, en chefs de meute, ils descendent sur la tribu et ses femelles.18

Outre les discriminations de tout type dont sont victimes les femmes révolutionnaires au sein du mouvement sandiniste, Gioconda Belli montre également en quoi celles-ci ont été mises à l’écart du pouvoir par les hommes au moment de la constitution du nouveau gouvernement. Cependant, elle fait preuve d’une certaine lucidité, des années après les faits, en reconnaissant que la soumission était tout autant acceptée que subie par les femmes : c’est la raison pour laquelle Gioconda Belli consentit à abandonner son poste de chef du Système Sandiniste de Télévision pour devenir la simple secrétaire d’un dirigeant révolutionnaire avec qui elle entretenait à cette époque une relation amoureuse :

Mon comportement était plutôt celui de la femelle choisie par le singe le plus fort pour être sa compagne dans le clan : totalement primitif. Ce n’était pas le pouvoir, mais la soumission au pouvoir du mâle dominant qui enflammait mon âme et mes hormones, trahissant ma raison. […] Réduite à un lambeau de moi-même, je le suivais comme un animal domestique, désireuse de faire des exploits qui me gagneraient sa tendresse.19

L’émancipation des femmes révolutionnaires trouve donc ses limites dans la survivance d’un système de pensée discriminatoire assumé par les deux sexes. A travers cette mise en exergue de la reproduction de conduites sexistes au sein même de la révolution, Gioconda Belli prouve combien la recherche identitaire, qui est, comme on l’a vu, à la base de tout engagement révolutionnaire, est semée d’obstacles d’autant plus difficiles à franchir que le militant est de sexe féminin. C’est sans doute ce qui a amené l’auteur, en quête de sens, à déplacer son champ d’action de la politique à la littérature, la mise en texte étant elle aussi à la fois un moyen d’action et de clôture du sens.

D’une quête de sens à l’autre : révolution et littérature

Si, comme on l’a vu, le mouvement révolutionnaire permet à l’individu d’affirmer sa propre identité et de trouver un sens à sa vie, la littérature semble assumer, dans El país bajo mi piel, le même rôle d’émancipation de soi. Ainsi, le récit simultané des débuts de Gioconda Belli dans le monde de la création littéraire et de son adhésion à la révolution semble montrer en quoi la littérature fait partie intégrante du destin de l’auteur, au même titre que l’engagement politique. Un lien est donc établi explicitement entre la révolution et l’écriture, deux processus de quête identitaire placés dans le récit au même niveau d’importance :

Je ne sais dans quel ordre les choses se produisirent, si ce fut d’abord la poésie ou la conspiration. Dans ma mémoire de ce temps, les images sont lumineuses et toutes de premier plan. L’euphorie vitale se canalisa dans la poésie. En m’appropriant mes pleins pouvoirs de femme, je me dépouillai de l’impuissance face à la dictature et à la misère. Je ne pus continuer à croire que changer cette réalité était impossible.20

Dans cette perspective, la littérature acquiert tout au long de l’ouvrage un rôle militant aussi efficace que l’engagement révolutionnaire : l’écriture est ainsi conçue comme une arme de résistance. Cette vision politique est confirmée par le recours à une citation qui fait autorité : en effet, Gioconda Belli convoque dans son récit les mots de José Coronel Urtecho, extraits du prologue qu’il écrivit pour le premier recueil de poésie de cette jeune poétesse nicaraguayenne : « La femme qui se révèle, se rebelle »21. Cette phrase résume parfaitement la représentation de la littérature, poétique ou non, que Gioconda Belli développe dans ses mémoires : ainsi, sa révolte ne passe pas seulement pas ses actions révolutionnaires en politique, mais aussi par sa façon de subvertir les codes traditionnels de l’écriture, en prenant la parole en tant que femme dans un milieu dominé par les hommes :

Le scandale que mes poèmes provoquèrent dans la haute société de Managua fut immense. « Poésie vaginale », disaient les dames. « Pornographique, sans gêne ».
- Heureusement que tu les as publiés avec ton nom de jeune fille, me dit ma belle-mère. […]
La polémique ne m’arrêterait pas. Au contraire. La réaction du secteur le plus conservateur de la société me fit comprendre que, sans le vouloir, j’avais trouvé une autre voie pour la subversion.22

Ce rôle révolutionnaire de la littérature et de l’art en général est également visible dans l’importance que Gioconda Belli accorde à la mobilisation des intellectuels étrangers qui visitèrent le Nicaragua au moment où le sandinisme devait faire face aux ingérences de la politique nord-américaine. L’auteur considère en effet que les interventions des écrivains, dans leur domaine, ont limité les assauts extérieurs contre la révolution :

des artistes et des écrivains européens et latino-américains nous rendirent visite. C’est ainsi que je rencontrai Harold Pinter, Salman Rushdie, Eduardo Galeano, Juan Gelman, entre autres. C’était comme des nuées d’oiseaux voulant protéger à l’ombre de leurs ailes ce qu’ils voyaient de bon dans la Révolution. Ils rentraient aux Etats-Unis, dans leurs pays, condamnant la politique de Reagan, écrivant des articles, des livres, organisant la solidarité et mobilisant plus de gens afin de revenir au Nicaragua pour construire des écoles, des maisons, ou rejoindre les brigades de volontaires qui partaient récolter le café ou le coton. Grâce à des gens comme eux, les envies d’invasion de l’Administration Reagan purent être contenues.23

La littérature occupe donc dans les mémoires de Gioconda Belli une place similaire à celle qui est accordée à la révolution, et assume le même rôle de subversion : ce n’est pas un hasard puisque l’écriture permet à l’auteur d’assouvir des besoins identitaires, au premier rang desquels on trouve la quête de sens. Dans cette perspective, la « mise en intrigue », selon l’expression de Paul Ricœur24, de la révolution dans El país bajo mi piel répond à ce besoin de construction d’un sens. C’est la raison pour laquelle l’idée de destin prédomine dans le récit de Gioconda Belli. Cette idée est présente dès le début de l’ouvrage : la révolution y apparaît comme un processus inévitable dans la vie de l’auteur, un engagement écrit d’avance qu’elle n’aurait pu éviter :

Deux choses que je n’ai pas décidées décidèrent de ma vie : le pays où je naquis et le sexe avec lequel je vins au monde. C’est sans doute parce que ma mère sentit mon impatience de naître alors qu’elle était dans le Stade Somoza à Managua, en train de regarder un match de base-ball, que la chaleur des foules fut mon destin. C’est sans doute à cela que je dois ma peur de la solitude, mon amour pour les hommes, mon désir de dépasser les limitations biologiques ou domestiques et d’occuper autant de place qu’eux dans le monde.25

Cependant, cette idée de prédestination est bien une invention née du désir de clôture du sens, de recherche d’une signification globale, qui anime toute quête identitaire. Il ne s’agit pas en effet d’un véritable destin, mais bien plutôt d’une réinterprétation, a posteriori, de la scène originaire, à la lumière d’une vie passée à lutter contre l’oppression :

on vient au monde avec une pelote de fils dans la main. Personne ne connaît le dessin final de la toile qu’on tissera, mais à un moment donné de la broderie, on peut regarder en arrière et dire :
Evidemment ! Comment aurait-il pu en être autrement ? Dans cette extrémité brillante de la pelote se trouvait le commencement de la trame !26

La métaphore de la toile que l’on tisse tout au long de la vie, et dont on interprète ensuite le dessin, traduit cette tendance du récit historique à reconstruire subjectivement une chaîne causale qui n’est peut-être pas celle qui a existé d’un point de vue objectif.27 Cette reconstruction à l’œuvre dans le récit autobiographique conduit l’auteur à organiser sa narration de manière à produire du sens : en feignant, tout au long de l’ouvrage, de construire son récit sur la base de l’association d’idées, Gioconda Belli tisse un réseau de significations qui amène le lecteur à replacer les événements dans une perspective causale. Ainsi, l’Histoire du Nicaragua est constamment reliée à l’histoire personnelle de l’auteur, suggérant de la sorte le caractère inévitable de son engagement pour son pays. C’est ce type de structure narrative qui préside, par exemple, à l’évocation du projet de canal interocéanique au Nicaragua qui a eu cours au XIXe siècle :

La recherche de l’intersection des deux océans qui marqua l’histoire de mon pays marqua aussi celle de ma famille : je descends d’Italiens piémontais. De Biella. Il y eut deux frères Belli qui arrivèrent en Amérique. Próspero était architecte, Antonio, ingénieur civil. Próspero alla jusqu’au Pérou, où il fonda un musée dans le désert d’Ica. Antonio travailla au Canal de Panama et, un week-end, il se rendit au Nicaragua où, sous le charme des bâtisses coloniales et la brise d’un lac si grand que les conquistadors espagnols le nommèrent « la mer douce », il tomba amoureux de mon arrière-grand-mère.28

Ainsi, la destinée de Gioconda Belli paraît être déterminée par une relation familiale très forte avec l’Histoire nationale. Cette relation se présente précisément comme un principe d’explication de l’engagement de l’auteur, aussi bien dans les sphères politique que littéraire. Il semblerait donc que l’ensemble de l’ouvrage ne réponde finalement qu’à ce désir fondamental de l’auteur : donner une direction à sa vie, que celle-ci soit politique ou littéraire.

Conclusion

Au terme de cette étude, il apparaît que la démarche révolutionnaire de Gioconda Belli, tout comme la représentation qu’elle en fait à travers l’écriture, obéit à une quête de clôture du sens : la révolte personnelle qui l’amène à s’affranchir de l’ordre marital, son engagement ultérieur dans la révolution sandiniste et enfin sa résistance subversive dans la littérature constituent pour l’auteur nicaraguayenne trois modalités de recherche d’identité et d’affirmation de sa personnalité. Dans cette perspective, nous avons pu constater que la révolution opère un remaniement des sentiments d’identité et d’appartenance, et que l’entrée en révolution est tout autant un effet de la quête de sens qu’une de ses causes principales. Cette participation au mouvement révolutionnaire nous a également apparu, dans le contexte nicaraguayen, comme un moyen de se constituer en tant qu’individu-femme, avec les limites imposées par la lenteur du changement dans le domaine des relations entre les sexes. Enfin, nous avons vu comment cette quête d’identité à travers la résistance et l’engagement révolutionnaire trouvait en fin de compte sa voie (peut-être devrions-nous dire sa voix ?) dans la littérature et dans l’acte de subversion et de résistance que représente l’écriture.

Face à ce qu’elle nomme les « errements »29 de la révolution, Gioconda Belli a finalement choisi de mener cette quête de sens, jamais épuisée, exclusivement dans l’expression littéraire : c’est ainsi qu’elle publiera des livres de plus en plus éloignés de la réalité du processus révolutionnaire, esquissant une transition entre son premier roman largement influencé par son vécu autobiographique, La mujer habitada (« La femme habitée », 1998), et ses productions suivantes qui opèrent un recul dans le temps dont l’apogée est atteint en 2008 avec El infinito en la palma de la mano (L’infini dans la paume de la main), un roman à portée universelle qui revisite le mythe de la Genèse.

Bibliography

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Notes

1 MARTÍ I PUIG, Salvador, La revolución enredada: Nicaragua 1977-1996, Madrid: Los Libros de la Catarata, 1997, p. 22 : « Le nationalisme et l’anti-impérialisme émanèrent du mythe d’Augusto César Sandino, homme politique libéral et chef de la guérilla, figure centrale du rejet de la présence nord-américaine pendant le premier tiers de ce siècle. Ce personnage fascina Carlos Fonseca – co-fondateur et théoricien du FSLN – qui, en 1961, refonda le Front de Libération Nationale pour y introduire l’adjectif de Sandiniste ». Nous traduisons. Return to text

2 Il est encore au pouvoir à ce jour, ayant été reconduit dans ses fonctions fin 2011 après avoir reçu l’autorisation de la Cour suprême pour être candidat à un deuxième mandat consécutif, contrairement aux dispositions prévues par la Constitution. Le scrutin qui l’a donné vainqueur dès le premier tour avec plus de 60% des suffrages a fait l’objet d’une grande polémique, l’opposition accusant Ortega de s’être rendu coupable de fraudes électorales. Return to text

3 PAGES, Max, Le phénomène révolutionnaire : une régression créatrice, Paris : Desclée de Brouwer, 1998, pp. 34-35 : « Les phénomènes révolutionnaires ne sont ni de droite, ni de gauche, ni même, si l’on ose dire, neutres. Les tentatives d’explication en termes socio-économiques, qui attribuent aux hommes des mobiles rationnels, sont utiles, mais insuffisantes. Il faut aussi tenir compte des mobiles inconscients, des systèmes de défense collectifs contre l’anxiété, de la culpabilité, de l’investissement protecteur qui se porte sur les figures d’autorité sociale, sur les appareils de pouvoir, sur les croyances et les idéologies, et du déplacement de ces investissements pendant les périodes de bouleversements sociaux ». Return to text

4 BELLI, Gioconda, El país bajo mi piel, Tafalla: Txalaparta, 2000, p. 58. Nous traduisons tous les extraits de Gioconda Belli. Return to text

5 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 129. Return to text

6 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 108. Return to text

7 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 104. Return to text

8 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 12. Return to text

9 RODRÍGUEZ, Rosaura, La conquête de l'identité : le Nicaragua à travers sa littérature, Paris : Indigo et Côté-femmes, 1997, p. 182. Return to text

10 GANDOLFI, Alain, Nicaragua. La difficulté d’être libre, Paris : Éditions Karthala, 1983, p. 102 : « Les femmes, d'une manière spécifique, se sont très tôt lancées dans la lutte contre la dictature. Leur premier mouvement, l'Association des Femmes Face à la Problématique Nationale (AMPRONAC) a été créé dès 1977, regroupant femmes de la bourgeoisie et du peuple. […] A l'origine, l'Association réclame l'arrêt de la répression, la liberté pour les prisonniers politiques, elle proteste contre le coût élevé de la vie. Actuellement, elle a pour objectifs de mobiliser les femmes pour la défense de la révolution, de les intégrer à la production, d'aider à la réforme des mentalités, de conquérir l'égalité avec les hommes ». Return to text

11 PAGES, Max, op. cit., p. 51. Return to text

12 BELLI, Gioconda, op. cit., pp. 75-76. Return to text

13 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 12. « J’ai vécu la grossesse et la naissance d’un enfant conçu de la chair et du sang de tout un peuple. J’ai vu les foules célébrer la fin de quarante-cinq ans de dictature ». Return to text

14 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 110. Return to text

15 BELLI, Gioconda, op. cit., pp. 118-119. Return to text

16 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 137. Return to text

17 VILAS, Carlos María, Mercado, estados y revoluciones : Centroamérica, 1950-1990, México: UNAM, Centro de investigaciones interdisciplinarias en humanidades, 1994, p. 243 : « l’arrivée de la femme dans de nouveaux secteurs de la vie publique a généralement impliqué la reproduction de la traditionnelle subordination de genre, à travers la discrimination objective dans les postes de travail, la méfiance ou le mépris envers leurs aptitudes et leurs capacités, le maintien de formes d’organisation qui ignorent et donc perpétuent les inégalités dans les relations entre hommes et femmes, le chantage sexuel, la maltraitance ». Nous traduisons. Return to text

18 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 218. Return to text

19 BELLI, Gioconda, op. cit., pp. 346-347. Return to text

20 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 61. Return to text

21 CORONEL URTECHO, José, IN BELLI, Gioconda, op. cit., p. 103. Return to text

22 BELLI, Gioconda, op. cit., pp. 66-67 Return to text

23 BELLI, Gioconda, op. cit., pp. 384-385. Return to text

24 RICOEUR, Paul, Temps et récit, tome 1, Paris, Le Seuil, 1983, 319 pages. Return to text

25 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 11. Return to text

26 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 20. Return to text

27 AÍNSA, Fernando, « La invención literaria y la reconstrucción histórica », IN Histoire et Imaginaire dans le roman hispano-américain contemporain, América, n°12, Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, Cahiers du CRICCAL, 1993, p. 19 : « La reconstruction textuelle, de par la nature même de la structure narrative, est obligée de proposer un modèle fini du monde réel infini. L’œuvre historique et la fictionnelle nécessitent un début et une fin clairement définis. Tout « ouvert » qu’il se prétende, le texte doit s’inscrire dans une causalité temporelle déterminée ». Nous traduisons. Return to text

28 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 23. Return to text

29 BELLI, Gioconda, op. cit., p. 387. Return to text

References

Electronic reference

Sophie Large, « La mise en récit de la révolution dans El país bajo mi piel de Gioconda Belli : la résistance au service de l’identité », Sciences humaines combinées [Online], 9 | 2012, 01 March 2012 and connection on 24 November 2024. DOI : 10.58335/shc.254. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=254

Author

Sophie Large

Doctorante en Espagnol, TIL - EA 4182 – UB