Introduction
Jusque dans les années 70, il était d’usage de penser que la seule responsabilité sociale qu’avaient les entreprises, était d’augmenter leurs profits (Friedman, 1970). Milton Friedman, économiste libéral, de renommée internationale, luttait à l’époque contre le courant éthique (business ethics) né aux Etats-Unis au début du XXème siècle. Ce courant de pensée, ne prenant véritablement son essor qu’à partir des années 1950, appelle l’entreprise à répondre à des attentes autres que financières (sociales, environnementales…). Quarante ans après les déclarations de M. Friedman, force est de constater qu’il serait osé de réitérer ce genre de déclarations dans un contexte économique instable où ces propos pourraient très vite être pointés du doigt par les victimes de la crise économique actuelle. La vision traditionnelle de la firme telle qu’elle était entrevue lors de la période des Trente Glorieuses serait donc bien révolue.
Les scandales politico-financiers du début des années 2000 aux Etats-Unis1 et en Europe2 n’ont fait que renforcer le sentiment que le système purement capitaliste est devenu instable voire pernicieux. Tout cela a néanmoins provoqué une prise de conscience qui engagerait à se baser sur des critères autres que financiers pour jauger de la performance d’une entreprise. La prolifération des agences de notations sociales et sociétales (Vigeo, Ethibel…) ainsi que les outils permettant de mesurer la performance sociale des entreprises (Balanced scorecard, navigateur Skandia AFS, bilan social, bilan sociétal…) sont les témoins de la prise en compte croissante de préoccupations sociales et environnementales de la performance globale d’une entreprise.
Appliquées au champ du sport, ces problématiques d’ « entreprises » peuvent s’avérer être, de prime abord, éloignées de celles des clubs sportifs professionnels. Pourtant ces organisations particulières, qualifiées d’ « hybrides » (Bayle, 2007) tant par leurs finalités (absence de recherche systématique de profits), leurs modes de financement (financement public/privé), leurs personnels (salariés/bénévoles) et leurs appartenance à des instances sportives internationales (Comité International Olympique, Union of European Football Associations…) se rapprochent des entreprises classiques. Il semble donc, moyennant quelques adaptations, que certaines problématiques d’entreprises soient transposables au secteur du sport professionnel. Parmi celles-ci, le dépassement des critères économiques et des indicateurs de performance sportive s’applique traditionnellement à ces organisations sportives.
L’objectif de cet article n’est donc pas de remettre en cause le modèle de performance (Durand, Ravenel, & Bayle, 2005) communément admis selon lequel une performance sportive couplée d’une expertise commerciale et managériale efficace serait à l’origine d’une bonne performance globale des clubs. Nous pensons que cela est vrai notamment dans les activités professionnelles fortement médiatisées. Mais comment alors expliquer la longévité de certains clubs dans l’élite, insérés dans des zones économiques et démographiques pauvres ?3 Nous faisons donc l’hypothèse que des critères autres que les indicateurs de performance sportive et économique interviennent dans la pérennité des équipes de sport professionnel au plus haut de la hiérarchie, en Europe tout du moins et plus particulièrement en France.
Cette contribution à une approche « éthique » du sport professionnel amène une réflexion de nature épistémologique sur le concept de performance des clubs. Les arguments avancés se basent sur une série d’entretiens menés auprès des dirigeants de clubs sportifs professionnels et sur une série de conclusions trouvées à la suite d’une étude exploratoire menée sur les sites Internet de clubs. La première partie de l’article recense les limites du modèle de performance issu du mode d’organisation du sport professionnel américain à travers l’importance que revêt les particularismes des clubs européens et plus particulièrement français. Dans une deuxième partie sera discuté le concept de responsabilité sociale des clubs professionnels (RSCP) qui permet d’apporter un premier élément de réponse aux manquements du modèle. Les perspectives futures de recherches seront orientées vers une tentative d’instrumentalisation de cette responsabilité sociale afin de donner aux dirigeants de clubs des possibilités d’évaluer leur performance ainsi élargie.
Les limites liées à la prise en compte des seuls indicateurs sportifs et économiques d’un club professionnel
Nous présenterons dans une première partie le modèle de performance issu des travaux de C. Durand (2005), importé du modèle Etats-unien et qui constitue la référence dans le champ du sport professionnel (1.1). Puis nous adopterons une position plus critique vis-à-vis de cette approche en évoquant un certain nombre de limites constatées au regard de l’implantation de certains clubs professionnels français, ne répondant pas aux critères économiques du modèle (1.2).
Présentation du modèle de performance des clubs de sport professionnel4
Le modèle traditionnellement utilisé est issu de la théorie de la contingence, qui tire son essence des approches naturalistes et alternatives des courants traditionnels des théories des organisations. Cette théorie place l’environnement comme un critère essentiel de développement des organisations. Ce modèle se base donc sur une prise en considération des quatre grands fournisseurs de ressources des clubs sportifs professionnels (collectivités locales, entreprises, médias et public) couplée à la masse démographique autrement dit la zone de chalandise dans lequel se situe le club. Cet ensemble de relations prend le nom de « modèle du potentiel local ». Une représentation graphique de celui-ci a été réalisée dans l’article de C. Durand.
Sur ce graphique apparaît trois types d’expertises développés par les clubs. L’expertise commerciale s’attache à observer les caractéristiques économiques de la population (pouvoir d’achat moyen des ménages, propension à consommer des loisirs, etc.). Le degré d’expertise commerciale d’un club se mesure par sa capacité à transformer le potentiel local dont elle dispose en recettes commerciales. L’expertise managériale correspond à la capacité du club à utiliser de façon optimale les ressources matérielles et humaines qui sont à sa disposition. La dimension sportive constitue la finalité des clubs, à savoir transformer les ressources issues des deux premières expertises en résultats sportifs les plus efficients.
Ce modèle a l’avantage de n’incorporer dans sa modélisation que des expertises facilement quantifiables, à l’exception de l’expertise managériale, un degré plus difficile à évaluer. Néanmoins, dans l’observation de la répartition géographique des clubs professionnels, on constate que ce modèle est incomplet et n’explique pas les spécificités de l’implantation de certains clubs sur le territoire national (cf. note 3). C’est ce que nous tentons de montrer dans le point suivant à travers l’étude des statuts juridiques des clubs sportifs professionnels et le rôle important joué par les collectivités territoriales.
Les limites du modèle du « potentiel local »
Les auteurs montrent très clairement, dans une de leur recherche sur une étude transfrontalière des clubs canadiens et américains de Hockey, qu’il existe certaines limites au modèle du « potentiel local » (Durand & Helleu, 2006). Dans cet article, deux raisons sont données quant aux précautions à adopter par rapport à l’utilisation de ce modèle. La première est la difficulté qu’ont les analystes du sport à prendre en compte la dimension culturelle et historique qui explique en partie l’implantation de certaines équipes dans des bassins démographiques de petite taille. La deuxième raison invoquée concerne l’attitude d’un des trois pourvoyeurs de ressources précédemment cités : les collectivités locales. Celles-ci peuvent expliquer en partie l’implantation de clubs via les aides directes et indirectes qu’elles fournissent. Ces réserves émises nous amènent à notre tour, à nous porter une réflexion sur ce que pourrait constituer les limites de la performance d’un club, si nous adoptions ce modèle.
Depuis toujours, le sport a été considéré comme un moyen d’éducation, d’insertion sociale représentant également un modèle culturel lié à la santé et au bien-être.5 La majorité des clubs professionnels européens se sont constitués au départ comme des organisations à but non lucratif. En France, la tradition veut que cette majorité ait été constituée en associations de type loi 1901, basées sur un modèle social de type paternaliste. Ainsi, de nombreux clubs professionnels ont gardé cette empreinte, née des patronages de la fin du XIXème siècle, à travers leurs patronymes actuels. Le fondement historique des clubs en association a certes évolué depuis le début du sport « professionnel » dans les années 1980 mais certains sports, les moins médiatisés, ont gardé pour la plupart le statut associatif ou opté pour un statut mixte (Société d’Economie Mixte Sportive Locale ou Société Anonyme d’Economie Mixte Sportive).6
On observe, en France, une polarisation des clubs qui soit gardent leurs statuts originels associatifs, soit s’orientent vers des créations de sociétés de plus en plus professionnalisées (la Société Anonyme Sportive Professionnelle (SASP) étant la forme la plus proche de la Société Anonyme classique). Cette polarité est accentuée par les différences de médiatisation des activités. Il semble qu’il y ait le football et le rugby d’un côté (constitué respectivement à 93 et 80 % de SASP) et les autres sports dans lesquels les ligues féminines existantes augmentent la proportion d’associations.7
En outre, on constate que près de la moitié des clubs sportifs professionnels (43 %) est constituée sous forme associative. Le lien qu’entretient l’association avec son territoire, même dans le cas d’un club professionnel, est plus fort que dans les cas où le club a opéré sa professionnalisation en ayant créé une société sportive professionnelle distincte. Cela laisse à penser que les clubs au statut associatif ont développé de nombreux autres particularismes que ceux édictés dans le modèle de performance du « potentiel local » (fidélisation de sponsors et de partenaires institutionnels, liens étroits avec les collectivités locales et territoriales, attachement du territoire à la marque développée par le club…).
La deuxième limite qui découle de la constitution en associations ou sociétés d’économie mixte des clubs est la mise sur le devant de la scène des collectivités territoriales qui jouent dans ces structures des rôles prépondérants (soit par le montant des subventions accordées dans le cas des associations, soit par la détention majoritaire du capital dans le cas des sociétés d’économie mixte). A la suite des lois de décentralisation de 1982 et 1983, trois grandes réformes ont été adoptées et ont permis la substitution des collectivités territoriales à l’Etat. Cette décision politique a permis d’autonomiser les collectivités locales et territoriales dans la nature et le montant des fonds versés aux clubs comme en témoigne à l’époque la création de sociétés mixtes. Néanmoins, les faillites de certains clubs, notamment de football, dans les années 1990 ont ralenti ce phénomène (Durand, 1995). Pour certaines activités représentées dans le tableau, le montant moyen des subventions publiques dans la part du budget total des clubs représente une ressource financière importante voire essentielle à la vie du club.8 Dans ces cas précis, les collectivités territoriales font figure de parties prenantes incontournables pour les clubs professionnels qui doivent nécessairement prendre en compte une certaine partie de leurs attentes. Il existe notamment de nombreuses missions d’ordre social qui sont mises en avant par ces collectivités (organisation par le club de manifestations à caractère social, mise en place de politiques favorisant l’accès au stade pour certain type de population…) et qui constituent une certaine forme d’échange marchand entre la subvention attribuée par la collectivité et le service accordé par le club (Piché, 2009). Pourtant ces missions d’ordre social ne sont pas prises en compte dans le modèle du « potentiel local ».
En résumé, la partie intitulée « financial results » de ce modèle ne correspond pas à la réalité de la performance des clubs français dans la mesure où ceux-ci sont encore constitués pour la moitié d’entre eux sous formes associatives ; ils peuvent néanmoins réaliser des bénéfices qui sont alloués à la constitution de réserves pour l’année suivante. Cette remarque n’est valable que pour les activités faiblement médiatisées, le football et à un niveau moindre le rugby faisant figure d’exception, tant leur degré de professionnalisation est avancé. La réalité confirme ses dires, car de nombreux clubs sont structurellement déficitaires, ce qui ne les empêche pas de briller par leurs résultats sportifs au niveau national voire d’exister sur le plan européen.9 Certains propriétaires de club ont intégré cette idée et ne se servent généralement du club uniquement comme un centre de profit indirect (Bayle & Mercier, 2008) leur permettant d’accroître la notoriété de leurs entreprises généralement sponsors du club.
De même, toute la partie concernant l’engagement social, voire environnemental, des clubs sur leurs territoires est occultée du modèle. Or, il apparaît dans les différents entretiens passés auprès de dirigeants, qu’un club ne se résume pas à du sport et à de l’argent uniquement.10 Enfin, la participation massive de bénévoles lors de l’organisation d’évènements sportifs pose de réels problèmes organisationnels conflictuels et nous invite à nous interroger sur la valorisation du bénévolat dans des organisations soi-disantes « professionnelles » (Bayle, 2001). Enfin, divers problèmes éthiques sociaux marqués ces derniers temps par le problème de la formation des jeunes11 constituent des limites supplémentaires au modèle du « potentiel local ». C’est ce que nous chercherons à montrer dans la deuxième partie de cet article à travers la prise en compte de la responsabilité sociale de l’entreprise.
La Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) : une réponse aux limites du modèle du « potentiel local »
Le courant de la responsabilité sociale de l’entreprise, est appréhendé, de manière brève, à travers une dimension historique et descriptive (2.1). Nous avons tenté de pointer les nouvelles pratiques managériales des clubs sportifs professionnels en matière de responsabilité sociale nous conduisant à traiter de l’avènement d’une RSE propre au champ du sport professionnel : la Responsabilité des Clubs Sportifs Professionnels (RSCP) (2.2).
« Le concept de RSE »
La thématique de la responsabilité sociale de l’entreprise s’inscrit dans le courant « business ethics » né aux Etats-Unis et prend racine dans les valeurs du protestantisme américain. Ce courant « éthique » est apparu, Outre-Atlantique, dès la fin de la révolution industrielle. Il faut néanmoins attendre les années 1950 pour que l’expression de « responsabilité sociale » soit employée pour la première fois. Définie à l’époque comme « une obligation pour les dirigeants de prendre des décisions en cohérence avec les valeurs de la société » (Bowen, 1953), l’expression a beaucoup été utilisée à partir de la deuxième moitié du XXème siècle et a donné naissance à un paradigme venant concurrencer les théories contractuelles des organisations issues du courant néo-classique. Longtemps caractérisée par la seule réalisation de profits pour ses actionnaires (Friedman, 1970), la firme constitue aujourd’hui une organisation capable de répondre socialement aux problèmes posés par son environnement, à tel point que certains auteurs pensent même que l’entreprise remplit, dans certains pays, le rôle affecté au départ aux institutions (Matten & Moon, 2008).
Aujourd’hui, le champ de la responsabilité sociale de l’entreprise est en plein essor. Le livre vert édité par l’Union Européenne (Commission européenne, 2001) axe son contenu sur les différentes responsabilités que recouvrent les entreprises dans le domaine du social. Définie comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes », la responsabilité sociale est devenue une réponse stratégique à une série de pressions sociales, environnementales et économiques. Celle-ci a souvent été qualifiée d’ « implicite » dans la mesure où elle n’avait pas besoin d’être prise en considération du fait de l’institutionnalisation de cette responsabilité au niveau étatique. Jusque dans les années 1990, l’entreprise s’est donc contentée de veiller au respect des règles en vigueur en matière de responsabilité sociale. Mais la déliquescence de l’Etat-providence en Europe, associée à l’abandon des principes fordiens dans les entreprises (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2007), a mis à mal cette responsabilité implicite au point que celle-ci soit prise en compte de manière volontaire et « explicite » (Matten & Moon, 2008). Ces deux auteurs ont dressé une comparaison intéressante de la manière dont est prise en compte la responsabilité sociale dans le « National Business System » européen et américain. Et même si la « corporate social responsibility » Outre-Atlantique semble être plus explicite que son homologue européen, dû en partie aux principes philanthropiques des businessmen américains, le fossé se réduit fortement ces dernières années entre les deux continents. Ainsi, les entreprises n’ont plus seulement le devoir de réaliser des profits pour contenter et satisfaire leurs actionnaires, il leur incombe, en plus, cette responsabilité sociale auprès des autres acteurs de son environnement.
On observe depuis quelques années une certaine homogénéisation des pratiques en matière de responsabilité sociale à tel point que certains clubs précurseurs dans ce domaine effectuent des opérations similaires à des entreprises classiques, mais gardent néanmoins des spécificités propres au secteur sportif. C’est ce que nous verrons dans le point suivant à travers une série d’enquêtes exploratoires et par l’analyse de la littérature essentiellement anglo-saxonne.
« L’avènement d’une responsabilité sociale des clubs professionnels (RSCP) »
Le sport en tant qu’objet constitue déjà à lui seul un vecteur de diffusion d’une responsabilité sociale (Smith & Westerbeek, 2007). Ces deux auteurs, s’appuyant sur un référentiel de responsabilité sociale de l’entreprise emprunté au champ de l’entreprise (Welford, 2004, 2005), ont mis en exergue sept caractéristiques de responsabilité sociale que le sport représente (un pouvoir fort de communication, un accompagnement des jeunes dans l’éducation, des impacts positifs sur la santé, la diffusion de lien social, une prise de conscience des problèmes de développement durable à travers les évènements sportifs internationaux, l’intégration, une mixité culturelle et l’immédiateté des bénéfices liés à la pratique sportive). Cela les a conduit à renommer le terme de « Corporate Social Responsibility » en « Sport Corporate Social Responsibility ». A partir de là, il est légitime de penser que les organisations sportives comme les clubs sportifs professionnels ont tout intérêt à générer une éthique et à développer de l’engagement social sur leur territoire, voire au-delà. En effet, si nous ne considérons l’offre de consommations sportives dans un club qu’à travers le spectacle offert (Bouchet, 2006), celui-ci représente en soi le gage pour les spectateurs et/ou téléspectateurs de bénéficier d’un service empreint de lien social grâce à l’essence même de l’évènement sportif offert aux publics.
Les thèmes abordés au croisement de la RSE et du champ d’application « sport » sont en étroite relation avec les caractéristiques énoncées précédemment. Dans un rapport publié en 2005, « Année internationale du sport et de l’éducation physique », un groupe de chercheurs a relevé dix thématiques principalement abordées à l’occasion de l’utilisation du sport par différents partenaires privés (May & Phelan, 2005). Toutes ces thématiques sont agrémentées d’exemples concrets de créations de mouvements sociaux sportifs à travers le monde.12 De même, de nombreux rapports sociétaux à l’occasion d’organisations d’évènements internationaux sont à présent régulièrement établis. C’est le cas Outre-Atlantique avec l’organisation chaque année du Super Bowl (Babiak & Wolfe, 2006) et en France avec l’organisation récente de la Coupe du monde de Rugby (Barget & Gouguet, 2008) ou encore à une échelle moindre comme l’atteste les mesures environnementales prises lors du dernier tournoi de tennis, l’Open 13 (Danglade, 2009). Enfin, de nombreux sites Internet ont été créés afin de traiter de la responsabilité sociale à travers la communauté dans laquelle s’insèrent les ligues professionnelles,13 à travers la philanthropie des anciens ou actuels joueurs professionnels14 et également à travers l’implantation des clubs professionnels15 dans leur environnement. Tout cela ne constitue, en aucun cas, une liste exhaustive des démarches entreprises en matière de responsabilité sociale dans le secteur du sport professionnel.
En France, on observe parmi les clubs professionnels de plus en plus de mesures prises en faveur d’une responsabilité sociale accrue et qui vont au-delà de ce que fixe la législation en vigueur. Cela se mesure par les créations récentes de fondations (fondation Olympique Lyonnais et Paris Saint Germain) ou d’associations citoyennes (Cœurs en Mêlées, Stade toulousain ; Esprits Sports, ASVEL) et par le soutien à de nombreuses actions citoyennes.
Une analyse exploratoire de la sitographie des clubs en matière de responsabilité sociale nous a permis d’établir plusieurs constats à partir d’un classement des actualités parues sur les sites Internet de dix-neuf clubs professionnels de basket-ball, football et rugby lors de la saison sportive 2008-2009.16 Le premier d’entre eux est qu’il existe une différence notoire entre les actualités paraissant sur la partie uniquement « professionnelle » du club et celles traitant de la « Responsabilité Sociale du Club Professionnel ». En effet, avec un rapport de 1 à 7, la RSCP est peu mise en avant. Pourtant, elle est la deuxième thématique abordée devant les catégories « formation », « partenaires et sponsors » et « supporters et abonnés ». La deuxième conclusion apportée par cette étude penche en faveur d’une pluralité de responsabilités sociales. Celle-ci ne semble pas prise en compte de la même manière selon l’activité étudiée : plus le sport est médiatisé, moins le club est enclin à communiquer sur ces pratiques en matière de responsabilité sociale. Cela vient corroborer les constats effectués au point 1.2 sur les limites du modèle de « potentiel local », notamment pour les clubs moins développés que ceux de football et/ou de rugby. Néanmoins, d’après l’enquête qualitative qui a accompagnée l’analyse de contenu des articles paraissant sur les sites Internet, les causes soutenues par l’intégralité des clubs se confondent assez largement avec les thématiques abordées par May et Phelan (2005) et recensées en annexes dans le tableau 2.17
Conclusion
La thématique de la responsabilité sociale de l’entreprise appliquée au champ du sport professionnel est un phénomène relativement récent et fait l’objet de plus en plus d’un consensus lié aux dimensions sociales que véhicule intrinsèquement l’objet « sport ». Paradoxalement, peu d’études, notamment en Europe, ont été réalisées concernant l’impact de la responsabilité sociale sur la performance d’un club ; comme si ces pratiques nouvelles étaient acceptées de tous (DiMaggio & Powell, 1983). Cependant, à travers l’analyse de la littérature existante et d’une enquête exploratoire sur les sites Internet de clubs, la responsabilité sociale n’est pas seulement effectuée pour se conformer aux pratiques actuelles mais constitue, dans certains cas, un troisième pilier de performance après les domaines sportif et économique présentés dans le modèle du « potentiel local ». La responsabilité sociale d’un club professionnel semble donc répondre aux limites posées par la prise en compte unique des indicateurs de performance sportif et économique. Ceux-ci sont insuffisants pour expliquer à eux seuls certains particularismes de l’organisation du sport professionnel européen vus à travers l’enracinement historique des clubs sur leur territoire, et issus du secteur associatif, et de la prégnance du rôle joué par les collectivités territoriales concernant les aides attribuées aux clubs.
La passation d’entretiens avec les dirigeants de clubs constitue une étape primordiale de la prise de conscience de la responsabilité sociale d’un club et permettra de constater des pratiques mises en place au sein de ces organisations qui, au même titre que des établissements publics (théâtres, musées, hôpitaux…), se doivent de répondre à une demande sociale et par conséquent de mesurer leur performance autrement qu’à l’aide des indicateurs financiers.
L’évaluation de la performance sociétale de ces organisations nous a conduit à prendre contact avec des agences de notation sociétale (BMJ Ratings ainsi que des organismes tels que le Centre des Jeunes Dirigeants de l’Economie Sociale) ayant mis au point, à la fin des années 1990, le bilan sociétal qui constitue un outil d’évaluation et de reddition de la performance sociale des organisations (Capron & Leseul, 1997). Ces démarches actuelles sont effectuées dans le but d’instrumentaliser dans un premier temps la RSE dans le secteur du sport professionnel. Si les mentalités avancent sur ces questions sociales, il n’en demeure pas moins qu’il existe un fossé important à combler entre les convictions des dirigeants et les pratiques concrètes mises en œuvre sur le terrain en matière de responsabilité sociale. Ce sont donc tous les acteurs du sport professionnel (pouvoirs publics, sponsors, (télé)spectateurs, médias…) qui sont concernés par ce défi et qui, dans quelques années, permettront ou non d’inscrire le club dans une dimension plus citoyenne (Bayle & Durand, 2004) et plus éthique (Bayle & Mercier, 2008).