Les pratiques de RSE des clubs sportifs professionnels français

DOI : 10.58335/shc.337

Plan

Texte

« Si le football n’existait pas, notre société n’irait pas mieux, elle irait plus mal. Le football contribue à l’améliorer. Le monde du football ne doit pas culpabiliser de sa réussite et sous-estimer son apport positif à la société. Il doit prendre conscience de ses responsabilités, les assumer franchement et revendiquer d’être mieux pris en considération, mieux faire valoir ses contributions au vouloir vivre ensemble ».

Introduction

Ces mots de Pascal Boniface, Secrétaire Général de la Fondation du Football, ont été extraits du panorama sociétal du football français édité en 2011. Ils démontrent toute l’acuité de la question de la responsabilité des organisations dans le champ du football. Plus généralement cette interrogation se pose à l’ensemble du mouvement sportif et notamment aux acteurs du sport professionnel dont l’image, pour certains, est écornée depuis longtemps par des scandales, financiers, politiques et moraux. Nous citons à ce titre les dernières affaires en date à avoir défrayé la chronique à la fin de l’année 2012 : l’affaire de dopage en cyclisme de Lance Armstrong1 et celle des paris truqués de joueurs du club de handball de Montpellier2. La première est venue conclure une période noire pour le cyclisme déjà marquée par des affaires de dopage « avérées » et rendues publiques en 1998 par l’affaire Festina. La seconde démontre que les dérives du sport professionnel ne connaissent pas de frontières entre les activités même lorsque ces dernières, comme le handball, sont moins médiatisées.

Sous le feu nourri des médias, les clubs sportifs professionnels sont associés à ce type de dérives. Des mesures visant à sanctionner ces comportements arrivent en masse sur l’échiquier politique du sport professionnel. A l’échelle mondiale, la création en 1999 de l’Agence Mondiale Anti-dopage a fait suite aux nombreux cas avérés de dopage notamment dans le cyclisme tel que nous venons de le citer. A l’échelle européenne, l’UEFA affirme, depuis 2009, sa volonté de contrôler les écarts financiers de certains clubs qui mettent en péril l’organisation de ses compétitions. Le fair-play financier voulu par Platini commence progressivement à s’instituer malgré les résistances de certains clubs. A l’échelle française, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) dont l’objectif est notamment de contrôler les paris sportifs a été créée en 2010 afin de contrecarrer les tentatives de corruption dans le sport. Finalement, alors que les discours et les textes institutionnels consacrent depuis plus d’une dizaine d’années le sport comme une activité socialisante allant jusqu’à faire de cet objet une exception sportive3, nous souhaitons rompre, dans la lignée des travaux sociologiques (Bromberger, Hayot & Mariottini, 1995), avec l’idée d’un sport par essence porté par des valeurs positives. Les exemples cités des dérives et des mesures visant à les atténuer illustrent l’idée selon laquelle le sport professionnel est instrumentalisé et qu’il n’est que le vecteur potentiel d’une éthique implicite. Ainsi, la parution récente au Journal Officiel d’une loi visant à renforcer l’éthique dans le sport4 témoigne du besoin de l’Etat de réaffirmer sans cesse le rôle social du sport. En faisant des organisations sportives les gardiens du temple de ces valeurs, les pouvoirs publics ont inscrit l’éthique dans le code génétique de ces organisations. Les clubs sportifs professionnels, qui se situent au cœur du champ des organisations sportives, sont donc contraints d’intégrer cette donne managériale, mais paradoxalement, ne sont ni préparés ni accompagnés dans cette démarche.

Produit de débats idéologiques et managériaux durant plus d’un siècle sur le rôle de l’entreprise dans la société, le concept de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) permet de formaliser les problèmes éthiques et sociétaux auxquels sont confrontées les entreprises et d’y répondre. Définie comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » (Commission Européenne, 2001), la RSE tire ses origines du courant « business ethics » né aux Etats-Unis au début du 20ème siècle. Ce concept s’est étendu, depuis quelques années, à de nombreuses autres organisations dont les logiques d’actions diffèrent de celles du secteur « classique » de l’entreprise. Nous sous-entendons par secteur « classique » de l’entreprise, toute entreprise dont la finalité première est de répondre au postulat économique néo-classique de maximisation des profits. Dans cet article, nous nous intéressons ainsi à la transposition du concept de RSE aux clubs sportifs professionnels français, organisations n’ayant pas fait l’objet d’études scientifiques de ce point de vue. Nous dressons premièrement une brève revue de littérature sur la RSE et le sport professionnel. Puis nous présentons une première enquête exploratoire sur la représentation de la RSE des dirigeants de clubs sportifs professionnels de la région Bourgogne et la façon dont ils exercent leurs responsabilités sociales. Enfin, nous synthétisons les résultats de quatre études de cas, représentant le cœur de notre travail doctoral, en montrant le caractère « cosmétique » du comportement des clubs professionnels en matière de RSE.

Brève revue de littérature sur la thématique de la RSE et du sport

Si nous constatons des avancées importantes sur les thématiques de la RSE et du sport aux Etats-Unis, pays déjà empreint, historiquement, d’une forte culture en la matière (Matten & Moon, 2008), celle-ci demeure à un stade embryonnaire en France (Bayle et al., 2011). En effet, les contributions académiques à s’être intéressées au concept de RSE dans le domaine du sport professionnel sont, pour la plupart, récentes et issues de la littérature managériale anglo-saxonne. Le corpus majoritaire des articles et ouvrages traitant de la RSE et du sport s’est constitué à la fin des années 2000. En 2009 et 2010 paraissaient ainsi successivement deux numéros spéciaux dans Journal of Sport Management et dans Journal of Management and Organization compilant une quinzaine d’articles en matière de sport et de RSE. La plupart de ces contributions, partant du postulat selon lequel le sport est un vecteur naturel de responsabilité sociale (Smith & Westerbeek, 2007), ont développé le volet stratégique du concept dans la lignée des travaux de Porter et Kramer (2006). Parmi les nombreux types d’organisations sportives étudiées, nous notons l’effort important pour étudier celles appartenant au secteur du sport (Godfrey, 2009).

Ces travaux apparaissent, toutefois, postérieurs aux multiples prises d’initiatives que les dirigeants d’organisations sportives professionnelles consacrent depuis quelques dizaines d’années en matière de RSE même si elles n’ont pas directement été nommées de la sorte. En effet, la plupart des contributions nord-américaines rapportent que les clubs et les ligues sportives professionnelles ont depuis longtemps été moteurs dans la réalisation de pratiques sociales incarnée par la culture nord-américaine du « giving back », elle-même, inscrite dans les valeurs éthiques protestantes des Etats-Unis du début du 20ème siècle. Ainsi, en 1953 a été officialisé un premier partenariat entre les Red Sox de Boston, et une organisation charitable visant à lutter contre le cancer : The Jimmy Fund (Robinson, 2005). Différents clubs tels que les New York Yankees en baseball ou les Minnesota Vikings en football américain suivent alors le même exemple en concluant des partenariats citoyens avec des associations caritatives locales ou en créant eux-mêmes leurs propres organismes de charité. Parallèlement, le système d’organisation du sport professionnel américain étant basé sur la cartellisation des clubs en ligues sportives professionnelles, ces dernières ont institué, à partir du milieu des années 1970, de véritables programmes sociaux et ont contribué à l’essor du nombre d’actions sociales réalisées par les clubs professionnels. Ces ligues ont ainsi créé de nombreuses « charity businesses » permettant de récolter massivement des fonds afin de financer des programmes d’éducation et d’intégration dans leurs communautés.

En Europe et plus particulièrement en France, les différents acteurs du sport professionnel, dont les clubs, se sont également saisis de leurs responsabilités depuis de nombreuses années. Toutefois, celles-ci ont souvent consisté en la mobilisation d’athlètes pour des causes sociales à l’image de ce que font les clubs sportifs professionnels nord-américains avec toutefois une moins grande exposition. A titre d’exemple, on dénombrait, au milieu des années 2000, aux Etats-Unis pas moins 350 fondations en lien avec des équipes ou des athlètes professionnels (Extejt, 2004), alors que seules quelques organisations sportives telles que l’OL, le Paris Saint Germain, le Toulouse Football Club, la Fédération Française de Football et la Fédération Française de Rugby ainsi que quelques athlètes avaient entrepris la création de telles structures. Ces pratiques de soutien aux actions sociales, culturellement moins implantées en Europe que dans le monde anglo-saxon, cachent bien souvent d’autres pratiques moins explicites mais qui ont souffert de l’absence de management rendant les clubs « naturellement » socialement responsables. Cette absence explique, en outre, qu’à l’exception de quelques travaux pionniers (Piché, Camy & Chantelat, 2010 ; Bayle et al., 2011), peu de contributions ont étudié le management des clubs sportifs professionnels français sous l’angle de la RSE.

Qu’est-ce que la responsabilité sociale d’un club ? Une enquête exploratoire auprès de dirigeants de clubs

Afin de combler ce manque, une des premières enquêtes exploratoires5 de notre travail doctoral a été menée auprès de dirigeants de clubs sportifs professionnels afin de connaître, à la fois, la perception que ces acteurs avaient de la RSE et la façon dont les pratiques relevant du cadre de la RSE étaient opérationnalisées. L’enquête a été réalisée lors de la saison sportive 2009-2010 auprès de 13 dirigeants (présidents, managers, directeurs commerciaux et autres responsables) de 9 clubs sportifs professionnels de la région Bourgogne via la passation d’un entretien semi-directif centré dont la durée moyenne s’est établit autour de 40 minutes ().

Axés sur trois thèmes principaux (représentations, pratiques et évaluations), les entretiens nous ont permis de dresser trois résultats majeurs :

  • Le premier résultat met en évidence que le concept de RSE apparaît très peu utilisé. Ce constat est d’autant plus flagrant que, le terme « responsabilité sociale » est directement mentionné dans les questions qui précédaient les réponses des interviewés. Or, très peu d’acteurs interviewés l’ont repris dans leurs propos. Nous présentons les occurrences des termes « responsabilité » et « social » ainsi que l’expression entière consacrée « responsabilité sociale » dans le discours des dirigeants interviewés (). Nous avons considéré chacun de ces termes en incluant également les pluriels du nom « responsabilité » et les mises au féminin et au pluriel de l’adjectif « social ». Nous avons également relevé, une seule fois, l’expression « responsabilité sociétale », que nous avons comptabilisée comme l’utilisation de l’expression « responsabilité sociale » (considérées comme équivalentes).
  • Le second résultat montre que la pratique de la RSE s’envisage, d’après les dirigeants des clubs, essentiellement dans le cadre des missions d’intérêt général. Ces missions ont été imposées en 1999 par la loi Buffet en contrepartie des subventions publiques octroyées par les collectivités locales aux clubs sportifs professionnels. Le législateur a ainsi prévu un certain nombre de domaines (formation, intégration sociale et amélioration de la sécurité dans les stades) dans lesquels les clubs sportifs professionnels ont obligation d’intervenir. De même, c’est surtout à travers la dimension sociale (participation à des actions d’éducation dans la cité, missions de représentations dans les quartiers…) que les dirigeants déclarent axer le contenu de ces missions. Ainsi, bien que le niveau des missions varie d’un club à l’autre, il n’en reste pas moins que leur cadre de réalisation ne découle pas d’une logique volontariste et laisse à penser que les clubs y voient plus une contrainte qu’une opportunité.

Le troisième et dernier résultat atteste d’une absence complète d’évaluation des pratiques de RSE. La plupart ne voient pas d’intérêt d’évaluer ces actions sachant que leurs mises en place ont naturellement un impact fort sur leur image. Partant de là, certains d’entre eux se satisfont des retours (très souvent positifs) des participants aux actions menées.

Etudes de cas

Le deuxième temps de notre étude a consisté à une série d’études de cas approfondies des pratiques de RSE de clubs professionnels. Nous présentons successivement la méthodologie de cette étude et les principaux résultats observés.

Méthodologie

Nous nous sommes centrés sur deux clubs de basket-ball (Chalon sur Saône et Villeurbanne) et deux clubs de football (Auxerre et Lyon) sélectionnés pour leurs efforts significatifs en termes de communication sur leur engagement social. Nous détaillons ci-dessous le profil de chacun de ces clubs et les premières pratiques sociales constatées.

L’Olympique Lyonnais (OL) est un club de football constitué depuis 1999 en holding (OL Groupe) possédant des parts de capital dans neuf entreprises filiales. OL Groupe employait 248 salariés et générait un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros en 2010. Depuis 2007, ce groupe a investi les marchés financiers afin de lever des fonds pour son nouveau stade (inauguration prévue en 2015). La cotation a fait entrer ce club de plain-pied dans la RSE via la loi NRE qui l’oblige à informer la manière de la prise en compte des conséquences sociales et environnementales de ses activités. L’OL avec l’apport d’entreprises sponsors a créé en 2007 une fondation d’entreprise (OL Fondation) afin de formaliser sa politique de mécénat menée depuis les années 2000 et un fonds de dotation en 2009.

L’Association de la Jeunesse Auxerroise (AJA) est un club de football atypique pour deux raisons. D’abord, sa société commerciale, créée en 2000 et gérant la partie professionnelle, est contrôlée à 99% par l’association support du club. De même, l’AJA est un des rares clubs en France à posséder son stade. La section football générait pour la saison 2009-2010 des produits d’activités à hauteur de 41 millions d’euros et employait environ 50 salariés. En matière d’initiatives sociales, l’AJA s’est joint à l’association Famille AJA fondée à partir du programme du même nom dans les années 2000 par le président de l’un des clubs de supporters du club. Cette initiative promeut les valeurs citoyennes auprès des jeunes supporters via notamment la mise en place de conférences citoyennes.

L’Association Sportive de Villeurbanne Eveil Lyonnais (Asvel) est un club de basket-ball. Il est la propriété de trois actionnaires principaux dont Tony Parker, célèbre basketteur de NBA, arrivé en 2009 dans le capital du club. L’Asvel générait des produits d’activités s’élevant à 6,7 millions d’euros et employait une trentaine de salariés pour la saison sportive 2009-2010. Historiquement très liée, à Villeurbanne, l’Asvel réalise des actions sociales visibles depuis le début des années 2000. Ce club a créé en 2007 une association citoyenne (Esprit Sport). Celle-ci met en œuvre divers programmes communautaires autour des notions de santé, de lien social et de responsabilité.

L’Elan Chalon est un club de basket-ball fondé en 1970. Ancré dans une ville de taille moyenne, le club n’est concurrencé par aucun club professionnel dans sa localité. Du point de vue juridique, l’Elan Chalon est une société d’économie mixte. Sous ce statut, les collectivités territoriales et l’association support du club sont obligés de détenir conjointement plus de la moitié du capital du club. L’Elan Chalon générait des produits d’activité à environ 3,7 millions d’euros et employait une trentaine de salariés pour la saison sportive 2008-2009. Ses actions sociales et citoyennes sont regroupées dans le programme « Elan pour Tous » dont l’objectif est d’exploiter l’image des joueurs à des fins citoyennes.

A partir d’éléments de littérature en gestion, nous avons construit un cadre d’analyse à sept dimensions (facteurs d’influence, objectifs, parties prenantes, ressources, outils de gestion, actions et évaluation) () issues d’une combinaison de travaux sur la RSE entre approches néo-institutionnelles (Campbell, 2007) et stratégiques (Porter & Kramer, 2006). La première approche voit en la RSE un moyen d’augmenter la légitimité des organisations dans leurs environnements alors que la seconde l’appréhende un comme levier créateur de valeur. Du point de vue théorique, ces deux courants se situent dans des niveaux d’analyse distincts, le premier s’intéressant plus aux conséquences et le second aux causes de la RSE (Aguinis & Glavas, 2012). Toutefois à l’image de certains auteurs (Borchani-Maktouf, 2010 ; Dupuis, 2011), c’est de la complémentarité entre ces deux courants que nous envisageons le cadre d’analyse des pratiques de RSE des clubs sportifs professionnels dont les logiques d’actions apparaissent divergentes (organisations prises en tension entre des logiques de marché et des impératifs sociétaux).

C’est sur la base de ce cadre d’analyse que s’est réalisé le recueil des données. Les données primaires ont été collectées à travers des entretiens semi-directifs des dirigeants et des principales parties prenantes du club détentrices d’enjeux en matière de RSE. Par « parties prenantes », nous nous sommes basés sur la définition de Freeman (1984) pour ne retenir que les acteurs animant la stratégie RSE du club ou bénéficiant de son contenu. La collecte de données secondaires (articles de presse, actualités Internet, rapports…) nous a permis d’obtenir des informations dans l’objectif de trianguler les données (Yin, 2003). Ces dernières nous ont permis d’alimenter l’ensemble des dimensions du cadre ().

Résultats : des pratiques de RSE « cosmétiques »

Bien que certains comportements de clubs laissent entrevoir les prémisses d’une pratique de RSE intégrée aux logiques de leurs fonctionnements, la plupart l’exerce de façon cosmétique. Nous définissons la RSE cosmétique comme une forme d’engagement faible des clubs dans la voie de la RSE symbolisée par des pratiques demeurant « à la périphérie » de leurs activités principales (Porter et Kramer, 2006). Les indicateurs nous permettant de dresser une telle conclusion est la primauté des facteurs institutionnels sur les déterminants stratégiques dans l’adoption de pratiques de RSE, symbolisée notamment par l’influence de la puissance publique dans leur réalisation, et le fort degré de mimétisme qui les caractérise.

Dans les cas de l’Elan Chalon et de l’Asvel, dont les budgets sont fortement dépendants des subventions publiques, les pratiques de RSE légitiment les subventions perçues des collectivités dans le cadre des missions d’intérêt général. Piloté en partie par les élus locaux siégeant au conseil d’administration du club, l’Elan Chalon, qui perçoit un peu plus d’un millions d’euros de fonds publics (30% de son budget) dans ce cadre, participe à des actions d’éducation, d’intégration et de cohésion sociale dans sa communauté. Une de leur action phare est une opération menée dans les quartiers sensibles de Chalon-sur-Saône dans le cadre d’un partenariat noué avec un bailleur social (Batigère). Le soutien de la ville de Villeurbanne, entrée au début des années 1990 dans le capital du club via la création d’une société d’économie mixte pour sauver l’Asvel de la relégation, est toujours palpable malgré la « privatisation » du club symbolisée par l’arrivée d’hommes d’affaires durant les années 2000. Les nombreuses actions menées s’inscrivent dans la convention liant Villeurbanne et l’Asvel à laquelle le club rend régulièrement des comptes. Ses actions de proximité menées via les axes santé et lien social sont un moyen pour les élus locaux de justifier la place de l’Asvel comme acteur social de la cité villeurbannaise alors même qu’un lobbying intense s’exerce depuis quelques années de la part des élus de l’opposition pour délocaliser le club vers Lyon. Au-delà des aides accordées par la ville, l’OL bénéficie d’un fort soutien politique qui prend toute son envergure dans le cadre du projet de construction du Stade des Lumières. Financé à hauteur de 450 millions d’euros par des fonds privés, ce stade, dont la déclaration d’intérêt général a été fortement soutenue par la majorité politique, a nécessité un ensemble de travaux liés à son accessibilité et estimés à environ 200 millions d’euros pris en charge par les collectivités locales. Ce soutien a poussé l’OL à s’associer, dès le début des années 2000, à un pool d’associations très impliquées dans la ville de Lyon (Sport dans la Ville, Docteur Clown, Handicap International…).

En matière d’isomorphisme, la quasi-totalité des clubs font preuve d’un mimétisme accrue de pratiques déjà existantes démontrant la difficulté pour ces organisations d’inventer des modèles de pratiques de RSE innovants. L’OL emprunte ainsi à des modèles managériaux de grands clubs européens un certain nombre de pratiques « sociales » depuis longtemps. Ainsi, OL Fondation a été créé en 2007 soit un an après celle de Manchester United, un des clubs pour lequel Aulas, le président de l’OL, a côtoyé ses dirigeants durant son mandat à la présidence du G14 (14 plus grands clubs européens). L’organisation de tournois de quartiers dans le cas de l’Elan Chalon a déjà été réalisée par de nombreux clubs tels que l’Asvel, dont les premières actions de ce type remontent au début des années 2000, au moment de son partenariat citoyen tissé avec son partenaire majeur Adecco. Premier club de basket-ball français à se doter d’une association citoyenne pour mettre en pratique sa responsabilité sociale, l’Asvel s’est en outre fortement inspirée de modèles étrangers à l’instar des franchises nord-américaines possédant leurs propres fondations. Enfin, les opérations d’éducation du jeune supporter dans le cadre du programme « Famille AJA », soutenues par le club auxerrois, ont été initiées par de nombreux autres clubs de supporters comme ceux de Lille en 2000 (Doggies) ou de Toulouse en 2005 (Média – Pitchoune) bien avant que cette initiative ne soit créée.

La synthèse des dimensions restantes de notre cadre d’analyse (objectifs, parties prenantes, ressources, outils de gestion, actions et évaluations), représentant la façon dont la RSE est instrumentalisée, conforte l’idée selon laquelle le niveau de pratique de RSE est faible. Ainsi, la responsabilité sociale des clubs prend essentiellement forme autour d’actions de mécénat centrées sur le volet social. De plus, à l’exception de l’OL qui a mis sa marque à disposition d’ONG et d’associations caritatives à travers sa fondation, le nombre de parties prenantes demeure généralement sommaire et ces dernières sont souvent associées à des actions ponctuelles ne les engageant pas à long-terme. Les partenariats noués ne font pas l’objet d’une co-construction avec les parties prenantes et le rôle du club ne se limite bien souvent qu’à celui de « metteur en scène » des associations parrainées et dans le meilleur des cas d’apporteur (faible) de ressources. Ainsi, l’AJA se place comme instigateur de la réalisation d’actions sociales alors qu’il n’a fait que s’engager très faiblement au côté du programme « Famille AJA » se contentant de mettre à disposition des locaux et un salarié quelques heures par semaine pour désengorger cette activité pilotée par des supporters du club. Si les montants financiers de l’OL sont les plus importants affectés aux pratiques sociales parmi notre échantillon, l’apport d’OL Groupe demeurait assez faible. Ainsi 60% du budget total de la fondation (environ 1 million d’euros) était financé par OL Groupe sur la période 2007-2012 alors que ses produits d’activités étaient estimés en cumulé à presque 1,1 milliards d’euros dans le même temps ce qui représentait un engagement moyen d’à peine 0,1% des produits d’activité du club. Les outils de gestion employés prennent la forme d’association (Famille AJA, Esprit Sport), de fonds de dotation (sOLidaire) ou de fondation (OL Fondation) permettant aux clubs de communiquer aux parties prenantes externes sur leur engagement sociétal. Ces outils constituent des réceptacles aux dons ne changeant pas la finalité des clubs dont la performance ne continue à se mesurer qu’à l’aune des seuls indicateurs sportifs.

Conclusion

L’étude des pratiques de RSE dans le secteur du sport professionnel français fait apparaître des perspectives de recherches fécondes. Les résultats des différentes enquêtes exploratoires, et notamment de nos quatre études de cas, ont révélé que l’adoption des pratiques de RSE était avant tout le fruit de pressions institutionnelles, notamment de la part des décideurs publics par le biais d’aides financières et de soutiens politiques, ainsi que d’une forte pression mimétique au sein du secteur. La RSE est essentiellement envisagée comme un moyen de légitimer ces différents soutiens et est assez peu utilisée à d’autres fins stratégiques. C’est la raison pour laquelle nous avons qualifié le comportement des clubs étudiés en matière de RSE de « cosmétique ». De façon normative, nous pensons toutefois qu’il existe une façon plus proactive de penser la RSE et ainsi de regrouper les parties prenantes des clubs autour d’objectifs, non plus uniquement sportifs mais aussi sociétaux.

Bibliographie

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Annexe

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Notes

1 Après s’être offert sept titres du vainqueur du Tour de France, Lance Armstrong avoue en 2012 s’être dopé après que l’analyse a posteriori de ses échantillons sanguins aient révélés la présence de produits dopants. Retour au texte

2 Dans cette affaire, des joueurs du club montpelliérain ont été soupçonnés d’avoir fait gagner des sommes d’argent importantes à leurs proches ayant parié sur une défaite de leur propre équipe, Montpellier, face à Cesson-Sévigné lors de la dernière journée du championnat de Division 1 de la saison 2011-2012. Retour au texte

3 Dans la déclaration annexée au Traité de Nice de décembre 2000 relative aux caractéristiques spécifiques du sport en Europe, il est mentionné dans l’article premier que ce sont « les fonctions sociales, éducatives et culturelles du sport qui fondent sa spécificité » (Miege, 2006). Retour au texte

4 Loi n°2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs. Retour au texte

5 Dans une toute première étude de notre doctorat, nous nous étions intéressés à la place des actualités « sociales » paraissant sur le site officiel de clubs sportifs professionnels de première division de basket-ball, football et rugby. Nous avions montré que si les nombreuses actualités se centraient sur la vie uniquement de l’équipe professionnelle, une part non négligeable (environ 10%) traitait aussi de l’environnement social des clubs (François, 2012). Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Aurélien François, « Les pratiques de RSE des clubs sportifs professionnels français », Sciences humaines combinées [En ligne], 12 | 2013, publié le 01 septembre 2013 et consulté le 21 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.337. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=337

Auteur

Aurélien François

Docteur en STAPS, SPMS - EA 4180 - UB

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