La tradition littéraire s’accorde pour donner au dieu guérisseur grec Asclépios des origines thessaliennes1, que Strabon réaffirme en reconnaissant l’ancienneté et la renommée du sanctuaire (Asclepieion) de Tricca en Thessalie2. Si l’archéologie ne permet de confirmer ni l’antériorité ni l’importance de l’Asclepieion de Tricca, il est admis en revanche que les plus anciens vestiges archéologiques témoignant d’une activité cultuelle ancienne sont avérés dès la deuxième moitié du VIe s. a.C. à Épidaure en Argolide. A partir de la fin du Ve et au IVe s. a.C., son culte se répand dans tout le monde gréco-romain, au point que, selon J. Beaujeu dans son ouvrage paru en 1955, on dénombre, au IIe siècle de notre ère, 320 sanctuaires du dieu3. Or, il apparaissait nécessaire de reconsidérer ce chiffre à l’aune des récentes découvertes. Depuis quelques décennies, des chercheurs publient régulièrement des études régionales sur les Asclepieia et notamment ceux du Péloponnèse4. Mais aucune enquête n’a été menée systématiquement sur les cités de l'Égée et la zone côtière de l'Asie Mineure5. L’objectif de ma thèse était donc de rassembler, d'analyser et de commenter la documentation épigraphique, c’est-à-dire les textes inscrits, venant de cette vaste région. L’option de travailler l’ensemble du territoire anatolien avait été écartée, dans la mesure où trop peu de corpus sont encore réalisés pour envisager actuellement d’étudier les cités situées à l’intérieur des terres. Le cadre chronologique choisi, du IVe s. a.C. au IIIe s. p.C., compte tenu du matériel documentaire privilégié que sont les inscriptions, se justifie parfaitement, la documentation archéologique poussant largement dans le même sens.
Documentation et chronologie de la diffusion du culte d’Asclépios
Pendant toute l’époque hellénistique, le culte se propage dans les îles égéennes et le long du littoral occidental de l’Asie Mineure. Cette période est marquée par la construction de complexes parmi les plus célèbres du monde antique – Cos, Pergame et Lébèna, bien connus des chercheurs –, mais aussi une foule de sanctuaires moins importants dont l’influence est restée locale ou régionale. Une des interrogations posées était de savoir si la documentation à notre disposition met en lumière une diffusion du culte d’Asclépios des centres originels (Tricca, Épidaure) vers la Grèce égéenne et micrasiatique ?
Les sources épigraphiques restent la principale source de renseignements concernant l’existence, dans telle ou telle cité, d’un Asclepieion. Les témoignages littéraires sont généralement tardifs. Concernant les vestiges archéologiques, peu de sanctuaires ont été localisés et fouillés actuellement. Enfin, la numismatique est, à elle seule, d’un faible secours pour attester de l’existence d’un Asclepieion. Les types monétaires à l’effigie de divinités grecques se multiplient dans les cités sous l’Empire romain et attestent surtout de leur succès, mais ne témoignent pas obligatoirement de la présence d’un sanctuaire. Pour autant, ces types de sources n’ont pas été délaissés dans ma thèse et complètent l’information fournie par l’épigraphie.
Les premiers témoignages épigraphiques attestant d’un culte rendu à Asclépios dans l'aire géographique considérée remontent au IVe s. a.C. (annexe 1). L’absence de documents antérieurs s’explique par le fait que l’épigraphie ne se développe dans le monde grec qu’à la fin de l’époque classique. Il est en outre souvent difficile pour l’historien de dater avec précision les débuts de l’activité d’un culte et il n'est généralement guère possible de fixer autre chose qu'un terminus ante quem. Pour beaucoup de sites, la carence documentaire ne permet de déterminer ni les débuts de l’activité du culte ni son origine.
Des inscriptions datées du IVe ou plus largement des IVe-IIIe s. a.C. – l’écriture, qui est généralement le seul élément de datation, ne permettant pas d’être plus précis – ont été découvertes à Imbros et Thasos en mer de Thrace, Anaphè, Céos, Délos et Paros dans les Cyclades, Calymna, Chalkè, Cos, Lesbos, Nèsos et Rhodes voisines de l’Asie Mineure, mais aussi dans des cités du littoral anatolien : Colophon, Éphèse, Érythrées en Ionie, Cnide, Halicarnasse, Idyma, Thèra en Carie et Thyssanous dans la Pérée rhodienne.
A Cos et à Paros, des indices laissent néanmoins supposer une implantation encore plus ancienne. Cos possède un des Asclepieia les plus prestigieux du monde antique, construit à flanc de colline, sur quatre niveaux6. Les premières mentions épigraphiques datent du milieu du IVe s. a.C. Les fouilles menées sur le site ont montré que les travaux d’édification ont vraisemblablement débuté entre la deuxième moitié du IVe s. a.C. et la première moitié du IIIe s. a.C., sur un site occupé par un culte d’Apollon. On ignore la date exacte du début des travaux. Il n’y a donc pas de preuves matérielles d’un culte d’Asclépios dans l’île avant la reconstruction de la cité principale, qui coïncide avec le synœcisme de 366 a.C. F. Sokolowski suppose que le dème d’Isthmos, le plus important de l’île avant et après le synœcisme, abrite le berceau des Asclépiades qui seraient à l'origine du grand Asclepieion, et qui auraient contribué à la formation de la cité unifiée de Cos7. Le terme d’Asclépiades désigne d’abord les descendants d’Asclépios (génos) et par suite la communauté de médecins. L’hypothèse de F. Sokolowski incite à pousser plus loin les investigations. La tradition mythique rapporte qu’un des fils d’Asclépios, le prince thessalien Podalire, aurait fondé la cité de Syrnos en Carie à son retour de la guerre de Troie8. De là, il aurait ensuite formé les branches rhodienne, cnidienne et coaque du génos des Asclépiades, à l’origine de la création de deux écoles médicales parmi les plus célèbres de l’Antiquité, à Cos et à Cnide, où sont attestés des Asclepieia9. Il est dès lors probable que les Asclépiades au sens large ait joué un rôle dans la fondation d’Asclepieia dans cette zone. Cela prouverait d’une part que le culte d’Asclépios est un culte ancien dans les régions de Carie et du Dodécanèse, d’autre part que le culte coaque ne provient pas d’Épidaure, comme le laisse penser la tradition établie par le personnel du sanctuaire d’Argolide, mais serait issu de Tricca en Thessalie. Si, comme le mentionne Strabon, un sanctuaire ancien et renommé d’Asclépios existe à Tricca, il est possible que le culte se soit diffusé par l’intermédiaire de sa progéniture, d’une part de Thessalie jusqu’à Troie, d’autre part, de Troie jusqu’à Syrnos, et de là vers Cos, Cnide et peut-être Rhodes.
Dans d’autres sites, aucune inscription n’est antérieure au IIIe ou au IIe s. a.C., alors même qu’une implantation ancienne est attestée par d’autres sources. En Crète, la datation des vestiges archéologiques prouve que le culte d’Asclépios atteint la grande île dès la fin de l’époque classique : ce mouvement concerne la côte méridionale, à Lasaia, Lébèna et Lissos. A Lébèna, qui abrite le plus grand et le plus célèbre Asclepieion de Crète, si les inscriptions les plus anciennes datent du IIIe s. a.C., l’archéologie atteste en revanche d’une première phase de construction du sanctuaire remontant au milieu du IVe s. a.C.10. Suit une expansion du culte à partir du IIIe s. a.C. de cette zone vers l’intérieur des terres et vers l’extrémité orientale de l’île, et en dernier lieu en direction de la côte septentrionale.
A Pergame, dans la région de Mysie, les plus anciens documents épigraphiques mis au jour dans le sanctuaire sont datés du milieu du IIIe s. a.C., au moment où le culte d’Asclépios devient un culte civique et que les premières structures du sanctuaire sont construites. Or, d’après Pausanias, écrivain et voyageur du IIe s. p.C., la fondation du culte est d’abord une initiative privée, intervenant à la fin du IVe s. a.C., et qui fait suite à la guérison à Épidaure d’un Pergaménien, un certain Archias fils d'Aristaichmos11.
La documentation à notre disposition infirme donc l’hypothèse d’une vague unique de diffusion du culte d’Asclépios ou de plusieurs vagues successives, d’ouest en est, depuis la Grèce continentale. Il n’a pas atteint d’abord les îles puis les cités côtières. Le culte d’Asclépios ne provient pas non plus directement ou systématiquement d’Épidaure ou de Tricca. Il s’agit d’un mouvement de diffusion complexe, qui s’est très certainement fait à l’intérieur d’une même région – insulaire ou côtière – ou encore d’une région à l’autre, pour ensuite pénétrer à l’intérieur du territoire anatolien. Les grands Asclepieia de Cos, Lébèna et Pergame notamment ont nécessairement joué un rôle dans la propagation du culte. Pausanias raconte par exemple que l’Asclepieion de Smyrne est une succursale de Pergame, qui est lui-même une filiale d’Épidaure ; de la même manière nous pouvons supposer une parenté de Pergame avec certains sanctuaires de Troade. Mais il reste encore de nombreuses zones d’ombre sur cette question de l’origine et de la diffusion du culte d’Asclépios.
Répartition régionale des sanctuaires d’Asclépios
Le premier ensemble régional considéré est l’archipel des Cyclades (annexe 2). L’étude des sanctuaires d’Asclépios dans cette zone est difficile pour plusieurs raisons. D’abord, plusieurs îles n’ont livré qu’une faible documentation épigraphique, de surcroît essentiellement composée de dédicaces (Céos, Mélos et Syros), aussi bien pour la période hellénistique que romaine. A Anaphè et à Ténos, des inscriptions mentionnent respectivement une consécration et un dépôt de stèles dans l’Asclepieion de la cité. L’existence d’un Asclepieion est encore attestée par l’épigraphie à Andros et à Théra, mais apparaît très incertaine à Amorgos au vu des sources à notre disposition12. Ensuite, parce que les sites antiques, souvent établis sous les villes modernes, n’ont pas encore été identifiés. Les deux Asclepieia de Délos et Paros, bien documentés, font néanmoins figure d’exception. Le petit îlot de Délos possède dès la fin du IVe s. a.C. un Asclepieion étendu, construit sur le promontoire nord de la baie de Phourni, sur la rive occidentale de l’île13. L’Asclepieion de Paros a été édifié sur la côte occidentale au début du IVe voire à la fin du Ve s. a.C., sur un site occupé par un culte d’Apollon ; le sanctuaire occupe le niveau inférieur d’un vaste complexe composé de trois terrasses14.
En Crète, île située au sud des Cyclades, une ou plusieurs inscriptions attestent d’un culte rendu à Asclépios dans les cités d’Arkadès, Chersonèse, Cnossos, Hiérapytna, Itanos, Lasaia, Lébèna, Lissos et Olous. Des fouilles ont été réalisées à Lissos et à Lébèna, où un vaste complexe a été mis au jour, considéré du reste comme le plus ancien, le plus important et le plus célèbre de l’île. L’épigraphie, et notamment le catalogue de récits de guérison affiché sur le portique d’incubation, et la littérature confirment la renommée du sanctuaire : Pausanias le range parmi les sanctuaires les plus fameux du dieu (τὰ ἐπιφανέστατα) avec ceux d’Athènes, Pergame, Smyrne et Balagraï en Cyrénaïque15 ; Philostrate en fait le principal Asclepieion de Crète et lui reconnaît une dimension panhellénique16.
La présence d’un Asclepieion est en revanche moins assurée à Aptère, Gortyne, Lato, Lyttos, Phaistos, Priansos et Pyloros. Soit la documentation épigraphique, fragmentaire, n’autorise que des conjectures ; soit les sources retrouvées – monnaies, matériel icononographique – n’ont pas été identifiées avec certitude ou sont, à elles seules, d’un faible secours pour attester de l’existence d’un Asclepieion dans ces cités.
Dans les régions du Dodécanèse et du littoral carien, un grand nombre d’Asclepieia est attesté. Toutefois, la plupart d’entre eux n’ont pas été localisés sur le terrain et notamment dans les îles d’Astypalaia, Carpathos, Chalkè, Rhodes et Symè. Près de quarante inscriptions trouvées à Rhodes font état de trois foyers du culte : dans la cité de Rhodes à l’extrémité nord de l’île, à Camiros sur la côte nord-ouest et à Lindos, ville côtière établie au sud-est. La situation est analogue à Cos, où on dénombrerait trois sanctuaires du dieu : dans les dèmes d’Isthmos (actuelle Céfalos) au sud, d’Halasarna (actuelle Cardamena) au sud-est, et de Cos au nord qui est le plus important de la région.
En Carie, les sanctuaires sont essentiellement répartis dans les deux presqu’îles sud-cariennes et sur le littoral égéen. La plus méridionale des presqu’îles, qui correspond à la pérée rhodienne, c’est-à-dire le territoire appartenant à Rhodes sur le continent à l’époque hellénistique, les Asclepieia de Phoinix, Thyssanous et Syrnos sont regroupés sur une aire d’une douzaine de km2 ; la cité de Syrnos, rappelons-le, serait le point de départ à partir duquel son fondateur Podalire aurait formé les branches rhodienne, cnidienne et coaque du génos des Asclépiades, peut-être à l’origine de la fondation d’Asclepieia dans le Dodécannèse. Ensuite, malgré l’existence d’une célèbre école de médecine, la péninsule cnidienne, actuelle presqu’île de Datça, n’a livré que peu de documentation concernant la présence d’Asclepieia. Seules une copie romaine d’une statuette d’Asclépios datée du IVe s. a.C. ou de l’époque hellénistique, quelques monnaies impériales et deux inscriptions du IVe ou du IIIe s. a.C. ont été mises au jour à Cnide. Ces documents attestent néanmoins de l’existence d’un lieu de culte à proximité de la ville, mais dont la localisation exacte reste encore à déterminer. Au nord de la péninsule, l’existence de sanctuaires est confirmée le long des côtes, à Halicarnasse (actuelle Bodrum) et à Iasos, mais demeure hypothétique à Idyma, Thèra, Bargylia et Mylasa.
Au nord de la Carie, en Ionie, les sanctuaires d’Asclépios, nombreux sur le territoire, sont surtout implantés dans les anciennes cités grecques du littoral : (du sud au nord) Didymes, Milet, Priène, Éphèse, Colophon – dont le port Notion possède peut-être également un Asclepieion –, Érythrées, Smyrne et Phocée. Toutefois, aucun n’a été fouillé jusqu’à présent : à Éphèse par exemple, l’Asclepieion, en ruine, a servi de carrière et n’a pu être localisé avec précision. Les témoignages de Pausanias et d’Aelius Aristide donnent par contre des indications concernant Smyrne : le Périégète signale au livre VII un sanctuaire d’Asclépios construit de son temps près de la mer17 ; Aristide décrit aussi l’Asclepieion de la ville et indique dans le Discours I que le sanctuaire « est au gymnase » ; au Discours IV, il explique que « le temple (d’Asclépios) proche du port était encore en construction »18. C. J. Cadoux pense qu’Aristide parle d’un seul et même lieu de culte, tandis que pour P. Debord, que nous suivons, il existe deux sanctuaires distincts du dieu dans la ville : un près du port, l’autre au gymnase19.
La documentation épigraphique atteste aussi de la présence d’un sanctuaire du dieu dans les îles de Samos et de Chios, situées en face des côtes ioniennes. A la ligne 7 d’une inscription fragmentaire non datée provenant de Samos, on peut lire le nom du dieu au génitif (’Ασκληπιοῦ) ; le terme ἱ̣[ερόν---] a été restitué à la suite, mais n’est aucunement assuré vu la longueur de la lacune. Une autre inscription indique qu’une statue de culte est consacrée sous Trajan. A Chios, le document le plus ancien est une dédicace du IIe s. a.C. ; un décret honorifique d’époque impériale mentionne une restauration dans l’Asclepieion de la cité.
Il est difficile de déterminer l’existence ou l’importance des sanctuaires d’Asclépios dans la plupart des cités d’Éolide, à cause de la nature même de la documentation. Les inscriptions y font le plus souvent défaut. Les seules sources disponibles dans les villes de Cymé, Myrina, Néonteichos, Pitane et Temnos sont des monnaies d’époque impériale. Les deux inscriptions retrouvées à Élaia, située à l’embouchure du Caïque, sont des « pierres errantes » qui proviennent en réalité de l’Asclepieion de Pergame. Actuellement, Aigai est la seule cité ayant livré plusieurs documents, datés de l’époque impériale, attestant de la présence d’un Asclepieion de quelque importance au IIe s. p.C., mais qui serait déjà en activité à l’époque hellénistique20.
Treize inscriptions témoignent de l’existence d’un sanctuaire d’Asclépios à Mytilène, cité principale de l’île de Lesbos. L’épigraphie couvre une chronologie étendue, prouvant que l’Asclepieion a connu une longue activité, de la fin de l’époque classique ou du tout début de l’époque hellénistique jusqu’à l’époque romaine. Deux inscriptions datées du IVe s. a.C. sont capitales pour la connaissance du sanctuaire. La première fixe les modalités de l’extension du temple d’Asclépios dans les années 330/300 a.C., établissant ainsi son ancienneté. Le texte, en distinguant la fondation, l’assise de réglage et la krépis en place de la nouvelle fondation adjacente, atteste d’une construction préexistante. La seconde, qui date du milieu du IVe s. a.C., honore un certain Athanadas pour avoir permis l’acheminement de l’eau à l’intérieur de la ville et dans l’Asclepieion. Le développement du sanctuaire s’inscrit vraisemblablement durant cette période. Un faisceau d’indices laisse à penser qu’il pourrait se situer dans un espace important de la cité, à l’emplacement actuel de l’église de St Syméon ou dans ses environs immédiats ; mais cela reste encore à démontrer21. Il est probable que le culte d’Asclépios à Mytilène soit issu de la Grèce du nord. J. Bérard a montré que l’origine du peuplement lesbien est majoritairement béotien22. Deux inscriptions d’époque hellénistique témoignent en outre de l’existence de relations étroites et anciennes avec la Thessalie : il est notamment question d’une décision de la Confédération thessalienne d’envoyer une ambassade (théorie) et des animaux sacrificiels aux fêtes d’Asclépios (Asclepieia) de Mytilène23.
L’île de Nèsos, à l’est de Lesbos, a livré un décret honorifique daté de la fin du IVe s. a.C., dans lequel est mentionné le prêtre d’Asclépios, confirmant ainsi l’existence d’un culte public du dieu au début de l’époque hellénistique. La cité mysienne de Pergame abrite un des complexes cultuels les plus monumentaux et les plus célèbres de l’Antiquité, et cela jusque sous Caracalla. Si le culte d’Asclépios est devenu public à partir de la seconde moitié du IIIe s. a.C., il faut cependant attendre l’impulsion des empereurs romains, avec Hadrien surtout, et de notables locaux, pour que l’Asclepieion situé hors les murs de la ville devienne un des lieux de culte les plus fréquentés du monde antique, avec pour corollaire des travaux d’aménagement monumentaux, réalisés d’après un plan ambitieux et cohérent qui intègre les structures d’époque hellénistique24. Marc-Aurèle considère qu’il s’agit alors de « la station de cure la plus renommée de l’empire »25.
En Troade, l’épigraphie témoigne de leur présence dans les cités d’Alexandrie de Troade et de Lampsaque, sans pour autant qu’ils aient été localisés sur le terrain à cause de l’urbanisation. En l’absence d’autres témoignages, les deux inscriptions découvertes respectivement à Kemalli et à Ilion n’apportent aucune confirmation de l’existence d’un lieu de culte. De la même manière, la découverte de monnaies d’époque impériale à l’effigie du dieu à Assos, Gargara, Abydos et Parion ne sont pas non plus des preuves suffisantes.
En mer de Thrace, le culte atteint les îles d’Imbros et de Thasos dès le IVe s. a.C. La présence d’Asclepieia est attestée dans les deux cas par la documentation. A Thasos, l’existence d’une prêtrise d’Asclépios et la célébration d’un concours supposent un sanctuaire de quelque importance, mais qui n’a pu être identifié avec certitude, car il se trouve sous l’habitat moderne26. A Samothrace, nonobstant une dédicace fragmentaire datée de la fin du IIe s. a.C., aucun document ne confirme la présence d’un sanctuaire d’Asclépios dans l’île.
Conclusion
Pour conclure, l’analyse de la documentation à notre disposition permet de démontrer que le mouvement de diffusion du culte d’Asclépios, essentiellement urbain, ne présente aucune chronologie proprement linéaire. Elle met aussi en évidence une répartition inégale des Asclepieia : on constate une plus forte concentration dans les îles et les cités du centre et du sud de la mer Égée et de l’Asie Mineure (Cyclades, Crète, Dodécanèse, Carie et Ionie) ; la répartition des sanctuaires apparaît plus diffuse dans les régions septentrionales (Mysie, Troade et îles de la mer de Thrace), qui abritent cependant des centres importants (Pergame et Mytilène), et leur présence demeure très incertaine dans les cités d’Éolide. Le nombre élevé d’Asclepieia dans l’espace considéré s’explique avant tout par le succès rencontré par Asclépios, mais aussi par les contacts fréquents et variés du monde insulaire et des anciennes cités du littoral anatolien avec la Grèce continentale, considéré comme le berceau du culte. Ce rassemblement de données fut un préalable, dans ma thèse, à une enquête sur la fréquentation des sanctuaires (aspects sociologiques), sur leur organisation (histoire institutionnelle) et sur les pratiques et les croyances religieuses (histoire des religions).